1. Matière et psyché du point de vue de la psychologie de C.G.Jung

L'archétype comme catégorie d'expérience

. Freud voyait d'abord dans l'inconscient une zone destinée au refoulement des instincts sexuels, Jung le regardait avant tout comme un domaine où viendraient se consteller les perceptions situées en deçà du seuil de la conscience, les processus psychiques du développement en cours, qui représentent en fait une anticipation des processus de la conscience future, et en général tous les contenus créatifs. .. une troisième personne est également impliquée dans cette découverte : il s'agit du mathématicien .. Henri Poincaré, à qui son expérience personnelle fit également présumer l'existence de l'inconscient. . il eut un jour, au cours d'un demi-sommeil, une sorte de vision qui lui procura la solution intuitive au problème qu'il cherchait en vain à résoudre (les fonctions automorphes). Cet événement le conduisit à conclure à l'existence en l'homme d'une deuxième personnalité, inconsciente, dont il jugea à sa grande surprise qu'elle était même capable d'émettre un jugement valable dans le domaine des mathématiques.
Dans la mesure où Freud s'intéressait principalement à la part instinctive de l'inconscient, il a toujours cherché à établir un lien entre cette donnée et le savoir médical .. concernant la physiologie du cerveau, l'endocrinologie et la recherche sur les processus biologiques en général. Jung s'est très vite opposé à cette tentative, jugée hâtive, de mise en relation de l'inconscient avec des mécanismes corporels ou matériels. Non qu'il n'ait pas cru à la possibilité d'une telle relation, mais il avait la conviction qu'il était surtout nécessaire d'entreprendre une recherche complète et approfondie sur le psychisme lui-même avant de chercher à établir ses éventuels effets somatiques. . Jung pensait que la relation entre la psyché et les processus somatiques s'affirmerait d'elle-même lorsque les recherches portant sur les deux domaines auraient complètement abouti. .
Jung est reconnu comme celui qui a découvert l'expérience dite « des associations ». Lors de ce test, on établit une liste de cent mots. Parmi ces mots, on en choisit d'abord dont on suppose qu'ils concernent relativement peu le sujet de l'expérience (comme « table», « chaise », .. puis d'autres qui peuvent éventuellement toucher à quelque représentation émotionnelle du sujet. Le sujet doit alors rapidement produire une associaion pour chaque mot ; par exemple : table-chaise, verre-eau, .. Mais dès que l'on aborde un complexe, on peut constater que le temps de réponse se ralentit considérablement. S'il s'agit d'un complexe important, les réponses se ralentiront même pour les mots suivants, c'est le phénomène dit de « persévération ». On combine ensuite ce test avec une expérience psychogalvanique. On mesure dans le même moment la courbe de respiration du sujet ou bien celle de la conductivité électrique de sa peau. .. au moment où le phénomène de « persévération » apparaît, on voit les courbes s'amplifier. Ces courbes ne mesurent bien évidemment pas le phénomène psychique en lui-même, mais bien le phénomène physiologique provoqué par l'excitation émotionnelle. . Jung . s'efforça d'abord de trouver l'explication de certains retards dans les réponses. II découvrit ainsi l'exisence des « complexes » .. c'est-à-dire des personnalités partielles, des paquets de représentations émotionnelles associées à un élément central et qui ont tendance à susciter toujours plus de matériel d'association. Comme je l'ai indiqué, chaque fois qu'un complexe est abordé, cela se traduit aussi par des modifications corporelles. .. Jung avait tout à fait raison de ne pas se précipiter dans la voie du rapprochement entre le psychisme et les mécanismes cérébraux, puisqu'il s'est avéré plus tard que les complexes n'affectaient pas seulement le cerveau mais bien plutôt le corps dans sa globalité. . P13
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La médecine populaire, intuitive, et essentiellement celle de l'Extrême-Orient, associe depuis toujours certains complexes à certaines parties du corps. En Chine, il existe trois cent soixante-cinq divinités du corps. Chaque partie du corps, chaque fonction corporelle, chaque organe interne, chaque centre nerveux possède sa « divinité ». .. les divinités du corps représentent les perceptions intuitives internes de certaines sensations endosomatiques .
Jung a d'abord concentré ses recherches sur les effets des complexes inconscients sur la personnalité globale, et leur rôle comme composants du destin au sein de la personnalité individuelle.
. Jung entend par « psyché ». D'abord la totalité de la conscience, c'est-à-dire tout ce qui se trouve associé en nous au complexe du moi. Quand je sais quelque chose, je dis : « Je le sais. » Lorsque l'association d'un contenu est faite avec le complexe du moi, on dit : « J'en suis conscient. » La psyché se compose en outre de ce que l'on nomme l'inconscient, c'est-à-dire l'inconnu psychique. Mais dès que l'inconscient franchit le seuil de la conscience, on peut l'assimiler aux contenus conscients, ce qui arrive par exemple souvent au cours du sommeil. On y voit se dérouler des processus de représentation . Je peux rêver de quelque chose et ensuite tenter de comprendre ce rêve. Ce qui était d'abord le contenu inconscient d'un rêve franchit le seuil de la conscience pour devenir un contenu conscient. Enfin, Jung assimile à la psyché ce qu'il nomme le système psychoïde. Il entend désigner par ce terme toute cette partie de notre psyché qui nous reste parfaitement inconnue, que l'on pourrait aussi définir comme la part inconnue de la psyché qui ne franchira jamais le seuil de la conscience, comme l'inconnu véritable et absolu, l'Inconnu en tant que tel. Jung n'utilise cependant ce terme que dans un contexte bien spécifique. Selon lui, le système psychoïde serait ce domaine du psychisme où le psychisme semble se mêler aux manifestations matérielles.
Bien que les complexes, en tant que contenus de l'inconscient, soient par définition inconscients, ils peuvent néanmoins se manifester en nous sous la forme de contenus « conscients » ou encore prendre la forme de « personnalités » autres. . Afin de bien établir la différence entre ce phénomène et la conscience du moi, Jung désigne la « conscience » des complexes inconscients par le terme de louménosité. Les complexes possèdent une sorte de conscience diffuse et non claire. Cela apparaît très nettement lorsque le complexe conscient élabore ce que l'on appelle un « arrangement », phénomène que l'on peut observer chez certaines personnalités fortement dissociées. C'est pour éclairer cette notion que Jung a publié le cas de cette femme amoureuse du mari de sa meilleure amie. . P15 . (si nous définissons la conscience comme étant, entre autres, un outil permettant de mettre en ouvre certains moyens ).
La deuxième grande innovation de Jung fut que, ne concevant pas uniquement les complexes comme des phénomènes pathologiques, ainsi qu'il était d'usage en psychiatrie et aussi dans la psychologie freudienne, il mit au contraire l'accent sur le caractère de normalité de certains d'entre eux. Ainsi considérait-il comme normal que notre système psychique se compose de différents complexes, dont le complexe du moi ne représenterait qu'un parmi d'autres. Chaque être humain possède des complexes. Et ces complexes ne sont pas facteurs de maladie en tant que tels, mais seulement dans des circonstances données. . Ces complexes normaux, connus de tous, sont ce que Jung appelle les archétypes. Les archétypes sont en quelque sorte des complexes innés, présents en chacun de nous. C'est pourquoi Jung définit comme archétypes toutes les dispositions innées et structures psychiques évidentes qui, dans des situations caractéristiques et répétées, produisent des représentations, des pensées, des émotions et des motifs imaginaires similaires dans leur structure. On a souvent comparé les archétypes de Jung aux « idées » de Platon. Il convient cependant de rappeler ici que la différence essentielle entre une représentation archétypique et une idée platonicienne tient à ce que l'idée platonicienne est un contenu purement abstrait alors que l'archétype peut s'exprimer aussi bien par le biais d'un sentiment ou d'une émotion que par celui d'un imaginaire mythique. . Il convient en outre de faire le différence entre l'archétype en tant que tel et l'image, la représentation, l'idée ou l'imaginaire archétypique. Autrement dit, les archétypes en tant que tels sont des structures intangibles ; ce n'est que lors de leur stimulation par une situation critique, intérieure ou extérieure ( qui peut se traduire soit par un processus interne de compensation soit par un stimulus externe) , c'est-à-dire à un moment décisif, qu'ils vont produire une image archétypique, un imaginaire archétypique, une pensée, une intuition ou une émotion. On reconnaît la nature archétypique de ces phénomènes tant à leur présence qu'à leur ressemblance dans toutes les cultures et chez tous les peuples de la terre. . On ne peut donc douter du caractère héréditaire des structures archétypiques, ce qui ne vaut en revanche pas pour les images. On a toujours critiqué la thèse de Jung selon laquelle les images de nos représentations pouvaient être héritées. Il n'a cependant jamais rien affirmé de tel. Ce qui se transmet par l'hérédité, ce sont seulement les dispositions et les structures qui ensuite permettront la création incessante d'images identiques ou ressemblantes. Au moment où une structure archétypique, innée, se manifeste sous la forme d'une image ou d'un imaginaire archétypique, c'est la psyché qui met en ouvre les impressions reçues de l'environnement pour en faire des moyens d'expression. C'est pour cela que les images ne sont pas toutes identiques mais seulement analogues dans leur structure. . Il est bien entendu que l'image s'enrichit des impressions venues du monde extérieur. P.17
Il faut encore fixer les limites qui séparent 1'archétype d'un modèle de comportement instinctif. .
On peut dire que Jung est parti du point de vue inverse de celui des « behaviouristes », c'est-à-dire sans se poser de questions sur notre manière de nous comporter ou de nous saluer, de nous accoupler ou encore d'élever nos petits. Ses recherches se concentraient plutôt sur la question de savoir quels étaient nos sentiments et notre imaginaire au moment où nous agissons ainsi. . De prime abord, l'observation des comportements animaux ne nous apporte rien sur leurs éventuels processus intérieurs .
Grâce à sa faculté de communication, nous pouvons établir que l'homme .. possède toujours des représentations intérieures, de l'imagination, des sentiments, des émotions et des représentations de l'imaginaire qui, tout comme le comportement extérieur, se révèlent être typiques. Nous pouvons constater que notre réaction à une situation donnée suit toujours une structure analogue. On peut même considérer l'absence de cette réaction commune comme inquiétante. C'est par sa similitude structurelle que la disposition archétypique chez l'être humain se révèle le plus clairement ( et c'est pour cela que Jung s'y réfère ), ce que l'on peut facilement démontrer par l'observation que les systèmes religieux et les mythes, les coutumes mythiques et les contes populaires possèdent une structure identique dans toute l'humanité, malgré tous les détails qui les différencient. .P.19
. pour Jung les archétypes ne sont pas seulement des pensées élémentaires mais aussi des sentiments élénentaires, des imaginaires élémentaires ou des visions élémentaires.
. Les archétypes se contaminent mutuellement . Les archétypes ne sont pas tels qu'on se représentait autrefois les électrons, comme de petites particules séparées. Ils se chevauchent et s'emboîtent comme, dans le langage des physiciens, des « electronsmear ». On pourrait les comparer à un nuage effiloché qui déborde d'effets secondaires. Il arrive souvent que l'on ne puisse dire avec certitude d'une image archétypique si elle dérive de tel ou tel archétype. .. dans la tombe du roi Seth 1er on peut voir la représentation d'un tamaris et d'un sein que le roi suce. S'agit-il ici d'une représentation de l'archétype de la Grande Mère ou de l'archétype de l'Arbre de Vie ? la réponse est : des deux. Il est impossible de fixer une limite entre les archétypes. . Lévi-Strauss .. différencie le cuit du cru, la vie de la mort, et établit ainsi des catégories apparemment absolues. ... Les archétypes ne nagent pas dans l'inconscient collectif comme des miettes de pain dans la soupe. Ils forment eux-même la soupe, en n'importe quel endroit, aboutissant ainsi à des mélanges spécifiques. C'est pourquoi il est aussi difficile de les décrire clairement, hors du contexte psychologique individuel.
Jung a pu réunir dans un seul modèle la relation entre l'archétype et les modes de comportement instincrifs :
Domaine psychique conscient et inconscient
Processus Somatique ---------------------------------------------------------- Archétypes

On suppose une extrémité « ultraviolette » à droite et une extrémité « infrarouge » à gauche. . Dans ce schéma, la bande spectrale représenterait l'étendue du psychisme. Dans le pôle infrarouge, les processus psychiques se transforment en processus corporels. Comment et où précisément, voilà qui n'apparaît pas encore très clairement.
Nous sommes cependant certains qu'il existe une corréation entre ces deux ordres de grandeur. C'est dans le pôle archétypique qu'apparaissent les modes de réaction mentale, et c'est là que devraient se trouver ces structures obscures et imposantes que sont les images archétypiques, les représentations et les pensées de la psyché. Ce serait le pôle à partir duquel l'inspiration mentale se développe. . On pourrait caractériser ces deux pôles comme formant l'opposition esprit/ matière.
Cette polarité devient évidente chez un sujet possédé par son instinct, comme dans le cas d'une femme nymphomane, possédée par la sexualité, ou d'un individu possédé par la gloutonnerie ou par tout autre instinct. On peut aussi voir un individu tomber sous la domination d'un pôle mental, par exemple possédé par une idée. Ces deux pôles P.21 n'offrent aucune liberté, mais des automatismes. Plus les processus psychiques se transforment en modèles de comportement et en processus physiologiques, moins il y a de liberté, les réactions se faisant de plus en plus automatiques et prévisibles. Le même phénomène intervient dans le pôle ultraviolet de l'esprit. Les personnes possédées par une idée ne sont plus à même de l'examiner de manière critique. L'extrême est atteint chez le malade mental qui pense être le sauveur du monde. Il se révèle alors impossible d'amener le faible complexe du moi à critiquer cette conviction qui l'a assailli un jour, lors d'une vision. . Cependant, si on a étudié l'archétype du sauveur dans la mythologie, il devient possible de prédire ce que le malade va faire ou dire, car il se trouve en quelque sorte emprisonné dans un automatisme archétypique, dans un sentiment de fanatisme et de conviction absolue. Ce n'est que dans la sphère centrale du spectre psychique, dans le domaine de la conscience de l'ego que règne une certaine liberté. C'est seulement là que nous trouverons ces élans de volonté que Jung définit comme une énergie psychique mise à la disposition du « complexe du moi ». Dès que l'on atteint aux pôles, l'énergie psychique est absorbée par les autres complexes inconscients.
.. la relation de la psyché à la matière .. est, ou paraît être, dans le pôle « infrarouge ». C'est là en effet que les fonctions psychiques se transforment en processus corporels. Il arrive cependant que la matière se manifeste aussi dans l'autre pôle, sous la forme de phénomènes parapsychologiques. On peut donc supposer que la séparation que nous établissons entre l'esprit et la matière, entre l'observation extérieure et la perception intérieure, ne serait en réalité qu'une distinction fictive ou une polarisation fictive imposées par notre structure consciente mais qui, à proprement parler, ne correspondent pas à l'être réel, transpsychique. On suppose plutôt que ces deux pôles forment une réalité unique. . On part du principe que psyché et matière forment une seule et même réalité. .. notion .. hors de portée de l'observation directe.
Situés en amont de toutes les représentations religieuses et mythiques de l'humanité, partout similaires, les archétypes ne représentent pas seulement les fondements de l'imaginaire humain, mais ils se trouvent aussi bien sûr à la base des sciences naturelles et de leurs conditions préalables aux processus de la pensée. .. Sambursky a démontré de façon détaillée que tous les thèmes fondamentaux des sciences naturelles occidentales contemporaines sont issus des représentations originelles et intuitives de la philosophie grecque de la nature. .. l'idée d'une seule substance primordiale à partir de laquelle, en quelque sorte, tout le cosmos visible se serait formé, et aussi l'idée de la conservation de cette substance première ou, pour le dire autrement, la notion d'une forme d'énergie universelle. .. le pneuma du feu de la Stoa ou le feu-logos dans la philosophie d'Héraclite. .. l'idée d'une permutation des substances matérielles de l'une en l'autre (comme chez Aristote). De même que la lotion de continu et de discontinu, .
L'idée du pneuma chez les stoïciens est aussi une première intuition de l'idée moderne du champ de forces ou de l'onde stationnaire. Comme on le sait, les stoïciens pensaient que le monde entier est soutenu par une sorte de tension d'énergie, le tonos - une onde supposée stationnaire.
L'idée de la relation d'incertitude se trouve également déjà en germe dans la théorie de l'atomiste grec Leucippe . Ce sont les conceptions qui touchent à l'espace-temps qui sont les plus intéressantes, car elles se fondent sur l'image archétypique d'une omniprésence de la divinité ou sur l'omniprésence d'un pneuma divin. .. Plotin P.23.. : « Dieu est une boule d'esprit dont la circonférence est partout et le centre nulle part. » Nous trouvons déjà là la conception physique d'un point omniprésent. Parmi ces idées, il en est une qui prend encore aujourd'hui une importance grandissante, au point de constituer un modèle de base dans la pensée physique moderne .. l'idée qu'enfin de compte nous avons affaire à des structures mathématiques, ce qui avait déjà été avancé par les pythagoriciens. Ceux-ci considéraient en effet les nombres naturels et certaines relations naturelles des nombres entre eux comme une constante de la nature.
.. les théories fondatrices des sciences naturelles modernes sont issues d'images liées au divin. Ce qui explique leur faculté à déclencher des polémiques passionnées, toute la question étant de savoir à quelle conception du divin se référer.
Les paradoxes de la relation d'incertitude contraignent les physiciens à tenir compte des processus mentaux de l'observateur, car il est impossible de procéder à l'observation d'un objet sans prendre en compte l'influence de l'observateur. Les physiciens modernes devraient donc s'interroger à nouveau : que faisons-nous vraiment ? Avec nos moyens d'observation, nous forçons la nature à répondre d'une certaine manière. . Wolfgang Pauli définissait la connaissance physique comme la concordance de représentations internes avec des faits extérieurs. Rudolf Carnap affine .. en disant que le physique se constitue d'images qui ont été apurées en formules mathématiques. Les représentations sont toutes devenues des formulations abstraites. . Max Jammer .. : « En physique, il s'agit d'un isomorphisme de structures. » Cette phrase évoque ici le fait que les structures mentales des physiciens connaissent un certain isomorphisme avec les structures de la matière. L'expérience concrète elle- même se trouve déjà influencée, préjugée par les représentations mentales de l'observateur. Les formules mathématiques d'aujourd'hui, à l'encontre des conceptions pythagoriciennes antiques, ne sont que des formulations algébriques et, dans la plupart des cas, des développements affinés et corrigés du calcul de probabilité. Hélas, ce dernier peut nous informer sur la moyenne et la régularité, mais non sur le cas unique occasionnel. . Toute information sur un événement unique est donc mise entre parenthèses.
. toute la construction des mathématiques se fonde sur une donnée irrationnelle, sur le
« c'est comme ça » . P.25 . Sans compter le fait qu'on découvre soudain à tous les nombres naturels des propriétés individuelles. Ils sont triangulaires, carrés, ou corrélés d'une certaine manière. Tout cela n'était pas posé, mais on le découvre seulement a posteriori. Si cela avait été posé par nous-mêmes, nous devrions le savoir. Or nous ne connaissons qu'a posteriori la machine que nous avons construite. L'irrationnel n'y prend aucune part. Mais il se trouve que nous stipulons avec des nombres une chose que nous sommes ensuite incapables d'expliquer. .. comme le dit Herrmann Weyl, tout espoir de la part des mathématiciens de pouvoir expliquer les fondements mathématiques de manière rationnelle a été anéanti une fois pour toutes. .
. il est essentiel de souligner qu'il n'existe pas une seule idée scientifique importante qui ne soit fondée sur une intuition archétypique primaire. C'est une pensée préexistante à la conscience du moi qui est à l'origine des grands thèmes des sciences naturelles occidentales. C'est l'inconscient qui révèle ensuite ces intuitions primordiales, sous la forme de pensées qui apparaissent aux chercheurs. Dans ce sens, la notion même de matière ne serait qu'une simple représentation archétypique parmi d'autres, dérivée de l'archétype de la Grande Mère. Jung a regroupé les aspects les plus importants de l'archétype de la Grande Mère suivant des représentations typiques comme, au niveau personnel, celles de la mère, de la grand-mère, de la belle-mère, de la nourrice, de la bonne d'enfants, de l'aïeule, de la déesse, de la Vierge Marie, de la Sophia. Elle est la fin du désir de délivrance. Elle est le paradis, le royaume de Dieu, l'Église, le morceau de terre, le ciel, la terre, la forêt, la mer et les eaux stagnantes, la matière, les enfers, la lune, le champ, le jardin, la roche, la grotte, l'arbre, le jaillissement de la source, les fonts baptismaux, la fleur, le mandala, le four, l'âtre, la vache, le lièvre et les animaux domestiques en général. Psychologiquement, elle représente un principe bienveillant, choyant, qui donne support, qui active la croissance, qui fertilise et qui nourrit. C'est le lieu de la transformation, de la renaissance, du secret, du caché, du sombre, du monde des morts, de ce qui dévore, empoisonne, angoisse, et de l'inévitable. P.27 Toutes ces représentations procèdent de l'archétype de la Mère primordiale.
Dans le pôle opposé, c'est-à-dire l'archétype du Père qui représente l'esprit, nous trouvons les associations mythologiques suivantes : l'air qui se meut, le vent, le souffle des fantômes, ce qui excite la folie, les apparitions d'esprits défunts ; on pense au pneuma, à la psyché, aux lutins, aux esprits, aux diables, aux démons, aux anges, aux vieillards secourables. Au niveau personnel, on associe cet archétype à la figure du père, du vieux professeur, de l'autorité, du prêtre. L'esprit est l'élément de la psyché qui active, qui donne des ailes, qui meut, ravive, stimule, excite, allume, inspire et dynamise. Il excite l'enthousiasme et l'inspiration. C'est pourquoi Jung a défini l'esprit comme un principe de mouvement spontané et d'activité qui possède la qualité intrinsèque de produire des images libre et situées au-delà de la perception sensorielle, et la capacité de les manipuler de manière autonome et souveraine. Comme on peut facilement le constater, et il en va ainsi de tous les archétypes, certains aspects de ces deux archétypes se chevauchent. C'est la raison pour laquelle Jung insiste sur le caractère intangible tant de l'esprit que de la matière, qui représentent les formes ultimes de manifestation de l'être, en lui-même transcendantal et transphysique. Alors que l'Occident a souvent tendance à vouloir tout faire dériver de la matière, les tantristes orientaux pensent plutôt que la matière n'est rien d'autre que la manifestation de la pensée de Dieu. Mais il est impossible d'apporter une preuve empirique à de telles affirmations métaphysiques. En effet, seule la réalité psychique est une réalité immédiatement explorable, car elle est formée de nos contenus conscients, auxquels nous affectons, pour ainsi dire a posteriori, soit une origine matérielle, soit une origine spirituelle.

Pour résumer, ce que nous appelons communément matière ou énergie ne serait qu'une représentation archétypique, de même que ce que nous appelons l'esprit, c'est-à-dire ce qui, en tant que pensée inspirée ou sens, est issu d'une représentation archétypique. .. ce qui intéresse d'abord le psychologue est de savoir comment ces deux forces archétypiques se manifestent dans notre conscience, et de connaître le déroulement de ces processus intérieurs qui nous obligent à prendre conscience de leur existence. Tout se passe comme si ces deux forces, à l'instar de tous les opposés dans la nature, semblaient vouloir s'unir en l'homme dans un mysterium conjunctionis. Le plus grand des secrets, pour nous autres psychologues, ne réside justement pas dans la matière, ni dans l'esprit, que nous ne pouvons pas, à proprement parler, explorer dans leur être en tant que tel, mais plutôt dans cet étrange processus psychique qui permet à ces forces de s'actualiser dans l'homme comme expérience des sens tout en cherchant à devenir conscientes dans le miroir de sa psyché. Dans ce contexte, Jung parlait d'une signification cosmogonique de la conscience humaine.
.. une autre difficulté .. la recherche fondamentale dans la psychologie des profondeurs. Jung voyait dans la psychologie une méthode d'action empirique . la problématique de cette méthode réside dans le fait que la psychologie décrit des événements psychiques avec des moyens psychiques, et qu'il n'existe pas d'autre moyen d'y accéder ou de l'expliquer. . La physique reflète la matière dans les processus mentaux et psychiques du physicien. Le physicien reconstruit dans son esprit la matière du monde extérieur, ce que la psychologie ne peut pas faire. . Il lui manque un point d'appui hors d'elle-même. C'est ainsi qu'elle se voit définitivement limitée. Mais si la psychologie connaît des limites, la physique aussi qui, à cause de la découverte de la relation d'incertitude, a vu également se limiter ses possibilités de connaissance. C'est ici que la physique des P.29 particules et la psychologie des profondeurs jungienne se rejoignent.
. ce n'est pas la biologie moléculaire, ni la psychologie et encore moins la recherche sur le cerveau, mais bien la physique quantique qui permet aujourd'hui aux physiciens d'établir des liens de parenté entre leur discipline et le domaine psychique. Pour Jung, c'est dans la physique, et notamment dans la physique subatomique de la matière, que réside la seule autre possibilité de pouvoir reconstruire les processus psychiques. Mais il souligne aussi que nous ne savons toujours pas de quelle façon cela pourrait se faire. Cette reconstruction ne peut être entreprise que par la nature. Il est à supposer qu'elle s'opère aussi continuellement que la psyché perçoit le monde physique. ..c'est dans la physique que la psyché reflète la matière. Se pose alors la question de savoir si la matière peut également refléter la psyché ? En Chine, cette idée existe depuis toujours. Lorsque les Chinois veulent s'informer de leurs processus psychiques inconscients, ils se contentent simplement d'observer les manifestations matérielles environnantes, considérées comme le reflet de leurs processus intrapsychiques. Pour eux, cette notion relève de l'évidence.
. La pensée orientale est si éloignée de la nôtre qu'il lui est impossible de raisonner comme nous à partir du principe de causalité. Les peuples de l'ExtrêmeOrient comprennent le processus matériel comme un reflet synchronistique de la psyché. .. histoire .., datant de l'époque des Tang. Après l' éruption d'un volcan, un lac s'était formé dans le cratère. Au centre de ce lac, il y avait une montagne conique. L'impératrice qui régnait alors était une femme très despotique, qui avait mis son mari sous tutelle. Elle alla voir cette montagne et lui donna le nom de Montagne de la Chance. L'un de ses sujets lui écrivit alors une lettre polie : « Majesté, j'ai appris que le monde est troublé quand le souffle du ciel est troublé. Quand le souffle de la terre est troublé, c'est l'âme humaine qui est troublée. Votre Majesté s'est élevée de manière masculine au-dessus de sa condition féminine. Je voudrais conseiller à Votre Majesté de pratiquer le repentir et le retour sur soi, afin que n'advienne point de malheur à l'empire. » L'impératrice se mit fort en colère et bannit cet homme de la cour. En chinois, la montagne se dit Gen et représente le principe masculin. Le lac se dit Dui et représente le principe féminin. La formation de la montagne sur le lac est donc le reflet synchronistique de l'état d'âme de l'impératrice ou de la maison impériale. L'événement extérieur est bien considéré comme le reflet d'un événement psychique. S'il nous est désormais impossible de revenir à une telle vision du monde, nous l'avons cependant par trop rejetée, car cette vision du monde orientale contient bel et bien une part de vérité.

Les épiphénomènes du domaine archétypique et l'unité de l'être

. les bases de presque toutes nos connaissances essentielles sont structurellement prédéterminées par les archétypes de l'inconscient collectif. Les archétypes constituent en quelque sorte les conditions psychiques de notre être global, et nous ne pouvons ni les omettre ni les contourner. Il nous est en revanche possible de les développer et de mieux les P.31 différencier. Nous n'en sommes donc pas prisonniers, en ce sens qu'une évolution reste toujours envisageable.
Jung n'a d'abord étudié les archétypes que sous leur forme manifestée, à savoir notamment leur apparition dans les rêves et dans la fantasmagorie spontanée inconsciente de ses patients et ses répercussions sur leur histoire et leur comportement. Les images et les pensées archétypiques, c'est-à-dire les pensées, les émotions et les impulsions à agir « révélées » se situent dans le côté « infrarouge » du schéma qui décrit l'éventail des processus psychiques aux processus physiologiques, c'est-à-dire matériels. Le pont qui relie ces processus est constitué par les émotions, dont il est possible de mesurer les effets physiques. La psyché et le corps s'influencent mutuellement. S'il est possible de transformer un état psychique au moyen d'éléments chimiques, certaines altérations psychiques sont également à même de modifier les processus chimiques du corps. Les archétypes possèdent certainement tous une base organique.
Néanmoins .. dans le pôle ultraviolet du schéma qui précède, certains phénomènes matériels interviennent aussi. Il s'agit de ce que l'on appelle les phénomènes d'apparition de fantômes, dont l'étude relève de la parapsychologie. . ces phénomènes d'apparitions, qui sont d'une certaine manière une forme d'expression de l'esprit, s'ajoute une autre catégorie spécifique de phénomènes parapsychologiques que Jung désignait par le terme de synchronicité. . On attribue aujourd'hui certains de ces phénomènes à la télépathie. On se représente le plus souvent la télépathie comme un courant électrique ou électromagnétique, comme une onde ou quelque chose de similaire. Les expériences menées jusqu'ici ( on a par exemple demandé à des médiums enfermés dans une chambre de plomb d'émettre des suggestions vers une autre personne, etc.) nous ont montré que nous ne pouvons associer à la télépathie aucun des phénomènes énergétiques matériels ou de rayonnement connus. . Ce qu'il nous est donné de constater relève plutôt de l'ordre de la coïncidence, comme lorsque nous pensons à un événement qui est effectivement en train de se produire vingt kilomètres plus loin, sans qu'on puisse établir la moindre relation causale entre la pensée et l'événement. Un phénomène plus fréquent .. est de rêver d'une personne que l'on n'a pas revue depuis dix ans et à laquelle on ne pense jamais, et de trouver le lendemain dans la boîte aux lettres un courrier émanant de cette même personne. La coïncidence paraît étrange ! Nous sommes tellement attachés à la causalité que nous finissons alors souvent par conclure que c'est bien la forte pensée de l'autre qui a transmis à notre inconscient une onde quelconque provoquant le rêve. .. on n'a pu relever l'existence d'aucun flux ni d'aucune onde qui pourrait expliquer le phénomène. . Il est difficile de parler des phénomènes de synchronicité parce que notre pratique P.33 nous les présente toujours insérés dans la problématique globale de l'individu concerné. . effectuer des observations par lui-même (le lecteur). La pensée des primitifs est, aujourd'hui encore, synchronistique. Pour eux, la notion même d'un hasard dépourvu de sens n'existe pas. S'il arrive par exemple qu'une femme soit attirée sous l'eau par un crocodile, ils s'interrogeront sur le sens de cet événement. Il leur serait impossible de l'imputer au hasard. Leur vision du monde ne connaît pas le hasard. Là où le scientifique moderne ne verrait qu'un hasard, les primitifs chercheront toujours à trouver un sens. Nous pouvons donc tout à fait nous tourner nous-même vers notre nature primitive et nous demander : Ce qui se passe maintenant ne tient pas du hasard, pourquoi cela m'arrive-t-il justement aujourd'hui ? . Bien entendu, on peut toujours exagérer et voir des synchronicités là où il n'y en a pas. L'homme antique voyait dans le phénomène synchronistique un signe des dieux, comme un noumen. Le mot numinosum vient du verbe nuere : faire signe. Lorsque Zeus fait signe en fronçant les sourcils, il se passe alors un fait noumineux. Dans le monde entier et pour toute l'humanité cette sorte de coïncidence a toujours été considérée comme un signe émanant du destin ou de la divinité. On a toujours tenté de trouver une science magique capable de les interpréter, que ce soit par l'observation du vol d'un oiseau ou de la constitution du foie d'un animal sacrifié, etc. . Elles traduisaient le sens d'un moment précis - et, avant tout, constituaient une prédiction en vue de l'avenir.
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La pensée magique tient à l'idée d'une causalité magique. La science moderne a eu beaucoup de peine à s'en extraire. Il n'est donc nullement dans l'intention de Jung de revenir à cette forme de pensée. Toutefois, nous devons être conscients que la causalité, en tant que principe d'explication ( ou de probabilité), n'est qu'une catégorie parmi d'autres qui sont à la disposition de la pensée pour décrire un certain groupe d'événements. Laquelle laisse de côté tout le domaine du hasard ou de la contingence, puisque toute possibilité de recherche en est exclue. Se pose alors la question suivante : Est-ce que la contingence n'est vraiment qu'une simple masse amorphe de hasards en apparence dénués de sens ? Ou bien peut-on établir des différences entre des coïncidences créatrices de sens ? Si par exemple je me mouche dans un aéroport et qu'un avion s'écrase ? Un tel événement est simplement le fait d'un hasard dépourvu de sens, et il n'y a rien d'autre à y voir. Mais si la nuit précédente j'avais rêvé de manière dramatique d'un avion qui s'écrase, puis que je suis venu à l'aéroport attendre quelqu'un et que je vois un avion s'écraser comme je l'avais rêvé, je ne peux m'empêcher de me dire que tout cela doit avoir un sens.
Ce qu'il est intéressant de noter, c'est que les événements synchronistiques sont presque toujours des événements uniques, et que pour cette raison ils ne sont pas validables. Mais leur valeur d'information est néanmoins réelle. Même l'événement unique, quand il se produit dans un contexte archétypique, peut signifier un gain d'information. Cela concerne justement ceux des éléments de synchronicité qui, comme on le sait, ne se répètent jamais et qu'il est impossible de reproduire par la mise en scène d'une expérience.
Les événements synchronistiques se distinguent par leur simultanéité, non pas absolue mais relative. Si je rêve au cours de la nuit qu'un avion s'écrase et que le jour suivant un avion s'écrase effectivement, quelques heures se sont quand même écoulées entre les deux événements. En général, il y a un petit intervalle entre les événements ; leur simultanéité est donc relative. L'essentiel réside plutôt dans l'équivalence du sens. La liaison entre les deux éléments P.35 se fonde non pas sur une quelconque relation causale, mais sur l'équivalence de sens. . Ex. robe bleue, robe noire, décès . Jung cite l'exemple d'une femme observant un rassemblement d'oiseaux sur le toit de sa maison, ce qu'elle interprète aussitôt, en raison d'événements similaires survenus dans le passé, comme l'annonce d'un décès. De fait, on ramène peu après à la maison le corps de son mari .. On retrouve là une liaison de sens - dans la mythologie, le rassemblement d'oiseaux signifie en effet que les âmes des défunts viennent chercher quelqu'un, ce qui correspond à une croyance commune à toute l'humanité. Si nous voulions formuler cela avec exactitude et de façon scientifique, nous dirions que la synchronicité n'est pas la simple coïncidence d'un état intérieur et d'un état extérieur car, comme je l'ai déjà dit, l'état extérieur, l'événement extérieur, ne peut être perçu en tant que tel. Il passe d'abord par le filtre de notre existence psychique. C'est pourquoi nous devons dire, si nous voulons le formuler scientifiquement ; il s'agit, dans la synchronicité, de la coïncidence ou de la simultanéité de deux états psychiques, et notamment d'un état psychique normal, qu'on peut suffisamment expliquer, et d'un autre état, qui ne connaît aucune relation causale avec le premier, qui est un événement critique acausal et ont l'objectivité ne peut être vérifiée qu'a posteriori.
..un autre exemple. J'ai eu en analyse une patiente particulièrement suicidaire. Avant mon départ pour les vacances d'été, je m'étais fait beaucoup de souci pour elle en songeant qu'elle devrait se passer de moi pendant tout ce laps de temps. Néanmoins, me voici en vacances et ne pensant plus à elle ( elle m'avait promis de m'écrire en cas de détresse) .
Et voilà qu'un beau matin, en cassant du bois, je me fais la réflexion suivante .. : « Ce bois est encore humide. Je vais l'empiler plus au fond afin qu'il ne soit pas utilisé en premier et qu'il puisse sécher. » C'était une suite de pensées assez longue, en relation causale directe avec mon activité du moment. Soudain, je vois en pensée ma patiente se tenir devant moi, ce qui interrompt brutalement le cours de mes réflexions ; je sentais nettement que quelque chose s'interposait. Je pense : Que vient-elle chercher chez moi, pourquoi penser à elle ? Je me demande alors si c'est le bois qui a dirigé mes pensées vers elle. Mais je ne trouve aucune association à faire entre le bois et elle. Je me remets à fendre mon bois, et de nouveau l'image se présente à moi, mais cette fois avec un sentiment de danger imminent. Alors je pose ma hache et pense à prendre ma voiture pour me rendre immédiatement chez elle. Et je ressens exactement ceci : Non, ce n'est pas si urgent. Alors je lui envoie un télégramme avec ces seuls mots : « Ne faites pas de bêtise », et ma signature. Le télégramme a mis deux heures pour lui parvenir. C'est au moment même où elle se rendait dans la cuisine pour y ouvrir le robinet du gaz que le facteur a sonné pour le lui remettre. Cette coincidence l'a tellement impressionnée qu'elle a refermé le robinet. Et elle est - Dieu merci - toujours en vie. .. cet exemple comme une illustration de la simultanéité de deux états psychiques, l'un normal, suffisement explicable par la causalité (mes pensées concernant le bois) et un autre, critique et ne dépendant pas du premier, dont l'objectivité ne pouvait être vérifiée qu'a posteriori et s'étant manifesté par l'intrusion d'une image. Je n'ai appris ce qu'il s'était passé que deux jours plus tard. C'est pour cela que Jung ne considérerait pas cet événement P.37 comme synchrone, c'est-à-dire simultané dans le temps, mais comme synchronistique puisqu'il y a un certain décalage. En de tels moments, il paraît que le continuum normal de l'espace-temps et toute la grille des corrélations causales soient abolis. Ces éléments semblent ne constituer des grandeurs constantes que lorsqu'on les mesure indépendamment des états psychiques.
L'existence d'un savoir sous forme d'images symboliques est également liée aux archétypes. Il s'agit d'une sorte de luminosité ou de conscience partielle des archétypes, d'un savoir dont seul le domaine archétypique est conscient mais non le moi, et qui fait soudainement intrusion dans la conscience du moi. Ainsi on pourrait dire qu'une intuition de l'ordre de l'archétype a eu connaissance en moi de ce suicide et a subitement fait intrusion dans le champ de ma conscience normale.
Voici ce qui, selon Jung, distingue la synchronicité : d'une part l'émergence d'une image inconsciente, directement ou indirectement, comme image d'un rêve, comme idée ou comme pressentiment ; et d'autre part, un état de fait objectif coïncidant avec ce contenu temporel. .. la notion chinoise du Tao reflète exactement la pensée de la synchronicité. .. pour les Orientaux .. les liaisons ont du sens non pas du point de vue de la causalité mais de la synchronicité. On pourrait alors dire que l'homme peut légitimement poser deux questions à la nature. Il peut lui demander : Pourquoi arrive-t-il ceci quand je fais cela ? Ce qui mène au postulat du principe de causalité mais relativisé en probabilité. Ou bien : Dans la nature, quels sont les événements qui ont tendance à se produire en même temps ? . Cette idée vient du Tao. Le Tao est en quelque sorte le sens global, le sens présenté en terme de temps. On devrait alors dire : Ce qui sous-tend toute manifestation est ce moment du temps qui globalise le sens ; c'est cela le Tao. Lao-tseu dit : « On tend l'oreille et on ne l'entend pas, on le nomme fluidité, on fait un geste pour le saisir et on ne le saisit pas, on le nomme le sans-corps, la forme sans forme, l'image sans objet, le vague nébuleux. Allant à sa rencontre on ne voit point son visage, en le suivant on ne voit point son dos, tellement vagues et nébuleuses sont les choses en lui. Pourtant tout se fait par lui. Le filet du ciel a les mailles larges mais pourtant rien ne se perd. » La pensée chinoise présuppose que la nature entière est une unité psychophysique ou possède une cohérence globale unitaire qui se dérobe toutefois à toute observation centrée sur le détail.
En Occident nous pouvons trouver l'ébauche d'une pensée similaire au Moyen Âge, principalement dans la doctrine de la « sympathie » et dans l'astrologie. .. dans la philosophie de la Renaissance, qui évoque l'idée d'une corrélation globale symbolique et psychophysique de toute l'existence cosmique. Cette corrélation est fondée sur le postulat de l'existence d'une âme du monde ou du principe de sympathie.
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.. nous ne pouvons pas prédire des événements de synchronicité. Ils échappent à toute prédiction. S'ils arrivaient avec régularité nous le pourrions. Mais tout ce que l'on peut en dire est que tel élément pourrait se produire si tel archétype était P.39 constellé, et que, si cet événement se produisait, il aurait alors tel ou tel sens. Or, il n'existe aucune certitude dans ce domaine, la synchronicité peut se produire comme elle peut ne pas se produire.
Autrement dit, les phénomènes de synchronicité, tel que nous les avons observés jusqu'ici et tel que nous les connaissons ne se produisent que de manière sporadique, ce qui va à l' encontre de l'idée « d'harmonie préétablie ». .
Jung pense en outre que le contingent, c'est-à-dire le hasard, l'événement extérieur qui ne suit pas le nexus causal ne serait, du point de vue de la physique, qu'une substance sans forme. Mais il se révèle à l'introspection psychique comme un type qui se fonde non seulement sur l'événement psychique mais aussi sur l'événement psychophysique. La seule loi que l'on puisse établir au sujet de ces événements de synchronicité est qu'ils ont tendance à ne se produire que lorsqu'un archétype est intensivement constellé. C'est principalement le cas dans les états prépsychotiques, où le sujet fait montre d'une grande excitation. C'est un moment où les couches fondamentales archétypiques de l'âme sont intensivement constellées. Ces phénomènes peuvent également surgir au cours de situations particulières. .. ils coïncident souvent avec le décès d'amis ou de membres de la famille. La mort constitue donc un terrain favorable à la survenue de ces phénomènes, de même que la naissance, un premier amour, etc., et généralement toute situation profondément bouleversante, qui s'accompagne toujours de la constellation d'un archétype ou d'une couche archétypique de l'inconscient. Ces phénomènes ne se produisent pas forcément, simplement ils « ont tendance » à le faire, et surviennent effectivement beaucoup plus souvent qu'on ne le pense. Chaque fois qu'il nous a été donné de pouvoir étudier un phénomène de synchronicité, nous avons toujours découvert en arrière-plan qu'un archétype avait été constellé. Il semble donc que quelque chose se manifeste dans le contingent qui, apparemment, conditionne ou fonde l'événement psychique mais aussi psychophysique. Si j'utilise maintenant l'expression « se fonde sur », il ne faut en aucun cas la comprendre dans son acception causale. . notre langue s'appuie tout entière sur la notion de causalité. Nous sommes enchaînés de façon tellement puissante à cette idée de cause à effet que notre pensée pas plus que notre langue ne nous permettent de nous en détacher. Nous devrions plutôt considérer les phénomènes de synchronicité comme un « c'est ainsi », le « c'est comme ça » d'un état contingent qu'il est impossible de réduire d'avantage ; en quelque sorte une modalité non causale. . Jung a découvert dans la nature l'existence d'un certain aménagement acausal. En font partie toutes les données que la physique admet à priori, comme la demi-vie. Ces données ne possèdent pas non plus d'explication causale, on ne peut que les constater. , est un aménagemen t qui fonctionne ainsi, sans que nous puissions trouver la cause de son mode d'acnon. En ce qui concerne le domaine psychique, cet arrangement acausal se manifesterait dans les propriétés attribuées à tous les nombres naturels. . Le « cinq » par exemple est un nombre premier - inutile de se demander pourquoi. Autrement dit, nos processus psychiques de pensée sont disposés de telle manière qu'ils nous paraissent évidents. Nous sommes structurés de sorte que nous sommes obligés de les voir ainsi. Peut-être existe-t-il sur d'autres étoiles une autre structure psychique où cela n' est pas le cas. Mais chez nous c'est comme cela et il n'existe aucune explication causale. . Les propriétés des nombres naturels tiendraient donc à une disposition psychique et la demi-vie à un ordre physique. Jung rassemble ces deux phénomènes dans la notion d' « ordre acausal ». Il entend désigner par P.41 ce terme un « étant ainsi a priori » qu'on ne peut expliquer par le lien de cause à effet ni par la probabilité.
Nous nous trouvons maintenant en présence de deux phénomènes : dans le domaine tant matériel que psychique, on peut constater d'une part l'existence d'une sorte « d'ordre
acausal », et d'autre part la survenue irrégulière et sporadique d'événements de synchronicité. L'ordre acausal est régulier, généralement reconnaissable, valable partout et observable toujours. Ce qui ne vaut pas dans les cas de synchronicité, qui se caractérisent principalement par l'irrégularité et l'imprévisibilité de leur survenue. Ils obéissent cependant aussi à un ordre acausal. Jung retient ici l'hypothèse que les événements de synchronicité, ces miraculeux événements sporadiques, ne seraient qu'un cas particulier pris dans un ordre général dépourvu de cause, et notamment dans ces cas précis où l'observateur est en mesure de reconnaître le tertium comparationis, le sens intrinsèque de cette simultanéité d'événements psychiques et physiques. .
Il ne faut pas non plus voir dans l'archétype une caus aux événements de synchronicité - ce serait encore une façon de penser causale. Il convient plutôt de présenter les choses ainsi : la synchronicité constitue un cas spécial dans un ordre sans cause. L'ordre acausal apparaît ou se manifeste dans de tels événements, mais ne les provoque pas. La définition suivante serait donc : l'archétype est la forme reconnaissable par l'introspection d'un ordre psychique a priori. Et Jung poursuit : si un événement de synchronicité s'ajoute à l'archétype, c'est-à-dire un événement extérieur dont le sens coïncide avec le sien, alors il en épouse le même dessin fondamental, à savoir qu'il est constellé de la même manière. Ce dernier ordre se distingue de celui des nombres entiers ou des discontinuités en physique en ce sens que ces derniers surviennent avec régularité. Les archétypes représentent plutôt des actes de création dans le temps. . Pour Jung, les structures de base existent depuis toujours, mais elles donnent continuellement lieu à des actes de création. Il en est donc arrivé à la conclusion que l'archétype est quelque chose que nous ne dépasserons jamais, qu'il constitue le tout dernier échelon dans la structure de notre être psychique, une structure que nous garderons probablement toujours. Mais au cour de cette structure existe une sorte de creatio continua. .
Le phénomène de la synchronicité se fonderait donc sur des actes de création dans le temps, dont Jung disait enfin : « Il faut bien entendu se garder de considérer comme acausal tout ce que l'on voit se produire sans en connaître la cause. .. il n'est correct de conclure à l'acausalité que dans les cas où l'existence d'une cause n'est même pas pensable. Assurément cette notion du pensable et de l'impensable doit être soumise à la critique la plus rigoureuse. Si par exemple l'atome était conforme à son concept philosophique originel, sa sécabilité serait P.43 impensable.
P50 : .. le nombre constitue le meilleur moyen pour ordonner les éléments dans la multiplicité chaotique des apparences. Il est la condition de toute connaissance car, .., la connaissance ne devient possible que lorsque les réactions du système psychique qui affluent vers la conscience se plient à un ordre correspondant à la conduite des choses réelles ou métaphysiques. Le nombre est le seul instrument qui nous soit donné pour établir un tel ordre ou pour percevoir un ordre déjà existant. Il est l'élément d'ordre le plus primitif de l'esprit humain. Jung définit simplement le nombre comme l'archétype de l'ordre monté à la conscience. Il est intéressant de noter que le nombre apparaît à l'endroit le plus essentiel de la psyché, et notamment dans la structure des mandalas qui sont eux-mêmes des images du divin. Cet aménagement des nombres révèle un sens de l'être qui existe a priori, c'est pourquoi les anciens mathématiciens ont toujours mis l'accent sur la nature divine du nombre.
Jung suppose que la percée du tunnel qui relie les sciences physiques aux sciences psychologiques doit se faire à peu près à cet endroit, celui de l'archétype du nombre et du concept du temps. II me semble en effet que l'étrange isomorphisme du code génétique et du Yi king, qui utilisent tous deux le même ordre numérique, constitue un net encouragement à avancer dans cette direction. .. ces ordres numériques ne sont évidemment pas les seuls. . Il existe probablement de nombreuses structures numériques qui, à certains moments, se répètent parallèlement dans le psychique et le physique. Je ne pense pas qu'on puisse réduire cela à une quelconque formulation universelle. .P.51