La place des archétypes dans la dynamique de la psychologie jungienne est majeure ; nous parlerons aujourd'hui de deux de ces archétypes dont l'importance est particulière. D'abord parce qu'ils exercent une pression considérable et une action principalement négative, tant qu'ils demeurent inconscients, dans notre comportement et notre vie affective. Ensuite, parce que faisant partie d'une part, de la personnalité et d'autre part, ayant leurs racines dans l'inconscient, ils forment une sorte de pont entre ce qui est personnel et impersonnel, entre le conscient et l'inconscient.
Au cours de l'analyse, dans les rêves et les fantasmes, ils se manifestent dans le sillage de 1'ombre sous forme de personnages intérieurs : si le rêveur est un homme, il découvrira une personnification féminine de son inconscient tandis que nous trouverons des personnages masculins chez la femme.
Ainsi chaque humain porte en lui inconsciemment les traits de l'autre sexe. Ces images, Jung les a appelées Animus chez la femme et Anima chez l'homme..
Nous verrons qu'ils ont leurs effets propres. En raccourci : possession par les humeurs pour l'anima inconsciente, possession par les opinions pour l'animus inconscient.

Ces notions se conçoivent à l'intérieur de la vision imaginative suscitée par les opposés : l'homme et la femme sont des opposés, le conscient et l'inconscient sont des opposés, masculinité consciente et féminité inconsciente sont des opposés, (la culture et le nature, l'esprit et la terre le jour et la nuit etc.). .Il existe une opposition entre le rôle social que chacun joue à l'extérieur dans la vie et la vie intérieure : « Plus un homme s'identifiera à son rôle biologique et à son rôle social d'être viril (persona), plus son anima dominera son monde intérieur » (D.M.I. p. l64-7)

Rappelons que l'archétype est la disposition innée à l'expérience : « Il n'est pas d'expérience humaine.. sans une disponibilité subjective .. Celle-ci consiste en une structure psychique innée qui est le facteur permettant à l'homme de faire et de vivre cette expérience. Ainsi toute la nature de l'homme présuppose la femme et sa nature, aussi bien physiquement que psychiquement » (D. M. I. p.168 - 169)et inversément , toute la nature de la femme présuppose l'homme.

Ces contenus psychiques, représentant le féminin ou le masculin organisent (par la confrontation intérieure) l'identité sexuelle du sujet (et ce qui la met en cause comme l'érotisme oral et anal, les fantasmes de castration (devient la peur de vivre) et les relations oedipiennes). Ils sont la condition à la sexualisation et à la relation avec l'autre sexe.
On peut les considérer comme l'archétype de l'Autre, du Toi retrouvé chez Lacan ; sauf que Jung parle aussi et d'abord de l'Autre Intérieur.
Ils correspondent à tout un système de fonctions agissant de manière à compenser la personnalité extérieure ;
ces qualités féminines chez l'homme, masculines chez la femme ,toujours présentes ne trouvent pas nécessairement leur place car elles gènent souvent l'adaptation au milieu ou à l'idéal établi.

D'abord images virtuelles projetées, l'anima et l'animus deviennent en fonction du vécu, des complexes autonomes et se manifestent sous formes diverses dans les rêves et les fantasmes, donnant ainsi un visage aux facteurs inconscients actifs dans notre vie quotidienne et affective.
Différents facteurs, lors du développement de l'individu, déterminent le caractère de ces figures : la représentation collective innée que l'homme porte en lui de la femme, et la femme de l'homme ,les tendances et les expériences que chacun fait au cours de sa vie avec les partenaires de même sexe et de l'autre sexe. (ex E. B. construction de son masculin par rapport à l'animus de sa mère)
Le tout se condense dans une sorte d'entité qui suit ses propres lois et intervient dans la vie comme un élément étranger, tantôt utile, tantôt dérangeant, voire destructeur et parfois s'intégrant difficilement dans le processus psychique.

Le travail thérapeutique consistera à la mise à distance de l'emprise qu'ils exercent sur la personne par d'abord une prise de conscience de ces composantes, de leur part personnelle et collective -ou archétypale et par leurs différenciations successives avec les imagos parentales et avec le moi. Ce travail commence généralement par une mise en question de l'ombre, afin de désencastrer de celle-ci chaque composante de la personnalité.
Dans la mesure où le moi prend conscience de l'anima et de l'animus, et se libère de leur emprise, ceux-ci se transforment, leur action devient positive et contribue à la maturité du psychisme. Le lien à l'autre pour l'homme, l'affirmation de soi pour la femme ne sont plus l'attribut du sexe inconscient et ne sont plus projetés dans les puissances prestigieuses d'un Eternel Féminin ou d'un Héros Savant.
De plus, ils jouent alors le rôle d'une médiation avec l'inconscient.

 

L'ANIMA

Jung, dans Racines de la conscience, développe l'archétype de l'Anima à partir du thème de la syzygie, (couple divin) qui « exprime le fait qu'un facteur masculin est toujours accompagné d'un facteur féminin correspondant »

Cet archétypique du couple divin va assimiler l'image du couple des parents jusqu'à ce que, l'enfant, venant à grandir, perçoive la vraie figure des parents et cela, plus d'une fois, à sa déception.
Cette transfiguration mythologique des parents continue bien souvent à l'âge adulte et l'individu n'y renonce pas sans une très grande résistance. Les parents sont donc la première actualisation de cette disposition archétypique, innée.
Dans cette image du couple parental, la fraction féminine, la mère, recèle l'ANIMA.
(tout comme la fraction masculine, le père, recèle l'animus.) Mais la mère n'est pas l'anima et la composante féminine du psychisme de l'homme ne vient pas d'une intériorisation de son image ; de même le père n'est pas l'animus et la composante masculine de la femme, ne vient pas davantage du père!
Certains mythes nous montrent même une rivalité entre les deux ; d'où l'importance de les différencier.

C'est pourquoi si dans ses manifestations individuelles, le caractère de l'anima est dans un premier temps déterminé par la mère, c'est l'image de l'ANIMA qui confère à la mère, aux yeux du fils, sa suprématie et laisse subsister chez lui un lien sentimental toute sa vie durant, entravant parfois son destin, ou lui donnant des ailes pour accomplir les actes les plus audacieux.
Cet éclat surhumain, divin, toujours attaché à un archétype, va s'effacer par la banalité du quotidien et tomber dans l'inconscient mais il y garde sa charge émotionnelle et sa plénitude instinctive d'origine, et il est prêt à jaillir et à se projetter à la première occasion. (ce qui entraîne des rapports magiques compliqués.)

Dans la projection, l'ANIMA revêt toujours la forme féminine avec des qualités déterminées. Ce qui ne veut en aucune manière signifier que l'archétype en lui-même soit ainsi constitué. » : elle apparaît sous les traits d'une déesse ou d'une sorcière ; ou comme la mère du ciel et de l'église et enfin dans la projection sur l'autre sexe.

La femme sur laquelle un homme a projeté son Anima doit éprouver sensations et sentiments à sa place, ou bien elle doit établir des relations pour lui. Il voudrait voir en la femme l'image qu'il porte en lui, et le pouvoir suggestif de son désir peut amener celle-ci à ne plus exister réellement mais à devenir l'illustration de l'Anima, Emma Jung

Dans les expériences de la vie amoureuse de l'homme, la psychologie de cet archétype se manifeste sous la forme d'une fascination, d'une surestimation et d'un aveuglement sans bornes, ou de la misogynie à tous les degrés et sous tous ses aspects : tout cela ne se laissant absolument pas expliquer par la nature réelle de "l'objet" rencontré..
Chaque fois que dans la psychologie masculine, les émotions et les affects sont à l'ouvre, l'Anima intervient ; renforçant, exagérant, falsifiant et coloriant d'une teinte mythologique toutes relations émotionnelles aussi bien dans la profession qu'avec les humains des deux sexes.

L'anima est la personnification de toutes les tendances psychologiques féminines de la psyché de l'homme, comme par exemple les sentiments et les humeurs vagues, les intuitions prophétiques, la sensibilité à l'irrationnel, la capacité d'amour personnel, le sentiment de nature, et enfin, mais non des moindres, les relations avec l'inconscient. M.L. von Franz L'H. S.

(Ces humeurs de l'anima peuvent se traduire par un caractère morose, la crainte des maladies, de l'impuissance, des accidents. Toute la vie prend un aspect triste et oppressant. Ces humeurs sombres peuvent même entraîner un homme jusqu'au suicide, et 1'anima devient alors le démon de la mort.
Quand l'ANIMA est constellée dans une proportion assez grande, elle amollit le caractère de l'homme et le rend susceptible, « excitable, sujet à des sautes d'humeur » victime de sensations et de fantaisies qui lui font tourner la tête à chaque coin de rue ; il peut aussi être « jaloux, vaniteux et inadapté.. dans un état de malaise et diffusant ce malaise »

Si l'homme jeune, (avant 35 ans) peut supporter sans trop de dommage la perte apparemment complète de l'ANIMA, il n'en est pas de même une fois passé le midi de l'existence. Là, « la perte durable de l'anima marque une perte croissante de vitalité, de flexibilité et d'humanité. Elle consiste d'ordinaire en un engourdissement précoce, quand ce n'est pas une sclérose, une stéréotypie, une unilatéralité fanatique, un entêtement, une tendance à enfourcher les principes, ou l'inverse : résignation, fatigue, laisser-aller, irresponsabilité, et finalement un ramollissement infantile avec penchant à l'alcoolisme. » Il s'endort ou gâche sa journée par mauvaise humeur.

L'anima est perçue comme une poussée vitale chaotique d'abord angoissante mais au fur et à mesure du travail de la confrontation avec l'inconscient une autre signification s'attache à elle « comme un savoir secret ou une sagesse cachée » correspondant à une connaissance des lois de la vie. « Et plus on reconnaît ce sens, plus l'anima perd son caractère pressant et contraignant. »

De par sa nature même, l'anima résiste à toutes les approches analytiques qui pourraient la capter, l'interpréter ou l'expliquer : elle sourit et s'évanouit.
Une seule voie semble s'ouvrir à l'homme, c'est la voie érotique : il se doit d'aimer son âme.

LES REPRESENTATIONS MYTHIQUES DE L'ANIMA EMMA JUNG

-Parmi les nombreux êtres mythiques pouvant être considérés comme une personnification de l'anima, ( parce qu'ils sont du sexe féminin et se trouvent en relation avec un homme) Emma Jung considère avec intérêt les nymphes, les femmes-cygnes, les ondines et les fées .
Ces êtres, à demi humains, sont caractérisés par une beauté extrêmement séduisante ; ils apparaissent souvent à plusieurs (à trois), (de même que l'animus indifférencié se présente sous plusieurs formes).
Et soit l'homme est attiré par leur charme, leur chant, dans leur royaume où il disparaît sans espoir de retour ; soit l'amour va les unir à l'homme et elles acceptent alors de vivre dans son monde à lui. Mais.même dans ce dernier cas elles gardent toujours une certaine étrangeté ou un côté inquiétant lié à un tabou qui ne doit pas être transgressé.
Ainsi une « relation avec un être mythique est liée à une condition bien déterminée dont l'inobservance entraîne des conséquences fatales. »
Même involontaire, la transgression de ce commandement provoque le retour de la nymphe dans son élément. (C'est comme s'il restait toujours une part mystérieuse à préserver)
Ce qui frappe dans la relation entre certains êtres mythiques (les nymphes célestes) et l'homme c'est la différence de comportement : car, c'est avec des sentiments humains, que l'homme déplore la perte de sa bien-aimée et cherche à la retrouver, tandis que les paroles d'un être mythique sont celles d'un être sans âme..

Les contenus de l'inconscient n'ont pas un contour précis tant qu'ils ne sont pas conscients. Ils vont donc se représenter, dans un stade préliminaire, sous formes nébuleuses ou indéterminées. Ce n'est que lorsqu'ils émergent de l'inconscient qu'ils peuvent être reconnus clairement, distinctement et être appréhendés par le conscient ; ils vont revêtir alors une autre forme et se métamorphoser dans des formes définies.
Faisons un parallèle avec le principe féminin. On pourrait dire que, représenté par une nymphe, il est encore trop nébuleux ou immatériel que pour vivre en permanence dans le monde des humains, (c'est-à-dire dans un état de veille consciente), et se réaliser.
(« J'ai disparu comme l'aurore et suis difficile à saisir, comme le vent ». Elle fait allusion à l'inconsistance et à la ténuité de sa nature)

L'homme, dans ces mythes ou contes, conquiert en général sa bien-aimée en se pliant à ses exigences ; dans d'autres il se transforme (il devient lui-même un cygne) essayant ainsi de la rencontrer dans son élément à elle, d'être sur le même plan. Attitude que l'on devrait retrouver dans la relation à l'anima. (Le chant magique des deux cygnes montre que ces deux êtres, à la fois opposés et faits l'un pour l'autre, sont unis pour ne former plus qu'un dans un accord harmonieux.)

Un thème apparaît souvent : une figure de l'anima offre à l'homme un philtre d'amour, d'allégresse, de métamorphose ou de mort.
Quelquefois, elles sont les maîtresses ou les épouses de grands héros auxquels elles donnent protection et assistance pendant le combat ou sont elles-mêmes passionnées de combats.
Dans ces êtres à demi divins, nous pouvons voir un archétype de l'anima, celui d'une anima correspondant à un homme sauvage et combatif. Dans la mesure où elles incarnent les souhaits et les aspirations de l'homme et, dans la mesure où celui-ci est porté au combat, son principe féminin, son anima, apparaîtra aussi sous une forme guerrière.
-D'un point de vue psychologique, cela veut dire que la passion et l'esprit d'entreprise sont d'abord ressentis dans le principe féminin inconscient. Avant d'apparaître clairement à la conscience, le désir de nouveauté et de changement semble être d'abord un mouvement du cour, une émotion confuse, un état d'âme inexplicable. C'est le principe féminin de l'homme, c'est à dire son anima qui perçoit les pulsions inconscientes et les transmet au conscient.
Ce processus provoque généralement une impulsion ; il peut aussi ressembler à une intuition qui ouvre des nouvelles possibilités et incite l'homme à les rechercher et à les saisir.
« La femme inspiratrice » est caractéristique de l'anima ; dans un stade primitif l'action à laquelle l'homme est incité est avant tout le combat. Puis l'inspiration va se diriger progressivement vers d'autres objets que le combat (comme l'esprit d'aventure) .
Le don de voyance et l'art de la prédiction sont le plus souvent attribués à la femme, considérée comme plus ouverte à l'inconscient. La réceptivité est une attitude féminine et présuppose une ouverture et une disponibilité ; pour cette raison Jung pense qu'elle est le grand mystère de la féminité.
L'anima étant la partie féminine de l'homme, elle possède cette réceptivité et cette liberté vis-à-vis de l'irrationnel ; pour cette raison elle est considérée comme l'intermédiaire entre l'inconscient et le conscient et joue un rôle important chez l'homme créateur. On dit d'une ouvre qu'elle est conçue, qu'elle est arrivée à terme et d'une pensée qu'elle est en gestation. P.25

-Le thème de la délivrance.
Les contes nous apprennent qu'il y a une princesse qu'il faut délivrer de l'ensorcellement. C'est une allusion à un état originel d'unicité et de totalité retiré à la suite d'une « malédiction » et devant être restitué. (L'idée que la perfection originelle a été détruite par un comportement coupable ou par la jalousie des dieux est une représentation archaïque à l'origine de beaucoup de religions et de systèmes philosophiques.)
En voici l'explication psychologique : la perfection unitaire de l'enfant est détruite ou détériorée par les exigences de la vie et l'accroissement de sa conscience. L'homme, en développant sa conscience, est entraîné à abandonner entre autre son principe féminin ( voir la différenciation des fonctions psychologiques) qui reste alors à « l'état élémentaire » ou à l'arrière-plan, donc indistincte et inconsciente.
Pour cette raison, la fonction inférieure est généralement liée à l'anima étant elle aussi inconsciente.
La délivrance consiste en la reconnaissance et en l'intégration de ces éléments inconscients de la psyché. P. 27

-Dans certains contes, la mère est la cause de la séparation du couple ; ce qui permet de conclure à une rivalité cachée entre celle-ci et l'anima, fréquemment présente dans la réalité. On pourrait penser aussi que cet acte exprime la tendance de la « grande mère », c'est-à-dire de l'inconscient à rappeler auprès d'elle ce qui dépend d'elle.
-L'origine royale dans les contes indique qu'elle est un être d'essence supérieure, ce qui correspond à l'aspect suprahumain et divin de l'anima.
-C'est surtout dans l'Eros que l'anima, comme la femme, est essentiellement féminine, c'est-à-dire qu'elle est déterminée par le principe de l'attachement, de la relation tandis que l'homme est en général plus engagé dans le principe du logos qui ordonne et discerne, dans la raison.


L'ANIMUS :

Chez la femme, l'élément de compensation du conscient revêt un caractère masculin.
L'animus, est source d'opinions mais (lot de l'inconscient) on se trouve devant des « opinions acerbes et magistrales » reposant sur des préjugés et des " a priori ".
Elles ont très souvent le caractère de conviction inébranlable, de principes d'allure intouchable, de valeur apparemment infaillible.
Elles ont dans l'esprit un caractère de réalité et une force de conviction immédiate .
Cette figure archétypique s'anime surtout lorsque la conscience ne peut plus suivre les sentiments et les instincts provenant de l'inconscient et l'on voit apparaître au lieu et place de l'amour et de l'abandon, masculinité, humeur querelleuse, affirmation entêtée de soi-même et le démon de l'opinion aux formes variées. (Puissance au lieu d'amour !)
L'animus est fréquemment un vagabond, un soldat, un prisonnier, un estropié, un faible ou quelqu'un de trop jeune, un ivrogne ou un chauffard, " inefficace " ou " surefficace ", menace sexualisée primitive ou figure de héros qui n'a pas encore reçu l'amour de la femme. (Mythe de la psychanalyse p. 41)

L'animus s'exprime et apparaît sous les traits d'une pluralité. Il est quelque chose comme une assemblée de pères ou d' autres porteurs de l'autorité, qui tiennent des conciliabules et qui émettent "ex cathedra" des jugements « raisonnables » inattaquables.
Cette codification du raisonnable correspond à une réserve de préjugés; et dès qu'un jugement conscient, compétent et valable manque, il y est fait appel.
Les opinions apparaîtront, tantôt sous forme de bon sens tantôt sous forme de principes, emblèmes de l'éducation reçue.

L' animus n'est pas qu'une conscience collective conservatrice : il est aussi un novateur qui, tout à l'opposé de ses opinions codifiées par l'usage, témoigne d'une incroyable faiblesse pour les termes inconnus et difficilement compréhensibles, pour « les grands mots », qui suppléent, de la façon la plus séduisante, à ce que la femme ressent être particulièrement odieux, à savoir la réflexion. (D.M.I.)

L'animus n'est pas un homme réel mais un héros infantile quelque peu hystérique, dont les défauts de la cuirasse laissent transparaître le désir d'être aimé. (M.A.S.,page 506)

Avec Marie-Louise von Franz, nous pouvons illustrer et mieux comprendre la dynamique de l'animus à partir de quelques contes majeurs.
-1)Neigeblanche et Roserouge
L'ours et le nain représentent deux formes d'animus. Le nain, réagissant continuellement à contre-temps, est irrité et irritant et provoque partout et à tout propos de perpétuelles querelles. C'est l'image du caractère contrariant et irritant que peut prendre l'animus.
Il s'empêtre dans des querelles, des discussions niaises et perd tout sens de l'humour ; il se montre ingrat et déborde de soif de puissance.
Un des traits classiques de l 'animus négatif est de tout exiger à partir de la conviction inavouée que tout lui est dû.
Cette attitude revendicatrice est compensatrice d'une attitude par trop consentante.
Le nain représente aussi l'état de contradiction avec soi-même et d'irritation que provoque la création non vécue.
Cette sorte d'animus destructeur dérobe les possibilités et les richesses de l'animus positif.
Les idées fausses de l'animus sont expertes en l'art de fournir des petites doses quotidiennes de poison.
La barbe de l'animus sont ces pensées qui s'expriment involontairement.
L'ours représente l'instinct viril agressif correctement vécu ; il sait pour quelle raison il agit ainsi et le fait sans les hésitations ni la faiblesse dues à l'incertitude.
Il suscite chez la femme une réaction émotionnelle positive: le droit à l'autodéfense et à la contre-offensive -lorsqu'il s'agit d'éviter d'être terrassé par l'animus ou l'anima négatifs ou tout autre mal qui rôde autour de soi -existe.
Celui qui en est tout à fait incapable est réellement malade.
Si des individus n'ont pas la conviction intime de leur droit à la vie et que l'on ne parvienne pas à l'éveiller en eux, il est très difficile de les aider par une analyse.

-2)La jeune fille sans mains
Quand la fille n'a pas été nourrie par la fonction d'éros, le sentiment de son père et qu'elle n'est pas satisfaite au plan affectif, un animus démoniaque, un intellectualisme destructeur, sous une forme ou une autre, risque de prendre possession d'elle. Très ambitieuse ou très froide son comportement sera sous !a conduite d'un animus efficace et calculateur. Celle qui sentira ce terrible danger, préfèrera une mutilation à la perte de sa liberté intérieure.
Les difficultés de la jeune fille proviennent de son complexe paternel: son père, a un moment de sa vie, a dû trahir son propre inconscient (et vendre son anima, c. à d. l'aspect inconscient de son éros, au diable). Victime de l'ombre de son père qui a esquivé le conflit, elle est donc menacée par un animus négatif ou par un accès de volonté de puissance.
L'animus non intégré est une sorte d'homme primitif, qui en fait trop, puis s'effondre. Le rythme naturel de l'être humain est irrégulier et l'animus tend à avoir le même comportement.
L'animus négatif est aussi un esprit de récrimination ou de découragement.
La femme dès qu'elle entre en contact avec l'inconscient, est plus directement confrontée à la philosophie de la vie et au problème du mal, parce que l'animus est concerné par les idées générales et les concepts. Dès qu'elle entreprend le voyage à l'intérieur d'elle-même, elle se trouve en face du problème spirituel.

-3)Les six cygnes
Si nous considérons ici les six cygnes comme des aspects de l'animus de la femme, cela signifie que l'animus comporte toujours, lui aussi, un élément de mystère, quelque chose d'inexplicable, de divin, qui est le secret aussi bien de sa beauté que de sa maladresse. Le dernier enfant est un infirme qui a une stupide aile de cygne, une seule main pour agir. « Quelque chose de divin demeure en nous, difficile à porter. » Etre comme inachevé est caractéristique du fait d'être humain.

C'est avec « Barbe bleu » que Clarissa Pinkola Estès nous illustre le caractère destructeur, prédateur de l'animus.

CONTRIBUTION AU PROBLEME DE L'ANIMUS de Emma Jung

Reconnaître l'Animus à travers les comportements, les expressions, les images ou les personnes apparaissant dans les rêves.
Parfois ce sont plusieurs hommes qui apparaissent, un groupe, un conseil, un tribunal ou une assemblée de sages, (qui décide de tout ce qui doit arriver, formule des interdictions ou lance des opinions d'une portée générale)
Ou bien c'est un maître de l'illusion, un magicien, maître d'un savoir ou d'un pouvoir quelconque. (Le magicien et son pouvoir magique représentent une forme inférieure de l'Animus)
La figure de l'Animus n'est pas nécessairement, au contraire, accompagnée de l'idée d'une relation.
Elle peut se manifester de manière objective, indépendante.. Fréquemment, elle se présente comme un étranger, un inconnu.
L'animus est lié aux facultés de l'esprit, (c'est celles de se mouvoir), de la lumière. il peut apparaître sous les traits d'un aviateur, d'un chauffeur, d'un skieur ou d'un danseur, lorsque c'est la légèreté et la rapidité qui sont interpellées.
Il apparaît généralement sous la forme d'un homme véritable, se distinguant par les capacités de son esprit ou par toute autre qualité masculine (père, amant, frère, ami, prince, professeur, juge, sage, artiste, médecin, philosophe, savant, architecte, moine.. ou bien comme commerçant, aviateur, conducteur)
Dans un sens positif, il peut être secourable et bienveillant, séduisant, compréhensif, un guide expérimenté, mais il peut être aussi un tyran violent, grossier, un moralisateur, un sermonneur, un arbitre des bonnes mours, un séducteur, un exploiteur, un pseudo-héros qui fascine par des supercheries intellectuelles et son caractère équivoque.
Représenté par un adolescent, par un fils ou un jeune ami, l'animus est alors une composante masculine, propre à la rêveuse, en évolution.
Il n'est pas toujours un personnage et il peut être un personnage mais qui représente un principe supérieur amenant une métamorphose réelle de la rêveuse et non plus seulement imaginée ( la femme confond souvent pensée et voux)
C'est une fonction importante de l'animus supérieur, c'est-à-dire suprapersonnel que d'introduire et d'accompagner les transformations et les métamorphoses du psychisme.
Cet Animus supérieur ne se laisse pas transformer en une fonction dépendant du conscient, mais il reste une entité supérieure qui veut être reconnue et respectée comme telle. . c'est donc un maître, non pas au sens du magicien, mais à celui d'un esprit supérieur qui n'a rien de terrestre ni d'obscur. (Il est le messager d'une puissante lumière suprapersonnelle).

Même si elles sont dirigées sur un individu et lui sont liées, toutes les figures impersonnelles ou suprapersonnelles de l'animus ont les caractères des archétypes.

A coté de ces figures apparaît aussi en rêve l'animus personnel propre à la femme qui peut trouver à se développer dans une fonction et une attitude et être intégré à la personnalité toute entière.
Cet Animus personnel sera représenté par un homme lié à la rêveuse soit par un sentiment, soit par le sang ou par une activité quelle qu'elle soit. (frère ou ami attendu ou recherché depuis longtemps, d'un professeur qui dispense un savoir, d'un prêtre ,d'un peintre, un ouvrier. Parfois elle a des démêlés avec un jeune gaillard révolté, ou elle doit se méfier d'un jésuite obscur.)
C'est à lui que nous devons faire une place dans notre vie afin de pouvoir utiliser la force qui l'habite. C'est généralement nos prédispositions, nos passe-temps favoris, qui nous indiquent dans quelle direction cette force peut être employée.
L'important pour la femme est l'objectivité et la réalité de ce qu'elle entreprend ainsi qu'agir pour quelque chose et non pas pour quelqu'un.
C'est l'Animus qui l'aide à acquérir un jugement impersonnel, objectif et raisonnable sur les choses et les situations, car elle a tendance à collaborer automatiquement et de manière trop subjective.
Si elle n'acquière pas cette attitude, les exigences de l'Animus se portent ailleurs et sont alors confondues avec une fausse objectivité.

Autant son Animus, lorsqu'il reste autonome, nuit aux relations par son « objectivité » intempestive, autant sa composante masculine bien intégrée l'aide à comprendre les hommes.

Avec le temps, ces figures deviennent des personnages familiers, nous pouvons nous entretenir avec eux, leur demander un conseil ou une aide, mais souvent nous nous trouvons aussi obligées de nous défendre de leur présence importune et de leur insoumission.
Il nous faudra toujours veiller à ce que ce ne soit pas l'une ou l'autre des manifestations de l' Animus qui cherche à avoir la primauté et à dominer la personnalité tout entière.
Pour ce faire i1 nous faut établir une distinction entre nous-même et l'Animus, et déterminer son champ d'action.
C'est la seule façon de pouvoir nous libérer d'une identification et d'une obsession lourdes de conséquences. Cette distinction est accompagnée. d'une réalisation du moi qui devient alors une instance déterminante.

la libido se retire de la la conscience et de la vie réelle pour se diriger dans un autre lieu complètement inconnu.. Un monde .. où tout est comme nous le souhaitons, ou bien .. comme un refuge qui permet de se défendre contre le monde extérieur. . Nous sentons .. que nous sommes entraînés quelque part, mais nous ne savons pas où. La musique est souvent la cause d'une attirance et d'un enlèvement, comme dans la légende du joueur de flûte. Elle peut être considérée comme une objectivation de l'esprit qui n'est pas l'expression d'une connaissance, au sens habituel de connaissance intellectuelle et logique, et qui n'est pas non plus matérialisée ; elle est une représentation sensible de phénomènes très profonds suivant des lois immuables. Dans ce sens, 1a musique est esprit, un esprit qui conduit dans des régions éloignées et obscures qui sont inaccessibles à la conscience . la musique permet d'accéder à des niveaux profonds où 1'esprit et la nature forment encore une unité ; e1le est donc pour la femme la forme d'expression.. la plus naturelle, celle qui, mieux que tout autre, lui permet de faire l'expérience de l'esprit : C'est pour cette raison que la musique et la danse sont considérées comme des moyens d'expression privilégiés pour la femme.
Mais cette expérience n'est pas sans ambiguïté ; elle peut être une simple perte de conscience, un abandon dans une sorte de sommeil ou d'engourdissement, un rapprochement vers la nature qui ne représente rien d'autre qu'une régression à un niveau antérieur inconscient et donc dénué de valeur et même dangereux ~ mais elle peut signifier aussi une véritable expérience religieuse et porter alors une grande valeur avec elle.


La force de l'Animus permet d'acquérir une attitude intellectuelle qui libère la femme des limitations et des préjugés d'un moi étriqué.
L'Animus n'est pas un esprit qui se laisse dompter comme un cheval qu'on attelle à la charrue ; il a le caractère des êtres mythiques et il persiste dans une profonde léthargie ou bien il déconcerte par son vacillement incoercible ou bien encore il nous emmène loin du monde.
La situation se présente différemment pour.. celles qui font des études, qui ont une profession ou une activité artistique ou d'organisation et qui, de cette façon, ont acquis l'habitude d'une discipline et d'une attitude réalistes bien avant d'avoir été réellement conscientes de leur problème d'Animus. Cela arrive aussi chez celles qui ont une prédisposition à s'identifier à l'Animus. . leur féminité leur a souvent posé dans ce cas un problème alors même qu'elles connaissaient une pleine réussite professionnelle. Elles ressentent généralement une insatisfaction, une aspiration vers des valeurs personnelles et non plus seulement matérielles, un besoin de nature et de féminité. Souvent aussi elles sont entraînées contre leur gré dans des relations difficiles ou bien le hasard ou le destin, les mettent dans des situations typiquement féminines dans lesquelles elles ne savent comment réagir. De la même façon que l'homme vis-à-vis de son Anima, elles se heurtent alors à la difficulté de devoir sacrifier une situation d'élite, ou à tout le moins supérieure, pour une autre moins considérée, fragile, passive, subjective et illogique, c'est-à-dire pour la féminité. Pour finir, cependant, ces voies différentes tendent vers un même but . La femme qui considère comme secondaires les activités intellectuelles ou réalistes court aussi le danger d'être dévorée par son Animus ou de ne faire qu'un avec lui. C'est pourquoi il est de la plus grande importance de trouver une compensation qui mette en échec les puissances de l'inconscient et nous relie au monde et à la vie.
Nous la trouvons avant tout dans une prise de conscience toujours plus grande et dans un sentiment toujours plus fort de notre propre personnalité , en second lieu dans un travail qui demande un investissement intellectuel ; enfin - last but not least- dans des relations qui constituent un soutien et un point de repère humain en face du caractère supra ou extrahumain de l'Animus. Les relations avec les autres femmes sont aussi très importantes. Apprendre à estimer et à accentuer les valeurs féminines est la condition préalable pour que notre moi n'ait pas à redouter ce puissant principe masculin qui exerce son pouvoir de l'intérieur comme de l'extérieur. Si ce principe devient omnipotent, il menace ce qui est la raison d'être de la femme, le domaine où elle peut accomplir, ce qu'elle a de meilleur et de plus spécifique en elle, en un mot sa vie même.

ce n'est que dans la mesure où cet être masculin est intégré dans notre âme et y exerce la fonction qui lui revient que nous pourrons être une femme au sens noble du terme et accomplir notre propre destin tout en restant nous-mêmes

L'animus cherche la logique et la vérité pour la sécurité et la puissance qu'il y trouve. Il entraîne ainsi la personnalité qu'il domine dans un auto-érotisme secondaire où elle devient prisonnière d'une subjectivité sans objet ni sujet. » ibid.