( voir article de Gérard Berquez)

Le mythe summéro-akkadien
Dans la version d'Inanna ou d'Ishtar, la Reine du Ciel descend aux enfers chez la Reine Ereskigal afin de retrouver son amant pour le ramener sur terre mais celui-ci, inconscient des dangers encourus par la déesse pour lui, suscite sa colère et il sera à nouveau entraîné dans le Royaume des Morts. (6 mois par an puisque sa sour accepte de prendre sa place les autres 6 mois.)
Dumuzi/Tammouz personnifie le pouvoir créateur du printemps et le mariage de la déesse avec Dumuzi était l'expression du cycle de la végétation. Dumuzi est un dieu jeune, subordonné à sa mère-épouse.
Le mythe égyptien
Les rites de mort et de résurrection d'Osiris ressemblent à ceux de Tammouz.
Osiris est roi de la terre fertile, jalousé par son frère Seth qui règne sur le désert. Ce dernier le tue et jette son cadavre dans l'eau ou le découpe en quatorze morceaux qu'il disperse sur terre. Isis, sa sour et épouse, avec Nephtys son autre sour, et épouse de Seth partent à la recherche de sa dépouille. Osiris sera sauvé de la putréfaction grâce à sa mère Nout, dans d'autres versions c'est Anubis qui sera chargé de rassembler ses morceaux ; soit c'est Rê qui l'anime, soit Isis. Puis Isis concevra avec lui Horus le jeune qui conquerra le royaume de son père. Osiris devient alors le maître du Royaume des morts et est identifié à Rê, le soleil qui traverse la nuit sur sa barque le royaume des morts pour renaître chaque matin.
Ces deux mythes règlent les rapports de l'homme avec l'espace, avec le temps, avec le masculin et le féminin.
Au niveau spatial, il s'agit des rapports qu'entretiennent le Ciel (Inanna- Rê) et les Enfers (Ereshkigal- Osiris) avec la terre (Dumuzi-Horus) qui se trouve entre les deux mondes.
Au niveau temporel, la vie, la mort viennent rythmer le temps.
Le temps :
Dans le mythe summérien, Dumuzi (la terre) est l'enjeu des deux reines. Par son passage successif aux Enfers et sur terre il instaure un temps cyclique, celui de l'alternance Vie/ Mort/Vie (de la végétation). Le temps de la déesse-mère qui en donnant la vie donne simultanément la mort.
Le mythe égyptien reprend cette opposition entre la vie et la mort. Osiris, comme Dumuzi, meurt et renaît mais cette nouvelle naissance est celle de la vie éternelle car Osiris devient le seigneur du Royaume des morts et c'est Horus, son fils de « deuxième vie » qui lui succède sur la terre.
La triade Vie/mort/Vie éternelle vient se substituer à la dyade Vie/Mort.
La succession des générations remplace le retour éternel du même. (ainsi le pharaon est Roi en tant qu'Horus sur terre et deviendra Osiris à sa mort)
Le temps devient vectorisé, il acquiert un sens, une direction ainsi qu'une valeur signifiante.
Le temps masculin historique s'oppose au temps féminin cyclique.

L'espace :
Le mythe structure les rapports entre le Ciel, L'Enfer et la Terre.
Dans le mythe sumérien, la terre n'est que le lieu de l'alternance entre les deux déesse qui se combattent. La terre verdit, porte des fruits puis l'automne venant, s'enfonce dans la mort de l'hiver comme le désert s'oppose aux terres fertiles.
Le Bien et le Mal sont encore confondus au sein des deux déesses. Inanna renvoit Dumuzi à la mort alors qu'Ereshkigal l'a laissé partir lui donnant une vie nouvelle.
Dans le mythe égyptien les rapports d'opposition ne sont pas entre le Ciel et l'Enfer mais directement sur la terre ; l'enjeu est la terre fertile. La terre acquiert une spécificité propre, indépendante du Ciel et de l'Enfer ; elle a une existence indépendante comme royaume et est gouvernée par le fils du roi défunt qui devient souverain des Enfers
La royauté de l'Enfer intervient après la mort du roi terrestre. La terre médiatise la dialectique Ciel/Enfer et est le lieu où le combat du Bien et du Mal se déroule. La relation Ciel/Terre/Enfer est ordonnée par un axe chronologique.
La structure du temps semble inséparable de celle de l'espace et elles sont homologues dans chaque mythe.
Le temps cyclique est un temps binaire par alternance de la Vie et de la Mort et Dumuzi est l'objet, comme la terre, soumise en alternance à la Reine du Ciel et à la Reine des Enfers.
Par contre dans le mythe égyptien, le temps est historisé par la vie éternelle et la terre acquiert le statut de royaume situé entre le Ciel et l'Enfer.

Le masculin et le féminin
Dans le mythe sumérien, le masculin est subordonné au féminin et le fonctionnement est binaire.
Dans le mythe égyptien le masculin subit aussi le processus de transformation et le féminin est intermédiaire entre Vie terrestre et Vie éternelle.
Isis combine les trois possibilités du féminin dans le rapport au masculin : Mère-Epouse-Sour ; elle combine les rapports diachroniques dans la succession des générations ou la dialectique mère-enfant et synchroniques dans la dialectique femme étrangère-femme de la famille.
La structure du mythe sumérien est une structure trinitaire avec un mode de fonctionnement binaire et féminin (Vie/Mort- Ciel/Enfer) dont le troisième terme, opposé et complémentaire est l'enjeu (Dumuzi/Terre) ; c'est le prototype des structures matriarcales trinitaires avec un fonctionnement binaire.
Le mythe égyptien est une structure quaternaire dont le fonctionnement est trinitaire et masculin (Vie Terrestre/Mort/Vie éternelle-Ciel/Terre/Enfer) dont Isis en tant qu'opposé complémentaire répare l'opposition irréductible des frères ennemis en permettant la Vie éternelle d'Osiris et la permanence du royaume terrestre se perpétue par Horus.
Ce mythe montre l'émergence de la structure patriarcale quaternaire avec un fonctionnement trinitaire.

Ces mythes donnent les rapports symboliques qu'entretiennent les humains avec les dieux et les déesses, le masculin et le féminin.
Dans les rituels religieux, les souverains sumériens prenaient le rôle de Dumuzi et s'unissait à la déesse-mère Inanna. Le Roi ne devenait le symbole de la Vie et de la Mort que dans son mariage sacré avec la déesse à travers sa mort et sa résurrection et ne devait son pouvoir qu'à la bonne grâce de la déesse-mère.
Le pharaon participe à l'ordre cosmique du monde selon le mode d'identification et de filiation. Le Roi régnant est Horus car il est le fils d'Osiris qui maintient le pouvoir de son père sur terre, à sa mort il devient par les rites de momification Osiris-Rê.
Par sa filiation divine, le roi commande à l'éveil de la création et l'existence de l'univers dépend de la manifestation de son être, assimilé à l'apparition de l'astre solaire. Tout geste du roi est donc un rituel relevant d'un programme prédéterminé dont le but est la conciliation de l'ordre du réel avec celui du divin.
La structure binaire féminine du mythe sumérien se retrouve dans des temps très reculés dans les représentations divinités archaïques. Le principe masculin est figuré sous la forme d'un dieu taureau sous la déesse. Le masculin est différencié du féminin et la déesse, ambivalente, est aussi bien le sein qui nourrit que le croc qui déchire.
Le mythe égyptien va s'helléniser : Isis sera assimilée à Déméter et à Cérès, Osiris à Hadès, dieu des Enfers et de la fécondité du sol ainsi qu'à Dionysos.
Progressivement Isis va être assimilée à la déesse mère et le mythe perdra ainsi toute son originalité première. On peut considérer que le mythe d'Osiris perdurera en se transformant dans la religion chrétienne (trinité du Père, du Fils et de l'Esprit) et la Vierge Marie sera associée à Isis allaitant son fils Horus. comme si toute religion patriarcale au bout d'un certain temps devait retrouver et honorer la grande déesse-mère sous l'une ou l'autre forme.

LES ARCHETYPES et la structure de la psyché individuelle
L'archétype de la grande mère avec son animus représente vraisemblablement une des structures les plus archaïques permettant le développement psychique de l'homme.
Un bébé sans sa mère ne peut survivre longtemps et les interactions précoces mère-nourrisson montrent la richesse de leur communication ainsi que les merveilleuses compétences du bébé. Importance du lien mère-enfant. Mais la grande mère seule est stérile, chaos originel où tout est dans tout, où rien n'existe et où tout est possible. Pour que le mouvement existe, il faut une première séparation, une disjonction qui mettent en opposition deux principes opposés mais complémentaires de par leur origine. Ainsi, à la suite de l'archétype de la grande mère, l'archétype du Masculin ou du nom du Père va introduire un tiers dans la relation mère-enfant. Ce père va défusionner la relation entre la mère et l'enfant, introduisant un espace potentiel permettant l'introduction au symbolique.

L'archétype de la grande mère
Les déesses mères sont toujours associées à leur parèdre masculin sous formes de taureau. Ainsi la grande mère ne peut être envisagée sans son complémentaire opposé, l'animus. Dans ce couple primordial, les deux antagonistes ne sont pas égaux. La grande mère détient le pouvoir et l'animus lui est subordonné
Cet archétype peut être considéré au niveau du sujet comme l'inscription du mythe sumérien.
Il comprend un féminin clivé en une Mère de Vie opposée à une Mère de Mort, le masculin n'a pas d'existence propre indépendante du principe féminin. Il n'est pas encore advenu à l'Etre et n'est que l'objet de la rivalité entre la vie et la mort.
L'enfant, dans sa structuration psychique, est donc d'abord confronté à la grande mère toute puissante, mère de Vie et de Mort (voir les mères de certains enfants psychotiques). L'enfant est Dumuzi ; vivant des périodes de calme et de détente en alternance avec des périodes de tensions et de déplaisirs (la vie et la mort du temps circulaire) mais il est aussi Dumuzi car dans le fantasme maternel il est identifié au phallus maternel venant combler le désir de la mère toute puissante.
L'archétype du nom-du-père
De l'animus maternel, l'archétype du-nom-du-père survient et vient séparer la mère de l'enfant, introduisant un tiers dans cette relation circulaire duelle. Le temps devient linéaire, il y a un avant et un après. L'enfant est alors identifié à Horus ; ce qui permet le passage du père imaginaire au père réel en référence au père symbolique et ce, grâce à la transformation de la grande mère en Isis, mère de renaissance ou mère de naissance psychique de l'enfant à la culture humaine.
Le mythe égyptien renvoie à l'archétype du père et son opposé complémentaire l'anima ; le père intervenant après dans la structuration de la psyché individuelle. C'est la mère qui introduit le nom du père, comme séparateur de la relation fusionnelle mère-bébé.
Dans la structure du mythe, nous avons les trois rois : Rê, le Roi du Ciel et de l'Univers que nous assimilerons au père Symbolique, Osiris au père imaginaire qui doit mourir et ressusciter pour pouvoir être un père Réel (géniteur et castré) et donner naissance à Horus grâce à Isis comme anima.
L'archétype du nom-du-père comprend un masculin dialectisé en trois personnes : père symbolique, père imaginaire et père réel associé à son complémentaire féminin en tant que mère de deuxième naissance. Le masculin acquiert ici sa propre dimension, indépendante du principe féminin dont il est issu. Ce principe masculin occupe le devant de la scène ; le principe féminin est présent et nécessaire dans le passage entre imaginaire et réel.

De l'équilibre dynamique entre les deux dialectiques précédentes peut naître le couple archétypique du père et de la mère génitalisés ou la conjonction alchimique du Roi et de la Reine, permettant à l'enfant d'accéder à la différenciation des sexes et des générations.
Le masculin et le féminin rentrent, ainsi, en conjonction en s'humanisant et il ne s'agit plus du père ou de la mère mais du père et de la mère.
Les deux premières structurations archétypiques reléguaient leur opposé complémentaire à un rôle accessoire, le principe féminin ou le principe masculin tentant de prendre la prééminence absolue, d'occuper la totalité de l'espace et du temps.
Si l'archétype du père tient une place centrale dans la différenciation-structuration de la psyché donc dans la survenue d'un père et d'une mère, il est toujours à la merci d'être englouti par la grande mère et d'être ramené à son rôle antérieur de fils-amant.
CONCLUSIONS
La puissance appartient au mythème de la grande déesse mère, qui comme les vagues de la mer attaquant sans arrêt la côte, tend à revenir malgré les développements postérieurs.
La structure psychique de l'individu, comme la culture, résulte de l'équilibre plus ou moins harmonieux de la dynamique archétypique de la grande mère/animus, du nom du père/anima et des parents oedipiens.
La clinique met en évidence la prévalence d'un archétype par rapport aux autres ainsi qu'un déséquilibre économique à l'intérieur de celui-ci, entre les paires d'opposés.
Le mythe organise une structure de l'espace-temps ainsi qu'une dialectique entre les opposés (masculin/féminin) le chemin étant que la conjonction et que le féminin et le masculin trouvent un juste équilibre dans la reconnaissance de leur différence.
L'archétype fonctionne au niveau du Soi individuel de façon homologue que par rapport au Soi collectif.