Introduction

La psychothérapie et l'analyse des enfants ont . privilégié pendant longtemps la « compréhension » analytique, épaulant et nourrissant une attitude éducative plutôt qu'une intervention analytique auprès des enfants.

Les réticences de Jung sont parfaitement compréhensibles si l'on prend en compte sa propre expérience des dynamismes inconscients auxquels l' enfant est exposé avant de devenir capable de s'y confronter dans une démarche consciente.  .dès l'âge de quatre ans, par des rêves terrifiants du fait de leur numinosité, de leur intensité émotionnelle, ainsi que la mise en question des valeurs parentales et ambiantes qu'ils représentaient. Induite trop tôt chez le petit garçon, cette désillusion le priva de la sécurité dont ces valeurs sont habituellement porteuses.  . Cette expérience douloureuse précoce peut donc expliquer la méflance de Jung envers tout ce qui risque d'accentuer les influences de l'inconscient chez l' enfant. Pour lui, parents et éducateurs ont la charge de l'en soustraire pour qu'il construise un moi capable, ultérieurement, de confrontation. .

L'analyse est le vécu complexe d'une interaction entre deux inconscients et deux conscients, dans une relation toutefois asymétrique, l'analyste étant supposé précéder son analysant dans la prise de conscience du processus en cours. Dans ce champ dynamique peuvent se consteller soit les structures complexuelles du moi, c' est-à-dire celles qui constituent l'inconscient personnel, soit les structures organisatrices de la personnalité totale (conscient et inconscient), c' est-à-dire ces schèmes spécifiquement humains qui constituent l'inconscient collectif. Cette activation des contenus inconscients, dans le transfert, permet à l'analysant de les repérer et de s'y confronter grâce à la relation à l'autre, l'analyste, génératrice de différenciation : «  Ceci est bien de moi, cela ne m' appartient pas ; je choisis de ne pas continuer à être ainsi. » Façon de devenir soi-même, d'actuaIiser, de faire venir à l' être le projet de son soi, de son entièreté. L' enfant en a-t-il la capacité ? A-t-il un moi suffisamment constitué pour vivre la confrontation ? Et, surtout, a-t-il la possibilité d' entrer en relation avec son soi ? Celui-ci existe-t-il déjà ?

.. Michael Fordham, .fut à même d'observer que des jeunes enfants organisent leurs relations aux autres, au monde et à eux-mêmes selon des schèmes où prévalent le corps et l'inconscient en interaction avec des îlots d' un moi qui existe dès les commencements mais qui ne s'unifie que progressivement. C' est avec cette totalité somato-psychique que l' analyste entre en relation, aidant de ce fait l' enfant à se développer selon des modalités nouvelles. A Fordham revient l'élaboration de la notion de « soi primaire », cette totalité biopsychique que, pour ma part, j' appelle aussi « organisateur central ». Il en a décrit un modèle de fonctionnement dont découle une attitude thérapeutique .

Erich Neumann, . s' est attaché à cerner les structures et les dynamismes de la personnalité naissante de l' enfant. .. P.11

 

PREMIÈRE PARTIE : C.G. JUNG ET L'ENFANT

 

  1. Dialogue avec Freud

. Élie G. Humbert . avait déjà relevé, dans son livre consacré à Jung, cette succession de deux attitudes fondamentales. .. Parce que l'homme de laboratoire, observateur des phénomènes psychiques, est devenu le sujet d'une confrontation et d'une explication avec l'inconscient. Désormais ses concepts ne visent plus à élaborer une théorie psychologique mais à rendre compte du dynamisme de l'expérience, qu' elle soit intrapsychique ou vécue dans le transfert. Cette expérience est celle d'un processus où l' analyste n' est plus un observateur mais le partenaire d'une histoire qui s' élabore chemin faisant.. P.15

.  regard très différent (de Freud) porté non seulement sur les psychotiques mais aussi sur l' enfance, .. regard où le sentiment, fonction d' évaluation, joue un grand rôle. L'anima, cette instance vectrice du féminin chez l'homme, en assume la gestation. . je crois que « la petite Anna » fut un psychopompe pour son père. Plus simplement, le processus de maturation et d'intégration de la sexualité chez la fille - dont le père fut, notons-le bien, le protecteur et le garant - permit à celui-ci de se donner le droit de suivre son propre chemin : interaction combien créatrice. .

Une importante recherche sur « les associations de mots » ..le conduit à mettre en évidence des

« complexes à tonalité affective » qui perturbent les chaînes associatives de la pensée.

(avec) une fillette de six ans ..(Jung) ne parvient pas, malgré « une hypnose bonne et profonde », à mettre en évidence un réel traumatisme sexuel. «  D'où l' enfant connaît-elle toutes les histoires sexuelles ? »  demande-t-il. .. une voix intérieure inconnue lui suggère, pour la première fois, la possibilité d'une « connaissance » innée. . P.17

.. la qualité de l'observation clinique de Jung concernant les bébés. Il y décrit «  ces prétendues « contractions infantiles », ces petites syncopes avec légère éclampsie pendant et après l'absorption de nourriture chez le nourrisson ». La convulsion est à peine ébauchée, avec parfois révulsion oculaire vers le haut et discret tremblement du menton. « On a l'impression d'un « orgasme de succion » (action rythmique - orgasme), peut-être aussi d'un « orgasme de satiété » ( ?) », commente-t-il. Vient une description des premières mimiques actives qui font suite à cette « crampe réflexe infantile » des premiers mois.

E. Neumann, dans « L'Enfant », décrira lui aussi un « orgasme alimentaire », manifestation de satiété et de bien- être après une tétée donneuse de plaisir et échange d'amour.

Voici donc les divers ingrédients qui ont concouru aux premiers écrits de Jung sur l' enfance :

  • de ses travaux de laboratoire comme de son approche personnelle et clinique, les commentaires accompagnant l' étude sur « la constellation familiale » ainsi que Ia première version de « L'Importance du père pour la destinée de l'individu » ;
  • de l'observation de sa fille ainée et de son propre vécu paternel : « Conflits de l' âme enfantine >, ;
  • de ses fonctions de psychiatre-expert à orientation psychanalytique : « La rumeur « ;
  • de la supervision et utilisation des travaux de ses élèves : « La Psychanalyse de l' enfant », qui viendra d' ailleurs illustrer son « Essai d' exposition de la théorie de la psychanalyse ».

 

«  Ce qu'une mère transmet à son enfant ce ne sont pas de pieux préceptes ni la répétition de vérités pédagogiques qui modèleraient le caractère de l' enfant en cours de développement ; ce qui l'influence le plus, ce sont les états affectifs personnels et inconscients de ses parents et de ses maîtres. Des conflits cachés entre les parents, des tourments secrets, des désirs reprimés, tout ceci produit chez l'enfant un état émotionnel (.) qui, doucement mais sûrement, bien qu' inconsciemment, s'infiltre dans son espnt. »  (La constellation familiale )

 

. Jung décrit là le fonctionnement du complexe parental avec ses composantes idéo-affectives conscientes et inconscientes qui caractérisent la relation aux parents et aux maîtres. Complexe- mère, complexe-père, complexe -parental s'organisent autour d'un noyau spécifiquement humain et transpersonnel. P.19 .. grâce aux interactions que tisse la relation à la mère, au père, au couple parental et à l'environnement. Cette organisation, à son tour, va influencer le comportement de l' enfant, qui est ainsi conduit à agir et à s'adapter à l'environnement de la même manière que ses parents. C'est la puberté qui va tout remettre en question.

 

« Les dépressions de la puberté, si fréquentes et souvent si profondes, proviennent de là, symptômes de la difficulté du sujet à vivre de nouveaux ajustements. »

 

.. la névrose. incapacité du sujet à porter un conflit actuel, issu de nouvelles exigences de la vie qui le submergent.

 

« Le but le plus important d'éducation de l'enfant qui grandit semble être de le libérer de son attachement inconscient à l'influence de son premier environnement, de telle façon qu'il puisse y prendre ce qui est valable et rejeter ce qui ne l'est pas.»

 

« Notre savoir concernant les processus les plus subtils de l'âme de l'enfant est si inadéquat qu'il est bien difficile de dire à qui revient la faute : aux parents, à l'enfant lui-même ou aux attitudes de l'environnement. »

 

. Il n'y a pas de « faute » mais des réactions réciproques. ..

La psychologie jungienne des complexes met en effet en évidence, dans une perspective dynamique, la manière dont le moi se construit ; il parvient à la perception et à la conscience des structures et du monde grâce à la grille de lecture que constituent ces structures organisées que sont les complexes, pour le meilleur et pour le pire. .. Quant aux imagos parentales, elles rendent compte de la manière dont père et mère, et leurs substituts, sont perçus et reconnus comme tels grâce à des schèmes constitutifs du champ intrapsychique du bébé. Ceci conduira plus tard à la notion d' archétype élaborée entre 1914 et 1919.

 

« Les racines de l'âme et du destin s'étendent bien au-delà du « roman familial » et que non seulement les enfants mais aussi les parents sont les branches d'un seul grand arbre ».

 

.. Le rôle de la mère à côté de celui du père..

 

« Le hasard a voulu qu'ils fussent [père et mère] les êtres humains qui, les premiers, transmettent à la sensibilité de l' enfant les lois obscures et puissantes (.) non point (.) imaginées par l'intelligence des hommes, mais des lois et des forces de la nature entre lesquelles l'homme est suspendu comme à un fil. » P.21

 

Il étend la notion de régression de la libido « aux anciens lits du fleuve »

 

«  remonte (.) jusqu'aux attachements infantiles au père et à la mère auxquels [le névrosé] n'a pas totalement renoncé et dont bien des chaînes retiennent aussi l'être normal. »

 

« Toute analyse tant soit peu poussée fait apparaître plus ou moins distinctement cette régression. »

 

.. Jung rappelle l'influence des liens affectifs parents-enfants..

 

«  est l'origine de la perturbation infantile d'adaptation. C'est une sorte de contagion psychique dont nous savons qu'elle n'obéit à aucune considération de logique rationnelle, mais uniquement à des impulsions affectives et leurs manifestations physiques »

 

Et c'est de un à cinq ans. qu' apparaissent ..

 

«  les premiers symptômes du conflit qui éclatera par la suite entre la constellation familiale et l' autonomie individuelle. »

. Le conflit, fait référence à des domaines plus vastes que ceux relevant de la seule libido sexuelle refoulée et il concerne une demande d' adaptation actuelle dépassant les forces du sujet qui, de ce fait, va régresser.

. le cas d'un garçon de huit ans dont les parents consultent pour des cauchemars de serpent noir et de méchant homme noir qui veut le tuer ou tuer sa mère dans la chambre à côté. Le garçon présente bien sûr une énurésie nocturne qui lui permet d' appeler sa mère après les cauchemars. En 1909, Jung l'interprète comme le début, sous la poussée de la maturation, de : 

 

«  la lutte de son attitude infantile avec la prise de conscience grandissante. L'influence parentale, qui date pour l' enfant d'une époque « préhistorique » (infantile), se trouve refoulée et tombe dans l'inconscient ; elle n'est pas pour cela éliminée, elle continue par ses fils invisibles à guider les créations d' apparence individuelles de l' esprit mûrissant ».

 

Son interprétation de 1948 va plus loin, l'outil archétype est créé :

 

«  L' enfant possède un système hérité qui anticipe la présence des parents et la possibilité de leur action (.) derrière le père il y a l'archétype du père (.) secret de la puissance paternelle . » (De l'importance du père)

 

A partir de trois ans « Anna » a mis en mots et en actes, lorsque ceux-là lui faisaient défaut, le question-nement humain fondamental qui commence à cet âge : la vie, la mort, d'où vient-on ? où va-t-on ? Son cheminement rencontre forcément la sexualité. .lorsqu'eIIe en a besoin, (Anna) vient confronter ses théories à l'opinion des adultes, d'où le conflit entre mythe et principe de réalité. .

Il (Jung)lui demande si l'arrivée d'un petit frère lui ferait plaisir. «Je le tuerais ! » réplique-t-elle vertement.

 

« Pour l' enfant « tuer » et « mourir » expriment simplement l'idée d'un éloignement actif ou passif »

De même que chez l' adolescente qui rêve de la mort de sa mère pour être « la petite épouse » de son père. Pour ma part. la pulsion à tuer est quelque hose qui gît au fond de l'être humain, pulsion qu'il a jus- tement à humaniser, en particulier au moment de l'adolescence lors de sa reviviscence et de l'aptitude au passage à l'acte.

Ce mythe du cycle mort-vie inquiète Anna .. dans la chambre de la jeune accouchée : quasi-indifférence pour le bébé, extrême réserve pour sa mère. En somme, méfiance devant cette situation nouvelle. . un séjour chez la grand-mère, où la cigogne reprend le dessus.. Au retour.. Anna est pleine de sollicitude pour le nouveau-né, voulant en somme être pour lui une «petite mère» . Elle se met à jouer à la garde avec ses poupées - bonne façon d'assimiler la situation - au milieu d'une période d'introversion intense où elle se réfugie sous les tables pour se raconter des histoires. ..

 

« à ces moments de la jeunesse où [l'individu] s'apprête à briser les liens étroits qui l'unissaient à sa famille ».

 

Anna est en train de faire le deuil d'un certain mode de relation à ses parents, à sa mère en particulier. Ses désobéissances inhabituelles montrent qu' elle cherche la place qui est maintenant la sienne « dans les affections de sa mère ».

 

« On n'écoute pas assez les enfants, ajoute Jung. Or, derrière une résistance se dissimule toujours une question, un problème, un conflit. »  

 

À propos de l'introversion . prenant, chez lui, le pas sur le refoulement freudien. P.25

Quel est le conflit qui motive l' emploi de ce mécanisme qu'ici je qualifierais plus volontiers d' assimilation que de défense ?

.. à faire.

« La prédominance marquée d'éléments mythologiques dans la psyché de l' enfant nous suggère clairement la manière dont l'âme individuelle se développe graduellement à partir de « l'âme collective » de la petite enfance, ce qui donna naissance à la vieille théorie d'un état de savoir parfait avant et après l'existence individuelle. » 

 

 

  1. La rupture

Pour lui (Jung), la psyché est un processus. P.47

Dépassant le concrétisme de (Freud),Jung aborde la fantaisie de l'inceste comme un retour nécessaire à la Mère, c'est-à-dire à l'inconscient, d'où peuvent jaillir de nouvelles formes de la libido dans la lutte du fils-héros contre la Mère-dragon. Toutefois, la transformation n'advient que grâce au sacrifice des attachements et des nostalgies infantiles, reconnus caduques par un moi partenaire du processus. Dans cette aventure, l'homme a besoin de l'appui du mythe, de son mythe où plongent ses racines et qui le relie au reste des hommes. Faute de quoi il est

 

« Enfermé dans une folie subjective (.) qu'il tient pour la vérité(...) Ce jouet de son entendement n'atteind pas ses entrailles. »

 

Jung dira à la fin du parcours :

 

« Ma vie est l'histoire d'un inconscient qui a accompli sa réalisation. » (Ma Vie)

 

  1. Jung tel qu' en lui-même

 

DEUXIÈME PARTIE : L' ANALYSE JUNGIENNE DES ENF ANTS

 

  1. Y a-t-il une analyse jungienne de l'enfant ?

L' enfant dessinait avec concentration et un contentement manifeste un animal dressé, porteur de cornes et d'une sorte de tiare en forme de tour. « C' est une petite vache », me dit-elle en contemplant son oeuvre qui semblait lui apporter une grande paix. Ensemble nous nous laissions pénétrer de son énergie manifestement positive.

Pour cette enfant carencée, il s'agissait de la representation d'une image de déesse mère pourvoyeuse de bon lait. C'était bien le vécu du transfert : la constellation du pôle positif de l'archétype maternel. Rappeler la carence subie eût été remettre en scène le négatif connu alors que la psyché apportait du neuf et un rebondissement. Là, mon rôle d' analyste consistait à apprécier la coloration et l' intensité de l'affect accompagnateur, à les mettre en mots pour que cet affect s'humanise, c'est-à-dire qu'il passe d'un vécu corporel global à une expérience psychique consciente. P.69

 

« J' étais dans un pays, au temps des Gaulois, et une première fille, cachée dans un arbre, me montre le chemin. Une deuxième fille, à côté d'un arbre, me dit de continuer. J'arrive sur une route où il n'y a que des autos allemandes.Je me dis que c'est pas possible puisque c'est la Gaule. Je continue. J'arrive à un village de gens très pauvres. Les hommes armés de fourches veulent m'attaquer. Je me réveille et vois le loup à la fenêtre, qui me regarde. Je n' ai pas osé me rendormir de peur d' être dévoré. » 

Rémi dessine le loup : une tête dans les plis du rideau, très proche du diable avec ses cornes. Il dessine aussi un arbre qui pleure parce que sa branche gauche est coupée.. Dans un espace illimité, une mère canard est mise en scène avec ses cinq canetons. Le premier, déjà sorti de l'oeuf, se dirige à droite vers la mare sur un geste impératif de sa mère ; mais il est guetté par le renard. Deux autres sont en train de sortir de leur coquille ; le quatrième oeuf commence à se fendiller. Quant au cinquième, un coup de patte de sa mère l' a envoyé rouler sur la gauche où le serpent l'avale.

. c'est pendant la séparation mal vécue d' une colonie de vacances que Rémi rêve d'un temps très ancien, d'un pays qui lui rappelle les histoires de son grand-père maternel : la Gaule et les Gaulois. Ce monde se superpose à celui de sa mère née en 1940, sous l'occupation allemande, dans une famille de six enfants. Ce que lui demandent les filles, images d'un féminin dans un rôle de guide, c' est de cheminer jusqu' à ce village très pauvre dont l'accès est interdit par des masculins agressifs et griffus. Le dessin de la mère canard permet de penser que ces masculins-là ne font pas encore référence à l'interdit paternel de l'inceste. Ils mettent plutôt en image ce qui fait obstacle à un retour vers la bonne mère, quelle que soit sa pauvreté. Cet obstacle n'est autre que l'agression réciproque qui a qualifié la première relation mère-enfant, le noyau du complexe-mère négatif de Rémi. L'angoisse qui surgit de cette évocation est telle que l' enfant se réveille. Elle est portée par le loup qui lui donne forme et la contient avec toute sa numinosité.

 

. Ce sont des faits de cet ordre qui ont conduit les analystes d' enfants à v reconnaître le déroulement d'un processus et à faire l'hypothèse d'un organisateur somato-psychique à l'oeuvre dès la petite enfance, organisateur qu'ils ont appelé soi primaire. Leur deuxième hypothèse concerne l' existence d'un noyau du moi dès les stades les plus archaïques, noyau qui va jouer le rôle d' aimant dans la constitution du complexe-moi.

É. Humbert considérait le soi comme un principe inconscient en fonction duquel le psychisme trouve son véritable axe de croissance, surordonné au moi, inscrit dans le corps et transindividuel.

M. Fordham a, dès 1940 relevé la présence de représentations du soi dans le matériel de très jeunes enfants, tels ces essais de centration que sont les premiers gribouillages circulaires qui évoluent vers la fermeture du cercle entre dix-huit mois et trois ans. À la même époque Jung effectuait des constatations analogues dans les rêves d' enfants. 

Force nous est aussi, devant le matériel.. de Rémi de noter l'importance fondamentale de la première relation du petit d'homme à ses parents, à son entourage et à son environnement. De même nous devons relever la capacité de cette relation à se projeter dans la relation analytique. P.71

 

                          LE SOI PRIMAIRE

. Deux faits s' imposent. Pour nous jungiens, le bébé ne naît pas « tabula rasa » ; il vient au monde avec un capital, l'inconscient collectif. Par ailleurs, le petit d' homme est plongé d' emblée dans un environ-nement humain dont il est tributaire et sans lequel il ne peut vivre ni devenir pleinement humaln.

Cette complexité peut se formuler en termes d'interaction entre un système transpersonnel, atemporel, et l'histoire d'une relation inter-subjective, entre un capital et un environnement. Nous voici introduits à la pensée paradoxale, caractéristique de la pensée jungienne.

 

  1. Le capital

 

Première approche

Dès 1944 Fordham définit le soi primaire comme

 

« une totalité, un système combinant les structures et les processus à la fois conscients et inconscients.»

fonctionnant sans le secours d'un moi constitué grâce à des mécanismes de libération des instincts..

Le corps, les archétypes et le moi en sont les aspects évolutifs ; il informe le moi des phases à intégrer. Ceci reprend la notion jungienne d'« inconscient préexlstant » .

De son côté Neumann nous dit que

 

«  la personnalité totale et son centre directeur, le soi, existent avant que le moi ait pris forme et se soit développé en centre de la conscience ; les lois qui gouvernent le développement du moi et de la conscience dépendent de l' inconscient et de la personnalité totale. »

Le soi primaire est donc un donné a priori qui se déploie au cours de la vie tout en s' expliquant avec

l'autre : mol, partenaire humain et monde. Il est apporté avec le corps qui est le suppott de l'inconscient.

Au cours de la vie et de son déroulement, le soi va mettre successivement à l'oeuvre diverses structures archétypiques que Neumann appelle joliment « les habits du soi ». Ainsi vont être constellés l'archétype de la Mère, celui du Père, celui du groupe, etc., avant que le sujet individué puisse s' expliquer avec son soi personnel.

 

Caractères du soi primaire

-Capital congénital, ce soi primaire est d'une part un héritage de l'espèce que les archétypes expriment tour à tour et dont Neumann donne la belle description suivante :

 

« L'homme acquiert des expériences à l'aide de ces images dans la psyché ; mais ces images correspondent à quelque chose qui existe objectivement dans le monde. L'image psychique de quelque chose dans le monde est à la fois une somme d'expériences et un organe de la psyché qui, à travers cette image, expérimente et plus tard interprète le monde. »

..(faisant) usage de la tiotion moderne d'information, E. Humbert définit ainsi la fonction des archétypes :

 

« 1)Ils conditionnent, orientent et soutiennent la formation du psychisme individuel en fonction du programme qu' ils portent ; 2) ils interviennent quand le psychisme est perturbé, selon les renseignements qu'ils reçoivent, soit du psychisme lui-même, soit du milieu ambiant ; 3) ils assurent l' échange d'informations avec le milieu. » 

« les archétypes sont inscrits dans le corps comme tous les organes d'information de la matière vivante. Leur transmission est génétique». P.73

 

- D'autre part, le soi primaire est l' expression de l'individualité la plus personnelle du nouveau-né du fait de la singularité de la carte d'identité génétique de tout un chacun.

-Ce capital qui tient à la fois de l' espèce et de l' individu va s' exprimer grâce aux compétences du bébé, ces

 

« aptitudes potentielles d'un système à capter et à intégrer l'information, et à émettre lui-même des signaux ou à réaliser des comportements, c' est-à-dire des performances ».

« Si c'est l'information, le stimulus, le signal qui révèlent la compétence (.) une compétence, en l'absence d'un milieu adéquat, peut rester muette. » (Cosnier)

En termes jungiens, révéler une compétence revient à évoquer et mettre en fonction un archétype humain, c' est- à-dire susciter un schème de comportement, pattern of behaviour, mais aussi la faculté de représentation qui lui est liée et qui qualifie l' état de conscience lorsque le moi a acquis une continuité suffisante.

Enfin, il est une notion propre à Neumann qui .. est la distinction qu'il fait, du fait de l'immaturité du petit d'homme au stade archaïque de la relation mère-enfant, entre deux formes d' expression du soi : le soi-corps et le soi relationnel.

 

Le soi-corps

  • Ce capital à la fois généralement humain et singulièrement individuel s'inscrit dans le soi-corps , cette

 

« totalité régulatrice de l'organisme de l'enfant comme de l'adulte, totalité qui dirige le développement biopsychique, y compris le développement des phases conditionnées par les archétypes. »

Le soi-corps est donné avec l' unité biopsychique du corps. C' est la première manifestation du soi et le premier support de la fonction de centroversion.

- Ce n' est pas une simple entité physiologique purement organique car les dispositions corporelles et psychiques, la constellation héréditaire et l'individualité y sont déjà présentes. Le soi-corps est donc de ce fait le support de

 

« la tendance spécifique et unique de chaque individu à réaliser ses potentialités, à accomplir sa nature constitutionnelle et particulière au sein de la collectivité, mais si nécessaire, indépendamment de celle-ci ou même en opposition avec elle. »

Cette tendance, Neumann l'appelle automorphisme.

- Enfin, le soi-corps est le vécu coporel fondamental. Il porte en effet non seulement la mémoire de l'espèce mais aussi la mémoire corporelle de l'individu, de son vécu le plus archaïque.

Si je parle de vécu et non d'expérience, c'est qu'il faudra le contact répété du corps de la mère et sa parole pour que ce vécu du soi-corps soit progressivement conduit à l'expérience de la conscience du moi. C' est ainsi que s' élaborera le complexe-moi.

Donc, en dernière analyse, le soi-corps est porteur de la mémoire collective et individuelle en même temps que du devenir de l'individu.

En lui s'organisent les tensions créatrices inhérentes à la nature du petit d'homme. Du fait de son immaturité, celui- ci a besoin de la présence d'une mère suffisamment bonne pour étayer son instinct de conservation cependant que, d'emblée, d'importantes quantités de libido sont vouées à promouvoir son autonomie. Affirmation de soi et relation à l' autre sont paradoxalement et indissolublement liées. P. 75

 

2. L'aspect relationnel

Le bébé est plongé d' emblée, même avant sa naissance, dans un environnement humain qui est partie intégrante de lui-même. Parler environnement c' est parler relation : l' existence du bébé ne peut se concevoir sans l' existence d' une mère qui non seulement donne la vie mais la régule et rend possible son développement sur un mode humain.

Cette mère vit elle-même au sein de la réalité psycho- physique du monde. Celle-ci est constituée par les humains proches ou lointaims de la dyade mère-enfant parmi les- quels le père joue un rôle spécifique. Participent également de cette réalité les conditions géographiques, historiques, socio-économiques et culturelles où la relation primaire est vécue.

Cette relation primaire, la Relation Archaique, constitue le premier avatar de la relation du petit d'homme à l'autre et au monde. C'est une unité fonctionnelle archétypique constituée par la mère et son foetus, puis son nourrisson. Le but de la Relation Archaïque est de promouvoir le développement du moi de l' enfant pour que celui-ci acquière conscience, autonomie et individuation.

Toutefois, tant que le bébé n' est pas parvenu à une autonomie suffisante et en dépit de ses compétences incontestables, en particulier sa capacité à provoquer les soins de la mère, le soi relationnel, c'est-à-dire cette fonction de la totalité moi-soi qui assure la relation de l'individu à lui-même, au Toi-humain et au monde, est assumé par la mère. Guidée par ce qu'il y a de plus instinctif en elle, elle lit et décode le monde extérieur pour son enfant mais aussi son monde intérieur où pulsions et images archétypiques peuvent être tout aussi terrifiantes. À  elle de mettre en mots les affects qu'ils suscitent pour que ceux-ci s'humanisent et s'intègrent.

Le moi de l' enfant ne reprend à son compte cette fonction de relation de la totalité que lorsqu'il a acquis une force, une continuité et une indépendance suffisantes.

. l' entité mère-enfant de la Relation Archaïque est de fonctionner d'emblée sur deux registres, l'un archétypique, atemporel et prescrit par l'espèce, l'autre social et historique, en relation avec l' environnement. Ces deux registres sont inextricables.

 

3. Le double aspect du soi

Tout ceci fait dire à Neumann, qu'au début de la vie, le soi du bébé est double. L'aspect qui lui est le plus intime est porté par le soi-corps.  La fonction de relation, le soi relationnel, est d' abord assumée par la mère qui est le répondant dans le monde du soi de ce temps-là, celle sur qui il se projette en tant qu' archétype de la Mère.

D'un point de vue clinique, cette image d'un soi double est fort utile pour comprendre que des expériences somato-psychiques précoces aient distordu le soi primaire jusqu'à le rendre négatif et capable de fabriquer de la pathologie. .. Cette image permet aussi de comprendre que l' évocation de ces expériences négatives réveille le corps et entraîne des somatisations qui peuvent être dangereuses. Voilà pour le soi-corps.

La notion de soi relationnel permet, quant à elle, de saisir pourquoi certaines pathologies sont le reflet d' un trouble précoce de la relation non seulement avec les êtres, mais aussi avec les mots, avec le langage.

Au cours du développement, c' est le soi-corps qui met en scène les séquences transpersonnelles de ce développement grâce à la maturation du système nerveux et des diverses fonctions du corps. . P.77

Grâce à une mère capable de vivre et d'intégrer des événements négatifs pour son bébé comme pour elle-même, le moi se constitue peu à peu en moi intégrant, c' est-à-dire capable de supporter des expériences négatives sans être mis en danger et morcelé de nouveau. Il devient le partenaire du soi qui, parallèlement, s'unifie. Soi-corps et soi relationnel qualifient désormais la personnalité totale. Ultérieurement la fonction d'intégration sera assumée par le complexe-moi.

 

4. L'axe moi-soi

C' est alors qu'on est en droit de parler de constitution de l'axe moi-soi.

L'axe moi-soi est la mise en images du paradoxe de la relation perpétuellement changeante qui existe entre le moi et le soi à partir du moment où l'un et l'autre ont acquis Ieur unité propre. Le moi fait l' expérience de sa subordination au soi dont il émane ; subordination qui varie non seulement avec l'âge mais tout au long de la journée. Le soi reprend les rênes dans le sommeil, par exemple, mais aussi dans les situations de grand danger ainsi que lors de certaines expériences «  borderline ». Cependant, de son côté, le soi a besoin du moi pour s'incarner dans toutes ses promesses : interaction combien créatrice.

La notion d'axe ne veut donc pas évoquer une sorte de colonne vertébrale ; elle veut parler des fluctuations de la capacité de relation à soi-même. Neumann précise que

 

« le lien essentiel entre le moi et le soi, exprimé dans la notion d'axe moi-soi, rend le moi capable, grâce au soi, de gagner une connaissance des vécus qui ont laissé leur empreinte sur la personnalité totale dans une situation où le moi n'est pas encore (chez l'enfant) ou n'est plus (chez l'adulte) capable d' expériences».

 

Le soi, mémoire individuelle, garde les traces de ces vécus hors conscience et peut les restituer dans le rêve, notamment, ou dans le matériel projeté dans cette situation spécifique qu' est le transfert analytique. .

 

                        MÉMOIRE ET TRANSFERT

Comment se constitue l'histoire de l'enfant et comment s' effectue l' accès ultérieur à cette mémoire ? C' est dans la rencontre de la totalité du bébé avec l' autre et le monde, entre le capital initial et l' environnement que l'histoire s' élabore. Elle résulte donc d'une interaction qui révèle les compétences, suscite des schèmes de comportement, en même temps que s' engramme le vécu psycho- affectivo-corporel de cette interaction. . C' est ainsi que se constituent les complexes à tonalité affective tels que Jung les a décrits . P. 79

L' accès ultérieur à cette histoire s' effectue, pour Fordham, grâce à de nouvelles désintégrations et, dans la lignée de Neumann, grâce à la projection des structures psychiques complexuelles dans le champ dynamique de la relation duelle analytique.

 

  1. Le modèle de Fordham : déintégration-réintégration

Au commencement, la totalité somato-psychique du nourrisson, le soi primaire, connaît un état de repos que Fordham situe comme « intégré » : par exemple le bébé qui dort paisiblement.

Lors des séquences critiques de la vie, la totalité rencontre un élément significatif du monde, par exemple un sein et une mère réels, qui répond à une poussée intérieure, ici la faim.

Le soi sort alors de son état intégré et, du fait de sa prédisposition archétypique, il dé-intègre sa capacité humaine à répondre de façon adéquate à la situation ; ici, le bébé recherche le sein, se met à téter et se confronter à la mère réelle.

Dans ce vécu, une structure s'élabore. Après plusieurs séquences de jeu, d'expérimentation, d'amour et de haine, le bébé marie son attente archétypique au sein et à la mère réels. Il « crée » alors l'objet lui-même et son usage.

Ce que la totalité somato-psychique réintègre alors, ce n'est plus une simple capacité. C'est en effet une structure à laquelle sont liées désormais - pour le meilleur et pour le pire - les composantes somato-psycho-affectives qui ont qualifié l'expérience. C'est en particulier la manière dont le partenaire humain - ici la mère ou son substitut - est intervenu dans la séquence qui d'une part en assure le déroulement, d'autre part lui confère sa qualité émotionnelle.

 

« la dynamique part de l'imagerie archétypique pour aboutir aux relations d'objet et à la formation d'objets archétypiques internes ? ». (K. Lambert)

 .. ces derniers ne sont autres que ce que Jung appelait imagos ; ici c'est l'imago maternelle, ce décodeur de la fonction maternelle qui s' élabore. Quant à la structure réintégrée, elle va désormais constituer le complexe-mère qui - s' enrichira d' autres composantes lors des séquences ultérieures de déintégration-réintégration vécues avec une mère.

Quoi qu' il en soit, pour Fordham .. cette capacité du soi de déintégrer certaines de ses composantes sous l' incitation du milieu ambiant et de réintégrer le fruit d'une expérience nouvelle, cette capacité est à la base des phénomènes de transfert. ..

 

  1. Avec Jung et Neumann : le champ archétypique

.. la notion de champ archétypique est une autre manière de parler de l' évocation des archétypes humains. É. Humbert faisait de ceux-ci les organes de l'information, inscrits dans le corps et dont la transmission est génétique.

Le foetus et le jeune nourrisson, qui n'ont pas encore l' autre modèle à leur disposition, fonctionnent selon un programme archétypique. Toutefois les archétypes humains : Mère, Père, Enfant, Vieux Sage, Sorcière Noire ou Blanche, ne sont pas uniquement des mécanismes organiques, des structures qui se mettraient en marche automatiquement. Ainsi que Neumann l'a fait remarquer,  P.81

 

« leur évocation et la libération des développements psychiques qui leur sont liés ne sont pas que des processus intrapsychiques. Elles prennent place dans le champ dynamique qui embrasse dedans et dehors et qui présuppose et inclut un facteur dans le monde extérieur » .

 

. la structure de base a deux pôles : l' un est une prédisposition intérieure de chacun des partenaires à réagir aux signaux d'un certain état du monde ; l'autre est la présence dans le monde du partenaire adéquat.

.le « parentage intuitif » et qu'ils définissent par (K. et M. Papousek) 

 

« l' ensemble de comportements parentaux universels qui sont particulièrement adéquats à stimuler les compétences intégratives de l'enfant et dont les parents ne sont absolument pas conscients ».

« ces interactions parentales didactiques se basent sur une préadaptation psychologique plutôt que sur des conditions socio- culturelles rationnelles ».

 

. Les notions de « réflexes innés » et d'intuition me font penser à la guidance instinctive opérée par le soi qui, chez la femme, s'exprime au travers des niveaux les plus archaïques de son animus. Quant aux « comportements rationnels », ils appartiendraient aux fonctions du moi mises en oeuvre par l' animus patriarcal si je me réfère aux différentes strates de l'animus différenciées par Neumann.

Quant à la capacité d'adéquation de la mère de la Relation Archaïque à son rôle archétypique, rien ne convient mieux que ce que Winnicott décrivait comme «  la folie » de la mère :

 

« cet état qui lui permet de développer ses soucis à l' égard de ce nouvel être vivant qu'elle vient de produire et d'être par conséquent une mère « presque parfaite »

 

En termes jungiens nous dirions peut-être « possession » au sens d'un fonctionnement inconscient dirigé par un facteur collectif, archétypique ; la mère vit alors un état d'identité avec l'archétype de la Mère.

C'est là qu'il convient de considérer l'hypothèse de la fusion qui existerait entre la mère de la Relation Archaïque et son bébé, fusion que Fordham rejette avec violence et que Neumann peut suggérer dans son approche de la relation duelle lorsqu' il décrit le soi de la mère embrassant, recouvrant la totalité du foetus et du nourrisson. Toutefois, sa notion de soi-corps, totalité somato-psychique, dit bien que, dès la conception, l'enfant est un être singulier. C'est l'immaturité du petit d'homme qui contraint la mère à assumer puis étayer une partie des fonctions du soi du bébé, dans la mesure où elle joue pleinement son rôle dans la dyade archétypique.

Pour moi, il y a donc bien deux individus distincts dont les soi-corps ont leur propre singularité et fonctionnent pour leur propre compte. Le bébé est bien un individu.. . Toutefois, le fait que l'un des protagonistes ait besoin de l' autre pour survivre et se réaliser dans son humanité, ce produit une asymétrie que Neumann exprime grâce à son hypothèse d'« externalisation » du soi relationnel du bébé dans la mère. . Cependant, force nous est de constater qu'il existe dans ce couple fonctionnel une relation, une dynamique, une énergie où les limites de chacun sont difficiles à situer, analogues à la zone de commune inconscience, base du fonctionnement du transfert. P. 83

. Le maternel est pour moi une unité fonctionnelle, qui est la résultante des interactions précoces du nourrisson avec son entourage.

Du côté de l'oeuf et de l'enfant lui-même, les facteurs corporels organiques ont un retentissement sur l'outil psychique et le vécu émotionnel. .. Il peut s' agir, dans certains cas, d' éléments psychobiologiques constitu- ionnels, liés aux chromosomes et aux gènes, qu'ils soient héréditaires ou non. Ce peut être aussi des événements touchant le corps : carences, maladies, malaises et douleurs engendrant un vécu mortifère précoce. Je pense à des pertes de connaissance, des comas où la conscience du corps se perd, à des malformations du tube digestif transformant le plaisir de la tétée en terreur douloureuse. Tout cela a d' ailleurs pu entraîner des séparations précoces, parfois prolongées, en milieu hospitalier, avec leur vécu d'abandon inévitable.

Certaines composantes sont le facteur de la mère. Son état de santé et de nutrition fait-il d' elle un bon contenant ? Son éros lui permet-il de donner la vie et de la laisser se développer en elle et en dehors d' elle ? Que signifie cet enfant- là, pour elle, à ce moment précis de la vie ? et par rapport aux frères et soeurs déjà nés ? Qu'est-ce pour elle d'avoir un enfant de cet homme-là et qui le désire aussi ? Comment se vit-elle comme mère face aux deux lignées parentales, en particulier face aux mères de sa propre lignée ? Jung, dans son étude sur la figure de la jeune fille, notait que l'une des representations du soi de la femme est double, c' est le couple mère-fille. Cette relation aux « Mères » qualifierait donc tout particulièrement le soi de la jeune mère. Enfin, dans les premiers mois de la vie de son bébé, est-elle suffisamment présente, permanente, non seulement corporellement. mais surtout peut-être mentalement et affectivement ? Je fais ici référence aux dépressions de la mère dont l'impact est tel qu' André Green le décrit comme « syndrome de la mère morte ».

Nous savons combien alors la présence vigilante et aimante du père est indispensable pour éviter des dégâts irréparables. Le père fait en effet partie intégrante du maternel non seulement dans sa fonction spécifique de paternage, c'est-à-dire la façon dont il participe aux soins, mais aussi dans sa paternalité : la manière dont il assume son rôle archétypique de tiers entre la mère et le bébé. Le maternel est un trio, prélude à toute triangulation ultérieure qui, elle, exige des relations différenciées entre l' enfant, le père et la mère.

Enfin, des facteurs historiques viennent ajouter leur coloration. : le monde qui entoure le couple parental, la culture, les événements plus ou moins personnels qui le touchent pendant cette attente et les premiers mois de la vie de l' enfant.

Tout cet ensemble que je viens de décrire est vécu dans la mère de la Relation Archaïque qui en portera le poids. Il vient en quelque sorte habiller l' archétype de la Mère et  c'est ainsi que peut se constituer très tôt un complexe-mère négatif. Ce que l' enfant jouera et représentera dans le transfert, c' est le vécu somato-psycho-émotionnel de ce temps-là, pas forcément la relation à sa mère réelle. Ce serait donc une erreur de porter sans discernement un jugement péjoratif et culpabilisant sur celle-ci sans un inventaire minutieux du maternel. .. Tout analyste d' enfants doit savoir qu'un événement traumatique est d' abord archétypique et qu' une bonne mère peut parfois être vécue comme une sorcière. P.85

 

  1. Le transfert, accès à l'histoire

. Pour Fordham, les phénomènes de transfert reposent sur la capatité du soi à déintégrer certaines de ses composantes résultant de la réintégration d' expériences antérieures dont certaines ont pu être malheureuses. Cette déintégration les projette dans la situation particulière qu' est la relation analytique, donnant ainsi accès à l'histoire du sujet. L' enfant vit alors une expérience nouvelle, plus favorable à son développement. Les séquences de réintégration qui s' ensuivent viennent modifier le soi et Iui rendre ses qualités d'organisateur d'un développement sain, grâce aux interprétations qui ont été données et surtout au vécu relationnel. Le transfert étant ainsi une expérience de la personnalité totale .

.. c' est la consolidation de l'axe moi-soi qui permet au moi d'accéder à son histoire ; dans les développements sains ceci s' effectue autour de treize à quinze mois, lorsque moi et soi ont, en principe, réalisé leur propre unité. ..

Il faut un moi suffisamment constitué et solide pour que du matériel historique et personnel puisse émerger. Les complexes occupent alors la scène du transfert.

Chez les analysants dont le moi est profondément perturbé, encore morcelé, ou dans les moments où l'analyse accède à ces zones de blessure fondamentale, c'est un matériel collectif, archétypique qui se projette et dont la tâche est de faire du moi pour instaurer ou restaurer l'axe moi-soi. Ensuite viendra le matériel historique, complexuel.

 

  1. La réorganisation analytique

Le transfert analytique est un champ de relation vivant et dynamique dont la Relation Archaïque duelle mère- enfant est le prototype. .Dans ce champ énergétique s'instaure un processus de réorganisation transpersonnel sous l' égide de la fonction organisatrice du soi.  . un organisateur est à l'oeuvre. L'analyse va consister à l'assister dans son projet de restructuration à partir d'une assise maternelle plus fiable. Ces propositions de la psyché qui signent la capacité créatrice de l'inconscient de l' enfant vont se confronter d'une part à la capacité du moi à les incarner, d'autre part à la réceptivité de l' environnement.

À quoi sert l'analyste ? Son attitude d' écoute de l'inconscient a évoqué, mis en branle l'organisateur à qui il sert de support de projection ; . Longtemps il va servir aussi de moi auxiliaire jusqu' à ce que la personnalité totale de l' enfant ait une cohésion suffisante pour prendre le projet à son compte, lorsque l' axe moi-soi sera établi. Enfin, l'analyste doit veillé à l'arrangement du monde autour de l'enfant et c'est là une des limites de son action. Famille, école, environnement social ont en effet leurs propres résistances.

. l'analyste est à la fois le partenaire et le témoin de ce processus de réorganisation qui cherche à s'incarner. Partenaire, c'est-à-dire qu'il est acteur de l'interaction où il est engagé avec la totalité de son être, conscient et inconscient, masculin et féminin, le tout dans un corps sexué. Témoin au double sens du mot, c'est-à~ire qu'il est «  celui qui témoigne de ce qui advient », qui est là pour dire ce qui se passe, le nommer, mais qui est aussi « celui qui en est le garant », c' est-à-dire qui en assure le bon fonctionnement. P.87

La fonction de contenant de l' analyste est assumée chez la Femme par son féminin maternel qui met des limites sécurisantes à la rencontre avec l'inconscient. L'homme met en jeu les propositions de son féminin, de son anima. L' analyste étaye aussi l' expérience grâce à sa fonction de guide. Celle-ci opère chez la femme au niveau le plus archaïque de son animus, dans une guidance instinctive. Qant aux aspects patriarcaux de cet animus, plus proches du conscient culturel, ils l'aident dans sa fonction de repérage du sens et de mise en ordre. L'homme gère ceci directement au niveau de son moi conscient mais il a aussi accès aux strates archaïques instinctives du masculin, via l' intuition. Enfin, la capacité intégratrice de l'analyste est essentielle pour permettre à l'enfant de gérer différemment ses puIsions, ses images archétypiques et les expériences du monde.Que l' analyste n' ait pas peur des monstres permet à l' enfant d' envisager autre chose que de les tuer au risque d'en mourir.

En somme, le transfert est un processus archétypique dont le but est, chez l'enfant, d'instaurer ou de restaurer une relation positive à la Mère-archétype, dans une interaction créatrice entre masculin et féminin - les siens et ceux de l'analyste. Dans un second temps, le masculin de l' analyste femme fraye le chemin de l'archétype du père qu'un homme, quant à lui, porte naturellement à condition qu'il ait déjà vécu la rencontre pour son propre compte. Le processus de l'adolescence est différent.

. si le type de l'expérience est bien prescrit par l'archétype, son contenu, ce qui est vécu concrètement, est individuel et historique. Considéré du point de vue de la mémoire, ceci signifie que ce qui est évoqué dans le transfert n' est autre que ce conglomérat somato-idéo-affectif qui a caractérisé l'expérience archétypique. L'analyse porte alors sur le complexe qui s'est ainsi constitué et qu'il convient de mettre en relation avec le moi conscient. . l'actualisation de la prédisposition archétypique constellée dépend de l'arrangement du monde à ce moment-là. À côté de l'analyste qui fait de la Mère et du Père, à côté de la créativité de l'inconscient de l'analysant, y a-t-il, par exemple, un père réel ou un substitut prêt à soutenir l' enfant dans son effort de séparation et d'individuation ?

 

                        LE VÉCU DES SÉANCES

, enfant a besoin d' un espace de sécurité et de liberté où puissent se vivre, sans être effractants, les affects qu' elle (1 rencontre transformante ~ L ) suscite et dont le sens émergera.

 

  1. Le cadre et la technique

 

Le jeu de sable PPP

Dora Kalff mettait l'accent sur la recherche de l' émergence du symbole organisateur, sur les représentations du soi qu' elle estimait thérapeutiques en elles-mêmes par effet de centration, via l'intuition. 

Montecchi. le thérapeute est attentif non seulement à ce qui se représente mais à ce qui se vit dans la relation : transfert, contre-transfert, resistances, fascination. Il l'éprouve au double sens du verbe : ressentir et tester. Éventuellement il l' énonce plus qu'il ne l'interprète. Il est ouvert à tout aspect positif et transformateur, devenant ainsi le médiateur du soi relationnel qui va mettre en scène les archétypes capables de reconstruire la phase du développement dont le conflit n' a pas été résolu et qui alimente la pathologie. .

PPP

 

 

  1. Quelques outils conceptuels

                        LA RÉFÉRENCE À JUNG

.. C'est l'expérience thérapeutique des analystes d' enfants qui les a contraints à faire l'hypothèse d'un soi primaire et d'un noyau archaïque du moi.

 

« C' est de lui [le soi] que semble jaillir depuis ses premiers débuts notre vie psychique et c' est vers lui que semblent tendre tous les buts suprêmes et derniers d'une vie » (Jung D.M.I.p.294)

 

« Les symboles du Tout apparaissent souvent au début du processus d'individuation ; on peut même les observer dans les rêves de la toute première enfance. Cette observation milite en faveur d'une existence a priori d'une Totalité potentielle »

 

Jung préfère traiter de ce référent intérieur (le surmoi) par le biais de l' influence des imagos parentales.

PPP

L'archétype est l'élément organisateur premier, "facultas praeformandi" c'est-à-dire la faculté de produire à la fois les comportements adaptés à la situation et les représentations qui lui sont liées.

Autour de ce noyau donneur de sens dans la double acceptation du terme : direction et signification, viennent s'organiser les éléments du vécu affectivo-corporel pour constituer les complexes y compris le complexe-moi. Page 104

 

 

TROISIÈME PARTIE : LES GRANDES SEQUENCES ARCHÉTYPIQUES

 

  1. La Relation Archaïque
  2. La « redonne archétypique » de l'adolescence

 

QUATRIÈME PARTIE : L'IMAGE

 

  1. A propos de quelques loups
  2. L'image du loup
  3. Le travail avec l'image