Introduction :

Jung donne une importance différente au transfert que Freud et le compare à « ces remèdes qui ont chez les uns des vertus curatives et chez les autres l'effet d'un pur poison. »
Le transfert étant un mode de relation, il présuppose un partenaire, un « toi. »
Le symbolisme de la synthèse des opposés est un trait caractéristique du transfert positif.

Chez les alchimistes, Le mariage mystique ou conjunctio désigne une combinaison chimique ; les corps se combinant selon l'affinité qu'ils ont l'un pour l'autre. Ces différentes expressions expriment aussi une relation humaine, plus particulièrement une relation érotique. Les corps à combiner sont représentés par des images de couples et d'opposés (homme-femme ; coq-poule ; dragon ailé-dragon sans ailes.) « Plus les termes sont anthropomorphes et thériomorphes, plus manifeste est la part qui revient aux jeux de l'imagination, donc à l'inconscient. »
L'idée de la conjonction exprime, en tant que mythologème, l'archétype de l'union des contraires, devenant ainsi l'image de l'unio mystica.
La conjonction, image capitale pour l'alchimie, possède une valeur analogue dans la connaissance de l'âme ou de la psyché ; elle occupe depuis toujours une place de premier plan dans l'évolution de l'esprit humain et apparaît à un moment crucial de son évolution.

L'inconscient est par définition inaccessible à l'observation directe ; on ne peut le connaître que par induction.
Les contenus inconscients apparaissent d'abord projetés sur des personnes et sur des conduites objectives. Beaucoup de ces projections sont, grâce à la reconnaissance de leur appartenance au sujet, définitivement intégrées à l'individu ; mais il en est d'autres qui ne se laissent pas intégrer et qui, se détachant de leurs objets premiers, se transfèrent alors sur le thérapeute.

Parmi ces contenus, la relation au parent du sexe opposé joue un rôle tout particulier : relation fils- mère, fille- père, et aussi, frère-sour.
En règle générale, ce complexe ne pouvant être complètement intégré, le thérapeute est presque toujours mis par le patient à la place du père, du frère, voire de la mère.
Cette projection s'établit sans rien perdre de son intensité initiale. Il se noue un lien qui correspond à la relation infantile et qui tend à répéter toutes les expériences de l'enfance. En d'autres termes, la relation d'adaptation qui a subi un trouble névrotique est désormais transférée sur le thérapeute. Souvent il est déjà présent dans toute sa force avant même que celui-ci ait ouvert la bouche.
Cette névrose de transfert (comme l'appelle Freud) n'est ni « nouvelle », ni « artificielle », ni « créée » ; c'est toujours la même vieille névrose, et la seule nouveauté est que le thérapeute s'y trouve désormais impliqué, plus comme victime que comme artisan. P.23

Il n'y a pratiquement jamais de lien relativement intime entre deux êtres sans que les phénomènes de transfert y jouent un rôle, soit favorable, soit négatif. Le transfert est un phénomène entièrement naturel.
Ce lien est d'une telle intensité qu'on pourrait parler d'une combinaison. Quand deux corps chimiques se combinent, tous deux subissent une altération. C'est aussi le cas dans le transfert.

Ce lien a une haute valeur thérapeutique, parce qu'il favorise la constitution d'un mixtum compositum entre la santé mentale du thérapeute et l'équilibre troublé du malade. Il est inévitable que celui-ci en subisse une certaine influence et qu'il en résulte un trouble, un dommage pour sa santé nerveuse. Il « prend sur lui », très exactement, la souffrance du patient et il la partage avec lui. Il est donc par principe en danger, et il doit l'être.

La grande importance du transfert a souvent donné lieu à l'erreur de croire qu'il est absolument nécessaire à la guérison. Ce phénomène n'est qu'un des facteurs thérapeutiques et le transfert n'est que l'équivalent du mot projection. Jung se dit heureux chaque fois que le transfert se fait en douceur ou qu'il reste pratiquement imperceptible ; parce que l'on est alors beaucoup moins mis à contribution et que l'on peut se contenter de l'efficacité d'autres facteurs thérapeutiques. Parmi ces derniers, les facultés de compréhension et de jugement du patient jouent un rôle important, ainsi d'ailleurs que sa bonne volonté, l'autorité du médecin, la suggestion, le bon conseil, la compréhension, la sympathie, les encouragements, etc.

Une analyse attentive du phénomène de transfert aboutit à une image très complexe avec des traits si marqués qu'on cède à la tentation d'en isoler un pour en faire l'essentiel par exemple, l'aspect érotique, voire sexuel ou la volonté de puissance.

La volonté de puissance s'avère coexistante à la sexualité, et il est souvent difficile de découvrir laquelle de ces deux pulsions est prépondérante.
D'autres formes de la « concupiscentia instinctuelle » reposent davantage sur la « faim », le désir d'avoir ; d'autres, par contre, reposent sur la négation instinctuelle de tout mouvement de désir, si bien que la vie semble fondée sur l'angoisse et l'autodestruction.

Une faiblesse dans l'organisation hiérarchique du moi, suffit pour mettre en mouvement ces tendances ou avidités instinctuelles, causant une dissociation de la personnalité ou une multiplication des centres de gravité de la personnalité.
Selon leur degré de prédominance, ces composantes dynamiques sont à considérer, comme appartenant en propre ou non à la personnalité ; c'est-à-dire, comme vitalement décisives ou comme de purs syndromes.
Les pulsions les plus fortes tendent vers une activité concrète et, la plupart du temps, l'imposent mais leur fonctionnement concret est soumis à des modifications extrêmement importantes de la part de la personnalité. Chez un être dont le tempérament entraîne une orientation spirituelle, l'activité pulsionnelle revêtira un certain caractère symbolique. Il ne s'agit plus de la simple satisfaction d'une pulsion ; cette activité est au contraire liée à des « significations » qui la rendent plus complexe. Dans le cas où les processus instinctuels sont par nature de purs syndromes qui ne peuvent pas prétendre à la réalisation concrète le caractère symbolique de l'accomplissement l'emporte.
La phénoménologie érotique, dans l'échelle des quatre, fournit sans doute l'exemple le plus parlant de ce genre de complications. Il s'agit ici des quatre degrés de l'éros hétérosexuel, voire de quatre niveaux de l'image de l'anima : Chawwa (Eve), Hélène (de Troie), Marie et Sophia.
Le premier stade, celui de Eve, la terre, est uniquement biologique ; la femme y signifie la mère et ne représente rien d'autre que ce qui doit être fécondé. Le deuxième stade concerne un éros à prédominance encore sexuelle, mais de caractère esthétique et romantique, et la femme y possède déjà quelques valeurs individuelles. Le troisième stade élève 1'éros à la vénération la plus haute et à la dévotion religieuse, et ainsi le spiritualise. il s'agit de maternité spirituelle. Le quatrième degré enfin éclaire un aspect qui va plus loin encore que le troisième stade, c'est la Sapientia. La sagesse l'emporte sur ce qu'il y a de plus saint et de plus pur car bien souvent un peu moins signifie davantage. Ce degré représente une spiritualisation d'Hélène, c'est-à-dire de l'éros pur et simple. La Sapientia est mise dans un certain parallèle avec la Sulamite du Cantique des Cantiques.

Nous nous trouvons face, non seulement, à des pulsions différentes que l'on ne peut, sans violence, réduire les unes aux autres, mais aussi aux différents plans sur lesquels elles peuvent s'exercer.
Ainsi, les instincts et leurs contenus imaginaires spécifiques sont partiellement concrets et partiellement symboliques ou bien tantôt l'un, tantôt l'autre et leur projection présente un caractère paradoxal.
On peut dire que ce qui est esprit et ce qui est instinct n'est qu'un mélange insondable.

Le transfert appartient pour une bonne part, aux phénomènes instinctuels. P.27 et l'inceste est un contenu spécifique du transfert.

Les contenus inconscients, sont susceptibles d'infinies variations et ne peuvent, en fait, jamais être désamorcés en eux-mêmes et pour eux-mêmes. La seule façon de les atteindre dans la pratique consiste à essayer de fournir au conscient une attitude permettant à l'inconscient de coopérer au lieu de s'opposer.
Ils existent partout, mais ne sont entrés en activité que chez le « malade », le condamnant à une solitude intérieure. Sans pénétration intuitive et purement de l'extérieur, il est facile d'en finir par un jugement sommaire ou d'engager la personne sur une voie fausse ou sur une fausse interprétation. Le secret semble, tout d'abord, se trouver chez les parents. Mais quand ce lien et cette projection se défont, le poids retombe tout entier sur le thérapeute, et la question se pose à lui : « Que fais-tu, toi, du transfert ? »

En assumant avec une compréhension cordiale la détresse psychique du malade, le thérapeute s'expose à la pression des contenus inconscients et à leur action inductrice. Le cas commence à « l'occuper. »
Tout expliquer par un sentiment de sympathie ou d'antipathie personnelle, c'est expliquer ignotum per ignotius (l'inconnu par ce qui l'est plus encore). En réalité, ces sentiments personnels - en admettant qu'ils soient assez forts pour être déterminants - sont précisément gouvernés par les contenus inconscients activés. Une relation inconsciente s'est créée.
Du fait que le patient apporte un contenu activé de l'inconscient au thérapeute, le matériau inconscient correspondant se trouve également constellé chez celui-ci, par un effet d'induction qui naît toujours plus ou moins de projections.
Par là le médecin et le patient se trouvent tous deux dans une relation qui repose sur une commune inconscience.

Plus le médecin, dans une situation de ce genre, est inconscient, plus il sera tenté d'adopter une attitude apotropéique, c'est-à-dire de refus. La routine va forcément de pair, et aussi cette façon de « savoir à l'avance », accessoires appréciés du praticien.

La contamination inconsciente offre une possibilité thérapeutique à ne pas sous-estimer et consiste dans le transfert de la maladie sur celui qui la traite. Il faut évidemment supposer ici que le thérapeute est mieux en mesure d'amener à la conscience les contenus constellés, sinon il s'ensuivrait une double captivité dans la même inconscience.
La grosse difficulté, c'est qu'assez souvent des contenus se trouvent activés chez le thérapeute, qui pourraient, normalement, rester latents. Il semble assez équilibré pour n'avoir pas besoin de ces positions inconscientes comme compensation de sa situation consciente. P.29
Mais son intérêt pour l'inconscient n'est pas exclusivement le résultat d'un libre choix ; il provient d'une disposition naturelle relevant du destin et lui a inspiré, à l'origine, son goût pour la profession de psychiatre.
Plus on voit de destinées humaines et l'on en recherche les motivations secrètes, plus on est frappé par la force avec laquelle agissent les motifs inconscients et par le peu d'espace laissé à notre liberté et à l'intentionnalité de nos choix. Le médecin devrait savoir, que ce n'est pas par hasard qu'il a choisi ce métier, et le psychothérapeute doit avoir compris que les infections psychiques, même s'il estime qu'il s'en passerait bien, sont des phénomènes accompagnant nécessairement son travail et correspondant donc aux dispositions naturelles de sa vie.
Une telle vision signifie du même coup pour lui l'attitude juste à l'égard du patient. Il se sent alors personnellement concerné par le patient. Ce qui crée la base la plus favorable pour le traitement.

Le transfert constitue le fondement de l'action thérapeutique après que les projections antérieures du malade ont été dissipées. Mais, au cours de ce travail, le jugement du médecin peut, lui aussi, être troublé par des projections, dans une mesure moindre toutefois, sinon la thérapie serait impossible.
On attend du médecin qu'il connaisse les actions de l'inconscient sur sa propre personne ; d'où l'exigence pour tous ceux qui se préparent à exercer la psychothérapie de se soumettre d'abord à une « analyse didactique. »
Même si la meilleure formation ne parviendra jamais à fournir la connaissance de la totalité de l'inconscient.

Le psychothérapeute doit sans cesse découvrir qu'un lien et une connexion le concernant se sont créés à partir d'une inconscience commune. Et même s'il se figure posséder toutes les notions et toutes les connaissances nécessaires sur les archétypes constellés, il sera bien obligé finalement de reconnaître qu'il existe beaucoup de choses dont son savoir scolaire n'avait pas la moindre idée. Chaque nouveau cas exigeant un traitement approfondi est toujours un travail de pionnier, et toute trace de routine se révèle être une fausse direction.

Nous avons vu que les contenus qui entrent dans le transfert étaient d'abord projetés, en règle générale, sur les parents et d'autres membres de la famille. Comme ces contenus sont rarement ou ne sont jamais dépourvus d'un aspect érotique ou proprement sexuel (en plus des autres facteurs dont il a été question ci-dessus), ils présentent un caractère nettement incestueux, Le transfert exogame de ces contenus sur le médecin ne change rien à la chose. Celui-ci est inclus par la projection dans cette étrange atmosphère familiale incestueuse. P.31

Le transfert modifie la figure psychique du médecin, et cela sans que d'abord lui-même s'en rende compte : il est affecté et, tout comme le patient, il a beaucoup de mal à se différencier de ce qui le tient en son pouvoir. P.35
On voit donc naître des deux côtés une confrontation directe avec les ténèbres où réside l'élément démoniaque. Cet entrecroisement paradoxal d'éléments positifs et d'éléments négatifs, de confiance et de crainte, d'espoir et de méfiance, d'attirance et de résistance, caractérise la relation à ses débuts. C'est l'état de haine et amour des éléments, que les alchimistes ont comparé au chaos originel de l'univers. L'inconscient activé apparaît comme un pêle-mêle de contraires déchaînés, entraînant comme exigence de tenter de les réconcilier.

L'équivalent psychique de la nigredo des alchimistes est également le résultat de la conversation, au cours de laquelle, en un certain instant, l'inconscient est touché et l'identité inconsciente (même chose que la « participation mystique ») s'établit entre le malade et le médecin.
Ce moment peut être perçu et enregistré consciemment, mais il arrive souvent que tout se passe hors de la conscience et que le lien créé ne soit reconnu que plus tard, et indirectement, à ses effets. Il arrive qu'à ce moment des rêves apparaissent, signalant que le transfert s'est produit. Par exemple, un rêve déclare que le feu a pris dans la cave, qu'un voleur s'est glissé dans la maison ou que le père est mort ; il peut également être question d'une situation érotique qui soit, d'une manière ou d'une autre, équivoque.
Les phénomènes précurseurs ont le sens d'une confrontation ou d'un heurt brutal entre les différents contraires, et c'est à bon droit qu'ils sont en conséquence désignés des noms de chaos et de noirceur.

Cette dernière peut survenir dès le début du traitement, mais il arrive aussi qu'une assez longue période de discussion, qu'une phase du « rapprochement » soit auparavant nécessaire. Cela est surtout vrai dans les cas où le patient présente, à l'égard des contenus activés de l'inconscient, des résistances violentes accompagnées d'angoisse.
La façon de Jung de considérer le problème du transfert inclut, contrairement à ce qui se passe chez Freud, l'aspect archétypique ; ce qui donne naissance à une image toute différente du phénomène.

la faiblesse du point de vue conscient est proportionnelle à la force de la résistance. Là où il existe de puissantes résistances il faut donc d'abord observer attentivement le rapport conscient avec le patient et, le cas échéant, fortifier son point de vue conscient. Car on ne doit jamais être sûr à l'avance que le conscient fragile du malade est capable de supporter l'assaut de l'inconscient. Il faut continuer à fortifier le point de vue conscient (agent du refoulement d'après Freud), jusqu'à ce que le malade puisse spontanément laisser émerger ce qui est « refoulé ».
Le renforcement du point de vue conscient possède en soi déjà une grande valeur thérapeutique et suffit assez souvent pour obtenir des résultats satisfaisants. Ce serait un préjugé fâcheux de croire que l'analyse de l'inconscient soit la panacée et doive donc être entreprise dans toutes les circonstances. L'analyse de l'inconscient ressemble à une intervention chirurgicale et il ne faut avoir recours au bistouri que si tous les autres moyens échouent. Lorsque l'inconscient ne s'impose pas, le mieux est de le laisser tranquille.

Les explications de Jung sur le transfert sont « plutôt une description des phénomènes qui se produisent dans le cas d'une rupture (non inévitable) de l'obstruction normale du conscient face à l'inconscient. »
Les cas où le problème archétypique du transfert se pose avec le plus d'acuité et qui posent au médecin les problèmes les plus difficiles sont des personnes souffrant, souvent, démesurément, sans pour autant présenter une symptomatologie névrotique qui permettrait de les cataloguer comme malades. C'est une souffrance aiguë, une passio de l'âme, et un morbus animi (une maladie de l'esprit).

A la relation de confiance qui s'est établie entre le malade et le médecin au niveau conscient s'oppose le contenu inconscient constellé dont les projections créent une atmosphère d'illusion donnant constamment lieu à des malentendus et à des méprises, ou au contraire, engendrant une harmonie ahurissante. Ce dernier cas est plus inquiétant que le premier. Le premier, peut, au pire (et parfois au mieux), interdire purement et simplement le traitement, mais le second oblige les plus grands efforts pour découvrir des points de différenciation. Dans les deux cas la constellation de l'inconscient se révèle être un facteur inquiétant. P.41

La situation se brouille, ce qui correspond précisément à la nature du contenu inconscient : il est sombre et noir et est chargé de tensions dangereuses entre des pôles opposés, avec toute l'hostilité des éléments entre eux. On se trouve dans un chaos impénétrable, ce terme étant l'un des synonymes de l'énigmatique prima materia. Celle-ci a pour équivalent la nature du contenu inconscient, à ceci près qu'il ne se manifeste pas dans une substance chimique, comme c'est le cas dans l'alchimie, mais à l'intérieur de l'être humain lui-même.
Cette prima materia ou cette Pierre philosophale doit être découverte dans l'être humain. Toutefois ce contenu ne peut être décelé et intégré directement : cela ne peut se faire que par le détour de la projection. En règle générale, l'inconscient se manifeste d'abord dans la projection ; là où il semble faire irruption de façon immédiate, comme dans les visions, les rêves, les illuminations, les psychoses, etc., on peut toujours prouver qu'il y a eu auparavant des conditions psychiques où la projection apparaît avec évidence.
Le contenu fuyant, trompeur, chatoyant, dont le patient est possédé comme par un démon, surgit entre le médecin et lui, comme un troisième partenaire qui continue à mener son jeu, tantôt infernal et tantôt espiègle.
Ce n'est pas du corps que nous nous occupons, c'est de l'âme et nous sommes obligés de parler un autre langage, adapté à la nature de l'âme et d'adopter une attitude qui mesure le danger et se montre à sa hauteur. Tout cela doit être authentique, sous peine de rester inefficace, et si cela est creux, les deux partenaires auront à en souffrir.
Le « Deo concedente » est l'expression d'un certain état d'esprit : celui d'un homme qui ne s'imagine pas toujours tout savoir et qui a conscience d'avoir devant lui, dans la matière inconsciente dont il s'occupe, un être vivant, un Mercure paradoxal qui est un élément de nature tendant de toutes ses forces vers une intégration dans la totalité de l'homme. Il semble que ce soit un morceau d'âme originelle, où nulle conscience encore n'est venue apporter la discrimination et l'ordre, « une nature double unifiée » (Goethe) d'une ambiguïté d'abîme. . P.45
Il y a un « reste » de psyché inconsciente et susceptible d'évolution dont le développement a pour conséquence une plus grande extension ainsi qu'une différenciation plus poussée de la conscience ; une massa confusa de contenus archaïques indifférenciés, qui ne s'observent pas seulement dans les psychoses et les névroses, mais qui, bien au contraire, constituent aussi le « squelette dans le buffet » chez d'innombrables personnes qui ne sont pas vraiment pathologiques. Que chacun ait naturellement ses problèmes et ses difficultés, on y est tellement habitué qu'on se contente de les subir comme une chose banale, sans se rendre compte de ce que signifie au fond ces difficultés. .
L'image du diable, principe du mal, image d'un homme mi animal et d'un dieu chtonien illustre avec justesse l'aspect insolite et grotesque de l'inconscient qu'on n'a pas encore approché et qui demeure par suite originel de sauvagerie incontrôlée. .
Le névrosé est obligé de s'accommoder de la douloureuse constatation qu'il est prisonnier d'un conflit. Ses tentatives répétées pour refouler purement et simplement le parti opposé n'ont abouti qu'à aggraver sa névrose. C'est pourquoi le médecin doit lui conseiller d'accepter d'abord une bonne fois l'existence du conflit, ainsi que la souffrance qu'elle entraîne inévitablement, sinon le conflit ne pourra jamais être résolu. . P.49

La conscience a pris, sous la forme du savoir, une extension qui nous paraît immense. Ses diverses fonctions se sont différenciées et, dans une large mesure, passées à la disposition du moi. La volonté de l'homme, elle aussi, s'est développée. Notre assurance dans le moi s'est considérablement accrue, et a même pris une avance dangereuse.
Lorsque l'attitude consciente d'un individu subit un changement notable, les contenus inconscients constellés par la situation nouvelle se transforment également. Et plus la situation consciente s'éloigne d'un certain point d'équilibre, plus forte et, par suite, plus dangereuse est la poussée compensatrice des contenus inconscients qui cherchent à rétablir l'égalité. Il en résulte finalement une dissociation : d'une part la conscience individuelle essaie convulsivement de secouer un adversaire invisible (quand il ne va pas jusqu'à penser que le voisin est le diable), d'autre part il succombe de façon toujours croissante à la volonté tyrannique d'un contre-gouvernement intérieur présentant toutes les caractéristiques d'une sous-humanité et d'une sur humanité démoniaques.
. Les destructions et les dévastations démentes sont la réaction à l'éloignement de la conscience par rapport à la position d'équilibre. Il existe en effet un équilibre entre le moi et le non-moi psychiques, une religio, c'est-à-dire une « prise en considération scrupuleuse » de la présence des « puissances» inconscientes, que l'on ne peut négliger sans danger. . leur vérité (des Églises) peut se proclamer éternelle avec une légitimité insoupçonnée, mais son vêtement temporel doit payer le tribut de tout ce qui passe : il devrait tenir compte du changement psychique. La vérité éternelle a besoin du langage humain, qui change avec l'esprit du temps.
Jamais auparavant on n'a vu une telle hybris du vouloir et du pouvoir se dresser face à la vérité « éternelle ».
l'homme ne doit pas se dissoudre dans la multiplicité contradictoire des possibilités et des tendances que lui présente l'inconscient, mais il doit au contraire devenir l'unité qui embrasse cette diversité.
La possession par l'inconscient, c'est justement d'être déchiré, morcelé en un grand nombre d'êtres et de choses, c'est une « disjonction ». «devenir un homme intérieurement unifié »
Ce douloureux conflit qui commence par la nigredo ou tenebrositas .. : séparation ou division des éléments, dissolution, calcination, incinération, démembrement d'un corps humain, sacrifices d'animaux particulièrement cruels, couper les mains à la mère, arracher les griffes au lion, disparition du fiancé dans le corps de la fiancée où il se dissout en atomes, etc. . Au cours de cette extrême disjonction se produit une transformation de cet être, de cette substance ou de cet esprit qui se révèle toujours comme étant le mystérieux Mercure, c'est-à-dire qu'il naît peu à peu, de formes animales monstrueuses, une res simplex, qui est certes bien une seule et même chose, mais qui pourtant consiste en une dualité (« la nature double unifiée » de Goethe). . l'alchimiste essaie de surmonter ce paradoxe ou cette antinomie et d'obtenir l'Un à partir de deux. (Même processus dans la psyché individuelle.) Mais la multitude de ses symboles et de ses pratiques symboliques prouve bien en elle-même que le résultat reste douteux.
le mariage royal occupent une place centrale dans l'alchimie en tant que symbole de l'union suprême P.53 et ultime : dans cette image .. réside le charme magique de l'analogie, qui mènera l'ouvre à son dernier accomplissement et liera d'amour les principes ennemis,
l'alchimie décrit la phénoménologie psychique que le médecin peut observer au cours de la confrontation avec l'inconscient.
L'unité apparente de la personne qui dit avec insistance « je veux, je pense »), etc., éclate en morceaux et se désagrège sous l'effet du choc avec l'inconscient. Tant que le patient pouvait croire que quelqu'un d'autre (par exemple son père ou sa mère) était responsable de ses difficultés, il pouvait sauver à ses propres yeux l'apparence de son unité. .. Mais quand il se rend compte qu'il possède lui-même une ombre, qu'il porte son ennemi « dans son propre sein », alors le conflit commence, l'un devient deux, et comme l'Autre est lui-même une dualité, voire une pluralité faite de couples de contraires, .. le moi n'est bientôt plus rien que le jouet de toutes ces « volontés particulières »
Le passage est parfois si obscur que souvent il (le patient) doit (et non : il devrait) se cramponner à son médecin comme ..ultime réalité. Cette situation est, pour l'un comme pour l'autre, difficile et pénible, .pas rare que le médecin soit comme l'alchimiste qui souvent ne sait plus si c'est vraiment lui qui fait fondre la mystérieuse substance métallique dans le creuset ou s'il ne brûle pas lui-même dans le feu sous forme de salamandre. L'inévitable induction psychique fait que tous les deux sont atteints et transformés par la transformation du troisième, tandis que le savoir du médecin éclaire seul, telle une petite lampe vacillante, les ténèbres profondes du processus.
« Ars requirit totum hominem » s'applique au travail psychothérapeutique. Certains cas exigent un engagement réel, au-delà de la routine professionnelle, si l'on ne préfère pas mettre toute l'entreprise en péril pour esquiver son propre problème que l'on voit surgir de toutes parts avec une netteté croissante.

Les tensions entre les couples d'opposés psychiques ne s'équilibrent que peu à peu
Une unité se forme, qui est pourtant ou qui était, une multiplicité. Ce n'est plus l'apprêt artificiel du moi ; c'est un autre moi, un moi objectif, qu'il est préférable d'appeler le Soi. Ce n'est plus un choix à notre convenance, mais un ensemble qui forme cette croix, c'est-à-dire le destin que l'on est, que chacun finalement doit porter.
Ces premières ébauches d'une organisation future de la personnalité apparaissent en rêve ou dans l' « imagination active »,
La personnalité unifiée ne perdra jamais tout à fait le sentiment douloureux de sa « double nature. » Nous devons abandonner au domaine de l'illusion la pleine délivrance des souffrances de ce monde.

Le but n'a d'importance qu'en tant qu'idée, l'essentiel c'est l'opus qui mène à ce but : il remplit d'un sens la durée de la vie. Pour cela, les énergies « de droite » et les énergies « de gauche » confluent et le conscient et l'inconscient coopèrent.

Ce que le médecin observe et vit avec le patient lors de la confrontation avec l'inconscient rejoint de façon étonnante la signification contenue dans les images des gravures du Rosarium philosophorum de 1550. Jung propose de s'en servir comme d'un fil conducteur

Le thérapeute doit discerner ses propres contenus inconscients activés par induction.

CHAPITRE 1 LA FONTAINE MERCURIELLE

La tétramérie (division en quatre : au 4 coins les 4 étoiles correspondants aux 4 éléments) est la structure du processus de transformation.
Celui-ci débute par l'état de chaos, dans lequel les quatre éléments sont séparés : le bassin situé dans la partie inférieure est le vase hermétique, lieu de la transformation ; son contenu est appelé « notre mer », eau permanente, eau divine. C'est une mer ténébreuse, c'est le chaos.
Ensuite, il conduit aux trois modes d'apparition du Mercure (inorganique, organique, psychique ou minéral, végétal et animal) ; il atteint ensuite la forme du soleil et de la lune (l'or et l'argent ou la nature lumineuse des dieux capables de vaincre par l'amour la haine des éléments) et enfin la nature une et indivisible de l'âme ou de la pierre des philosophes.
Ce passage progressif du quatre au trois, au deux et à 1'un constitue l'axiome de Marie

CHAPITRE 2 LE ROI ET LA REINE

En ce qui concerne la psychologie de cette gravure. l'image représente la rencontre d'un homme et d'une femme et l'amour y joue un rôle décisif. Le vêtement conventionnel du couple indique une attitude analogue de part et d'autre. Les partenaires sont encore séparés par les conventions et cachés l'un par rapport à l'autre dans leur vérité naturelle. Le contact ambigu de la main gauche indique l'aspect « sinistre », illégitime, morganatique, instinctuel et émotionnel de la relation, c'est-à-dire en fait l'immixtion fatale de l'inceste.
Mais « l'intervention » simultanée de l'Esprit Saint dévoile le sens secret de l'inceste, de l'union du frère et de la sour ou de la mère et du fils, symbole choquant pour exprimer une union mystique. L'inceste, en tant qu'union des êtres les plus proches par le sang, est certes universellement tabou, et pourtant il constitue une prérogative royale. ( cf. Les mariages incestueux chez les pharaons, etc.) L'inceste symbolise l'union de l'être avec lui-même, l'individuation ou la réalisation du Soi, et exerce, à cause de la haute signification vitale de celle-ci, une fascination parfois presque inquiétante, sinon dans la réalité brutale, du moins dans le déroulement psychique contrôlé par l'inconscient.
C'est pour cette raison, et non à cause de possibles cas occasionnels d'inceste, que les dieux originels engendrent presque toujours par l'inceste. L'inceste est en effet le degré d'union des semblables qui suit immédiatement l'idée originelle de l'autofécondation. (L'union des « semblables » sous forme de relations homosexuelles se trouve dans la Vision d'Aristée comme degré préliminaire de l'inceste frère-sour.) P.77
La situation psychique décrite par la gravure correspond exactement à ce qui se dégage lors de l'analyse attentive d'un transfert. A la situation conventionnelle du début succède une « familiarisation » inconsciente du partenaire, par la projection de ces phantasmes infantiles (et archaïques) qui étaient à l'origine investis dans les membres de la famille du patient, le retenant prisonnier d'une fascination (positive ou négative) attachée aux parents et aux frères et sours. Le transfert sur le médecin fait entrer de force ce dernier dans l'intimité familiale, chose certes très indésirable, mais qui constitue pourtant la matière première (prima materia) servant à l'ouvre Si un transfert a eu lieu, le médecin se doit de le traiter et de se confronter avec lui, afin d'éviter que ne soit mise au monde une absurdité névrotique de plus.
Le traitement médical du transfert est une occasion rare et inestimable d'opérer le retrait des projections, l'égalisation des pertes de substance et l'intégration de la personnalité. Les thèmes servant de base au transfert sont d'abord, il est vrai, d'aspect sombre, même si l'on s'efforce à tout prix de les blanchir, car le domaine de l'ouvre, c'est l'ombre noire (l'ombre du soleil, umbra solis ou le soleil noir - sol niger- des alchimistes) que chacun porte en soi, cet aspect inférieur et par suite caché de la personnalité, la faiblesse qui accompagne toute force, la nuit qui succède au jour, le mal au bien. un ennemi visible est préférable à un ennemi invisible. pas être un idéal pour les humains que de rester éternellement infantiles, de vivre dans l'aveuglement sur eux-mêmes, de rejeter sur le voisin la responsabilité de tout ce qui leur déplaît et de le tourmenter de leurs préjugés et de leurs projections. Combien y a-t-il de couples qui sont malheureux des années durant et parfois toute la vie, parce que lui voit dans sa femme la mère, et elle dans son mari le père, sans qu'aucun des deux parvienne jamais à reconnaître la réalité de l'autre ! sans une confrontation approfondie avec un interlocuteur, le retrait des projections infantiles est souvent purement et simplement impossible.
On pourrait être enclin à penser que le roi et la reine représentent une relation de transfert dans laquelle le roi correspondrait au partenaire masculin et la reine au partenaire féminin. il s'agit au contraire, dans ces figures, de contenus psychiques qui se sont projetés hors de l'inconscient de l'adepte la partie projetée de la personnalité ne peut être que le féminin de l'homme, c'est-à-dire son anima. De même, chez la femme, seul l'aspect masculin peut être projeté. Il s'ensuit un P.79 étrange entrecroisement des sexes La qualité royale des figures, comme d'ailleurs celle des rois dans la réalité, en exprime le caractère archétypique, c'est-à-dire qu'il s'agit là de figures collectives communes à une multitude d'êtres.