Il ne suffit pas, devant une attitude extérieure, de s'interroger sur l'action en cause, mais il faut d'abord se demander : « Qui est celui qui agit ? » C'est seulement ainsi que l'on pourra apprécier le sens et la valeur de l'action, car « l'instrument droit entre les mains de l'homme de travers agit de travers », dit le proverbe chinois. P.71

 

Les mots et les idées n'ont jamais empêché les réalités psychiques de vivre. Si nous leur refusons l'entrée de notre conscience - et c'est la grandeur de la liberté humaine que d'avoir la possibilité d'un tel choix -, elles n'en continueront pas moins à être là, mais à l'arrière-plan. Elles frapperont à notre porte jour et nuit, encombrant, parasitant notre vie d'angoisses et de malaises divers. Si au contraire nous acceptons de les laisser pénétrer dans notre champ d'observation, nous courrons, certes, d'abord, un risque de panique, mais ce sera notre seule chance de nous mesurer avec elles pour les intégrer et en transformer l'énergie. Une telle attitude est ce que Jung qualifie d'Auseinandersetzung. « Explication » .. « s'expliquer avec quelqu'un ». Cf. la lutte de Jacob avec l'ange.

L'ange est ici « l'archétype ».. Jacob lutte toute la nuit avec l'ange de Yahvé, c'est-à-dire, avec Dieu lui-même. Au matin il est le plus fort. L'ange lui demande de le lâcher. Et Jacob lui répond : « je ne te laisserai pas partir que tu ne m'aies donné ta bénédiction »» (c'est-à-dire communiqué ta force secrète, ton essence d'ange). L'ange y consent, mais il avait auparavant touché la hanche de Jacob qui restera à jamais boiteux pour avoir lutté avec la force divine. L'issue de cette lutte avec l'ange, c'est l'attitude de communication avec l'inconscient dont nous avons parlé plus haut. L'homme est en définitive le plus fort, le conscient l'emporte sur l'inconscient. Mais l'inconscient a infligé à l'homme une blessure inguérissable. Une ouverture s'est faite par où, constamment, les contenus de l'inconscient pourront passer pour venir inspirer des pensées et modifier une conduite dont l'origine n'est pas dans le moi conscient. A cet égard, c'est l'ange qui est le plus fort. «  Il n'a jamais été dit, commente Jung en terminant sa méditation sur Jacob, que l'ange soit lui aussi reparti en boitant ». p.88

Nous nous trouvons ainsi devant un paradoxe. Tout, dans une vie faisant place à l'inconscient, est paradoxe et contradiction.

Les contradictions . obligent à sortir du discours intellectuel pour passer dans l'épaisseur de l'expérience vécue. Par rapport au savoir intellectuel, il (Jung) nous force à rentrer en nous-mêmes pour passer à la source.. source où se rejoignent toutes les contradictions et d'où partent tous les contraires qui forment la complexité du monde. C'est pourquoi Jung est un maître de vie.réclame de nous un engagement..

Je m'adresse à ceux qui veulent trouver. ils entendent obscurément que trouver, c'est être trouvé, c'est-à-dire, pour commencer, être troué.

Et nous revenons ainsi à notre problème : Comment accepter que l'ouverture soit faite en moi sans que, par cette ouverture, passe un flot diluvien qui m'envahisse, m'inonde et, pour finir, m'engloutisse?

CF. mai 68.. expérience collective d'ouverture à l'inconscient, de possession par l'archétype à l'état le plus brut : le changement pour le changement, la révolution pour la révolution, casser pour ne plus être cassé, échanger pour échanger, parler au lieu d'être maintenu dans le silence.il valut le printemps de Prague. Il se termina d'une façon analogue : non pas l'oppression de fer, non pas les chars soviétiques, mais le retour du Père. Le vieillard que l'on croyait chassé revenait. Une phrase magique suffit : « je ne partirai pas ». Et Paris embrasse avec soulagement l'alibi que lui fournit le Grand Homme pour se détourner de lui-même, de sa profondeur, de son inconscient, du problème réel : la redécouverte en nous-mêmes de l'homme autonome, libre et responsable. La société actuelle  oscille, entre les deux pôles : d'une part le rationalisme et la technologie, sclérosants, meurtriers, d'autre part la poussée débridée de l'inconscient, d'autant plus violente qu'elle fut comprimée, et risquant par suite de mener au délire.

.acuité du problème posé et vécu par Jung : comment élargir la vie consciente en faisant place à l'inconscient ? p.91