INTRODUCTION

. contes de fées dans lesquels un personnage incarne l'ombre du héros.
La psychologie junguienne définit généralement « l'ombre » comme étant la personnification de certains aspects de l'individualité inconsciente qui pourraient être rattachés au complexe du moi, mais qui, pour des raisons variant selon les individus, ne le sont pas. On pourrait donc dire que 1'ombre est le côté obscur, non vécu ou refoulé du complexe du moi ; cependant cette définition ne serait que partiellement exacte. Jung, lança un jour : «.. l'ombre, c'est tout simplement l'inconscient dans son entier. » p.9
Il insista sur la nécessité de toujours garder présente à l'esprit la situation actuelle du sujet.(*1)
Dans la première phase d'approche de l'inconscient, l'ombre est simplement le nom « mythique » de tout ce qui se passe d'obscur en moi et qui échappe à ma connaissance immédiate. C'est seulement lorsque l'on commence à creuser cette sphère obscure de la personnalité et à en explorer les différents aspects qu'apparaissent, dans les rêves, des personnifications de l'ombre, de même sexe que le sujet. Par la suite, et au fur et à mesure que la personne pénètrera davantage dans cette zone inconnue d'elle- même, elle s'apercevra que celle-ci recèle d'autres domaines psychiques auxquels Jung a donné les noms d'animus chez la femme et d'anima chez l'homme.
Ces termes désignent un ensemble de sentiments, d'humeurs, d'idées relativement autonomes qui, lorsqu'ils apparaissent dans les rêves sous forme humaine, se présentent sous l'aspect de figures du sexe opposé à celui du rêveur. Par la suite, on y rencontre aussi des personnifications du Soi, d'une totalité intérieure qui va au-delà des domaines précédents et qui a souvent des aspects surnaturels, une sorte d'image de Dieu dans l'âme. il existe encore d'autres personnifications intérieures, au-delà de celles-ci. (*2)
L'intégration de l'anima ou de l'animus est une ouvre de maître que personne ne peut se vanter d'avoir mené à son terme.
Lors donc que nous parlons d'ombre, il nous faut garder à l'esprit non seulement la situation personnelle, mais encore le degré de conscience et de perception intérieure de la personne concernée.
Au stade initial, l'ombre est, inconnue de nous-mêmes. Lorsque nous nous mettons à explorer cet inconnu, nous découvrons qu'il est formé d'une part d'éléments personnels et d'autre part d'éléments communs à tous ; mais lorsque nous la rencontrons pour la première fois, l'ombre se présente comme un véritable conglomérat dans lequel il est impossible de discerner ce qui est personnel de ce qui est collectif.
Il existe souvent, chez un enfant, des qualités incompatibles entre elles. Au cours de son développement, il se fait habituellement un choix, si bien que certains aspects deviennent plus ou moins prédominants. A cela contribuent l'éducation, puis l'habitude : le fait de toujours encourager les mêmes qualités et de donner la préférence à la même attitude les change en une « seconde nature » , tandis que les qualités opposées, bien que continuant à exister, sont mises sous le boisseau. C'est à partir de ces qualités réprimées, qui ne sont ni admises ni acceptées, parce que considérées comme incompatibles avec celles qui ont été privilégiées, que l'ombre se construit.
Selon une loi générale, en effet, ce que nous refusons de connaître de nous-mêmes et de vivre consciemment devient une sorte de seconde personnalité plus ou moins dissociée et autonome. p.11 (*3)
C'est relativement aisé de reconnaître l'existence de ces éléments ; c' est ce que nous entendons par « rendre l'ombre consciente ». Bien souvent, l'analyse s'arrête là. Ce n'est pourtant pas un terme définitif, car c'est alors que s'amorce un problème bien plus difficile auquel se heurtent la plupart des individus : étant enfin entrés en contact avec leur ombre, ils ne savent ni comment l'exprimer ni comment l'intégrer dans leur vie. Cela est rendu plus difficile encore du fait que les personnes de l'entourage immédiat du sujet se refusent souvent à ce que celui-ci se transforme, car cela signifie qu'elles devront, elles aussi, évoluer. ..pour peu que le moi de cette personne n'apprécie pas non plus cette transformation, l'intégration de 1'ombre risque de tourner court, auquel cas la situation toute entière cesse d'évoluer. mais si l'on refuse une partie de soi-même, celle-ci fonctionnera à notre insu. Connaître et admettre l'existence de son ombre est une chose, décider de l'exprimer et de la vivre consciemment en est une autre. Là commence le véritable problème éthique. Il y faut beaucoup de soin et de réflexion afin d'éviter que cela n'ait des conséquences négatives. (*4)
Au stade initial, l'ombre est donc l'inconscient dans son ensemble - une irruption d'humeurs, d'émotions, d'opinions irrationnelles, etc.
Ex. d'une femme fonction sentiment : explosion de pensée indifférenciée (la pensée étant sa fonction inférieure), d'émotion brutale (due à l'ombre) et de certaines opinions destructrices (échafaudées par l'animus).(*5) En observant ce genre d'affect chez une femme, on y distinguera d'une part les effets de son ombre (féminine) et, d'autre part, ceux de sa faculté de jugement, de son animus ( masculin).
.on reconnaît l'existence de ces qualités négatives en soi-même, mais on réussit à les exprimer dans sa vie. Cela entraîne la renonciation à certains idéaux et à certaines normes de savoir-vivre , et oblige à beaucoup de pondération et de réflexion si l'on veut éviter des conséquences néfastes.
Du fait que nous découvrons, dans nos rêves, des éléments que nous ne pouvons associer à rien de personnel, nous en concluons que l'ombre est constituée pour une part d'éléments personnels et, pour une autre part, d'éléments impersonnels et collectifs. Toute civilisation.a sa propre ombre .p.13
Si l'on vivait tout à fait seul, il serait pratiquement impossible de voir sa propre ombre..
L'ombre collective est particulièrement pernicieuse du fait que l'on s'encourage l'un l'autre dans le même aveuglement.(*6) Cette ombre se révèle pourtant, et avec quelle violence, dans les guerres, l'avidité, la haine à l'égard d'autres nations, la course à la consommation, la destruction irrémédiable des richesses naturelles, etc. L'Européen possède donc certaines qualités mauvaises ou incompatibles avec les normes de sa civilisation qui, ayant été réprimées, s'exercent à son insu. Comme chacun partage les qualités mauvaises ou inférieures du groupe dont il fait partie, et les approuve, il en est généralement inconscient.
Ex. introverti - extraverti en groupe.
Si quelqu'un ne se laisse séduire par 1'ambition qu'en groupe, on peut conclure à l'action sur lui d'une ombre collective.
Cette ombre collective est, de nos jours encore, personnifiée dans les systèmes religieux par les figures du diable ou d'esprits malfaisants. Satan est la personnification exemplaire de 1'ombre collective ; il faut cependant souligner que si de tels démons collectifs nous possèdent, c'est que nous avons en nous quelque chose de leur nature, sinon ils n'auraient pas prise sur nous .Lorsque des parties de notre ombre personnelle ne sont pas suffisamment intégrées, elles ouvrent comme une faille par laquelle 1'ombre collective peut se faufiler.
Il est bon de savoir que 1'ombre présente ce double aspect.. si nous ne tenons pas compte de l'existence d'une ombre collective de groupe, ou même de l'humanité, nous risquons d'en charger trop lourdement l'individu.(cf. culpabilité). C'est ici que le problème de 1'ombre collective rejoint celui du mal..
Il existe une sorte de mesure secrète et intérieure qui détermine la quantité d'ombre qu'un être est capable de supporter à un moment donné. S'il est malsain de ne pas reconnaître son ombre, il est tout aussi malsain d'en supporter un trop grand poids, car, dans ce dernier cas, l'élan vital est inhibé. Tant que l'on a mauvaise conscience, c'est généralement signe que l'on devrait assumer d'avantage d'ombre, sauf si l'on a tendance au scrupule ; mais, bien souvent, on ne sait pas où se trouve la juste mesure.
Lorsque nous parlons d'ombre, nous entendons par là aussi bien un aspect individuel, personnel, que collectif : 1'ombre du groupe. Cette dernière est, en quelque sorte, la somme des ombres individuelles ; elle ne dérange pas le groupe concerné et n'est apparente que pour les autres groupes. P.16
Il existe des rituels religieux ou magiques destinés à rendre le groupe conscient de son ombre. Exemple : messe noire ; bouffon..
Il y a probablement, à l'arrière-plan de ces coutumes, le sentiment vague que « l'autre côté » doit également être mené au jour.
.le bouc émissaire est généralement un homme qui a un complexe du moi faible et qui, par induction, traduit en actes l'ombre collective.

Petit séminaire :
*1 Et pas toujours l'enfance.
*2 Cf. les thèmes mandaliques ; l'image divine est une image centrale ; représentation psychologique de l'image de Dieu = dieu intérieur.
*3 Fréquemment l'ombre positive arrive en premier pour la reconstruction du moi.
*4 Par rapport à la question : « Est-ce négociable ? » Oui, au prix d'une régression importante ; c'est parce que le moi est déprimé que les symboles viennent. Le moi = barrage. Importance du transfert. D'abord construction du moi puis démolition dans les analyses plus profondes.
*5 Quand l'animus est mélangé à l'ombre et à l'inconscient.
*6 En analysant et intégrant sa propre ombre on décharge l'ombre collective de notre part.

PREMIÈRE PARTIE : L' OMBRE DANS LES CONTES DE FÉES

CHAPITRE I : LES DEUX COMPAGNONS

Les contes de fées.sont une sorte de savoir commun à tous. Les théories sur l'origine .. diffèrent ..restes de mythes et de doctrines religieuses .. A mon avis .. noyau dû à une expérience parapsychologique ou à un rêve. Si ce noyau contient un thème déjà constellé dans l'entourage, il aura tendance à s'amplifier. on ne retiens de l'anecdote que ce qui est archétypique et valable pour tous .. je me souviens beaucoup mieux de matériaux archétypiques .. impression forte qui s'imprime dans la mémoire. ..
. des contes de fées et des mythes peuvent prendre naissance à partir d'expérience vécue.
.. relégué .. dans la chambre d'enfants .. nous jugeons les matériaux archétypiques comme infantiles. Les contes de fées reflètent les structures psychiques les plus fondamentales de l'être humain, et ceci d'une manière plus pure que les mythes et les oeuvres littéraires, car le mythe est en général bien davantage tributaire de la civilisation dont il est issu.(*1) .
Les recherches sur le comportement animal .. les rituels animaux se composent .. d'éléments structuraux de base. . croisements entre différentes espèces de canards ..p.23 . certains des éléments structuraux de la danse du mâle étaient toujours présents, tandisque d'autres variaient.
Si nous transposons ces conclusions aux .. humains, nous dirons que les structures fondamentales, archétypiques, de comportement psychique appartiennent à l'espèce humaine dans son ensemble, mais elles sont plus développées ou au contraire plus atténuées dans certains groupes ethniques et culturels que dans d'autres.
. l'étude des contes de fées et des récits mythiques, en nous révélant les complexes fondamentaux, nous rend plus aptes à distinguer ce qui est individuel de ce qui ne l'est pas et à entrevoir des solutions possibles.
Exemple le complexe mère du garçon .. : il tendra à se développer selon l'image du héros, ou selon celle du jeune homme efféminé du type d'Attis, d'Adonis ou de Baldour, de l'adolescent qui meurt jeune ou manifeste un refus de la vie, en particulier sous son côté obscur. D'après le mythe, le jeune héros amoureux de sa mère est tué par un être mâle sombre et brutal, de caractère chthonien -comme le sanglier -, ce qui signifie que, pour un jeune homme dans cette situation, s'il refuse d'accepter son ombre, le moment crucial arrive où il est psychologiquement tué par elle, c'est-à-dire que, de nos jours, il deviendra peut-être pilote et s'écrasera au sol, s'adonnera à l'alpinisme et fera une chute mortelle, sera impuissant, ou demeurera un éternel adolescent.
Même dans le cas où le mythe n'apparaît pas clairement et où les rêves semblent rester au niveau personneI, on y découvrira .., cependant, certains traits mythologiques : le jeune homme verra en rêve un sanglier, un homme sauvage, ou encore un ami à lui ayant l'apparence de Mars. En ce cas, le personnage portera un nom individuel, mais l'agencement fondamental, le développement et la solution susceptibles d'en émerger apparaîtront néanmoins dans le songe - à condition que l'on connaisse le mythe. Il ne s'agit pas d'en imposer l'idée au rêveur, mais d'avoir une meilleure compréhension du problème constellé, à la lumière de la pensée mythologique. Quand on est confronté avec la figure ténébreuse, l'ombre masculine du patient, on pourra discerner le mythe sous le déguisement du rêve.. cela révélera l'ensemble de la situation, et la réveillera, en quelque sorte. Le sujet sent dès lors que son problème n'est pas unique et insoluble. Cela réduira également son accablement ou, au contraire, sa tendance à l'inflation. Le mythe a, en outre, un impact quasi magique sur des couches que les arguments rationnels n'arrivent pas à atteindre ; il procure le sentiment du déjà entendu, tout en restant toujours neuf et révélateur.
L'examen de l'ombre dans les contes de fées ne peut pas viser par conséquent, l'ombre personnelle, mais l'ombre collective, celle du groupe ou de l'espèce. .. vues généraIes de la façon dont l'ombre se comporte, .. , p.27
Ainsi on pense spontanément à son propre moi sans réaliser que le « moi » est également une structure générale commune à tous .. Il est un archétype dans la mesure où il est fondé sur une disposition innée de l'être humain à développer un moi et où il produit certains types de réactions et de représentations. .. dans toute civilisation et partout, existe à des degrés différents cette tendance à développer un complexe du moi. Ce qui m'est familier en tant que « moi » est donc une structure humaine générale innée . Au cours des premières phases de l'enfance, beaucoup d'énergie est investie dans la construction du complexe du moi. S'il y a des facteurs perturbateurs dans le milieu, le processus en est affecté ; la pression subie peut, entre autres choses, susciter un égotisme exagéré, le repli sur soi ou des dissociations. Cette tendance innée est l'aspect non personnel du complexe. Mais il existe une autre tendance innée, moins forte toutefois, à séparer certains facteurs d'avec le moi. C'est cette tendance qui constitue le noyau archétypique de l'ombre.
Seules ces structures générales se reflètent dans les contes de fées .

Les deux compagnons de route.

..une interprétation superficielle serait de prétendre que le gentil et optimiste petit tailleur représente le côté conscient, et le cordonnier le côté inconscient et compensateur de la psyché. Le récit est alors pris comme une représentation typique du moi et de l'ombre. .pareille hypothèse conduit dans une impasse ..contradictions .distorsions, à mesure que l'on s'efforce de presser les personnages pour les faire entrer dans un moule prédéterminé.
.. la règle qui consiste à ne pas interpréter une figure archétypique avant de l'avoir située dans le contexte où elle apparaît.
Le tailleur dans les contes .. est souvent gai et enjoué, petit, .. dépourvu de force physique ; il remporte néanmoins la victoire sur un géant et .. sur une licorne en fureur qui l'attaque .. (dans « Hardi Petit Tailleur »)
Cette amplification du thème du tailleur nous permet d'affirmer qu'il a quelque chose à voir avec l'archétype du fripon, du joueur de tours (trickster) qui l'emporte sur ses ennemis en usant de son intelligence et de la vivacité de son esprit inventif.
.. en rapport avec des planètes. . le tailleur appartient à Hermès - Mercure, au dieu espiègle, avec toutes ses qualités, son intelligence versatile, ses traits d'esprit et sa faculté de changements chatoyants. Jadis, la profession de tailleur constituait un excellent choix pour des hommes petits, plutôt efféminés, qui pouvaient compenser leur faiblesse physique par de la volubilité et du savoir-faire.
Le tailleur est, par ailleurs, celui qui confectionne des vêtements pour autrui. .. les habits .. se rapportant à la persona, au personnage public que nous jouons, .. nous en recouvrons la vérité nue de notre personnalité pour offrir à notre entourage un aspect plus décent que ce que nous sommes en réalité.
L'idée des vêtements symbolisant la persona est très bien illustrée par le conte de Hans Andersen : « Les habits neufs de l'empereur. » . P.39 . le tailleur est le fripon qui révèle la prétention stupide et démesurée de la persona de l'empereur.
.. les cultes à mystères .., les cérémonies d'initiation, et les rituels .. l'on revêtait certains habits afin d'exprimer une attitude intérieure. . vêtements blancs et neufs symbolisant leur attitude faite d'innocence et de candeur (candidus : blanc) (*2) . Une parabole alchimique décrit l'esprit de Mercure comme étant le tailleur des êtres humains : aidé de ciseaux, il taille les hommes jusqu'à ce qu'ils trouvent leur forme juste. Il façonne les hommes eux-mêmes et non plus seulement leurs vêtements ; il est leur transformateur, une espèce de psychothérapeute qui donne aux individus leur forme authentique, celle qui leur est adaptée.
.. la figure du tailleur se rapporte à un pouvoir archétypique capable de transformer les êtres et de leur insuffler une attitude nouvelle, pouvoir qui a affaire avec l'intelligence, avec la faculté de surpasser autrui en finesse d'esprit et de déjouer ses mauvais desseins. Quant aux géants que le tailleur réussit à berner, ils sont connus pour leurs dimensions et leur stupidité exceptionnelles ; ils représentent généralement des émotions inadaptées, parce que trop intenses. Dès qu'un affect (*3) s'empare de nous, il nous laisse en effet tout stupide; dans la mythologie, les géants sont liés aux orages et aux trenblement de terre. La licorne, dotée da sa corne affûtée, représente une attitude agressive, mais
le tailleur sait de quelle façon il faut les affronter les uns et les autres. Il incarne manifestement les qualités psychiques typiquement humaines que sont l'imagination et l'intelligence à l'aide desquelles il est possible de vaincre les émotions primitives et d'atteindre un niveau de conscience plus élevé.
Le tailleur des « Deux compagnons de route » est, .. très pieux . la façon humaine de vaincre l'affect par l'esprit et l'intelligence se combine ici avec l'attitude religieuse.
Le cordonnier a également affaire avec l'usage humain de se vêtir, mais son art ne concerne que les pieds. .. différence symbolique .. Si les habits représentent des attitudes morales, leur interprétation devra varier en fonction de la partie du corps qu'ils recouvrent. Ainsi les pantalons ont un rapport avec l'attitude sexuelle, et le soutien-gorge avec l'attitude maternelle et affective. « La chemise est plus proche que la veste », c'est-à-dire qu'elle se trouve plus près de la peau et représente, par conséquent, une attitude intime. Aigremont d'un point de vue freudien.. affirme que le pied est un symbole phallique - .. que la chaussure représente l'organe féminin qui enveloppe le pied. L'aspect sexuel est implicitement contenu dans le symbolisme du pied et de la chaussure (.. « il trouve chaussure à son pied » etc.), mais il n'en est pas la seule signification. Partant du fait qu'elle est simplement ce qui habille le pied, et que nous la posons par terre en station debout, la chaussure représente d'abord la position adoptée, l'attitude envers la réalité (stand point). .. p.41
. L'image de la chaussure a, par ailleurs un rapport avec le complexe du pouvoir.. « poser le pied », dans le sens de se montrer ferme. .. on « se pose » .. on « écrase du talon» son ennemi .. « héros en pantoufles » (pantouflard), appliquée à un homme casanier et dominé par son épouse : elle pose son pied sur lui ; .. Notre position par rapport à la réalité concrète a toujours affaire avec l'exercice du pouvoir, puisque nous ne pouvons adopter une position envers la réalité sans nous affirmer jusqu'à un certain point et être acculés à effectuer des choix décisifs. Tout est question de mesure.
Le cordonnier, .. personnage archétypique, apparenté à celui du tailleur, concerne plus particulièrement la position prise par rapport à la réalité (et donc aussi à la sexualité). Le commerce du cordonnier est vu comme une profession plus humble, plus modeste que celle du tailleur, quoique ni l'un ni l'autre ne se situent à un niveau social très élevé dans l'évaluation bourgeoise .
dans la légende de saint Antoine : ayant vu un ange de Dieu, il en conçut l'idée qu'il était parvenu à une réalisation intérieure et se crut devenu un grand saint. Mais l'ange lui dit un jour qu'il existait à Alexandrie un homme plus pieux encore que lui. Saint Antoine, pris de jalousie, voulut voir cet homme, et l'ange le conduisit dans un taudis misérable où un vieux cordonnier, aidé de sa pauvre petite femme, confectionnait des chaussures. Stupéfait, Antoine, désirant découvrir en quoi le cordonnier était plus dévot que lui, lui demanda quelles étaient sa vision du monde et son attitude religieuse. Le cordonnier se contenta de le regarder tout en travaillant, et répondit enfin qu'il ne faisait rien d'autre que des chaussures pour gagner le pain quotidien de sa femme et de ses enfants. .
Cette anecdote illustre bien l'opposition entre le cordonnier et le monde concret d'une part, et d'autre part saint Antoine s'efforçant seulement d'acquérir toujours plus de sainteté. Le cordonnier restait en contact humain et humble avec la réalité quotidienne, ce qui faisait tellement défaut au saint .. « contente-toi de ce que tu es et de ce que tu as à faire » ; .. « Cordonnier, pas plus haut que la chaussure. » S'il quitte ses outils, les choses iront mal et sa relation à la réalité s'en trouvera perturbée. Nous devons, en effet, être le plus possible réalistes et demeurer à l'intérieur de nos limites. Si bien des contes donnent raison au cordonnier, ici, il est négatif parce qu'il tombe dans une attitude unilatérale, matérialiste et intéressée qui le rend cruel et criminel. Cela correspond bien à l'ombre collective de l'occidental. .p.43
.
Dans les contes de fées, chaque personnage est l'ombre de tous les autres et chacun est mis en relief par rapport à eux, donc comparé à eux ; tous ont une fonction compensatrice. C'est pourquoi il faut user du terme d'ombre, ou de tout autre terme, cum grano salis.
.. le symbolisme du roi . la santé, la puissance physique et spirituelle du roi sont les garants de la puissance de la tribu. Aussi doit-il être mis à mort lorsqu'il tombe malade ou devient impuissant. Après un certain temps, on le sacrifie ou on le destitue, parce que le détenteur du pouvoir, en tant qu'il est une incarnation divine de la force vitale de la tribu, doit toujours rester jeune. .
Si le roi incarne le principe de vie, il est le centre de l'organisation physique et spirituelle de son peuple et donc son image de Dieu et le support de sa projection du Soi, mais il n'est pas le Soi. En effet, selon notre expérience, l'archétype du Soi n'est pas soumis à la dimension temporelle ; l'image du roi vieillissant ou mourant qui doit être remplacé n'est pas conforme à l'idée du Soi, centre régulateur de la psyché qui, lui, n'a pas besoin d'être destitué ou renouvelé.
. le roi n'est pas le Soi, mais seulement le symbole manifesté et donc temporel de cet archétype. Ainsi le Christ fut le roi de notre civilisation ; il fut un aspect du Soi .. le roi des rois, le contenu dominant. De même le Bouddha ... C'est pourquoi le roi n'est pas l'archétype du Soi, mais un symbole du Soi devenu une représentation centrale dominante dans une civilisation donnée. (*4)
.. il existe une loi archétypique de valeur universelle selon laquelle tout symbole qui a pris forme et contours dans la conscience collective humaine finit, P.45 après un certain temps, par s'user et opposer de la résistance au renouvellement, en raison d'une certaine inertie de la conscience. De même que Ia pIupart des expériences intérieures individuelles tendent à perdre une partie de leur impact après quelques années, les symboles religieux collectifs ont tendance à se détériorer . le symbole du Christ . a perdu ses qualités numineuses et sa valeur culturelle .
..La conscience humaine a tendance à rester unilatérale et à demeurer comme sur des rails, ne s'adaptant pas, à chaque instant, aux processus intérieurs. Il en résulte que certaines vérités, une fois formulées, se figent et, bien que dépassées, sont trop longtemps maintenues et défendues en dépit du cours toujours fluide de la vie.
La même chose se produit dans l'évolution intérieure de l'individu : la personne qui a eu une expérience intérieure en vit pendant un certain temps, puis les circonstances changent, ainsi qu'elle-même ; son attitude consciente devrait se modifier en conséquence, mai elle ne s'en rend pas compte jusqu'à ce qu'un rêve vienne Iui indiquer qu'une réadaptation s'impose. Au milieu de la vie, la conscience risque également de devenir prisonnière des attitudes acquises et de ne plus saisir assez vite que les choses ont changé à l'intérieur .
Le roi vieillissant qui doit être remplacé par le nouveau roi exprime cette loi psychique universelle qui veut que toute chose qui a obtenu la reconnaissance générale s'en trouve, d'une certaine façon, déjà mise en cause et prépare un revirement. La sagesse connaît cet état de fait et incite à rester toujours prêt pour un changement d'attitude. Mais tout comme l'individu tient généralement à son ancienne position, la collectivité en fait autant, et avec beaucoup plus d'insistance encore. Il faut par conséquent affronter une inertie qui peut se révéler dangereuse pour le contenu qu'elle prétend protéger. C'est à cela que se réfère le mystère du renouvellement du roi.
Le roi mythique n'incarne pas seulement l'espoir vital profond d'une civilisation, il en est aussi le représentant religieux. Des efforts pour détourner l'inévitabIe tragédie de la mise à mort récurrente du roi furent entrepris au moyen du dédoublement des pouvoirs : on instaura un homme-médecine aux côtés du roi. L'homme-médecine est moins concerné que le roi ou le chef par les activités concrètes du gouvernement, sa tâche consiste à s'occuper de l'impact de l'expérience religieuse immédiate. Il en résulte, .. une tension entre le roi et l'homme-médecine qui tient le rôle de « l'éminence grise » cachée derrière le chef ou qui est au contraire maintenu dans les limites étroites que lui concède le règne absolu de celui-ci. Ce conflit s'est également manifesté dans notre histoire lorsque l'Eglise latine tenta d'exercer un pouvoir situé au-dessus de celui des rois, ou lorsqu'au contraire les rois déposèrent certains papes ou tentèrent P.47 de les dominer pour imposer leur propre point de vue à la vie religieuse de l'Eglise. La séparation des pouvoirs visait à ce que l'aspect religieux puisse rester ouvert au renouvellement d'une part, et à ce que l'organisation politique s'en tienne à ses propres devoirs d'autre part. De la sorte on comptait maintenir les opposés en équilibre, en garantissant à la fois la continuité de la conscience et la nécessité d'un renouvellement intérieur incessant. L'inconvénient de cet agencement réside dans le danger de conflits et de clivages entre les deux facteurs qui, dans la psyché, vont de pair. (Problème de notre société qui est incapable de renouveler ses valeurs économiques, politiques et sociales mais aussi du religieux bloqué dans ce qui est acquis, dans sa toute puissance, plus proche de l'attitude figée du conscient et de l'aquis que du spirituel et de l'inconscient.)
. Si c'est le prince qui devient roi, il l'est par droit d'héritage légitime : il y a dans ce cas, renouvellement au sein même de la dominante du conscient. Cf. saint François d'Assise . un mouvemnet de renouveau spirituel qui conservait la même empreinte dominante. Il y a là une analogie avec la situation archétypique du prince succédant au vieux roi.
Si au contraire, le conte de fées fait d'un personnage anonyme et inattendu le nouveau roi, le renouvellement de la dominante de la conscience collective surgit d'un angle tout à fait imprévu, aussi bien sur le plan sociologique que sur le plan archétypique. Par exemple le dogme de l'Assomption de la Vierge Marie. d'un lieu aussi inattendu que l'inconscient du pape et la foi populaire qu'aurait jaillit au grand jour un apport de cette importance, qui accorde une place céleste à la Femme.
.. lorsque le conte .. raconte qu'un homme d'origine modeste est devenu roi, nous en concluons qu'il s'agit d'un processus de renouveau de la conscience collective issu d'une partie inattendue et officiellement méprisée de l'âme et des gens simples.ces derniers ressentent davantage, quoique confusément, les courants souterrains du développement archétypique en formation. Si, dans les universités et les milieux éduqués, on discute sur l'excès de technique et le manque de liens avec la nature dans la vie de l'homme moderne, .. il n'en va pas de même pour le simple fils de paysan qui quitte son village pour aller travailler à l'usine. Or c'est Iui qui en souffre de façon immédiate ; il se peut qu'il succombe à un désespoir inexprimé ou en vienne à haïr ses compagnons, sans se douter qu'il souffre de la maladie de son temps. Ou bien il peut se faire qu'en lui se constelle une aspiration vers un changement d'attitude P.49 pour lequel il trouvera une expression symbolique. II tentera alors de vaincre son inquiétude en participant à des réunions qui lui promettent un progrès uniquement matériel, conformément à sa vue des choses située à un niveau peu différencié.
Ces souffrances confuses peuvent se résoudre sous la forme de manifestations symboliques, ou, au contraire, l'amener à se détruire parla boisson, vaincu par le sentiment du manque de sens de la vie. .. les humeurs et les aspirations cachées des gens simples de nos sociétés expriment de façon tout à fait claire les besoins de notre temps. .
. ces personnes subissent la pression de l'époque de façon immédiate, sans disposer des remèdes que les cIasses aisées peuvent mettre en ouvre, comme la construction d'un refuge de vacances ou d'autres compensations au manque ressenti.
Les gens fortunés et cultivés perçoivent leur situation, peuvent la comprendre et l'exprimer, et essayer de la redresser en ce qui les concerne, ce qui fait qu'ils n'en sont pas écrasés de la même façon inéluctable. Au niveau de la réalité concrète, ils ne sont pas obligés de vivre pauvrement dans une rue bruyante ou d'accepter un travail pénible et inintéressant sans pouvoir aller ailleurs. Les personnes de situation modeste étant directement aux prises avec la difficulté, leurs réactions instinctives de défense s'en trouvent renforcées. ..
Vision onorique d'une maîtresse d'école :
La rêveuse s'était rendue à la ville voisine de Bâle pour y participer à une réunion d'anthroposophes tenue dans la cathédrale. Sortant du lieu où un pasteur avait donné un sermon, elle vit des nuages noirs et assista à un tremblement de terre de fin du monde. ,Au sommet de la tour de la cathédrale, tout en haut, elle aperçut une statue de bronze figurant la Mort à cheval, et elle entendit une voix dire : « La Mort va descendre et elle se mettra à chevaucher à travers le monde. » La tour commença à trembler comme une femme en couches et la statue de la Mort à tressaillir. La femme revint en coûrant à la réunion et s'écria : « Venez voir, la Mort est lâchée. » Il était précisé qu'il allait y avoir beaucoup de morts causées par la maladie et la guerre. Mais quand celle qui avait la vision se retourna pour regarder une nouvelle fois derrière elle, elle vit que la tour était restaurée après que la Mort l'avait quittée pour sauter à terre, et qu'à présent elle était surmontée d'une statue de pierre d'une très belle femme qui rendit confiance à celle qui la vit.
D'un point de vue personnel, le rêve s'explique du fait que cette personne avait une attitude chrétienne basée tout entière sur des idées de mortification. Elle ne se permettait jamais rien et nourrissait le désir secret de mourir. Pensant que sa personne n'avait aucune importance, elle avait décidé d'aider autrui en renonçant à toute vie propre, fondant par conséquent son existence sur le principe de mort. Ce faisant, elle se détruisait psychologiquement et physiquement. L'aspect personnel de la vision révèle que son principe dominant (l'attitude chrétienne vécue de cette façon) était bien plus au service de la mort que de la vie. L'imitation du Christ signifiait pour elle la mort autour de trente ans, aussi la vivait-elle avec toutes les conséquences amères que cela pouvait comporter. Elle était en outre possédée par l'animus, c'est-à-dire par son côté masculin, ayant P.51 complètement écarté toute féminité, ce en quoi elle avait fait sien un manque qui existe également dans le principe chrétien. (pas dans le message initial de Jésus) Un pareil cas exige le remplacement du principe de mort par une déesse-mère ; c'est ce que la vision proposait comme réponse à ses problèmes personnels, puisqu'elle pensait également à cette époque qu'un cancer commençait à la ronger.
D'autre part, cette vision révèle le problème de notre temps dans tout ce qu'il englobe, compris le dogme de l'Assomption de la Vierge. Cette femme était liée au destin collectif, et l'inconscient collectif se manifestait à nu dans son inconscient. Cette même personne rêva encore ceci :
Assise sur le pas de sa porte, elle entendit un bourdonnement, et elle aperçut un énorme disque volant dans le ciel - une araignée de métal remplie d'êtres humains. A l'intérieur de l'araignée résonnait un hymne ou une prière qui disait : « Maintiens-nous en bas sur la terre, guide-nous en haut vers les cieux », sur un mode d'incantation répétitive. Et la « chose» vint planer au-dessus d'un bâtiment parlementaire. L'objet était une sorte d'OVNI.. les politiciens dans le bâtiment en furent si terrifiés qu'ils s'empressèrent de signer un traité de paix. La rêveuse se rendit alors compte qu'elle n'était pas vêtue.
Indépendamment du fait que la rêveuse avait une disposition schizoïde, cette image de rêve n'en est pas moins une illustration frappante de l'angoisse de l'époque actuelle.
Une autre analysée, qui gagnait sa vie comme femme de ménage et était quelque peu suicidaire, était absolument convaincue que ses visions étaient des révélations spirituelles à l'adresse de notre temps. Elle décida donc d'en faire un scénario qu'elle enverrait à Walt Disney. Les dessins qu'elle exécuta s'avérèrent pleins d'intérêt. L'idée n'était donc pas si absurde qu'elle pouvait sembIer. Les difficultés de réalisation du projet résidaient davantage dans le fait que cette femme manquait d'une formation qui lui aurait permis d'exprimer ce qu'elle avait à dire sous une forme adaptée. Elle s'enlisa par conséquent et en tomba malade. Ce genre de personne à besoin d'être aidée de facon concrète, mais la grande question toutefois reste de savoir si elle dispose d'une vitalité suffisante pour mener à bien la tâche proposée. Si cette analysée avait eu une personnalité vigoureuse, .. je lui aurais conseillé de suivre des cours du soir afin de pouvoir ensuite se consacrer sérieusement à l'expression de ses visions. Elle aurait ainsi trouvé une occupation créatrice et un but dans l'existence. Malheureusement les personnes de type schizoïde manquent fréquemment de vitalité, de sorte, qu'on ne peut les aider qu'au moyen de sa propre énergie ou de quelqu'un qui les prenne en charge. A cela s'ajoute que Ieur état physique est souvent si précaire qu'il ne leur est pas possible de donner une forme concrète à ce qui les habite. L'histoire connaît cependant des exemples réussis : ce fut le cas par exemple du cordonnier Jacob Böhme . son expérience intérieure était porteuse de sens pour ses contemporains. .
Lorsque de semblables constellations sont assez forte pour percer au grand jour dans une société donnée, il se produit des événements tels que la naissance de la religion chrétienne, qui, presque du jour au lendemain, partant des couches sociales inférieures, engendra une attitude religieuse entièrement nouvelle. A ses débuts, P.53 le christianisme .. prit son essor parmi les esclaves. .. les laissés-pour-compte eurent des visions du Christ, ils vécurent une relation très personnelle avec lui et cette expérience fit rapidement tache d'huile parmi les gens simples, dans la mesure même où le Christ exprimait leur besoin d'être sauvés de l'esclavage et apportait un nouveau sens à la vie. C'est l'exemple même du renouveau par la base : le symbole du roi fut remplacé par un artisan ou un esclave qui devint le symbole dominant. Cette idée trouve son expression littérale dans la description du Christ à la fois comme roi des rois et comme serviteur de l'homme.
Pour en revenir à notre conte, le roi n'y est pas déposé et le tailleur ne devient pas son héritier ; il s'allie simplement par mariage à la famille royale, après que le tailleur et le cordonnier ont été tous deux serviteurs à la cour pendant un temps. Si nous envisageons la strucure d'ensemble du conte, nous voyons un roi qui n'est ni bon ni mauvais, mais plutôt en déclin, (et influençable) puisqu'il lui faut de l'aide pour obtenir un fils et aussi pour retrouver la couronne perdue. Ce souverain approche par conséquent de l'état du roi vieillissant tout en disposant encore d'une vigueur suffisante pour lui permettre de conserver sa position et de régner. Cependant, dans le domaine de la conscience collective et des représentations dominantes, deux facteurs opposés se font jour et ils utilisent la faveur du roi dans leur jeu d'opposition l'un contre l'autre. Au début, le cordonnier obtient la confiance du roi, puis c'est le tour du tailleur. Le premier joue un rôle diabolique ou luciférien.
. on peut conclure de la situation décrite dans ce conte que le roi y représente l'attitude chrétienne dominante qui, sans avoir encore atteint le stade où elle devra être destituée ou renouvelée, a déjà perdu une partie de sa force. Deux facteurs archétypiques se manifestent ici, à la ressemblance des dieux Mercure et Saturne. Ils se sont constellés à la cour, et la question est de savoir lequel des deux l'emportera.
Dans les contes de fées qui ne contiennent pas à proprement parler de figure incarnant l'ombre, il y a dédoublement d'une figure archétypique, chaque moitié de celle-ci constituant l'ombre de l'autre. Dans l'individu, l'ombre se forme de la même façon, seulement elle n'est pas toujours constellée d'une manière aussi personnalisée. Tout complexe, toute structure générale, ou tout archétype étant un système polarisé, possède un côté lumineux et ténébreux. Ainsi l'archétype de la Grande mère contient d'une part la sorcière et la mère diabolique, la Mort, et d'autre part la vieille femme sage et la déesse de la fécondité. Dans l'archétype de l'esprit, il y a le vieux P.55 sage, mais aussi le sorcier destructeur ou démoniaque. L'archétype du roi peut signifier la fécondité et la puissance d'une ethnie ou d'une nation ou, au contraire, le vieux monarque tyrannique qui étouffe toute vie nouvelle et qui, par conséquent, devra être déposé. Le héros, peut incarner le renouvellement de la vie ou, à l'opposé, être le grand destructeur, ou encore les deux à la fois.
Chaque figure archétypique porte en elle-même sa propre ombre. Cette ombre est-elle un phénomène originel ou le résultat d'un effet d'optique ? Nous n'en savons rien de ce à quoi peut ressembler un archétype dans l'inconscient ; par contre, lorsqu'il entre dans cette sorte de frange qu'est le seuil de la conscience (comme .. dans les rêves et dans les visions) apparaît sous ce double aspect ; seul un objet exposé à la lumière peut projeter une ombre. C'est pourquoi il est probable que, dans l'inconscient, les complexes sont neutres -ils y sont une complexio oppositorum, une conjonction d'opposés - et qu'ils tendent seulement à se scinder en oui et non, en plus et moins, lorsque la clarté de la conscience les atteint. (d'où association prise de conscience et faute ou mal, et incarnation comme associée au mal, à la punition etc. ?)
Dans la mythologie, le thème des jumeaux éclaire ce phénomène de dédoublement de la paire, dont l'un des termes est extraverti, l'autre introverti, ou l'un mâle, l'autre femelle, l'un du côté de l'esprit, l'autre du côté de l'animal -sans que l'un ou l'autre soit moralement supérieur. D'autres mythes soulignent au contraire la bonté de l'un et la méchanceté de l'autre. .. l'existence d'une attitude éthique dans la conscience détermine la différenciation morale de l'attitude de l'un et l'autre des jumeaux. (*5) Si l'éthique consciente fait défaut, il n'y aura pas non plus d'évaluation des jumeaux mythiques à ce niveau.
. L'attitude judéo-chrétienne, .. a aiguisé le conflit éthique dans l'être humain, aussi notre civilisation a-t-elle tendance à porter des jugements moraux sur les êtres et sur les événements plutôt que de les laisser dans une certaine imprécision. Dans ce contexte, quand une figure archétypique se dédouble, elle se scinde aussi moralement et apparaît comme bonne et mauvaise, lumineuse et sombre.
Le contraste entre l'attitude extravertie du tailleur et l'attitude introvertie du cordonnier illustre également cette opposition. . L'une incarne une extrversion bien imprévoyante, l'autre une introversion égoïste, mélancolique et cruelle. Ces deux caractères sont extrêmes et pèchent donc avant tout par leur unilatéralité. . Penser que, parce que l'on fait confiance à Dieu, il nous aplanira toutes les difficultés, est infantile, et l'on voit que le tailleur devra subir bien des épreuves pour l'apprendre. Quant au caractère grincheux, cynique et rancunier du cordonnier, il est tellement unilatéral qu'il aboutit à une totale déshumanisation ; aussi, .. devra-t-il disparaître, déchiré par les mêmes instincts cruels qu'il a montrés vis-à-vis du tailleur. Il est l'image de l'ombre introvertie du tailleur, c'est-à-dire de la partie de lui-même qui, n'étant pas vécue ni par conséquent rattachée à sa conscience, reste sous-développée et agit négativement à son égard. C'est pourquoi P.57 le cordonnier doit lui fabriquer des souliers pour son mariage : il doit intégrer un peu des qualités du cordonnier pour avoir davantage « les pieds sur terre ».
Si .. le roi représente la dominante du conscient collectif de l'époque, et en particulier le symbole religieux, on peut se demander si le christianisme a présenté une problématique de cet ordre. .. le christianisme .. affiche une vision du monde résolument optimiste et une confiance en un Dieu uniquement bon, le mal n'étant qu'une absence de bien (privatio boni). Il en résulte une tendance à ignorer, ou tout au moins à minimiser la réalité du mal, aussi bien en soi-même que chez autrui.. Cette attitude est dangereuse, car refuser de voir l'ombre et le mal nous rend, comme le tailleur du conte, vulnérable et incapables de leur résister : une menace reconnue est moins dangereuse qu'une menace que l'on ignore et qui nous prend par surprise. De plus, on sait que l'on prête aux autres le mal qu'on ne reconnaît pas pour sien.
L'attitude opposée a trouvé son expression dans le calvinisme etc .et mettent l'accent sur un Dieu sévère, une tendance à l'ascèse et une morale rigide. Cela peut aboutir .. à une absence de toute joie de vivre. qui donne des êtres fermés, sceptiques, « réalistes » et méfiants.
Les caractères opposés de nos deux héros sont donc typiques de la civilisation chrétienne mais, de façon plus générale, on peut y reconnaître des tendances largement humaines qui ont toujours et partout existé.

Petit séminaire
*1 Cf. l'ombre projetée d'une génération à l'autre ou sur le conjoint que les enfants ramassent. Cf.suicide de David, porteur de l'ombre des contenus familiaux destructeurs.
*2 Pôle évolutif de la pulsion. Le blanc = manifestation de l'archétype.
*3 Dans l'affect il n'y a pas de sentiment, pas de valeur, pas de différenciation.
*4 Le roi, principe conscient, peut introduire des problématiques de changement très importants. Cf. « Qui est le père ? » Conséquences que de vivre avec une identité qui n'est pas la sienne ; constituer son origine.
*5 Si on n'a pas renforcer l'appartenance on ne peut aborder la différenciation.

CHAPITRE II : LES DEUX COMPAGNONS (suite)

L'image archétypique du roi, dominante du conscient collectif .. symbole concret du Soi.
Tout symbole puissant du soi unit en lui-même les opposés; mais s'il perd de sa force, il ne remplit plus sa fonction et les opposés recommencent à se séparer. . le roi .. à l'apogée de sa puissance saurait réconcilier le cordonnier et le tailleur... P.59
A mesure que le pouvoir du roi diminue, la tension s'accentue entre les pôles contraires qui s'éloignent l'un de l'autre. Le souverain oscille entre ces pôles. il a perdu sa valeur de représentant de la totalité (sa couronne). Une situation analogue peut s'observer chez l'individu : tant qu'une foi, un enthousiasme, une tâche à accomplir ou l'émergence d'un symbole puissant galvanisent les différentes énergies, et tant que l'attitude qui en résulte est puissamment enracinée dans la vie et se trouve en harmonie avec les instincts, une certaine unité se fait entre les forces opposées. Ce sont les périodes où l'on se sent plein d'énergie et où les conflits s'estompent ; on a vaguement conscience de l'existence de son ombre (de ses défauts, de ses limites), on passe par des hauts et des bas, mais enfin, dans l'ensemble, on parvient à s'arranger pour que cela ne soit pas trop dérangeant. . puis un beau jour.. le moi perd tout son dynamisme et ses facultés, les opposés se heurtent. Le moi, comme le roi du conte, .. balance entre des attitudes contraires, s'efforçant de s'identifier à l'une ou à l'autre terme du conflit. Incapable de se maintenir dans la voie du milieu jusqu'à ce qu'une solution se présente, il s'agite, discute avec lui-même, prête l'oreille à toutes les insinuations négatives, tous les doutes, et cherche, coûte que coûte, à prendre une décision.
.. phase typique du processus analytique ... une telle crise fait partie d'une évolution normale et se rencontre tout aussi bien dans la vie courante. Elle a lieu chaque fois que le moi n'est plus en harmonie avec les instincts et la vie profonde, ce qui produit un déchirement intérieur. Celui-ci dure jusqu'à ce qu'un autre symbole unificateur (un symbole du Soi) surgisse, capable de relier à nouveau le conscient aux couches profondes de la psyché. C'est ainsi que la conscience progresse et intègre les circonstances extérieures nouvelles et les poussées intérieures de croissance : l'unité du moi s'écroule, il se produit un chaos et les diverses tendances entrent en lutte, jusqu'à ce que l'inconscient propose (le plus souvent au moyen du rêve) un symbole qui corresponde mieux au stade actuel, de sorte que le moi se trouve à nouveau porté par le flot de la vie et oeuvre à son service. Un conflit n'est jamais vraiment résolu ; peu à peu l'émotion qui était investie en lui s'apaise, et l'on se trouve avoir dépassé le conflit en le souffrant jusqu'à ce qu'il soit absorbé par une nouvelle forme de vie qui permette de le considérer sans passion et sous un angle différent. (*1).
De l'opposition entre leurs tempéraments respectifs - tailleur et cordonnier- résultera la tragédie.
Le cordonnier a des qualités saturniennes, comme Prométhée, mais, différent en cela du héros mythique, s'il est prévoyant, c'est jusqu'à l'avarice ; il est égoïste, cruel et intrigant, si bien qu'il sera éliminé lorsqu'il aura joué son rôle. p. 61
Le tailleur, pareil à Epiméthée, est confiant, généreux et de bonne humeur, mais aussi imprévoyant jusqu'à l'imprudence et aura besoin du cordonnier, .. de celui qui chausse les pieds ; cette figure d'ombre trop terre à terre se fera son cruel mais nécessaire instructeur.
Ces personnages illustrent deux attitudes psychologiques opposées, mais portées toutes deux à leur extrême jusqu'à devenir unilatérales et à tomber dans leur propre ombre. .. le tailleur incarne l'ombre de l'extraverti et le cordonnier celle de l'introverti. En effet, le risque que court l'introverti est de rester tourné vers lui-même et de passer sa vie à se faire du souci pour l'avenir, à craindre le monde extérieur et, en conséquence, de devenir méfiant et amer. L'extraverti, lui, vit le moment présent et se perd quelque peu dans le monde extérieur. Il saute à pieds joints dans les situations, sans réfléchir, quitte à s'étonner après coup s'il est tombé dans un trou !
. toute attitude, bonne en elle-même, peut devenir destructrice si elle est unilatérale et n'est pas tempérée par son contraire. Le conte privilégie l'attitude (du tailleur) :confiante et généreuse, moyennant qu'il accepte les coups de son ombre, et qu'il intègre un peu de celle-ci à travers les épreuves.
. La tendance compensatrice de l'inconscient impose au trop confiant tailleur l'autre face de l'existence dont il ne tient pas suffisamment compte. Cette confrontation brutale avec l'ombre aveugle momentanément sa vision : devant la cruauté de la vie, devant le mal, et devant ses propres états intérieurs négatifs, il est troublé, perdu et ne sait ni comment réagir ni comment se défendre, . C'est pourquoi l'humeur mélancolique . qui l'assaille dans la difficulté le surprend, le trouve vulnérable et l'aveugle. Ainsi, par exemple, un chef d'entreprise qui a réussi grâce à une forte tendance extravertie pourra, vers le milieu de la vie, s'il a complètement négligé son côté introverti et s'ignore lui-même, se voir submergé par une vague de dépression, de méfiance et d'avidité dont il n'avait pas su détecter à temps les prémices. S'il ne tient pas compte de ces signaux d'alarme et ne se tourne pas vers sa vie intérieure pour essayer de comprendre d'où lui viennent ces humeurs noires et ce vers quoi elles tendent, il en sera aveuglé et commettra erreur sur erreur : il connaîtra des défaillances dans son activité professionnelle, perdra de l'argent, ses liens avec proches se déferont, il succombera à une aventure stupide, ou encore il tombera malade. Il n'aura pas compris que, vers le milieu de la vie, quelque chose P.63 « d'autre» demande à être vécu : un approfondissement intérieur que sa vie active ne lui laissait pas le loisir de découvrir. Son ombre s'imposera à lui, de gré ou de force.
.. un avocat, de type très extraverti, qui, grace à cela, avait bien réussi dans sa carrière. Toutefois, vers la cinquantaine, il commença à éprouver un sentiment de malaise et des accès d'humeur. Un jour qu'il s'en plaignait à moi et me demandait mon avis, je lui suggeral de prendre quelques jours de vacances, seul, dans un endroit tranquille, pour laisser monter en lui cet autre côté. Il refusa ma suggestion, alléguant que, dès qu'il était seul, il devenait sujet à la dépression ; et pourtant, laisser monter en lui ces états d'âme et essayer de comprendre le message qu'ils lui transmettaient, pour pénible que cela fût, eût été la seule attitude utile. Au lieu de cela, il eut un accident entraînant une fracture de la hanche et il fut bien obligé de prendre des vacances solitaires. à l'hôpital. Il était victime du même jeu de bascuIe entre les opposés qui fait que le tailleur est persécuté par le cordonnier. Bien des accidents, des « actes manqués» et des maladies n'ont pas d'autre origine profonde que l'aspiration non reconnue de l'être vers une introversion devenue indispensable.
.. un gibet.. époque .. archaïque. A l'origine, c'était une pratique sacrée; ainsi, chez les Germains, les criminels et les prisonniers capturés dans les combats étaient offerts en sacrifice par pendaison ; le vainqueur déclarait à sa victime : « Je te consacre à Wotan ». Wotan lui-même, resta pendu pendant neuf jours et neuf nuits au frêne Yggdrasil ; c'est pendant ce temps qu'il découvrit les caractères de l'écriture sacrée appelés runes, la sagesse et les sciences secrètes. Le corps d'Attis avait été pendu à un pin.. De même, il existe des images médiévales du Christ crucifié à un arbre vivant.
Que peut signifier le fait d'exécuter un condamné ou un ennemi, non par punition ou par vengeance, mais par offrande aux dieux ? L'idée archaïque du sacrifice du coupable ou de l'ennemi a des racines psychologiques beaucoup plus profondes que celle de la simple justice sociale. Le sentiment primitif est que celui qui se montre capable de commettre un crime horrible, contre nature, échappe à la communauté humaine : il est habité, possédé par un dieu, par un esprit destructeur, un démon. Celui qui tue un de ses semblables .. s'exclut de l'humanité ; il s'identifie à un dieu, il est possédé par la face obscure et meurtrière de la divinité et répand une « horreur sacrée ». C'est pourquoi il échappe à un quelconque jugement moral. On ne peut faire partie de la société humaine et agir en même temps comme un dieu qui tue à volonté.
. Lorsqu'on doit lutter contre un mal réellement diabolique chez un être, ce qui frappe avant tout, c'est la présence de quelque chose qui donne le frisson. . Il arrive que, dans certains épisodes psychotiques ou dans certaines psychoses, on se trouve en présence de quelque chose de si glacé et de si démoniaque que l'on en est comme paralysé et qu'en même temps on a envie de fuir. C'est trop horrible, trop choquant pour qu'on puisse intervenir. On sent que de telles personnes seraient tout à fait capables de commettre P.65 froidement un assassinat. La terreur, l' « horreur sacrée » qui accompagne toute expérience qui transcende l'humain, aussi bien dans le sens du beau et du bon que dans celui du mal, est, en quelque sorte, la même. L'effroi ressenti devant l'indicible fait que le bien et le mal se rejoignent au-delà de nos capacités humaines, et qu'ils peuvent être qualifiés aussi bien de « divins » que de « démoniaques ».
. Un homme-médecine se rendit coupable de demander des honoraires trop éleves à ses clients et parvin à un tel abus qu'il en perdit toute humanité. . Cela dura un certain temps jusqu'à ce que les anciens de la tribu, s'étant concertés, lui annoncent qu'ils pensaient qu'il était possédé par un esprit mauvais. Comme il ne le niait pas, on l'emmena dans le désert pour le soumettre au jugement des dieux. Les autres hommes-médecine du pays firent des dessins de sable coloré sur le sol, invoquèrent les esprits et leur demandèrent de leur révéler leur volonté : désiraient-ils sauver cet homme ? L'accusé priait avec les autres. Comme nulle réponse céleste ne vint, il fut condamné à être écartelé par quatre chevaux. Il accepta la sentence, en paix avec lui-même : il n'était pas question à ses yeux d'un jugement moral, mais simplement du fait qu'il était tombé inextricablement au pouvoir des esprits mauvais. C'est là un exemple impressIonnant, proche de la réalité psychologique objective, du comportement naturel vis-à-vis des forces du mal en l'homme.
.. le sens du supplice du dieu par pendaison à un arbre, un gibet ou une croix. ce destin est généralement assumé par cette partie de la divinité qui s'intéresse aux créatures humaines ; c'est, pourrait-on dire, la partie philanthropique de la divinité qui subit la mort tragique par suspension, aussi cela est-il toujours en relation avec un apport civilisateur. .
Mais nous ne pouvons comprendre pleinement le sens de la suspension à l'arbre, ou à ses remplaçants que sont le gibet ou la croix, sans réfléchir au symbolisme du premier. .
L'arbre est une image du processus intérieur de croissance de l'être humain, sous son aspect inconscient. Il représente cette poussée naturelle et spontanée qui, dans la psyché, grandit et tend à suivre son propre chemin, que le moi en soit ou non conscient. C'est une poussée instinctive vers l'épanouissement de la conscience, vers l'individuation. . analogie entre la vie de l'arbre et la vie humaine, l'idée que l'arbre est porteur de vie. .. cf. planter un arbre à la naissance d'un enfant .. De nombreux récits mythologiques soulignent la relation entre l'arbre et la vie humaine : les arbres sont des êtres humains métamorphosés, ils fécondent les femmes .. portent les enfants comme des fruits. Les lumières qui décorent le sapin de Noël ou le soleil qui se lève au sommet de l'arbre évoquent la croissance vers une conscience plus riche et plus diversifiée, et son renouvellement. L'arbre est un symbole du Soi et du processus d'individuation, de ce qui transcende le conscient.
D'un certain point de vue, notre vie ressemble à un roman. Mais, sous la surface des événements et des actes qui forment les péripéties de notre existence, un mystérieux processus de développement psychique croît suivant ses propres lois, de la naissance à la mort.(*2) P.67
L'homme universel, l'homme primordial, l'anthropos, est souvent identifié par la mythologie à un arbre. Le moi cherche sans cesse à échapper à sa condition humaine, à ses limites et aux circonstances de la vie, mais il est inéluctablement ramené à son processus intérieur de croissance qu'il lui est impossible de fuir. Que cette situation conflictuelle, propre à la nature humaine, soit représentée sous la forme douloureuse de la pendaison signifie que le conflit est parvenu à sa phase la plus aiguë. C'est pourquoi le christianisme, centré sur le Christ crucifié, a une vision tragique de l'existence et du combat entre le bien et le mal : pour suivre le Christ, on doit s'adonner à la mortification et réprimer certains aspects de l'homme naturel.
L'idée chrétienne est que la vie est basée sur le conflit et que l'homme doit lutter pour atteindre une spiritualisation qui ne se produit pas d'elle-même, mais se conquiert douloureusement : l'esprit, le dieu en l'homme, est attaché à l'existence terrestre et y est crucifié. Mais l'homme naturel est aussi crucifié, dans une certaine mesure, par la tendance vers la conscience ; .. mythe de Wotan, l'éternel errant qui parcours la terre, dieu de l'impulsivité, de l'inspiration poétique et de la colère. Il est cet élément qui, dans l'être humain, demeure perpétuellement inquiet et prêt à éclater en affects. . le progrès culturel et social a été conquis par l'homme au prix de la suspension et de la maîtrise des pulsions naturelles.
Chaque fois que le conscient ou notre être naturel entre en conflit avec le mouvement spontané de croissance intérieur, l' être souffre la crucifixion ; il se se trouve dans la situation du dieu suspendu à l'arbre, cloué, sans l'avoir voulu, à un développement inconscient auquel il désire échapper sans le pouvoir. .
Le mythe d'Attis, .. décrit un aspect particulier de cette situation. Attis, le fils bien-aimé de la Grande Mère, est un puer aeternus . dieu éternellement jeune qui ne peut connaître ni la tristesse, ni les limites humaines que sont la maladie, le vieillissement et la mort. Aussi Attis meurt-il jeune, pendu à un arbre, qui est encore une image de la mère : le principe maternel qui lui a donné naissance le reprend sous sa forme négative, la laideur et la mort finissent par le rejoindre.
L'on voit parfois des jeunes gens qui, au moment de choisir une profession ou de se marier, découvrent que la plénitude de la jeunesse est en train de les quitter et qu'il leur faut accepter le sort commun. Certains préfèrent alors mourir, soit par accident, soit à la guerre, plutôt que d'accepter de vieillir. A cet âge critique, entre trente et quarante ans, leur attitude consciente ne s'accordant plus avec le mouvement de la vie, leur arbre intérieur continue de croître malgré eux, puis contre eux : ils sont acculés à subir la mort d'une façon ou d'une autre. Normalement, cela devrait signifier un changement d'attitude et constituer une mort symbolique : la mort à leur adolescence et à l'image qu'ils ont d'eux-mêmes pour atteindre la maturité. Mais si leur moi ne peut l'accepter et se raidit dans son refus de la réalité, cela peut se terminer par une sorte de suicide camouflé, l'impuissance ou même la mort physique. C'est le moment crucial où ils sont sacrifiés par un processus de croissance intérieur qui se tourne contre eux. Quand le développement intérieur devient l'ennemi de l'attitude du moi, c'est que quelque chose cherche à dépasser l'attitude consciente de l'homme ; si celui-ci ne peut pas le suivre, il doit mourir. C'est la volonté du moi qui devrait mourir et le moi se plier au processus de croissance intérieur.(*3) . P.69
Une conséquence de la pendaison est que la victime est maintenue dans les airs ; or, l'air est . un élément où évoluent les fantômes et les esprits. . Pendre quelqu'un, c'est donc faire de lui un esprit et lui permettre de rejoindre ses semblables.
Au sens figuré, nous employons le terme de « suspension » lorsqu'un conflit parvient à une phase aiguë où les opposés sont de force égale et où l'on ne sait s'il faut pencher vers le « oui » ou vers le « non » ; . On dit alors que l'on « suspend » une décision, que la vie reste « en suspens », et même qu'elle est « suspendue à un fil ». Une des lames du tarot, « le pendu », illustre bien cette situation archétypique où tout mouvement, dans un sens ou dans un autre, est rendu momentanément impossible. Cette suspension des énergies psychiques et des événements, ce blocage complet du flux de la vie suscite une intolérable souffrance : se sentir immobilisé dans un conflit apparemment stérile et sans issue est une situation intérieure très cruelle.
.. dans notre conte, . : le conflit entre les attitudes opposées des personnages est parvenu au stade où le processus vital est suspendu. Les deux mauvais sujets pendus au gibet reflètent la situation des deux compagnons, parvenue à un état de stérilité absolue ; on pourrait même dire que ces pendus représentent les parts d'eux-mêmes qui, coupables de n'avoir pas su coopérer, en sont punies par la vie. . Par rapport à la situation collective de l'époque .. il s'agit d'une allusion voilée au Christ crucifié. Cela vaut pour l'un d'eux, mais qui serait le second ? Plusieurs contes de fées, .. présentent aussi un esprit du mal cloué à un arbre ou à un mur. Ces pendus peuvent évoquer le « bon» et le « mauvais» larrons qui encadrent le Christ ou encore le Christ et Wotan, l'ancien dieu étant assimilé par la nouvelle religion à un esprit mauvais.
.. Perceval, .. a pour tâche de découvrir non seulement le vase du Graal contenant le sang du Christ, symbole de son amour pour les hommes, mais aussi un cerf ou une tête de cerf. Dans la version principale, le héros trouve d'abord le Graal, mais n'oublie pas pour autant d'aller à la recherche de la tête de cerf ; il la découvre fixée au tronc d'un chêne, la décloue et la remet à une figure féminine de caractère divin. Dans d'autres légendes, le cerf est représenté comme destructeur de la forêt et fauteur de mal. Ses bois superbes, dont le rôle principal est d'impressionner les biches mais qui, en dehors des combats de prestige entre mâles, gênent ses mouvements, suggèrent l'idée d'une créature orgueilleuse et dominatrice, roi de nos forêts. Dans d'autres légendes, comme celle de saint Hubert, le cerf porte une croix entre ses bois, c'est une sorte d'esprit qui échappe magiquement au chasseur orgueilleux. Le cerf a donc souvent porté la projection de l'ombre du christianisme, de cette arrogance incroyable qui nous a fait croire être les seuls détenteurs de la vérité, aussi bien sur le plan spirituel et religieux que culturel, et nous a portés à dominer le monde en détruisant les autres civilisations. Cet orgueil et cet esprit superficiel s'avèrent être la pire des ombres que l'Occident chrétien ait développées.
Au niveau individuel, une apparente attitude de douceur et d'humilité chrétiennes peut masquer - parfois P.71 au sujet lui-même - un abîme de frustration, d'orgueil blessé et de désir de pouvoir. Même en analyse, on rencontre ce genre de réaction : au lieu de parler franchement de ses résistances ou de ce que l'on croit - à tort ou à raison - pouvoir reprocher à son analyste, on adopte une attitude de « résignation », de « charité chrétienne» , et l'on « pardonne » à l'analyste d'être dans l'erreur et de ne pas vous comprendre, du haut de sa propre hauteur spirituelle ! Sous le couvert de mansuétude et de grandeur d'âme, on déverse quantité de jugements négatifs et de pointes perfides d'un ton doucereux, sans même se rendre compte de ce que cela dissimule de pur orgueil et de mépris de l'autre. Il serait tellement plus vrai, plus modeste et plus humain d'essayer d'exprimer ce que l'on ressent et de s'expliquer avec son vis-à-vis. Bien entendu, cette attitude se rencontre aussi bien dans la vie courante où elle empoisonne souvent les rapports familiaux ou amicaux. C'est l'ombre de la morale chrétienne qui veut que l'on ne montre pas d'agressivité et que l'on soit toujours doux comme l'agneau avec son prochain. Mais là où est l'agneau est aussi le loup. Il y a une agressivité juste : celle qui empêche que l'on vous marche sur les pieds, ou celle qui consiste il s'expliquer et à maintenir son propre point vue si l'on sent qu'il est juste. Mais si quelqu'un se contente de refouler ses sentiments agressifs et de « pardonner » ce qu'il croit une offense, sans s'expliquer avec la personne concernée, il ne se passe rien et l'on risque fort d'en vouloir encore à l'autre dix ans après ! Les légendes médiévales disent que le cerf doit non seulement être sacrifié, mais sa tête remise entre les mains de l'anima : l'intégration de cet orgueil mâle se fera par l'intermédiaire du sentiment.
Sur la tête de chacun des pendus est posé un corbeau, .
La croyance, très répandue, selon laquelle les restes d'un criminel ou ses instruments de supplice sont une médecine puissante rejoint l'idée archétypique selon laquelle le criminel qui s'est arrogé le rôle d'un dieu doit être traité comme tel. L'exécution du criminel ayant remis les choses en ordre, ce qui était négatif ici-bas est redevenu positif dans l'au-delà, ce qui était destructeur au stade humain est redevenu constructif dans le monde des esprits qui est sa juste place. Des recettes magiques .. « Prends un morceau de la corde avec laquelle un homme a été pendu, ou les clous du gibet etc., et tu auras une puissante médecine. » La croyance au pouvoir guérisseur des reliques des saints a une origine analogue .
Quant aux corbeaux qui, .. , sont les Oiseaux de Wotan et, .. , ceux d'Apollon, ils sont liés au pouvoir de divination, de « seconde vue ». Apollon révèle la vérité, en particulier en inspirant l'oracle de Delphes ; quant à Wotan, il a deux corbeaux, Hugin et Munin, qui parcourent le monde et reviennent se percher sur ses épaules pour lui rapporter tout ce qui s'y passe. Les oiseaux sont liés, symboliquement, aux intuitions, aux pensées spontanées qui se révèlent souvent vraies : ils voIent, se posent, vont et viennent librement ; ils sont en rapport avec l'élément air et donc, nous l'avons vu, avec le monde des esprits, de l'Esprit qui « souffle où il veut ». Du fait qu'ils descendent se poser à terre ou dans les arbres, ils sont les liens entre le cie et la terre, des messagers célestes, des esprits mercuriels, proches des anges que l'on représente d'ailleurs avec des ailes d'oiseau. L'acuité de leur vision et leur point de vue élevé, du haut des airs, leur fait découvrir le monde sous un aspect caché aux êtres rampants sur terre, et leur sens de l'orientation, leur prémonition des saisons et du temps leur confèrent une sorte de don divinatoire. On les croit en effet capables de connaître le futur et de révéler la vérité cachée. Cela était particulièrement P.73 attribué aux corbeaux et aux corneilles ; on tirait des oracles de la direction de leur vol. Ces oiseaux ont un certain don pour la parole, ce qui n'a pas dû être un aspect négligeable des projections faites sur eux. .. ces oiseaux communiquent entre eux à l'aide d'un langage différencié et font preuve d'intelligence. Partant du fait que les corbeaux et les corneilles se rassemblent sur les champs de bataille ou là où un animal agonise, on pense que, lorsqu'ils se posent sur une maison, un de ses habitants va mourir et qu'ils le savent. En alchimie, le corbeau est un des symboles de la nigredo .. un des stades de la transformation de la materia prima en or. Il correspond, psychologiquement, à la période de « dissolution de la conscience », celle où
L'ancien système conscient (le vieux roi), ne correspondant plus aux besoin de l'être total, est mort et où un nouveau stade (le jeune roi) n'est pas encore atteint. . Ce stade de mort, de suspension de l'énergie vitale se traduit par un état d'angoisse, d'incapacité d'agir, de mélancolie, de dépression, bref d'idées et d'humeurs « noires ». Les corbeaux sont donc à leur place sur la tête de ces morts suspendus au gibet. Mais, dit l'alchimie, si on a réussi à obtenir la nigredo, tout le reste de l'ouvre se déroulera bien, c'est pourquoi ces oiseaux et le gibet forment, en quelque sorte, le pivot autour duquel la situation apparemment sans issue du conte tourne : grâce à cette expérience du « noir plus noir que le noir» , ou de mort, le héros acquiert une vision intérieure, une autre vision des choses et, à partir de là, l'histoire reprend son cours. Mais si la vérité aide celui qui l'accepte et en fait humblement son profit, elle aveugle et perd celui qui cherche à la capter et à la manipuler suivant ses désirs égoïstes : chassé par le roi, le cordonnier finira misérablement sous le gibet .. Ces oiseaux symbolisent cette vérité de l'inconscient qui s'accomplit envers et contre tout : le cordonnier n'est pas tué par le pouvoir des hommes, mais par la puissance de la vérité intérieure, de sa propre vérité.
Cela correspond à une réalité psychique .. : lorsque l'on observe les processus inconscients, on constate que les actions fausses n'ont pas besoin d'être punies par les autres hommes, car elles le sont du dedans. Le meurtrier, en fin de compte, se tue lui-même. Or on est souvent choqué par l'injustice de la vie humaine, lorsque le méchant prospère et non le juste, mais la justice intérieure est différente .
Ex. d'une femme ayant empoisonné une rivale ..
Cette loi naturelle est représentée dans le conte par la présence des corbeaux qui allient l'esprit instinctif de vérité à des pouvoirs de guérison. Dans le mythe d'Apollon et de Coronis, dont l'union P.75 donna le jour à Esculape, .. le corbeau fournit aussi des informations utiles. .
La rosée, cette condensation qui semble sortie de nulle part et brille au matin sur les feuilles, l'herbe et les pétales de fleurs comme des perles de cristal, apportant la fraîcheur et l'humidité nécessaires à la vie même en l'absence de pluie, porte la projection de l'idée de Ia grâce divine. .. en Afrique, en Asie, la rosée et la pluie sont la grande bénédiction, car sur elles repose la fertilité de la terre. La toison de Gédéon sur laquelle tomba la rosée céleste . L'alchimie .. conseillait de recueillir la rosée du matin pour servir à l'élaboration de la pierre philosophale, et aussi come remède contre la cécité. Maintenant que, dans notre conte, les pécheurs ont expié leurs crimes, la grâce de Dieu descend à nouveau sur eux ; dans l'au-delà une réconciliation des opposées a eu lieu, aussi cette rosée a-t-elle le pouvoir de guérison.
PsychoIogiquement, cela correspond au retour du sentiment, de l'émotion et du dynamisme vital à ses tout débuts, après l'état de suspension, de stérilité et de mort. La rosée annonce la nouvelle fertilité, la renaissance de la vie naturelle, végétale, c'est-à-dire spontannée, à laquelle l'alchimie a attribué la couleur verte (viriditas). Le moi, immobilisé dans le conflit, a accepté de ne pas pouvoir le résoudre par ses propres lumières et se soumet à des données psychiques objectives, à des indications qui lui donneront un sentiment d'évidence. Ainsi, en particulier en analyse, on se soumettra aux indications des rêves : ni l'analysé ni l'analyste ne sait ce qu'il est mieux de faire, mais qu'en dit-la-psyché objective (celle qui ne dépend pas du savoir et des désirs du moi) ? Produit-elle des matériaux de quelque sorte que ce soit, des signes qui indiquent un chemin ? Seuls restent les phantasmes, les rêves, les circonstances inattendues et significatives, etc. Elles sont la rosée, manifestations vivantes et objectives venues des profondeurs de la psyché et qui, si elles sont méditées et comprises, restaurent la vision : si je saisis les allusions secrètes contenues dans un rêve, mes yeux s'ouvrent, et je redécouvre le sens de la vie à un autre niveau. Seule la direction de l'inconscient peut guider à un tel moment et procurer la rosée fécondante et bienfaisante. C'est pourquoi le tailleur, guéri, est capable de continuer sa route. .en chemin, il épargne quatre animaux : le poulain, la Cigogne, le caneton et les abeilles.
Le cordonnier, jaloux, cherche à perdre le tailleur en suggérant au roi de le soumettre à des épreuves impossibles. Celles-ci sont aussi au nombre de quatre ; symbole de totalité. Dans la plupart des contes de fées il y a trois épreuves, mais il se produit un événement (et non une tâche) qui vient en quatrième. Ic i il y a quatre tâches et pas d'événement final, comme ce serait le cas si le tailleur devenait roi.
Le cheval en frappant le sol du sabot, fait jaillir l'eau du puits. Cheval et source sont des symboles de transformation : le chevaI ramène à la surface l'énergie vitale au moyen d'une libido domestiquée par l'homme, et la source sort du puits de l'inconscient. Ce n'est que lorsque nous pouvons accepter pleinement l'inconscient instinctif P.77 que celui-ci peut produire l'eau de la vie. Ainsi, il peut arriver que l'on désire entreprendre une tâche quelconque, et que l'on ressente pourtant de l'ennui ou de la lassitude à l'idée de se mettre au travail ; mais dès que l'on commence à y investir de l'énergie, celle-ci se met à couler : on a ouvert la source. La paresse incite à attendre passivement l'inspiration et certains l'attendent .. et s'étonnent qu'elle ne soit toujours pas venue ! Il est des cas où il faut faire le premier pas et investir de l'énergie avant d'être payé de retour.
Le canard est un oiseau aquatique qui vole, marche sur la terre ferme, nage et plonge ; il se meut dans trois des quatre éléments. Il est donc un symbole privilégié de la relation avec l'inconscient. .. le roi n'est pas remplacé, mais son pouvoir restauré : la couronne, symbole royal, est aussi une image de totalité : c'est un cercle, souvent en or et en pierreries, cercle qui contient le tout. Cette couronne est perdue, tombée dans Ie Iac, dans l'inconscient. La cane et ses douze petits Ia ramènent à la surface. Parce que le tailleur a supporté la contradiction, la mort symbolique, et a coopéré avec la vie instinctive symbolisée par les animaux, la stagnation cesse et il se restaure une relation saine avec les qualités de l'inconscient, ce qui permet aux processus initaux de reprendre leur cours.
.. thème de la maquette en cire .. Le château, la place forte, symbolise souvent la partie de nous-même que les épreuves ne peuvent atteindre : quelque chose de solide en nous s'est construit, qui résiste aux assauts extérieurs. . Les abeilles comme les termites, ont toujours fasciné l'imagination des hommes par leur organisation sociale. Comme elles n'ont qu'un système nerveux sympathique nous pensons que les abeilles sont tout à fait inconscientes et pourtant l'essaim tout entier fait preuve d'une incroyable coopiration. . elles distinguent les couleurs et savent communiquer les unes avec les autres. . Leur sens de l'orientation est en relation avec la polarisation de la lumière solaire. Cet instinct des abeilles, .. symbolise bien un fonctionnement harmonieux qui n'est pas basé sur une organisation rationnelle.
Plus un système est élaboré et s'éloigne des comportements instinctifs, plus la coopération de ses membres doit être imposée et organisée rationnellement. Si cela est vrai sur le plan collectif, ce l'est aussi pour l'individu. Aussi longtemps que l'on se sent porté par l'enthousiasme et les impulsions nées de l'inconscient, on agit par pur plaisir et l'on n'a pas besoin de se forcer. C'est lorsque nous ne sommes plus en accord avec nos énergies inconscientes que nous avons besoin de rationaliser. Si la vie recommence à couler, la discipline perd de sa raison d'être. L'harmonie instinctive avec ce que l'on a à faire et avec les circonstances est un état idéal, celui où l'archétype soutient l'individu ou le groupe de sorte que ses facultés ou ses membres coopèrent de façon naturelle. L'être humain a toujours connu, perdu et cherché à retrouver cet état. . des communautés unies par un même symbole vivant ; cela formait des organismes sociaux forts et harmonieux . Apulé nous a révélé certains aspects de la vie des communautés d'initiés aux mystères d'Isis et d'Osiris. Il nous montre des exemples de régulation née de l'inconscient et des rêves, au sein de la P.79 catoché. ... la communauté se soumettait donc au fonctionnement archétypique, si bien que le dieu pouvait organiser les choses suivant ses propres lois. .. choses analogues dans le récit des Actes des apôtres, accueillir les rêves et les visions, et se servir de ces indications pour guider leur conduite. Aussi longtemps qu'une communauté fonctionne sur ces bases, il existe une vraie liberté de l'être humain et de la vie cuIturelle au sein du groupe. La construction par les abeilles du château de cire est donc une image, un modèle de la façon vivante dont devrait fonctionner la communauté au sein du royaume.
.. la cigogne, cet échassier qui allie en son plumage le noir et le blanc, et qui, suivant la tradition, apporte les nouveau-nés, .. , amène le jeune prince, le futur remplaçant du roi. .. Le sens mythologique et mystique de la cigogne dans la tradition juive remonte à Jérémie, 8,7 : « Même la cigogne dans les cieux reconnaît sa saison, la tourterelle, l'hirondelle et la grue sont fidèles à leur migration, mais mon peuple ne connaît pas la loi du Seigneur. » Nous pouvons remplacer « mon peuple » par « la race humaine » et dire qu'en s'éloignant rop de ses instincts, elle trahit sa nature et la loi de Dieu.
La cigogne, comme la huppe dans l'Islam et l'oie auvage en Extrême-Orient, représente l'être qui porte en lui-même Ia loi divine dont il ne peut dévier. Le comportement de ces oiseaux donne l'impression qu'ils obéissent à un ordre secret . le fait qu'elles tuent et mangent les serpents, figures du démon, en fit un symbole du Christ, de la fonction transcendante, de cette manifestation de l'inconscient qui tend à amener à la conscience le symbole unifiant, la renaissance et l'enfant intérieur. C'est ce qui est à l'ouvre ici puisque la cigogne amène une forme renouvelée de la dominante du conscient collectif : le nouveau roi. Un changement plus complet .. se prépare dans l'inconscient. P.81

Petit séminaire :
*1 La libido passe dans d'autres secteurs ; le conflit se dépasse.
*2 Si le moi n'est pas conscient il risque de contre carrer la pulsion intérieure. M.L. von Franz donne à l'inconscient la primauté des forces de développement.
*3 Cf. Virginie V.R. : compter sur le Soi. A l'analyste à s'accrocher aux images du Soi produites par les rêves.
*4 Cf. « Peter Pan ou l'enfant triste » . Fils amant de la Grande-Mère.
*5 Le cerf peut aussi être un symbole du Soi.
*6 La couleur verte dans les rêves, symbole de renaissance, montre que le processus d'individuation est un processus de la nature.
*7 Deux temps différent : le lâcher-prise et le passage à l'acte créatif ; là, la volonté peut s'y mettre.
*8 On légifère de plus en plus ; ce qui renforce le Sur-moi et écarte l'individu de la nature. Cf. les abeilles : la coopération est basée sur l'instinctif.
*9 Le nouveau roi est le troisième terme, il permet le passage à un autre niveau de conscience : tenir les opposés en tension et non en opposition.

CHAPITRE III : L'ANIMA ET LE RENOUVELLEMENT

Un autre conte .. reprend le thème des « Deux compagnons de route », celui de la tension entre les opposés éthiques.

FERNAND-LOYAL ET FERNAND-DELOYAL p.83

. l'idée de fond, celle de l'homme loyal qui doit accomplir divers exploits pour le compte du roi et dont l'entreprise est minée en dessous par un personnage déloyal, .
Le principal intérêt de ce conte est qu'illustre notre problème de l'ombre. .
Nous avons vu que le renouvellement ne pouvait venir que du quatrième facteur qui est toujours le Soi (*1), celui-ci étant représenté ici par l'opposition des deux personnages que le roi devrait unir.P.89
.. Ici aussi le roi est incomplet puisqu'il n'a pas de nez et manque par conséquent d'attrait pour la princesse.
Le nez est l'organe de l'odorat ; il sert donc à sentir et il est en relation avec la fonction de l'intuition. On peut dire . a du « flair » . est un « fin nez » qui sent les possibilités futures. On peut également « flairer un piège », quelque chose peut « sentir le soufre », etc. Il existe beaucoup d'expressions se référant à l'odorat, qui sont habituellement liées à la perception intuitive, laquelle dépasse la seule sensation. On peut en conclure que le roi a perdu son intuition naturelle ; il ne sait plus flairer d'instinct ce qu'il est juste de faire : il n'est plus en harmonie avec son propre inconscient. Lorsque cela arrive, nous perdons la capacité de nous conduire et de discerner ce qui ne va pas en nous- mêmes ou en autrui.
La plupart des animaux.ont, en particulier, le chien, un sens olfactif très développé alors que l'homme. Il semble que, pour développer une capacité cérébrale particulière, il faille en sacrifier d'autres ; .. L'homme est moins tributaire qu'autrefois de la vue et de l'odorat pour survivre, et il est possible que ces facultés soient partiellement sacrifiées pour qu'apparaissent de nouvelles fonctions intellectuelles.
Etant donné qu'une capacité perdue à un certain niveau peut, pour ainsi dire, ressurgir à un niveau supérieur, la baisse de la faculté visuelle pourrait s'accentuer au bénéfice d'une fonction psychique, l'intuition, la « vision psychique » remplaçant la perception physique. Le roi, donc, a perdu la faculté naturelle de distinguer le vrai du faux, ce qui s'accorde avec le fait qu'il prête l'oreille aux insinuations destructrices de Fernand-Déloyal ; il a perdu le contact avec la bien-aimée (l'anima), et il est apparemment incapable de la retrouver par lui-même. ..
Dans ce conte, le symbole du Soi est représenté par le pauvre vieillard, et non par le roi. Ce vieil homme que personne ne connaît et qui disparaît après le baptême fait cadeau du cheval blanc à son filleul, . Un ouvrage de J. Bolte et G. Polivka établit des relations entre les contes de Grimm et ceux d'autres pays,. Un des parallèles qu'il mentionne dit que le vieil homme et le cheval ne font qu'un, et un autre indique que le pauvre vieillard n'est autre que Dieu lui-même. .
L'idée que Dieu est une entité psychique qui circule parmi nous et que chacun est susceptible de rencontrer sous une forme humaine ordinaire est contraire à notre conception actuelle de la divinité, mais, dans le folklore, Dieu vit au milieu des êtres humains sous la forme d'un inconnu, comme le vieil homme de la forêt, le voyageur ou le vagabond. Cet archétype se retrouve dans la mythologie la plus ancienne, de même que le lien entre la figure divine humaine et le cheval blanc. P.91 cf.Wotan (*2)
On voit que le vieil homme de ce conte présente des rapports évidents avec une figure païenne et plus ancienne de Dieu, image qui ressurgit des profondeurs pour compenser et compléter la conception chrétienne de la divinité. ..cf. saint Pierre.
Dans une religion devenue trop spirituelle, le contact humain avec le dieu suprême commençait à s'estomper, c'est pourquoi les phantasmes des gens de condition modeste tendaient à remédier à cet éloignement et à retrouver un lien direct avec Dieu au moyen de pareils thèmes. Pierre y apparaît donc comme un garçon naïf, humain dans tous les sens du terme. Il est une sorte de double du personnage divin, mais il est doté en plus de qualités que nous n'oserions pas attribuer à Dieu. . Pierre présente les qualités d'une incarnation plus primitive qui font défaut au Christ. Cependant le Christ le choisit parmi ses apôtres pour être la pierre de fondement de son Eglise et lui donna les clefs symboliques qui ont le pouvoir d'ouvrir ou de fermer les portes des cieux.
. Pierre a plusieurs des qualités du dieu romain Janus. Celui-ci était aussi le gardien de la porte et le détenteur des clefs. Pierre a hérité de cette figure archétypique la faculté de voir le passé et l'avenir, et d'ouvrir ou de fermer les portes de l'au-delà. Quant au sens de son sur- nom, le Christ lui-même le souligne clairement lorsqu'il change Simon en Pierre pour faire de lui la « pierre d'angle » de son Eglise. On connaît le sens symbolique de la pierre,.. dans la mythologie ainsi que dans l'alchimie : pierre philosophale, pierre divine, pierre des transmutations, pierre vivante, ses noms sont innombrables. P.93.
Si le vieil homme apparaît sur terre pour préparer la venue d'un nouveau roi, c'est que la mentalité du moment demande à être ressourcée en retrouvant certaines qualités de la figure divine primitive. La figure ancienne de Dieu présente des caractères archaïques : comme la nature, ce dieu est capable de réactions impulsives et imprévisibles ; il est irascible, omme l'est Yahvé dans l' Ancien Testament, avant sa conversion dans le Nouveau ; il entre en contact direct avec les êtres humains ; il est plus proche de l'imperfection humaine que ne l'est la divinité chrétienne et, de ce fait, il est plus accessihle à notre sentiment, dans la mesure où nous prenons conscience de notre propreimperfection. C'est une image divine de cet ordre, imparfaite et archaïque, qui, dans ce conte, détient le pouvoir secret ouvrant les portes de l'aventure intérieure et formant le héros pour qu'il devienne le futur roi. .. le mendiant représente ce que Jung appelle la fonction transcendante. C'est elle qui intervient ici dans le destin du héros.
Fernand-Déloyal, lui, représente les tendances conservatrices et agressives qui résistent au progrès et tentent de faire avorter le renouvellement de la conscience. Mais l'élément décisif n'est pas la lutte entre les deux Fernand. Le combat direct avec 1'ombre correspondrait à une vision plus primitive que celle de ce conte. Ce ne sont pas non plus le vieillard et le cheval blanc qui décident du dénouement, car le premier disparait et le second doit être délivré : leur rôle est de mettre le jeune homme en contact avec son anima. La figure qui fait tourner la situation et décide du nouveau roi est le cinquième élément, à savoir la princesse (*3) qui suit son sentiment en refusant d' épouser le vieux roi sans nez et lui préfère le jeune héros, Fernand-Loyal. C'est elle qui fait basculer la situation, elle est le centre de l'histoire.
La première condition est que le jeune garçon ait atteint quatorze ans, .. C'est l'âge magique du jeune dieu, qui devrait durer toujours. Cette attente (*4) est analogue à celle que l'on peut observer dans les processus psychiques. Il arrive de voir, dans une série de rêves, qu'une transformation se prépare dans un individu et qu'il se passe un long laps de temps avant que ce changement se précise ; l'on ne peut qu'attendre et observer ce qui va monter dans l'inconscient. Les processus intérieurs ont leurs propres délais, leurs propres rythmes et ne peuvent être hâtés. il faut savoir attendre que le temps (*5) soit complet et mûr, que le changement intérieur ou extérieur s'accomplisse naturellement, et ne pas le manquer.
Le château (*6) est un symbole féminin impersonnel et maternel qui peut aussi figurer l'anima. .. p.95
Selon qu'il est une simple fuite paresseuse et lâche devant les difficultés de l'existence, ou la solidité intérieure qui permet de se développer même en milieu contraire, le château est un symbole négatif ou positif.
C'est ce second sens qu'il revêt ici. En effet, c'est à l'intérieur du château que mûrissent le nouveau roi(*7) et la nouvelle image de Dieu. Le héros est celui qui apporte la lumière nouvelle. Un poème allemand,.. décrit le Christ chevauchant, tel un héros solaire, un cheval blanc : il incaïnait en effet l'élan instinctuel qui tend vers une transformation de la conscience ; il était le Sauveur, le porteur de lumière, le nouveau soleil. Ici, le cheval est doté de parole et il se révèlera être un prince : la libido porteuse de la lumière nouvelle atteindra elle-même le niveau humain, elle sera rendue consciente et s'intègrera à la vie.
L'accent est mis sur la transmission de la connaissance. L'anima détient des documents anciens qui doivent contenir une science et une sagesse toujours valables, puisqu'elle attache la plus haute importance au fait qu'ils soient extraits de l'oubli, de l'inconscient. Et il semble que le prince doive à son tour écrire un jour sa propre expérience pour qu'elle soit transmise. Cela peut avoir affaire avec la fluidité et le caractère fugitif, mercuriel, des contenus psychiques : nous savons combien une inspiration ou un rêve peuvent être fuyants et combien il est important de les fixer aussitôt, de les écrire. ..on peut penser que l'un des contenus anciens qui s'est trouvé perdu par suite du refoulement de l'anima dans « l'autre monde » est l'inspiration poétique. Il est évident que la qualité créatrice de l'anima a disparu en même temps que cette figure. Si la princesse-anima est ramenée à la conscience, c'est toute la tradition légendaire et poétique, l'inspiration créatrice qui ressurgira avec elle.
Ces étranges textes perdus font très probablement allusion à un savoir plus ou moins secret, car l' anima les détient dans un pays lointain, dans l'inconscient. . ces documents sont peut-être aussi en relation avec une tradition de sorcellerie, car cette princesse est magicienne,
.Tout cela caractérise la Grande Mère qui généralement, comme Isis, est magicienne. Elle est la libido, le courant psychique qui rythme et dirige l' évolution de l'humanité selon ses propres lois. L'anima, est souvent associée aux savoirs secrets parce que, en tant que figure compensatrice du conscient, elle est la dépositaire de ce qui a été refoulé ou négligé, de ce qui n'a pas retenu l'attention et qui demande cependant à être maintenu en vie et pris en considération. De tels textes et recettes magiques sont encore vivants de nos jours..
Mais la connaissance traditionnelle n'a de sens que si elle est vécue. Si les vérités intérieures, archétypiques, sont éternelles, leur incarnatjon dans le temps varie et s'adapte aux nécessités psychiques de l'époque. C'est pourquoi elles doivent être périodiquement formulées en termes nouveaux. On comprend dès lors que le prince ne soit pas seulement invité à retrouver les manuscrits de la princesse, mais qu'il lui soit donné la plume d'oie, l'instrument qui lui permettra de consigner à son tour ce que son inspiration lui dictera..Un conte, comme un rêve, ne présente pas de détails inutiles et l'on peut penser logiquement que si l'on donne au prince l'ordre de ramasser cette plume, puis de la faire ressortir de la mer, c'est qu'elle lui sera ufile plus tard -
Il s'agit toujours, pour l'homme, de ramener à la surface les documents secrets de l'anima et, pour la femme, le savoir de l'animus. Les hommes rêvent fréquemment de leur anima comme d'une femme très savante qui possède de nombreux livres. S'ils développent ce thème en imagination active, il arrive qu'une sorte d'enseignement spirituel leur soit délivré par cette anima. Cet enseignement prendra généralement un style grandiloquent . ce style emphatique choque nos esprits modernes épris de sobriété, de scepticisme et de logique, rappelons-nous que l'inconscient ne fait que s'exprimer sous la forme archaïque, épique et poétique qui fut celle des mythes ..
Lorsque la figure du sage ou du grand homme-médecine apparaît chez une femme, il a tendance à adopter un mode d'expression analogue.
Il faut donc un certain courage pour passer outre à nos résistances conscientes et laisser s' exprimer l'anima (ou l'animus) dans son propre style. Cette objectivité permet seule de découvrir ce vers quoi tend cette figure de l'inconscient et d'entendre son message.
. détail de la plume d'oie .. le héros joue pour la première fois un rôle actif dans le déroulement de son aventure. Le cheval blanc lui dit clairement qu'il ne peut pas l'aider en cette circonstance. L'élan vital à lui seul ne suffit plus. Le jeune homme pourrait fort bien laisser les choses comme elles sont : la plume est « tombée à l'eau » et le cheval s'en désintéresse. C'est donc par un choix personnel, actif (ce que souligne l'aspect phallique du pipeau), qu'il décide de rentrer en possession de la plume. Ce passage fait allusion a un conflit que l'on observe fréquemmen t, chez les personnes chez qui se manifestent des poussées créatrices, entre ces idées ou imaginations nouvelles et les forces d'inertie que sont la paresse, l'habitude, le confort de s'en tenir à la tradition et aux valeurs déjà existantes. .. Un travail créateur est toujours une « minute de vérité » qui nous met en face de nous- mêmes, c'est une épreuve où nous pouvons soit réussir, soit échouer, ce qui effraye. Et cet acte individuel par excellence nous fait sortir en quelque sorte de la collectivité, ce que notre instinct grégaire accepte mal.
Celui qui assume son destin personnel ~ acte qui est déjà, en soi, une création ~ doit affronter la peur de ne plus se sentir tout à fait comme les autres et le risque d'être repoussé par son groupe ou sa tribu. C'est pourquoi c'est une tâche de héros.
Fernand-Loyal ne lutte pas et ne se défend pas contre Fernand-Déloyal ; le conflit avec 1'ombre n'entraîne pas de combat proprement dit, et la solution résultera d'un facteur inattendu. .. Lorsque la personnalité consciente prend 1'ombre au sérieux, sans tricher ni user d'expédients ou de détours, mais avec l'esprit ouvert a ce qui monte de l'inconscient, on observe qu'après un laps de temps plus ou moins long le conflit arrive soudain à son terme et se résout de lui- même de façon imprévue. Si, au contraire, le moi prend une décision prématurée ou se dresse contre l'ombre en une attitude morale rigide et unilatérale, le conflit devient aigu, épuisant, et la situation n'évolue pas. C'est là un des problèmes majeurs de notre civilisation.
Dans la plupart des civilisations demeurées proches de la nature, l'individu n'est pas acculé à entrer dangereusement en conflit ouvert avec 1'ombre ; il a une attitude plus instinctive vis-à-vis d'elle : il est capable de passer, sans même y penser, d'une attitude à une autre, de s'adapter aux circonstances sans essayer de leur imposer ses catégories. Son attitude est plus proche de celle de l'enfant ou de l'amimal, c'est pourquoi, si souvent, dans les rêves, l'enfant ou l'animal apparaît comme guide. Dans une culture rurale, les catégories seront plutôt établies en termes de « bénéfique » ou « dangereux » que de « bien » ou de « mal », ce qui fait que l'on essayera de se rendre propices les forces ou les esprits mauvais au lieu de les combattre. C'est là une attitude psychologique beaucoup plus juste et plus adaptée à la force du mal, qui est hors de proportion avec l'individu humain. L 'être humain qui entre en conflit ouvert avec 1'ombre déclare la guerre à l'une des qualités divines et ne fait évidemment pas le poids. Habituellement, le conflit avec 1'ombre n'atteint pas un stade aussi aigu .. On s'efforce, par exemple, d'être droit et bon tout en commettant toutes sortes de petites malhonnêtetés et de méchancetés dont on ne se rend pas compte, ou pour lesquelles on a une excuse toute prête : « C'est la faute d'un-tel », « Tout le monde en fait autant », « Je ne peux pas me laisser gruger : si les autres sont malhonnêtes, pourquoi serais-je seul honnête ?», etc.
Il serait imprudent de critiquer trop sévèrement cet état de fait, car c'est le seul moyen qu'ont la plupart des gens de diminuer une tension excessive entre les contraires et d'échapper à un trop lourd sentiment de culpabilité ; cette attitude compense l'opposition extrême entre le bien et le mal à laquelle la culture judéo-chrétienne nous a habitués. Chacun de nous étant doté de fortes pulsions instinctuelles et de tendances destructrices, refuser 1'ombre risque d'emprisonner la vie dans un conflit insoluble. Mieux vaut négocier avec l'ombre que d'engager contre elIe un combat sans issue, car l'ombre, si elle est intégrée, est porteuse de forces nouvelles. Si l'on ne va pas trop loin dans le sens de l'indulgence ou de la sévérité, on trouvera une attitude intermédiaire viable, une « voie du milieu », faite de clairvoyance tolérante. Pour des personnes plus sensibles sur le plan éthique, qui se sentent appelées à une conscience plus profonde, ont un idéal religieux élevé ou sont sujettes aux scrupules, la chose se fait plus délicate. Tant qu'elles ne connaissent rien à la psychologie ou ne recherchent pas une ascèse inhumaine, le problème se résoudra souvent de façon naturelle. Mais un certain nombre de personnes ne sont plus capables d'avancer dans la vie de la façon souple que nous évoquions plus haut, car en elles les notions de bien et de mal se sont durcies et se livrent une lutte sans merci. Elles se trouvent paralysées dans leurs actions et incapables de décision parce qu'elles se heurtent au problème insoluble consistant en ce que toute situation comporte un « Oui » et un « Non », une part de bien et une part de mal, et que toute décision et tout acte ont leurs inconvénients. La mair gauche ne cesse, en ce cas, de nous jouer des tours ; elle nous place dans des situations inextricables pour compenser notre vue trop unilatéralement parfaite et rationnelle, et le cours de la vie est entravé. .
C'est à chacun de trouver une solution personnelle et de savoir dans quelle mesure il peut et doit partager et travailler à soulager le poids de la souffrance humaine. Seul le Soi sait trouver l'équilibre et la mesure juste. Toute action, fût-elle apparemment des plus désintéressées et des plus utiles, si elle n'est pas inspirée par le Soi, n'aboutit qu'à un résultat négatif.
Les personnes qui n'ont pas assez de sructures morales risquent de tomber dans le laisser- aller, l'ennui et le dégoût de la vie, car il n'y a pas en elles assez de tension dynamique entre les opposés et le conscient se laisse porter passivement. Par contre, les personnes qui s' efforcent de respecter un code moral établi et de se comporter en conséquence courent le risque de trahir leurs instincts et de se couper de leurs racines, et leur vie, n'étant plus irriguée, devient stérile. ..
..conflit avec l'ombre auquel il n'existe pas de solution toute faite ; l'individu est obligé de le vivre jusqu'au bout. Si l'on n'est pas capable de glisser d'une attitude à l'autre, de composer un peu, le conflit fondamental reste insoluble tandis que la négation du conflit amène une régression et un abaissement de conscience.
Dans notre conte, c'est la figure de l'anima qui retourne l'ensemble de la situation;.. la solution vient donc de l'inconscient. C'est exactement ainsi que les choses se passent chez un individu ; il faut supporter le conflit jusqu'à ce que surgisse le troisième terme, l'attitude ou l'événement inattendu qui retourne la situation ou la place sur un autre plan : le conflit est dépassé plutôt que résolu. On doit suspendre sa décision, subir la crucifixion et renoncer à la moindre démarche du moi dans l'une ou l'autre direction. Cela peut durer des semaines ou des mois, au cours desquels il n'appartient pas au moi de trancher la tension entre les opposés. La solution créatrice ne peut apparaître que si on renonce aux désirs et aux partis-pris égotiques et que l'on se soumette sans réserve aux forces inconnues qui habitent notre âme, comme s'il n'y avait pas d'espoir. . « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? »
Si Fernand-Loyal avait essayé de résoudre seul le problème ou s'il avait discuté avec l'anima de ce qu'il convenait de faire du vieux roi, rien ne se serait passé. .
..perdre la tête .. c'est ce que fait l'anima lorsqu'elle veut perdre un homme, non pas physiquement, mais au sens psychologique : c'est la possession par l'anima, danger auquel succombe celui qui est incapable de supporter la tension entre les opposés.
Mais il est un autre piège subtil dans lequel risque de tomber celui qui sait que la solution viendra de l'anima ou de toute autre figure de l'inconscient, car, s'il anticipe intellectuellement la solution, il n'accepte pas à fond le fait que le conflit doive être entièrement assumé, vécu et souffert jusqu'au bout.
Cf. disciples de Lao Tseu.
. lorsque les personnes en analyse ont certaines notions de psychologie : l'ombre s'en empare, le moi se met à mésuser de son savoir et les choses deviennent pires qu'avant. Si le moi spécule et complote à propos du facteur de salut, tout est perdu. Le moi, la personnalité consciente, doit sans cesse veiller à rester à l'intérieur de ses limites (*8) et à prendre un conflit éthique au sérieux, comme s'il n'y avait pas d'espoir de solution. Si nous n'agissons pas ainsi, nous anticipons et empêchons la psyché autonome et créatrice, le tertium non datum, de se manifester. Cette attitude est difficile à atteindre, mais les contes de fées l'indiquent comme étant la seule qui permette de sortir d'un conflit avec l'ombre sans endommager l'un ou l'autre des opposés ni le flot de la vie. P.106

Petit séminaire du 16-09-98
*1 Donc trouver un symbole de quaternité dans les rêves, c. à d. un fondement pour que la libido ancienne se transforme.
*2 Wotan complète l'image du christianisme car il est aussi porteur d'ombre. Ne pas reconnaître l'ombre c'est lui donner une force décuplée.
Danger de croire que le Christ a fait pour nous la confrontation avec l'ombre.. avec le diable.
*3 Quand un homme va mal, qu'il y a une dissociation du moi et que les rêves sont lourds, il faut observer les figures du féminin. L'anima étant la couleur de son inconscient si elle est positive elle modifie.. Chez la femme ce ne sera forcément l'animus mais des images du Soi, de la nature.
*4 Aider l'analysant à attendre. Si on est sûr du processus on fait passer quelque chose de cette certitude.
*5 C'est la fonction sentiment qui donne la valeur du moment = Kairos.
*6 Mieux vaut une figure féminine pour l'anima car vivante.
*7 Château noir quand le soi est relié à l'ombre ; dégager le soi de l'ombre et lui donner une place constructive.
*8 Position éthique du moi = être à sa place

CHAPITRE IV : LE RENONCEMENT DU MOI

Le Fidèle Jean
. le fidèle Jean représente la fonction transcendante (*1) qui agit de façon juste au sein de la psyché, même si le conscient (le roi) ne comprend pas ses intentions et, de ce fait, n'y voit qu'irrationnel et obscurité. . Il permet à la nouvelle conscience encore immature de se fortifier et de se stabiliser afin de pouvoir régner de façon heureuse.
Ce récit représente une étape du développement de la conscience où les choses évoluent normalement et sans grands heurts : le vieux roi n'a pas besoin d'être déposé, chassé ou tué ; quand son temps est accompli, il le sait et accepte en paix de mourir de mort naturelle, et son seul souci est d' assurer une succession heureuse et l'avenir du royaume. . Un tel roi mérite un serviteur si fidèle : il a entretenu toute sa vie une relation vivante avec le Soi, la fonction transcendante. C'est à cette image du Soi qu'il confie l'éducation de son fils encore immature. l'image paternelle continue à vivre dans la psyché du jeune homme où elle joue le rôle de référence de loyauté et de spontanéité juste.
L'image paternelle positive assume donc ici - tant que le fils n'est pas totalement adulte - le rôle du Soi.
Lorsque le tailleur ou Fernand-Loyal auront intégré, à force d'épreuves, un peu de leur ombre, les personnages négatifs devront être chassés ou tués : ils sont trop mauvais, trop dissociés du conscient pour pouvoir être pleinement assimilés et transmués.
Ici, l'ombre n'est pas aussi nettement séparée et n'a pas de vie autonome : elle apparaît dans les caractères mêmes du roi et de la reine et dans les épreuves auxquelles ils sont soumis, l'épreuve finale étant le sacrifice de ce qu'ils ont de plus cher pour permettre au fidèle Jean, au Soi, de renaître en eux.
L'ombre apparaît déjà dans l'impatiente curiosité et l'autorité coléreuse du jeune roi qui veut forcer la porte de la chambre interdite et oblige le fidèle Jean à l'ouvrir à son corps défendant. C'est là le défaut d'une jeunesse bouillante et fière. Mais plus tard, cette impatience apparemment excusable se révèlera des plus dangereuses. La jalousie l'aveuglera au point de condamner à mort son plus fidèle serviteur et son meilleur ami, un tel changement radical d'attitude est le signe d'une personnalité dissociée dont 1'ombre n'est pas intégrée.
Mais le poison brûlant de 1'ombre et du mal est présent aussi dans le cheval roux, image de l'impétuosité indisciplinée du jeune roi, et dans la chemise nuptiale qui n'a que l'apparence de l'or et de l'argent : prétendre accomplir la conjonction des opposés - de , l'or mâle et de l'argent femelle - avant d'avoir intégré une part d'ombre est encore un signe de hâte et d' arrogance juvéniles.
Enfin la princesse-anima elle-même, si difficile à atteindre et dominée par sa passion pour l'or ... a dans son sein trois gouttes de poison qu'il est vital de lui retirer..
Nous ne sommes donc pas ici en présence d'un héros clair, solaire, et de son ombre, mais d'un conscient possédé par une anima négative qui s'oppose au Soi. C'est pourquoi, à la fin, l'arrogance impétueuse du moi devra être sactifiée au Soi sous la forme de ce que le moi a de plus cher au monde, son activité créatrice (ses enfants).
Et cela même ne suffit pas : il faut que l'acceptation soit entière et sans réserves, qu'elle atteigne le niveau de l'émotion et du sentiment incarnés par la reine.
.. Jean .. entend le langage des corbeaux, messagers de l'au-delà, qu'il a probablement attirés, en jouant de la musique, c'est-à-dire en laissant s'exprimer son sentiment et sa fantaisie.
L'anima est ici la princesse du Toit d'or qui se laisse fasciner par tout ce qui est en or. On sait que ce métal inaltérable. est un symbole solaire et que, parallèlement à la pierre philosophale, il est en alchimie, une image de la réalisation intérieure.
La princesse - l'anima du jeune roi - est séduite par ce symbole de totalité ; celui-ci n'a pas encore été rendu conscient, c'est pourquoi il exerce une fascination sur elle et possède son esprit : le toit. Cependant, c'est grâce à cette fascination qu'elle sera enlevée par le prince et sauvée du poison.
Au début du conte, il semble qu'elle soit possédée par la magie noire, car tomber amoureux d'elle entraîne de grands dangers : le cheval roux et la chemise nuptiale sont les épreuves mortelles que doit traverser l'homme qui désire l'obtenir. Visiblement, le vieux roi n'avait pas pu la conquérir et avait dû se contenter d'enfermer son image au fond de lui-même - dans la chambre secrète de son âme - et il ne croit pas son fils capable de réussir l'aventure que lui-même n'a probablement pas osé entreprendre. C'est pourquoi il lui faut mourir et laisser la tâche à son fils et au fidèle Jean.
Le thème de la belle jeune fille qui est une fée-sorcière, emprisonnant ou tuant ceux qu'elle séduit, revient sans cesse dans les légendes orientales. Dans les pays du Nord, le caractère néfaste de la princesse vient généralement de ce qu'elle est la fille-amante d'un démon - image archaïque de la divinité - dont le héros doit la libérer, .
Dans tous les cas, elle tue ou ensorcelle ses prétendants, ou leur impose des épreuves mortelles. On reconnaît là le rôle ambigu de l'anima dont les exigences apparement négatives obligent le héros à se surpasser et à s'accomplir pour l'amour d'elle.
Par ses charmes, ses séductions et ses ruses, l'anima amène l'homme à entrer en relation avec les couches les plus profondes de lui-même. En prêtant attention aux phantasmes et aux humeurs qui l'assaillent, de sorte qu'ils puissent s'exprimer et devenir conscients, l'homme établira le contact avec son inconscient et avec les archétypes de l'inconscient collectif, ces dynamismes puissants qui vivent au fond de nous.
Lorsqu'un homme est saisi par une humeur ou une émotion, qu'elle soit positive ou négative, il est bon qu'il s'interroge : « Pourquoi telle ou telle chose me met-elle dans cet état ? Par quoi suis-je touché ou fasciné ? » Ces questions l'aideront à découvrir la réalité psychique qui se cache derrière ces mouvements d'émotion et il découvrira souvent que son anima est captive d'un « démon » qu'il faut exorciser.
En langage psychologique, nous dirons que son anima est contaminée par des pulsions qui, faute d'être rendues conscientes, s'en prennent à son côté affectif, émotionnel, et provoquent en lui de telles humeurs (*2): il devra traverser le pont formé par ses émotions pour découvrir de quelles forces démoniaques il s'agit. P.119
Ces émotions dissimulent souvent, en effet, des contenus qui sont en relation avec des idées religieuses, des valeurs spirituelles ou des divinités qui, retombées dans l'inconscient et donc dans le domaine de l'anima, ont régressé au niveau démoniaque. C'est pourquoi exorciser l'anima implique, le plus souvent, une discussion et une remise à jour de problèmes d'ordre spirituel.
En raison de sa moins grande rigidité, nourrissant moins de préjugés que ne le fait la conscience masculine, l'anima, en vraie femme, capte ce qui est dans l'air du temps et saisit intuitivement les besoins d'une époque nouvelle ; activée par ces contenus, elle les ramène avec elle au conscient.
.le monde n'est pas changé du fait que les idées se transforment ..
.les femmes. savent intuitivement que changer d'idées dépend uniquement de la façon dont on regarde les choses.
Si pour l'homme l'ébranlement émotif se situe au niveau des idées, les femmes, pour leur part, réagissent fortement aux changements dans la vie sociale et affective, car c'est là que leur monde s'enracine ; des bouleversements dans ce domaine risquent de leur donner à leur tour des envies de se détruire.
Hommes et femmes devraient savoir qu'il en est ainsi, car cette connaissance est indispensable à une compréhension mutuelle et évite de se blesser réciproquement sans le savoir.
Les femmes peuvent jouer avec les idées, parce que la pensée, l'idée, n'est pas pour elles une question de vie ou de mort. II en résulte que la femme a un effet positif et créateur sur l'homme ; elle pourra inspirer et féconder son esprit par la légèreté et la souplesse mêmes avec lesquelles elle accepte les idées nouvelles et les présente à l'homme. La femme ou l'anima sera alors l'inspiratrice, et l'homme aura à fournir le travail qui concrétise et donne forme à l'inspiration. Cette relation est inverse et complémentaire du rapport biologique entre l'homme et la femme, où c'est lui qui féconde, tandis qu'elle forme l'enfant et le met au monde. De même que la femme est souvent l'inspiratrice de l'homme dans la réalité extérieure, l'anima l'est à l'intérieur : elle fait monter en lui les idées en germe, lui fait capter les nouveaux contenus qui flottent dans l'air du temps avant qu'il ne s'en empare pour les élaborer. Ce qui est gênant dans l'affaire et rend souvent l'anima irritante, est qu'elle a tendance à présenter ces idées-germes, ces intuitions créatrices, sous une forme inadaptée et indigeste. . style archaïque et emphatique dans lequel elle s'exprime. p. 121
L'anima à l'état brut énonce ce qu'elle a à dire sous une forme carrément insupportable, mélange inextricable d'émotions et d'idées crues qui ne permet pas de distinguer ce qui est vrai de ce qui est faux : on ne peut ni l'accepter ni le rejeter, puisque cette mixture renferme un parfait non-sens, tout en contenant un noyau de vérité profonde. On trouve des matériaux similaires chez les personnes schizophrènes qui ne sont pas totalement dissociées. Elles écrivent des textes inspirés ; mais lorsqu'on regarde ceux-ci de plus près, on s'aperçoit que les données sont erronées, les matériaux mal présentés et mal ordonnés, et que l'argumentation est truffée de contre-vérités.
On est confronté là avec les expectorations typiques d'une anima pleine de venin. Ce fatras renferme néanmoins quelque chose de valable et de nature à inspirer.
Un homme responsable, épris de vérité, détestera naturellement ce genre de matériaux que lui présente l'anima, et pourtant, à moins de rendre stérile son propre développement, il lui faudra les prendre en considération.
La question est donc de savoir conserver assez d'esprit critique pour exorciser l'anima, afin d'entrer dans une relation de sentiment avec l'inconscient.
Les idées nouvelles se cachent souvent au sein d'une matière première fruste, dans un mélange d'or et de boue que l'homme doit tamiser pour en extraire ce qui est précieux.
Un des effets du poison de l'anima est d'induire l'homme à penser qu'il est le grand révélateur d'une vérité neuve, ou, au contraire, de lui ôter toute confiance en lui. Elle a quelque ressemblance avec le menteur hystérique qui exagère et déforme les choses.
La façon la plus simple de découvrir dans quel domaine un homme habituellement posé subit l'influence de son anima est d'observer à partir de quel moment il se met à exagérer, à être injuste, ou à faire des discours remplis d'émotion sur la politique ou la philo sophic de la vie. C'est là que l'anima s'empare de lui avec ses leurres, ses déformations et ses exposés redondants.
L'époque moderne nous a habitués à de telles expectorations de l'anima la plus primitive - résultat de pulsions anales plutôt que d'émotions - auxquelles on donne indument le nom d'art. Il semble que l'on confonde trop facilement la traduction brute d'états inférieurs souvent chaotiques (qui peut être valable au niveau individuel en tant que soupape et élément d'une imagination active) avec de l'art.
Nous savons, hélas, que la libération débridée des instincts et des refoulements . reste inopérante tant que les éléments ainsi libérés ne sont pas intégrés par l'individu.
De la même manière, la spontanéité gestuelle ne suffit pas, à elle seule, à créer une oeuvre d'art. La création demande l'union du masculin et du féminin, du conscient et de l'inspiration issue de l'inconscient. p.123

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*1 Quand les gens commence à rêver c'est la fonction transcendante qui est à l'ouvre et s'anime mettant en relation conscient et inconscient.
L'activité du Soi, la mécanique, qui amène au conscient est la fonction transcendante.
Toujours regarder les premières images du féminin dans les rêves d'homme car derrière se cache le Soi. De même chez la femme, le Soi est absorbé dans l'animus négatif.
*2 Les changements radicaux d'humeur et d'attitude signent qu'il y a de l'ombre non intégrée.

CHAPITRE V : LE VOYAGE AU DELA DES MERS

Le fidèle Jean est une personnification de cette partie de l'inconscient qui tend à construire une nouvelle position consciente unissant les opposés, que Jung a nommée la « fonction transcendante ». Il présente également une analogie avec l'idée alchimique du Mercure, décrit comme un esprit créateur existant au sein de la nature ou, comme nous le dirions à présent, dans les profondeurs de l'inconscient.
Une confiance totale vis-à-vis du fidèle Jean, sans poser de questions quant aux raisons de son action, sans intervention du moi, est donc exigée du roi. Cette confiance est tout à fait semblable à celle que.. Khider réclama de Moïse. P.125 (*1)
Les corbeaux, . conversent entre eux sans s'adresser directement au fidèle Jean : on pourrait croire qu'ils sont indifférents au salut du roi. Ils se contentent d'énoncer la vérité, comme le font les rêves.
. il serait anthropomorphique d'attribuer à l'inconscient une bienveillance charitable, du moins telle que nous l'entendons sur le plan humain ; l'inconscient énonce ce qu'il a à dire. Et c'est au conscient de décider s'il en tiendra compte et d'accepter les conséquences de son choix.
Il est fréquent dans les contes que non seulement l'expédition en terre inconnue - dans une zone profonde de l'inconscient - soit jalonnée d'épreuves, mais que ce soit aussi le cas sur le chemin de retour au pays d'origine, les dernières difficultés étant généralement de caractère un peu différent des premières.
La plupart .prennent la traversée de la mer et les pérégrinations du héros vers une terre inconnue comme l'image d'une descente du moi conscient dans l'inconscient. C'est à la fois vrai et faux : .puisque, d'une certaine façon, toutes les figures d'un conte évoluent, depuis le début, dans l'inconscient : tous sont des personnifications de forces et de processus inconscients.(*2) En effet du point de vue conscient, le vieux roi, le prince, le fidèle Jean et la princesse sont tous dans l'inconscient. .nous entendons ici par « conscient » ce qui est généralement admis par une communauté donnée, à une certaine époque ; c'est l'esprit du temps ou conscient collectif, . p127
.nous nous efforçons toujours de définir notre situation du point de vue conscient, sans nous rendre compte que, ce faisant, nous demeurons à l'intérieur d'un même cercle et n'apportons rien de nouveau. . si nous nous penchons sur des rêves individuels, il nous est donné une image très différente, car nous voyons alors les choses telles qu'elles se reflètent dans l'inconscient.
On pourrait dire que ces productions sont, en quelque sorte, des photographies, prises par l'inconscient, qui nous montrent comment celui-ci voit la situation consciente et l'évalue. .. Il me montre par là que, là où je crois suivre mon intérêt et agir raisonnablement, je ne sais pas discerner les vraies valeurs et me fourvoie, ou, à l'inverse, que, malgré mes limites et mes faiblesses, il y a, quelque part en moi, un héros qui a une chance de sauver la situation si je le laisse agir.
Le premier « cliché » que nous présentent nombre de contes est celui d'un roi âgé, malade ou mourant. C'est l'équivalent des articles de journaux qui dénoncent les malaises de notre civilisation . Ce sont là des ymptômes de vieillissement des valeurs collectives dont le règne s'affaiblit et qui demandent à être remplacées, renouvelées, sans que l'on sache encore comment.
C' est une conjoncture de cet ordre que décrit le début de notre conte : le vieux roi est mourant ; le jeune prince, son successeur, est encore immature et - ce qui est probablement à la base de cette crise - l'anima (*3) est réduite à l'état d'image sans vie ; . elle est privée du mouvement et de la profondeur que seule la vie peut donner ; la réalité psychique qu'elle représente n'a plus la possibilité d'agir et d'évoluer .
C'est pourquoi elle a du fuir dans un lointain royaume et, pour la retrouver, il faut se rendre « au-delà des mers ». Il faut plonger en soi-même jusqu'au niveau des images, des phantasmes et des émotions, jusqu'au « monde de l'anima » qui est séparé du conscient par une vaste zone inconnue.
Il ne suffit pas de vaincre les obstacles qui séparent le moi conscient de l'anima et de la rejoindre dans son monde, mais qu'il faut savoir en revenir en la ramenant avec soi, ce qui est bien plus difficile.
C'est toute la différence qu'il y a entre se laisser aller à des liaisons faciles ou se bercer de phantasmes érotiques, et rendre son anima consciente, la vivre dans une relation concrète et vraie. Rien ne sert d'avoir rencontré l'anima sur le plan symbolique si l'on ne parvient pas à la ramener dans la vie personnelle. (*4) Les difficultés de cette phase décisive sont révélées par les corbeaux ..
Dans la première phase d'une ana1yse, un homme voit souvent surgir dans ses rêves un monde qui lui est totalement étranger : celui où évoluent les figures d'ombre et d'anima. En prêtant attention à l'univers de ses rêves, de ses phantasmes et de ses humeurs, il s'est rendu, .. dans le royaume où ces figures mènent leur existence propre. C'est là-dessus que va se focaliser tout d'abord le travail sur l'inconscient : on observera comment celui-ci représente et évalue l'état psychique du sujet et l'on cherchera à découvrir et à comprendre ces processus naturels à l'oeuvre dans ses profondeurs. On aidera le sujet à entrer en relation avec les figures d'ombre et d'anima qui vivent là une existence plus ou moins autonome, de façon à ce que, peu à peu, un pont s'établisse par-dessus la faille séparant le conscient de l'inconscient. p.129
. les matériaux fournis par l'inconscient : rêves, phantasmes, souvenirs et associations d'idées, émotions et humeurs, faits « irrationnels », parfois dessins ou écrits spontanés, bref, .. tout ce qui demande à monter à la surface de l'être.
Les aspects extérieurs de la vie, tels que la timidité, l'impuissance, les difficultés de contact, les problèmes conjugaux ou professionnels, etc., seront examinés à la lumière des matériaux fournis par l'inconscient, et non d'un point de vue conscient et rationnel.
Dans le langage de la symbolique alchimique, c'est la phase durant laquelle les éléments nécessaires au processus de transmutation sont isolés et enfermés dans la cornue hermétiquement close, à l'exclusion des autres.
De même, sur le plan psychologique, il s'agit d'une situation exceptionnelle créée de toutes pièces, où les événements extérieurs sont observés dans leur reflet à l'intérieur de l'individu. C'est l'équivalent du vase alchimique et aussi du voyage mythique dans l'au-delà.
Après un certain temps, vient la difficulté de l'ouverture du vase ou du retour, celle que l'on rencontre à se tourner de nouveau vers la vie extérieure sans rien perdre des expériences et des trésors découverts au cours du séjour dans l'inconscient.
L'équilibre se fera quand la relation entre les deux mondes sera devenue naturelle et aisée et que le sujet aura pris l'habitude de tenir compte de ses rêves, de ses intuitions et de son sentiment pour éclairer et vivifier son action.
. d' une part, les rêves réagissent à la situation particulière du sujet, mais d'autre part, ils montrent qu'il s'agit d'un problème éternel qui, cependant, porte la marque structurelle du temps. Ainsi, chez un homme, la mère personnelle apparaîtra dans des songes qui illustreront le drame familial du rêveur, mais il y aura aussi des rêves archétypiques qui montreront que s'arracher à la mère est un problème commun à tous les jeunes mâles, et que tout homme le rencontre sous une forme ou une autre.(*5). les productions de l'inconscient, . sont à la fois dans le temps et hors du temps ; elles participent des deux mondes. P.131
Cf. Les contes d'Andersen ..les éléments archétypiques dépassent sa personne, mais leur arrangement reflète son psychisme particulier. On peut en dire autant des rêves qui présentent souvent, de par leurs éléments archétypiques, une portée collective tout en gardant l'empreinte de l'individu chez qui ils sont apparus.
Le premier danger rencontré par le jeune roi sur le chemin du retour est le cheval roux. La couleur rouge- roux évoque le feu, la fougue sauvage de ce Pégase. Le roux, dans le folklore, est souvent associé à l'hystérie, à la possession par l'émotion incontrôlée. C'est pourquoi il doit être sacrifié.
Dans le mouvement qui mène de l'introversion au monde extérieur, l'impatience est une réaction particulièrement fréquente et néfaste.
La plupart des gens, à ce stade de l'analyse, insistent sur l'urgence de trouver des solutions pratiques à leurs problèmes et veulent prendre des décisions concernant leur vie extérieure : faut-il partir de chez ses parents, se marier, changer de situation, quitter son (ou sa) partenaire ? . Les individus extravertis ou très rationnels auront particulièrement tendance à exiger une interprétation concrète et unilatérale de leurs rêves et seront déçus si celle-ci reste à un niveau symbolique et général. Ils veulent intellectualiser la situation et trouver une solution immédiate et efficace. Cela n'est pas juste, car il faut, dans un premier temps, rendre conscient le processus inconscient en évitant d'appliquer prématurément et de facon indue à la situation concrète les indications des rêves.
En s'en tenant à l'interprétation symbolique sans se laisser entraîner à des solutions concrètes avant que, par un lent travail de maturation, celles-ci se forment d'elles-mêmes, on permet au sujet d'atteindre le royaume situé « au-delà de la mer ». (*6)
C'est ainsi que l'on vient à bout du cheval roux qui risque d'emporter dans les airs celui qui, ayant retrouvé son énergie vitale grâce au travail sur l'inconscient, se laisse entraîner par elle s'il n' apprend d'abord à renoncer à cette inflation et à dompter son élan. P.133
. Le retour au concret après la période d'incubation et d'introversion qui caractérise le début d'une analyse est délicat, et l'étape suivante consistera à aider le sujet à établir un lien solide entre les deux niveaux, conscient et inconscient.
Les rêves montrent en général clairement quand le moment est venu d'ouvrir la cornue pour en faire sortir l'homme nouveau, « l'enfant des sages », le jeune roi : cela peut être une jeune plante qu'il est temps de repiquer en pleine terre, une personne qui doit sortir de chez elle pour accomplir des tâches à l'extérieur, une prison qui s'ouvre, ou toute image de cet ordre.
L'un des obstacles auxquels on se heurte dans cette phase de l'analyse, et qui est souvent à la base des résistances, vient de ce que le sujet qui a recouvré la santé au cours d'une profonde transformation de lui-même ne peut plus accepter les relations névrotiques avec ses proches ou une profession qui ne lui convient pas, qui est en dessous de ses capacités présentes et où il n'est pas apprécié à sa juste valeur.
« S'adapter » coûte que coûte au milieu sous prétexte de réalisme ne pourrait aboutir qu'à une régression à l'état antérieur et à perdre tout le bénéfice de l'expérience, et même à tomber dans une situation pire que la précédente, d'où la tentation de fuir le réel sur le cheval roux.
L'individu qui s'était adapté tant bien que mal à ses conditions de vie à l'aide de ses symptômes et de ses réactions névrotiques ne peut plus, une fois guéri, réintégrer ce carcan ; force lui est de créer un nouveau mode d'adaptatiom à l'existemce en trouvant un compromis équilibré entre ses propres besoins et les nécessités concrêtes. Cela ne peut généralement être mené à bien sans quelques transformations du mode de vie extérieur et des relations avec les autres.
Le but de cette phase du travail est donc de parvenir à intégrer l'acquis de l'analyse dans la vie quotidienne. Dans notre conte, il s'agit plus particulièrement de l'intégration de l' anima.
On rencontre fréquemment des hommes qui n'ont qu'une relation vague et abstraite avec leur anima, et, de ce fait, avec l'inconscient dans son ensemble. . si un homme n'est pas en relation avec ses couches émotives profondes et avec son sentiment, l'anima sera pour lui une image intellectuelle et non une réalité vivante. Il pourra accepter le fait que les rêves soient symholiques, mais si on lui montre que les contenus de l'inconscient mènent leur vie propre, qu'ils exercent une action sur l'existence en influençant les humeurs et les opinions en apparence les plus rationnelles, qu'on peut tomber physiquement ou psychiquement malade parce qu'on ne traite pas son anima avec assez d'égards et qu'un complexe inconscient négligé peut vous jeter sous les roues d'une voiture, son rationalisme se cabrera. . car, si l'inconscient déborde ainsi en quelque sorte dans sa vie diurne, c'est qu'il a quelque chose de très important et de très urgent à lui transmettre, il arrive qu'il faille une maladie ou un accident pour que le sujet se décide à faire cet effort. p.135
Il est probable qu'avant d'en arriver là, ces contenus inconscients sont apparus, de façon répétée, dans ses rêves, sans qu'il ait voulu ou pu leur accorder son attention ; s'il n'écoute pas ses voix et s'enferme dans son refus, ces manifestations de l'inconscient risquent de devenir obsessionnelles ou délirantes et de submerger le moi, créant un épisode psychotique qui, bien souvent, eut été tout à fait évitable. .
Une extrême délicatesse est nécessaire lorsqu'on a affaire à des tempéraments créateurs, car l'inspiration à l'état naissant est fugitive comme le Mercure et il faut éviter de la mettre à nu si l'on ne veut pas la voir se dissiper et disparaître.
Mieux vaut ne pas toucher aux oeuvres d'un artiste et ne pas chercher à les interpréter. Mais l'analyse des rêves dans toute son ampleur ne peut que dénouer les blocages qui freinent la création et en approfondir la source.
L'artiste croit avoir produit seul son oeuvre et que, parce qu'il l'a faite, elle lui appartient ; il ne lui accorde pas le droit de prendre vie et d'avoir prise sur lui. Comme le vieux roi, il reconnaît l'anima en portrait, mais à la condition qu'elle ne se mêle pas de transformer son existence.
Beaucoup d'individus non artistes réagissent de la sorte en ne prenant pas les figures de leurs rêves et de leurs phantasmes comme réelles. La princesse du Toit d'or. Ce nom signifie que l'anima est idéalisée au point d'avoir perdu tout contact avec le réel. Elle est reléguée dans un monde éthéré et artificiel . Son aspect chthonien, sa dimension instinctive, émotive et sexuelle, non reconnue et devenue dangereuse de ce fait, apparaissent également sous la forme du cheval roux qui enlève dans les airs celui qui l'enfourche.
En réalité, l'anima est à la fois divine et humaine ; elle dispense les plus hautes inspirations spirituelles comme elle suscite les désirs sexuels les plus crus. On ne peut, sans danger, la mutiler de l'un de ses aspects. Marie l'Immaculée et Marie la Prostituée incarnent toutes deux l'anima. . Pour Dante . Béatrice est à l'extrémité la plus haute, et la sorcière qui danse avec le diable à l'extrémité la plus profonde.
A l'un des bouts du spectre, l'anima est déesse, et à l'autre bout, elle est pure attirance sexuelle, instinct et émotion.
Les Anciens le savaient bien qui adoraient également la Vénus ourania (céleste) et la Vénus pandemos (profane), la première étant symbolisée par la colombe et la seconde par le moineau, .
L'anima n'est pas intellectuelle ou physique, adorable ou ravalée au niveau le plus bas, elle est tout cela ensemble. Elle contient ces dualités, évolue entre ces différents niveaux et se situe, par essence, dans la tension entre ces opposés. (*7)
L'homme est déchiré entre l'attirance commune pout l'autre sexe et l'expérience intérieure du niveau le plus élevé. P.137
Cf. Gérard de Nerval.. C'est l'exemple frappant d'un homme victime de sa tragique incapacité à accepter le caractère paradoxal de l'anima et, de façon plus générale, de l'être humain. Il ne put comprendre que l'âme est une énergie vivante qui évolue dans les différents mondes et aux divers niveaux de la réalité, intérieure aussi bien que concrète. .
La conscience rationnelle veut toujours cataloguer, classer, trancher ; il faut tenir bon et résister à cette tentation de césure entre ces deux positions, et reconnaître la nature autonome de l'anima qui décidera elle-même sous quel angle elle apparaîtra.
L'individu qui se laisse prendre par de telles contradictions apparentes est dissocié, son moi conscient est tombé dans une attitude unilatérale et refuse de laisser vivre l'autre côté ; mais si l'on sépare une réalité en deux, on sait que la partie refoulée réapparaît toujours, et de façon négative.
. la princesse est attirée sur le bateau par ruse. enlevée de force, ses sentiments eussent été blessés. Il fallait trouver le moyen approprié pour la faire descendre de sa position hautaine et, pour cela, le fidèle Jean se sert d'un des traits de caractère de la princesse : son amour pour l'or.
.. du fait même que l'anima est placée si haut, il risque de se produire en compensation un déchaînement de l'instinct sexuel représenté par le cheval roux capable d'emporter le roi et qu'il faut tuer. Le roi doit apprendre à mater son impatience et à sacrifier la sauvagerie de l'animal en lui. Le cheval roux est aussi lié à la princesse : celle-ci constelle le monde chthonien et instinctif.
Cependant, il est intéressant de remarquer que l'animal est un cheval, et que celui-ci ne risque pas de mener le héros dans un bourbier - ce qui serait le fait d'une sexualité bestiale -, mais dans les airs : c'est une sorte de Pégase qui emporte celui qui l' enfourche loin de la terre, loin de la réalité concrète. . la passion physique, si elle est vraiment portée par l'anima, ne conduit pas vers la réalité : les qualités numineuses de l'anima prennent possession du sujet. P.139
Du fait que le préjugé chrétien a repoussé l'aspect instinctif de l'anima, celle-ci a eu tendance à se développer dans l'autre direction et à devenir inhumaine. C'est une situation typique et notre histoire dit que la seule solution est de tuer le cheval. .Le jeune roi n'a pas à tuer le cheval lui-même ; il n'a même pas conscience du danger qu'il représente ; c'est le fidèle Jean, personnification de la fonction transcendante, de la poussée vers une conscience plus grande, qui le fera ; le conscient n'a pas ici à décider, l'inconscient s'en charge seul.
. Le cheval porte lui-même le fusil avec lequel il sera tué. Freud pensait que les pulsions instinctives avaient un caractère unilatéral et que le moi conscient devait les maîtriser ou les sublimer tandis que pour Jung la conduite instinctive contient en elle-même sa propre possibilité de sacrifice, (*8).. les animaux n'abusent ni de la sexualité, ni de la nourriture, ni de l'agressivité, sauf dans des conditions perturbées. Cela signifie que, dans la nature, les conduites instinctives possèdent leurs propres freins, leur propre possibilité de se maîtriser afin de ne pas dominer l'être tout entier, ce qui serait contraire à la survie. Il en est de même pour les instincts de l'être humain qui ne deviennent obsessionnels que lorsque le conscient, dans son désir diabolique de pouvoir, interfère à mauvais escient.
Prenez le cas d'un jeune homme élevé de façon stricte et qui, par réaction, mène, comme étudiant, une vie dissipée. S'il n'intellectualise pas la chose et n'est pas enclin à la névrose, il se fatiguera vite de cette vie. Une fois défoulé, ce premier déferlement se calmera de lui-même. Mais s'il . dépassera la mesure et ira au-delà des besoins de sa na ture. S'il refuse de tenir compte des indices qui lui montrent qu'il devrait modérer ses plaisirs et persiste dans son attitude excessive, il peut arriver que la nature prenne sa revanche en le rendant momentanément impuissant. C'est comme si l'inconscient lui disait : « Puisque tu n'obéis pas à l'instinct en toi, je tue ton cheval. »
Une sexualité qui se freine elle-même est un phénomène extrêmement brutal qui peut prendre une forme pathologique. L'analyse des rêves lui aurait montré que la nature désirait se régulariser elle-même. La poussée inconsciente vers l'individuation peut briser et sacrifier une
conduite instinctuelle lorsque celle-ci dévie par trop de son rôle.
Tout instinct, et donc la sexualité, est régi par la loi du « tout ou rien ». C'est à la conscience d'être attentive aux signes et d'y adapter sa conduite par un usage normal de l'instinct. .. cela n'est pas valable pour la seule sexualité, mais aussi pour la nutrition ou l'agressivité, par exemple.
Les individus de tempérament très agressif se font, dans leur jeunesse, rabrouer par leurs parents et leurs maîtres et battre par leurs camarades jusqu'à ce qu'ils aient dominé ces pulsions. Ayant compris l'aspect destructeur que peut revêtir cet instinct et voyant qu'il ne leur attire que des ennuis, ils finissent par le rejeter en bloc. Mais si cette répression est poussée trop loin, elle paralyse tout élan vital tandis que l'être est dévoré intérieurement par le feu des émotions réprimées. Ces personnes n'osent pas se défendre car elles craignent d'aller trop loin. Sentant en elles-mêmes une accumulation de violence non vécue, elles en sont terrifiées et culpabilisées. Cela leur donne extérieurement une attitude de chiens battus, tandis qu' elles accumulent le ressentiment des humiliations subies et sont la proie d'idées de persécution. Elles devront apprendre à laisser s'exprimer consciemment leurs sentiments agressifs, mais à petites doses, car si l'on ôte le couvercle du chaudron d'un seul coup, toute la pression jaillit. Ce contrôle de soi est plus difficile que la simple répression et bien des tâtonnements seront nécessaires avant de parvenir à une conduite équilibrée et humaine dans ce chemin du milieu qui passe entre le tout et le rien de l'instinct. En donnant à chaque instinct sa place, sans le laisser empiéter sur celle des autres ou sur le processus qui conduit vers la totalité, on se met en harmonie avec l'aspiration de l'inconscient vers l'individuation. p.142

Petit séminaire du 14-10-98
*1 C'est aussi la position de l'analyste que de faire confiance au Soi de l'analysant et à son propre Soi.
*2 Comme les figures des rêves au plan du sujet ; donc susceptibles d'évolution.
*3 L'anima est un facteur de rénovation pour l'homme, d'où l'importance d'accorder de l'attention aux images du féminin.
*4 Des hommes restent fascinés par l' anima
*5 Les mères pour les hommes sont en général négatives dans les rêves ; ce sont les plans archétypiques qui vont teinter la mère de cette négativité.
*6 Surtout chez les extravertis. Le rêve ne donne pas la solution du problème extérieur mais bien d'une évolution. Si les gens sont trop dans le concret, polariser le symbolique.
*7 Chez Jung Animus- Anima sont la condition sexuée de l'individu ; d'abord instinctuelle.
*8 Dans le sacrifice il y a une libido à prendre ; elle est désancastrée, rendue libre pour devenir disponible pour autre chose.

CHAPITRE VI : LA GRANDE MERE ET L'UNITE

. Si, nous prenons le fidèle Jean comme figurant le principe de l'inconscient collectif qui tend à bâtir une nouvelle dominante du conscient collectif (autrement dit, comme le représentant de la fonction transcendante), il peut paraître étrange que ce personnage soit pétrifié alors qu'il accomplit fidèlement sa tâche. La cause de ce malheur est l'incompréhension et le manque de confiance du jeune roi. Cela correspond à l'expérience, car si le conscient a une attitude fausse, les messages de l'inconscient, même s'ils sont vus ou entendus, ne sont pas compris et le conscient a sur eux un effet pétrifiant. (*1)
L'inconscient prend parfois d'étranges et sinueux détours qui déroutent le conscient. Cf. Khider et Moïse. Khider symbolise l'étonnante sagesse supérieure de l'inconscient, du Soi, que notre conscience rationnelle ne peut jamais atteindre. Le moi conscient ne cesse de s'opposer à la sagesse intérieure plus haute et de la rejeter parce qu'elle lui apparaît comme serpentine et pleine de détours du fait qu'elle connaît et prend en considération des éléments que nous ignorons. Le fidèle Jean est comme Khider(*2) : il représente principe divin de la conscience qui possède la connaissance, et c'est pourquoi il est incompris. Tous deux présentent des ressemblances frappantes avec le Mercure, .. de l' alchimiste qui ne cesse de se dérober à lui, de lui jouer des tours et de le déconcerter.
Le fait que les jeunes roi et reine aient placé la statue du fidèle serviteur dans leur chambre à coucher est très révélatrice. Freud a, en quelque sorte, redécouvert la statue du fidèle Jean dans la chambre à coucher de notre civilisation ; c'est là que le principe de vie de l'inconscient fut d'abord trouvé par lui sous la forme de quelque chose de figé, de non vécu et de refoulé. Il fut le premier discerner que, dans notre civilisation, la pierre d'achoppement se manifeste principalement dans la relation entre les sexes. Mais il ne put aller au-delà de l'affir- mation de l'existence d'un tel blocage dont il ne vit que l'aspect négatif et destructeur. L'importance qu'il lui donna vint de ce qu'il rencontra d'abord l'inconscient comme un facteur qui faisait obstacle à la sexualité, ce qui correspondait à la mentalité de cette dernière période de l'ère chrétienne.
Jung découvrit que cette pétrification, ce blocage, était l'expression d'un principe dynamique capable de revenir à la vie et de se révéler comme un principe vivant. La relation entre les sexes joue un rôle de sismographe : il révèle la présence de désordres, de quelque sorte qu'ils soient. La plupart des troubles de la vie sexuelle et de la relation entre les sexes ne sont pas tant des difficultés en elles-mêmes que des indications d'un conflit beaucoup plus profond. p. 145
Toutes les catégories de dérangements psychiques se manifestent par des difficultés d'adaptation sociale, dans l'attitude envers la mort, ou dans des circonstances telles que les relations sexuelles, c'est-à-dire chaque fois qu'une réaction instinctive est nécessaire, parce que ces situations font appel à des structures archétypiques d'importance vitale. Les situations archétypiques exigent en effet de l'être humain une réaction de sa personnalité totale, c'est pourquoi, s'il souffre d'une faille névrotique, elle s'y révèlera. Le roi et la reine sont incapables de se rejoindre complètement parce qu'une figure pétrifiée les considère sans cesse avec reproche, leur donnant un tel sentiment de culpabilité qu'ils ne peuvent jouir de leur vie commune.
La pétrification de ce que représente le fidèle Jean s'observe partout où le principe dominant de la conscience ne reconnaît pas le caractère toujours en mouvement de l'inconscient. Cette vision erronée, rigide et dépourvue de souplesse a pour effet de figer l'inconscient.(*3) Chaque fois que nous faisons de la théorie à propos de l'inconscient et traitons les mots comme étant plus que des termes descriptifs, nous le pétrifions et agissons en sorte qu'il lui est impossible de se manifester comme une force vivante. N'importe quelle théorie peut l'affecter et le changer en une chose statique à qui l'on interdit de se manifester de soi-même.(*4) Jung écrivait au Dr Baur-Celio : « Je ne voudrais induire personne à la croyance et le priver ainsi de l'expérience ».
Dans notre conte, le fidèle Jean peut encore être sauvé après sa pétrification et il demande au roi, en l'absence de la reine, de couper la tête des deux enfants et d'enduire la statue de leur sang. Ces enfants doivent avoir affaire avec des activités conscientes qui gardent le fidèle Jean dans cet état de rigidité et auxquelles il est nécessaire, en conséquence, de renoncer. . Les enfants sont les possibilités futures du roi et ce à quoi il tient le plus au monde. C'est la situation archétypique d' Abraham ; celui-ci eût certainement préféré se tuer lui-même plutôt que d'égorger son fils. Le sacrifice d'Isaac représente le plus grand sacrifice possible.
C'est pourquoi, à cet instant, le fidèle Jean révèle ce qu'il est en réalité : une image de Dieu, car ce n'est qu'à Dieu seul que l'on peut sacrifier son propre enfant. Mais l'enfant a une double signification : sur le plan mythologique, il peut représenter le Soi aussi bien que, dans certains contextes et avec certaines nuances, 1'ombre infantile du sujet. La réalisation du Soi amène toujours avec elle une restauration de la naïveté, du naturel et des réactions plénières de l'enfant. La question est : « Suis-je encore trop enfant, ou dois-je redevenir enfant ? » Comme disait le Christ : « Celui qui ne reçoit pas le royaume de Dieu comme un petit enfant, n'y entrera pas. » Mais l'on doit d'abord devenir adulte pour redevenir enfant. La tradition chrétienne a parfois préféré croire qu'il fallait demeurer la petite brebis de Jésus pour pouvoir atteindre le royaume des cieux, alors que ce qui est requis en fait est la restauration de la capacité non réfléchie de réaction vitale totale, soutenue et inspirée par le Soi.
Dans notre contexte, il est clair que le jeune roi a une attitude consciente immature. Cela se traduit par une incapacité à déceler le paradoxe(*5) - les opposés-, une tendance vers l'unilatéralité qui lui fait décider sans réflexion le supplice du fidèle Jean. Cette façon de se tenir en dehors du conflit est infantile. Mais 1a crainte de l'attitude infantile ne doit pas faire oublier le symbolisme positif de l'enfant. En cherchant à détruire l'infantilisme, une psychanalyse de type freudien aboutit souvent à tuer la spontanéité : toute erreur et tout lapsus seront mis en rapport avec les complexes d'Oedipe ou d'Electre ; cette façon d'interpréter peut s'avérer destructrice, car, si elle supprime tout comportement infantile, elle exorcise également la fraîcheur -et la créativité - et conduit à une attitude morne, à une qualité de conscience crispée dans laquelle le sujet s'examine sans cesse pour voir si son attitude ne révèle pas tel ou et complexe.
.jusque-là le jeune roi n'avait fait qu'exprimer ses désirs.. Le fidèle Jean avait tout fait à sa place et le roi lui-même n'avait en rien contribué à son propre bonheur. . (le roi) a omis la seule chose en son pouvoir et qui était de lui faire confiance. Mais peut-être est-ce là sa chance, puisque cela l'amène à s'éveiller et à se demander : « Pourquoi de pareilles choses se produisent-elles ? » C'est alors qu'il rachète sa passivité passée en sacrifiant ses enfants.
Du point de vue psychologique, cela signifie le sacrifice du principe conscient et du moi, dans ce qu'il a d'immature et d'infantile. Le moi est toujours engagé dans la poursuite de quelque absurdité. Renoncer à ce qu'il pense être juste ou à ce qu'il désire, se soumettre à ce qui advient, c'est là le grand oeuvre. Bien entendu le moi ne se sacrifie pas réellement lui-même, mais seulement ses désirs et ses projets égoïstement infantiles. La réalité de ce sacrifice est soulignée par la réaction d'effroi du roi lorsqu'il apprend qu'il lui faut tuer ses enfants chéris .(*6)
Le roi a donc évolué depuis que le fidèle Jean a été pétrifié. On nous dit que, chaque fois que son regard tombait sur la statue, il pleurait et souhaitait pouvoir la ramener à la vie. Le roi est consumé par la souffrance tout le temps que ses enfants grandissent, aussi, lorsque vient le moment magique où la statue parle, il est prêt à l'écouter et à placer le retour sur terre du fidèle Jean au-dessus de ce qu'il a de plus cher au monde. En effet, si l'on a perdu le contact avec l'inconscient et le sens de la Vie, rien d'autre n'importe plus vraiment, car rien, à l'exception de la relation retrouvée, ne peut remplacer ce qui a été perdu. (*7)
La reine, précise le conte, était à l'église. La reine est encore dans le sein de l'Eglise : l'anima est chrétienne, le problème est situé dans la conscience. L'analyse d'hommes modernes qui disent ne pas croire au dogme chrétien révèle, le plus souvent, que leur anima est croyante, parce que les figures qui émanent de l'inconscient sont comme éloignées dans le temps. Nous avons en nous toutes les couches de l'évolution : des parties de nous-mêmes vivent au Moyen Age, d'autres dans l'antiquité, et d' autres encore habitent, nues, dans les arbres. Le conte montre que la reine-anima n'a pas les mêmes problèmes que le roi parce qu'elle est encore soutenue par l'enseignement ecclésial.(*8)
D'ailleurs ce problème concerne avant tout le roi : c'est lui qui, après avoir tout reçu du fidèle Jean, l'a condamné, c'est donc lui qui doit acquitter la dette, et non la reine. L'histoire de la reine est moins dramatique, bien qu'elle doive être arrachée à son monde élevé et doré, et purifiée des gouttes de poison qu'elle porte dans son sein. La reine elle-même n'est pas mauvaise, il semble plutôt qu'elle ait été blessée dans sa féminité et sa tendresse. P.149
A-t-elle été empoisonnée par le monde paternel dans lequel elle a vécu, par l'attitude des hommes à l'égard de la femme ?.. A moins qu'elle n'ait un complexe père négatif et un animus très fort, une femme vit généralement davantage l'existence en termes de continuité que l'homme, elle est moins oncernée que lui par le problème des opposés et sait plus facilement glisser au travers. Elle sait que la vie ne peut être emfermée dans des concepts et que rien n'est tout à fait blanc ou tout à fait noir.
La femme intérieure, chez l'homme, réagit de même. L'anima est plus intéressée par la vie que par le problème du bien et du mal, du vrai et du faux, elle est moins attachée au principe du logos auquel l'homme est tout dévoué et qui rend si aiguë pour lui la tension entre les paires d'opposés. Dans la civilisation juive, il n'existe pas de déesse, la loi est Dieu : lui obéir ou non est le problème éthique. Dans la religion grecque, au contraire,.. la tension n'était pas aussi forte.
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LES DEUX FRERES

LES ENFANTS D'OR

. le thème intéressant de l'oiseau ou du poisson d'or(*9) responsables de la naissance des deux frères ou de leurs qualités magiques. Cet animal est unique, et non double comme les enfants ; c'est un symbole naturel du Soi issu des profondeurs de l'inconscient et comparable à l'idée intuitive de totalité. Un principe unique dans l'inconscient P.177 est donc à l'origine d'une réalité duelle au niveau du monde conscient.
Dans « le fidèle Jean », le principe du mal n'apparaît qu'à l'arrière-plan, dans le poison que contient le sein de la princesse et dans l'accusation et la pétrification du fidèle Jean. Le mal agit comme une malédiction, il n'est pas incarné par un personnage en particulier, comme dans l'histoire du tailleur et du cordonnier où ce dernjer est rejeté à la fin et s'en va mourir sous le gibet. C'est pourquoi j'ai choisi des histoires dans lesquelles le mal est, cette fois, personnifié par une sorcière.
.pourquoi cette vieille femme est responsable de la destruction du principe d'unité ? Lorsque le mal vient d'une mauvaise attitude du conscient, il est facile de comprendre que l'inconscient est empêché de se manifester et ne peut plus contribuer au développement : réduit à une quasi-inactivité, il ne produit plus que des sentiments de culpabilité et des symptômes névrotiques. C'est pourquoi nous sommes amenés à montrer aux personnes qui viennent en analyse qu'il leur faut changer d'attitude pour que puissent monter les contenus de l'inconscient. Mais si l'on y regarde de plus près, on s'aperçoit souvent que les choses sont plus complexes : comme dans l'histoire des enfants d'or, le mal vient moins du principe de conscience lui-même que d'un archétype qui a été négligé par lui.
La sorcière est une des figures archétypiques de la Grande Mère. Elle est l'aspect destructeur de la Déesse- Mère. Isis est qualifiée de grande Magicienne et de grande Sorcière . Une telle figure porte en elle le double aspect de l'archétype de la mère, sa face lumineuse et sa face obscure. La déesse Kali apparaît aussi comme porteuse tantôt de vie, et tantôt de destruction et de mort.
Dans les contes européens qui ont subi, pour la plupart l'influence chrétienne, l'image de la Grande Mère a, comme d'autres archétypes, éclaté en deux. La Vierge Marie est coupée de son ombre et n'incarne que la face lumineuse de l'image de la mère. Comme le fit remarquer Jung, l'apogée du culte de la Vierge coïncida avec les persécutions de sorcières. Du fait que l'image chrétienne de la Grande Mère était trop unilatérale et que son ombre n'était contenue dans aucun symbole officiel du culte, la figure de la Déesse se scinda en deux et son ombre errante fut projetée sur les femmes. .
Dans certains contes, le diable vit avec sa mère ou sa grand-mère.
Ce thème apparaît aussi dans les figures de vierges noires, qui ont affaire avec la déesse Isis . la Madone .. est noire parce qu'ainsi elle est plus puissante et plus efficace que ne le serait une figure blanche ordinaire. La Grande Mère Terre revient ainsi par la petite porte, car si un aspect d'un archétype est exclu du dogme, il rentre par derrière.
Dans « le fidèle Jean », la Déesse, méprisée par la conscience collective régnante, ne se manifeste pas directement. : elle n'attaque pas le roi lui-même, elle sème de difficultés son retour avec la princesse et elle pétrifie le fidèle Jean, exigeant pour le sauver le sacrifice des enfants. C'est là un événement archétypique caractéristique qu'il est bon de garder en mémoire dans le traitement des cas individuels, lorsqu'on se heurte à des complexes névrotiques difficiles à cerner : si un contenu de l'inconscient est refusé par le conscient, ce contenu réfoulé prend un chemin détourné et en mutile un autre.
Un homme ayant un complexe-mère négatif est saisi d'une ambition énorme et à demi consciente, et d'un désir de pouvoir qui le rendent, en apparence, capable de grands succès dans le monde extérieur. Mais il éprouve une vague impression que quelque chose ne va pas, et en particulier dans sa relation avec les femmes. P.179
En analyse vous découvrez que la volonté de puissance est installée sur son sexe à la façon d'un animal nuisible. Elle blesse son instinct sexuel sans endommager directement le conscient. Par l'analyse des rêves, on constate que deux facteurs entrent en collision dans l'inconscient ; deux principes inconscients se combattent sans que le conscient intervienne. (On voit, par exemple, des rêves où des animaux se battent ou se dévorent entre eux. C'est également un thème alchimique. ) Mais le conscient est indirectement responsable du conflit par son attitude erronée.
Il arrive que des hommes se plaignent, au niveau conscient, d'un conflit indirect de ce genre : ils prétendent désirer se marier, mais être malchanceux ; en fait, quelque chose les bloque au niveau inconscient. Les rêves montrent que leur éros est attaqué par un autre facteur et qu'un conflit se déroule automatiquement dans l'inconscient, le conscient n'en étant qu'indirectement responsable. En conséquence, pour le détecter, il faudra faire un détour en suivant les rêves. Dans ce genre de situation, le conscient n'a pas commis de mal de façon explicite - le vieux roi n'a fait aucun mal au fidèle Jean, il l'a traité avec bienveillance et pourtant il est évident que l'anima était négligée dans le royaume et qu'elle a frappé d'abord le fidèle Jean, puis le jeune roi dans ses fils. Le principe féminin, sous la forme de la princesse, la Bien-Aimée, réduite à l'état de portrait et reléguée au cabinet noir, se venge en se tournant contre la fonction transcendante, le processus de passage à la conscience, le développement vers l'individuation, et cela est pire que si elle s'attaquait directement au conscient.
La théorie de la répression ne s'applique pas à tout ; il arrive souvent que l'omission,ou la négligence d'un seul facteur ait un effet destructeur sur le processus d'individuation tout entier : la totalité ne peut se réaliser si un facteur en est exclu. Mais, d'un autre côté, on peut affirmer que c'est au pire de la névrose que se trouve la possibilité de salut. Il faut chercher la guérison là où les difficultés atteignent leur paroxysme, car là se trouvenl à la fois la maladie et l'aspiration vers l'individuation. Si un archétype, que ce soit celui de la femme ou un autre, est endommagé, cela se décèlera dans les manifestations du Soi.(*10) Le refus de notre civilisation de donner sa place à l'archétype de la Déesse risque de détruire l'ensemble du processus d'individuation, .
. Ce sont cette fois ces jumeaux qui représentent le nouveau principe de conscience et la poussée vers l'individuation. Ils sont chacun l'ombre de l'autre.. ont des caractères opposés et complémentaires, car l'un reste à la maison, tandis que l'autre se lance à la découverte du monde. . Celui des jumeaux qui court le monde représente cette partie de la conscience qui tend à s'engager dans l'existence. Et comme l'anima est la grande ensorceleuse, la Maya qui implique l'être humain dans le bien et le mal, il est tout naturellement celui qui épouse la princesse. Il prend le risque de vivre, ce qui est la condition nécessaire pour devenir conscient.
Si on analyse des personnes âgées qui ont fui la vie, on constate à quel point une existence insuffisamment vécue diminue les chances de devenir conscient. Le fait d'avoir éludé des conflits sans espoir est une réelle mutilation des possibilités d'individuation. Mais, d'un autre côté, les mythes et les contes nous disent que celui qui se lance dans la vie extérieure finit par être pétrifié au niveau le plus profond, par le principe de vie lui-même, la Grande Mère(*11), qui se transforme en principe de mort. P.181
C'est alors que celui des deux héros qui est resté en dehors de la vie concrète et qui ne s'est pas engagé dans les conflits de l'existence devient le sauveur capable de percer à jour les intentions de la sorcière et de faire cesser son action destructrice, qui est celle de l'anima non intégrée. C'est qu'il ne faut pas confondre introversion et vie intérieure vraies avec une fuite de la vie et de ses risques. Il est tout aussi fréquent, sinon plus, de voir des personnes chercher à esquiver leurs problèmes en se lançant dans l'action et la vie extérieure, jusqu'à s'y perdre.
. la civilisation chrétienne est relativement extravertie : le symbolisme officiel privilégie le frère qui se marie et va dans le monde, et les contes nous rappellent que c'est par l'autre frère, l'introverti, que vient le ressourcement.
. Ripley (Mysterium Conjunctionis) .. décrit d'abord l'union du roi et de la reine donnant naissance à l'enfant des philosophes, la pierre philosophale. Mais Ripley y ajoute une seconde conjonction, ce qui est tout à fait inhabituel. Jung relève que l'auteur, étant un homme d'Eglise, introduisit cette seconde union parce qu'il avait à l'esprit le mariage de l'Agneau et de l'Eglise : ce double mariage exprime la divergence qui existe entre le symbosme alchimique et le symbolisme chrétien. Il serait en effet difficile de comprendre pourquoi, après la première conjonction (celle du conscient avec le principe inconscient), il doit s'en produire une seconde, à moins que l'on n'admette que la nouvelle dominante du conscient doive se soumettre et s'unir à son tour au corps mystique de l'Eglise ..
Le thème du mariage de l'Agneau ne se rencontre pas chez les alchimistes solitaires parce qu'il suppose le sacrifice final du nouveau roi, résultat de la conjonction, idée qui n'existe pas en alchimie.
La pierre philosophale est, avant tout, une idée d'ermite, la recherche de l'individu seul. La pierre représente l'union des opposés, du mâle et de la femelle intérieurs ; elle n'appartient à personne, elle est comme le trésor que l'homme trouve dans son champ et qu'il cache à nouveau. C'est pourquoi la perle unique, la pierre philosophale demeure le mystère de l'individu, cela, bien que les vieux maîtres .. ne cherchaient pas à voiler le secret. (Le secret n'a nul besoin d'être voilé, il l'est par essence et par définition. Il est en chacun de nous, « caché aux riches aux savants et révélé aux petits ». Il est individuel, en ce sens qu'étant expérience intime, il est intransmissible, chacun devant en faire l'expérience pour son propre compte. II est en tême temps le bien de tous, puisque tout être peut accéder à sa propre vérité. Sa propagation ne dépend pas d'une volonté individuelle ou de moyens extérieurs, ces derniers pouvant tout au plus mettre sur la voie et provoquer le désir d'entrer dans la quête. Mais celui qui vit sa propre vérité agit de façon juste et devient, même sans le vouloir et parfois sans le savoir, la source un rayonnement qui agit sur ceux qui l'approchent.)
Que la pierre soit et, en même temps, ne soit pas gardée secrète correspond à ceci : le processus d'individuation peut se développer dans deux directions opposées ; quand un nouveau symbole de la divinité s'est construit au cours du processus, ce symbole peut ou être sacrifié pour renforcer une communauté, ou être gardé secret à l'intérieur de l'individu.
Si Jung avait fondé une secte de « junguiens », le roi eût été en quelque sorte sacrifié en une seconde conjonction. Cela eût donné naissance à une communauté nouvelle ou à un de ces groupes mystiques secrets comme il en existe tant. Nous touchons là à un problème aigu. On nous dit : « . Cela ne suffit pas d'aider un individu par-ci par-là, votre oeuvre devrait prendre une forme collective. » On nous dit aussi que nous devrions faire des ouvrages de vulgarisation et en nourrir les foules pour tenter de sauver notre civilisation. Mais ces secondes épousailles, celles entre le symbole ésotérique et la communauté, tueraient le symbole originel. Ce fut l'idée chrétienne : le Christ épousa l'Eglise. P.183 .. le processus d'individuation y fut sacrifié en faveur de la communauté.
L'idée contraire, à savoir que le symbole découvert n'épouse pas ce monde, mais reste le secret de l'individu, de l'alchimiste-ermite, est décrit dans la Mundaka Upanishad :

Deux oiseaux, amis inséparables, sont perchés sur le même arbre. L'un d'eux mange les fruits sucrés, l'autre regarde sans manger.

L'un s'engage dans la vie extérienre, l'autre non. Dans un mythe hawaïen, l'homme (homologue de notre Adam) était complet dans l'au-delà ; quand il fut appelé sur terre, une moitié de lui seulement descendit .Dans beaucoup de civilisations primitives, chaque personne qui naît est censée avoir un frère jumeau, son placenta ; celui-ci est le frère qui ne s'engage pas dans la vie ; cette moitié est séchée et portée autour du cou et l'on pense qu'au moment de la mort, les deux se rejoignent.
L'Upanishad continue :
Sur le même arbre l'homme est assis, se lamentant, submergé et troublé par sa propre impuissance. Mais quand il voit l'autre, le Seigneur, content, et connaît sa gloire, alors son chagrin passe.
.
Il est un être (femelle), non-née, rouge, blanche et noire, unique mais produisant des rameaux multiples. Il est un être (mâle), non-né, qui l'aime et demeure étendu auprès d'elle. Il en est un autre qui la laisse tandis qu'elle mange ce qui doit être mangé. (Dans la vie, il faut manger ce qui doit être
mangé.)
.
(Il voit tout objectivement et non comme l'affectant subjectivement ; il devient Brahman.)
Il y a celui qui a des yeux, celui qui avance comme en rêve, celui qui dort profondément et celui qui est au-dessus du dormeur. Ce sont les quatre conditions (de l'être), et la quatrième est la plus grande de toutes.
Brahman avec un seul pied se meut dans les trois, et Brahman avec trois pieds demeure dans la dernière.
C'est que le vrai (dans la quatrième condition) et le faux (dans les trois autres conditions) peuvent avoir leur dessein, que le Grand Soi (paraît) devenir deux, oui, il (semble) devenir deux.

Les deux frères du conte sont des incarnations de ce dédoublement apparent du Soi(*12). Ils sont secrètement un, car ils sont issus de la chair du poisson unique. Le conflit n'existe qu'autant que la conscience existe - et, tant que la conscience existe, le conflit est inévitable, mais c'est, en quelque sorte, une apparence de conflit. Il nous faut P.185 garder à l'esprit l'unité secrète des contraires avec tout ce que cela implique .

Petit séminaire du 18-11-98
*1 Devant un conscient inadéquat ou un moi qui ne s'ajuste pas, par manque de fonction sentiment, l'inconscient se fige
et perd son attitude créatrice.
*2 Khider, Mercure et Jean = Connaissance.
*3 Trois chôses amènent la pétrification : une rationalité trop forte, un manque de sentiment, un manque du complémentaire positif (Anima- Animus)
*4 Intreprêter le moins possible ; rester dans le registre de l'émotionnel et les faire ressentir.
*5 La capacité à comprendre le paradoxe n'est pas de l'ordre de la rationnalité pour elle c'est blanc ou noir. La compréhension du paradoxe passe pour la femme par une perte d'identification à l'animus négatif afin de retrouver son identite féminine et par l'anima pour l'homme.
*6 Se rendre compte de l'unilatéralité à laquelle on a été formé. Le sacrifice des enfants est celui de ce que deviendra la personne si elle continue dans le processus qu'elle pense.
*7 Trouver le lien au Soi de l'analysant dans les rêves et faire ressentir le Soi va l'aider à sacrifier ; sinon les rêves paraîssent absurdes.
*8 L'ecclésial = au religieux en elle, l'écoute attentive à ce qui est.
*9 Le poisson d'or, image du Soi, est archétypique, donc une forme vide. Ce n'est que quand il devient les deux frères qu'il s'incarne dans l'humain et a à devenir conscient : le Soi passe dans la vie sinon il reste un poisson d'or.
*10 Quand dans les rêves le Soi renvoit des images incomplêtes qui posent question, penser à l'endommagement ou le mauvais états d'un archétype.
*11 Ne pas détruire le lien avec l'archétype mais quitter la mère de mort.
* 12 Possibilité chez les jumeaux du dédoublement du Soi au plan concrêt.

DEUXIÈME PARTIE : LE MAL DANS LES CONTES DE FÉES

CHAPITRE I : LES NIVEAUX ARCHAIQUES DU MAL

. L'inconscient lui-même présente un aspect ou une tendance morale.
La société humaine dans son ensemble manifeste une tendance éthique fondamentale. Exception faite de certains cas anormaux, on constate que, sous toutes les latitudes et à toutes les époques, la structure psychique humaine montre une certaine aptitude à ce que Jung appelle la réaction éthique de l'homme vis-à-vis de ses propres actes. L'homme n'est pas indifférent devant ses actions et ses motivations, mais il tend au contraire à porter sur elles un jugement de valeur. Ce jugement peut varier d'une société à une autre quant à son contenu, mais le fait qu'un tel sentiment existe semble bien être un trait général de l'espèce. p.189
En y regardant de plus près, on constate que cette réaction comporte, d'une part, des motivations inconscientes et, d'autre part, une superstructure faite de pensées et de réflexions conscientes concernant les intentions personnelles, ainsi que des jugements de valeur subectifs. .
Jung discute . le concept freudien de « surmoi » et l'explication freudienne des sentiments de culpabilité, de mauvaise conscience, d'inhibitions et aussi d'aspirations éthiques que l'on peut observer chez l'individu. Il conclut que le « surmoi » coïncide plus ou moins avec ce qu'il appelle le « code moral collectif » qui, dans notre société, est inséparable de la tradition religieuse patriarcale judéo-chrétienne. Cette morale collective peut être reconnue consciemment par l'individu, ou au contraire exercer une pression inconsciente ou semi-consciente sur les motifs de sa conduite. . ce surmoi a une formation historique et .. de ce fait, il n'est pas responsable de l'ensemble du problème éthique, mais seulement d'une partie de celui-ci. En d'autres termes, ce que Jung entend par « réaction éthique de la psyché » n'est pas identique au surmoi freudien, et les deux concepts peuvent même, dans certains cas, s'opposer. D'après Jung, nous sommes sous l'influence de deux facteurs : le code moral collectif qui varie de pays à pays et dicte notre conduite générale d'une part, et, d'autre part, un besoin moral individuel qui ne coïncide pas forcément avec le premier. Si les deux se recouvrent, il n'y a pas de problème et ils seront évidemment très difficiles à différencier l'un de l'autre. . dans quelle mesure le code collectif a-t-il été introjecté et est-il devenu nôtre ? Tout ce que vous savez, c'est que « quelque chose » vous interdit de le faire.
.. Ce problème surgit lorsqu'apparaît une divergence entre la morale collective et le sentiment personnel, car alors, quoi que l'on fasse, quoi que l'on décide, ce sera en partie juste et en partie faux et mauvais : si l'on suit la morale admise, on blesse son propre sentiment éthique, et si l'on suit son sentiment le plus intime, on se trouve en contradiction avec la collectivité dont on fait soi-même partie. Dans l'un et l'autre cas, on se sent coupable. .
Cette loi intérieure a un caractère de certitude, d'évidence, qui fait qu'elle est généralement ressentie comme étant la voix de la conscience, ou même celle de Dieu, d'un ange ou d'un esprit divin.(daïmon de Socrate), (genius des Romains) (« Mistapéo», «le grand homme qui vit au coeur de chacun» des indiens Naskapi). .. Ces figures représentent l'archétype du Soi, ce centre divin de la psyché . Lorsque cet archétype se manifeste en nous, il entraîne une conviction profonde qui peut aller jusqu'à amener l'individu à se dresser contre le code moral ou religieux collectif et à préférer mourir plutôt que de lui être infidèle, comme ce fut le cas de Socrate, du Christ, des premiers chrétiens et des martyrs de toutes les convictions et de toutes les époques. .
L'acte original est dérangeant pour la communauté, et l'individu en avance sur son temps et témoin du centre, du Soi, est le plus souvent désavoué, traité de fou, interné ou tué, quitte à être réhabilité et vénéré après la mort, lorsque son exemple n'est plus « dangereux ». ..
Celui qui, au contraire, refuse de se soumettre à ce faux savoir qui n'est autre que le code moral traditionnel et reconnaît qu'il ne sait pas ce qu'il est juste de faire se trouvera en proie au plus grand trouble. Il n'y a pas de réponse définitive à cela, sinon qu'il sera bon de demeurer attentif aux signes extérieurs et intérieurs (en particulier aux rêves) pour chercher honnêtement à comprendre s'ils confirment ou non la première indication. Si l'on supporte avec courage les affres d'une telle situation, il arrive un moment où une direction intérieure commence à se dessiner, qui fournit assez de sécurité pour pouvoir continuer sa route, même au risque de commettre une erreur. P.193
Jung recommandait,.. de toujours garder un doute par rapport à sa propre conduite : il faut faire hardiment ce que l'on pense devoir faire, tout en étant prêt à admettre qu'on s'est trompé et à changer sa direction. . dans la pratique, quand un problème est arrivé à maturité, il faut prendre le risque de se tromper, il n'y a pas d'autre solution. C'est l'attitude adulte de celui qui a renoncé à s'accrocher à la sécurité des règles infantiles
.
Les rêves sont l'expression de l'inconscient, de la nature.. L'inconscient n'est pas un conseiller indulgent ou une sorte de surmoi qui dicte des règles de conduite ; il traduit (aussi) froidement une réaction de la nature de façon cruellement objective dans son étrangeté.
Il arrive que les rêves vous donnent des conseils clairs que l'on a tout avantage à suivre. Il est des rêves qui demandent une interprétation sur le plan concret.. l'inconscient a bien des façons de réagir. Tantôt il conseillera avec patience, de façon quasi maternelle, tantôt (généralement quand le sujet refuse de l'écouter) il se contentera d'exprimer la nature dans toute sa cruauté. Cependant. il existe une relation entre l' attitude consciente du rêveur et la façon dont réagit l'inconscient : une personne habituée à tenir compte de ses rêves et prête à y chercher des indications pour sa conduite aura généralement des songes plus nuancés et plus différenciés que quelqu'un qui a besoin de recevoir de grands chocs pour réagir.
On observe que chaque individu semble avoir son propre niveau éthique. Il existe des personnes à la peau épaisse. elles peuvent marcher joyeusement sur les pieds d'autrui sans en éprouver de notables répercussions psychiques. D'autres, au contraire, ne peuvent rien se permettre : dès qu'elles dévient d'un cheveu de leur propre loi intérieure, elles provoquent en elles-mêmes les pires bouleversements et les rêves les plus affreux. Ces personnes douées de sensibilité et de finesse sur ce plan ont, certes, beaucoup de peine à suivre leur voie et à s'adapter au monde extérieur, mais ce sens éthique leur est, par contre, d'une grande aide en ce qui concerne le processus d'individuation. Ceux qui en sont dépourvus avancent beaucoup moins vite, parce qu'ils peuvent réprimer bien plus de choses sans se poser de questions ni être mis en cause par l'inconscient. . L'inconscient l'a, en quelque sorte, pardonnée, a été indulgent, ou bien la censure a joué et le rêve n'a pas été retenu.. (*5)
Découvrir un code humain, simple peut-être, mais valable au-delà des différences nationales et individuelles, quelque chose comme les lois de base du comportement humain, me fascinait. Je dois avouer que je ne les ai pas trouvées, ou plutôt que la réponse est toujours « oui » et « non », car toute proposition a son contraire. P.197
Je puis vous citer des histoires où il est dit que si vous vous trouvez confronté avec le mal, il faut le combattre, mais il en existe un aussi grand nombre qui vous diront de le fuir sans tenter de vous y opposer. Certains contes conseillent de supporter les affronts sans riposter, d'autres de ne pas être stupide ou couard et de rendre les coups. Certains montrent que la seule chose à faire pour éviter le danger est de ruser et de mentir, d'autres, qn'il faut être honnête, même devant les méchants et au péril de sa vie, et de ne pas participer au mal par le mensonge. Les solutions proposées sont multiples : il en existe toujours dans un sens et dans l'autre, c'est une illustration de la complexio oppositorum... Si les réponses étaient simples et les règles de comportement déterminées une fois pour toutes, comment y aurait-il une possibilité de réactions individuelles responsables ? Le fait que les matériaux collectifs et nos dispositions éthiques de base semblent se contredire permet seul à notre conscience d'être libre de ses choix. La nature humaine propose telle ou telle solution générale, mais moi je sens que je dois faire quelque chose de différent ; c'est le troisième terme (*6), qui est l'expression de mon individualité.
Il semble qu'il y ait cependant une exception : d'après les contes, il ne faut jamais (sauf demande expresse de celui-ci), blesser ou tuer l'animal bienfaisant, ni lui désobéir. Cependant, lorsque nous examinons ce que conseille l'animal, nous retrouvons la contradiction : l'un dit de fuir, l'autre de combattre, l'un de ruser, l'autre de toujours être loyal. Cela signifie, en fin de compte, que la chose essentielle est la fidélité à notre être intérieur fondamental et à notre nature instinctive. ..
Un facteur.. qui intervient dans les problèmes éthiques que posent les contes de fées, est le rôle de compensation de l'inconscient, que Jung considère comme l'un des caractères typiques de son fonctionnement chez tous les individus. Jung cite le cas d'une femme qui se prenait pour une grande sainte, et qui rêvait toutes les nuits les pires obscénités sexuelles. Par contre, des êtres qui vivent leur côté le plus obscur et répriment le meilleur d'eux-mêmes peuvent avoir toutes sortes de rêves où ils sont les sauveurs de l'humanité. P.199
.
Il est bon de temps à autre de taper sur la tête des personnages officiels pour les empêcher de devenir trop autoritaires et trop imbus de leurs prérogatives ..
Cf. le livre de Konrad Lorenz : L'agression. Une histoire naturelle du mal. ..
D'après cet auteur, l'homme a surdéveloppé cet instinct d'agression dirigé contre ceux de son espèce et oublié les freins correspondants que sont les rites d'apaisement et de respect des femelles et des petits ; en ce sens, il est un animal perverti. Si nous voulons éviter le suicide massif de notre espèce, il nous faut prendre conscience de ce fait et retrouver des instincts normaux. .. Une des suggestions de l'auteur est que les êtres humains apprennent à se connaître davantage. En effet, aussitôt que des animaux se connaissent bien, leur agressivité cesse. Si un animal est habitué à l'odeur d'un autre, il ne peut plus le tuer. P.201
. Le mal, dans un contexte primitif, apparaît comme quelque chose d'anormal et de démoniaque ; c'est une sorte de phénomène naturel effrayant qui submerge l'individu. A ce niveau, le mal ne soulève pas un problème d'ordre éthique, mais seulement d'ordre pratique. La question posée par les conte est celle-ci : peut-on l'emporter sur les forces mauvaises et comment ? ou doit-on se contenter d'essayer de sauver sa vie ? Celle de savoir si l'on a commis ou non une erreur morale et la question de la responsabilité personnelle vis-à-vis du phénomène n'existent pas à ce niveau.

L'ESPRIT DE LA MONTAGNE DU CHEVAL

C'est là un récit classique . il ne semble mener nulle part : il est simplement excitant et vous fait frissonner. On sait l'effet que produisent les histoires de fantômes, et l'émerveillement terrifié et palpitant que l'on ressentait, étant enfants, à les entendre.
L'être humain prend un certain plaisir (*7) à ces choses, j'ai souvent observé que si l'on prive les enfants de ce genre de récits, ils les inventent eux mêmes .
.. On peut rapprocher de cela le fait que les gens se précipitent pour voir un affreux accident de voiture et s'en délectent. On le racontera à table une ou plusieurs fois, quitte à devenir livide, à prendre mal au cour et à ne pas pouvoir continuer le repas. C'est là le niveau primitif en l'homme.. On ne vous fera grâce de rien, d'aucun détail morbide et horrible.
Si nous considérons le monstre de ce récit chinois comme une personnification du phénomènes du mal,du malheur et de ce qui est effrayant dans la nature, on voit qu'il y est ressenti comme étant d'essence surnaturelle. Il est hautement numineux et par conséquent extrêmement fascinant... C'est un phénomène à la fois attrayant et terrifiant absolument non personnel et non humain, comme l'émotion ressentie devant une avalanche, la foudre, une inondation, un fait incompréhensible, la maladie et la mort. Ces esprits ou dieux de la nature, monstres, ogres et autres démons apparaissent aussi réels que les phénomènes destructeurs qu'ils représentent et auxquels nous devons faire face. Si une avalanche se déclenche, vous essayez de vous protéger derrière un obstacle ou de fuir : tenter autre chose serait de la folie. P. 205
Ce récit est archétypique, car des figures telles que cet esprit de la montagne existent dans le monde entier : c'est dire que le psychisme humain est structuré de façon à produire de semblables imaginations. Partout où l'homme a vécu au contact de la nature, il a cru en des esprits semblables à celui-ci qui, sous des formes légèrement différentes, ont en commun d'apparaître comme non naturels, surhumains, effrayants, puissants et fascinants.

Voici une histoire qui montre comment le phénomène du mal se manifeste à travers l'être humain, ou en lui :

LES JAMBES-LANCES

Cette histoire illustre le phénomène de possession. possession signifie que le moi individuel est assimilé et submergé par des images numineuses, archétypiques. Ce conte montre la lente et horrible déshumanisation du frère aîné qui commence avec sa participation à la fête de boisson. L'instinct du jeune frère lui dit de se méfier, mais l'aîné ne veut pas l'écouter et désire se payer du bon temps. Cela peut paraître une erreur pardonnable, et pourtant c'est à partir de ce moment qu'il est possédé. L'acte suivant, qui paraît également bénin, est de mettre trop de bois dans le feu ; cela aussi dévoile un manque de jugement et symbolise la flambée d'énergie non intégrée qui submerge le sujet lors d'un épisode psychotique. Les alchimistes attachaient beaucoup d'importance à la surveillance de leur feu, qui devait être tempéré.. Dans les sociétés primitives, où survivre, exige un dur labeur, personne ne gaspille.
Là où les difficultés de la vie sont grandes, on apprend à économiser autant que possible son propre effort et à respecter celui des autres.
Dans nos sociétés urbaines, atteintes de gigantisme, on ne respecte plus les règles élémentaires de vie en commun et l'on cultive au contraire le laisser- aller et l'irresponsabilité, ce qui amène la désagrégation des rapports humains. Le frère aîné . se brûle les jambes, il crie «Akkà», mais continue. Il a perdu jusqu'à l'instinct de conservation, son jugement et même son instinct de chasseur, puisqu'il ne reconnaît pas les traces du daim. Il est intéressant de noter qu'en tombant au pouvoir du mal, il perd ses instincts normaux, mais qu'il acquiert des dons et des qualités surhumaines, des pouvoirs surnaturels..
Si l'on analyse ce conte du point de vue psychologique, on constate que c'est exactement ce qui arrive à l'être humain qui s'identifie à une figure archétypique : il dispose d'un afflux d'énergie vitale brute et même, parfois, de certains dons parapsychologiques - en relation avec l' archétype. (*8) Lorsqu'on est pris par un archétype, on s'identifie à l'inconscient et on a le sentiment de posséder des pouvoirs surhumains : c'est pourquoi l'on répugne tant à être exorcisé et réhumanisé. La peur de perdre cette puissance et ces pouvoirs explique en partie les résistances que les gens éprouvent à être soignés et guéris. Dans le développement de ce conte.. on décide simplement qu'il est devenu un démon et doit être supprimé ; p. 211
L'explosion de la psychose y est traitée comme une catastrophe naturelle que l'on essaye d'enrayer et de supprimer si on le peut, ou de fuir si on ne le peut pas : c'est uniquement un problème d'ordre pratique. Il est important de le savoir, car nous n'avons guère dépassé, vis-à-vis du mal, cette réaction primitive de base, ni sur le plan individuel, ni sur le plan collectif, où l'on se contente bien souvent de retirer de la société ou de supprimer le coupable ou le malade.

Une autre histoire de démon illustre ce problème difficile. Il ne s'agit pas là à proprement parler de possession, mais plutôt de l'altération et de la dissociation psychiques d'un être humain :

LE CRANE QUI ROULE

Il existe encore de nos jours, des croyances de ce genre concernant les gens qui se sont suicidés, ont été tués ou sont morts avant l'heure. ..
on pense que ces êtres deviennent hostiles après leur mort et se transforment en démons malfaisants. L'explication primitive de cette croyance est qu'il reste en eux une certaine quantité d'énergie vitale qui n'a pas été épuisée; .. l'énergie non utilisée est devenue néfaste; le mort est jaloux des vivants, n'ayant pas eu le temps de se détacher naturellement de l'existence, aussi a-t-il maintenant un effet destructeur et dangereux dans le monde des vivants. On voit ici l'énergie vitale dont le développement a été brutalement interrompu se changer en un fantôme malfaisant .
..d'un point de vue psychologique. J'ai trop souvent constaté l'effet négatif de morts soudaines pour ne pas penser qu'il existe, outre un phénomène de projection, une base très objective à ces croyances. Il arrive, par exemple, que des personnes qui ont perdu un proche soient victimes, quelques jours plus tard, d'un accident d'auto. On peut l'expliquer rationnellement en disant que la personne était triste et fatiguée, ou bien dire que le mort a attiré le vivant dans la tombe. Les deux explications ont probablement du vrai .. p ;215
psychologiquement, le phénomène de l'attirance exercée par la mort existe.
Ce phénomène est particulièrement sensible lorsque l'on perd quelqu'un avec qui l'on a vécu de façon intime, car l'énorme énergie psychique investie dans la relation affective et l'adaptation à l'autre est brusqnement coupée. Cette énergie qui n'a plus d'objet reflue en nous, et l'on sait que toute énergie inemployée est susceptible de produire des effets dangereux. Ces forces attirent le sujet dans l'inconscient et dissocient la personnalité jusqu'à ce que de nouveaux objets d'adaptation et de canalisation de la libido se présentent et que la vie reprenne son cours. .. Quiconque a perdu un être aimé sait combien est terrible cette expérience de l'élan vers l'autre qui tombe dans le vide de l'absence. Chez quelqu'un qui n'est pas très conscient et ne réalise pas très bien ce qui lui arrive, ou dont la personnalité est fragile, il peut se produire une dissociation psychique ou bien l'énergie s'écoulera vers des objets inadéquats. .. cela peut prendre la forme d'une colère noire qui se projettera souvent sur un bouc émissaire. Dans une société plus « évoluée », on accusera le médecin, ou bien il y aura des querelles terribles autour de l'héritage, qui ne sont pas tellement dues à l'avidité des héritiers qu'au besoin d'abréagir le surplus de libido dont on ne sait plus que faire. Ces diableries post mortem sont, hélas, trop fréquentes. On peut expliquer les choses rationnellement, mais les rêves et les contes formulent généralement la chose différemment, en disant que c'est le mort lui-même qui crée ces perturbations ou ces malheurs. (*9) P.217

Petit séminaire du 10-12-98
*1 Si il y a une fonction sentiment, car celle-ci est toujours reliée au Soi. La fonction intélectuelle n'est pas éthique et n'est pas reliée au Soi. Si elle l'est, elle devient la fonction pensée. Ethique et morale s'opposent. Ne pas confondre la position éthique et narcissique. La position éthique existe si il y a une différenciation du sentiment ; elle est individuelle.
*2 Observer l'émotion. En présence de quelqu'un qui ne peut évoluer (abscence de fonction sentiment) et qui pourtant fait des rêves, la projection positive de l'analyste peut, par le transfert, amener la transformation.
Prudence quand on renvoit car les tendances destructrices peuvent se retourner contre la personne ou être projettées.
*3 Cf. rêve d'un patient devant signer un contrat avec l'Afrique : les éléphants se révoltaient. Il se renseigna et ne signa pas.
*4 Voir comment apparaît la figure de l'autre : soit l'inconscient à repérer quelque chôse, soit c'est une projection de l'ombre du rêveur.
*5 Quand le Moi est trop fragile.
*6 Le troisième terme englobe les deux autres.
*7 Pas un plaisir mais une nécessité pour polariser ; sinon le mal est refoulé ;soit il n'existe pas, soit c'est l'homme qui le porte.
*8 Le Moi est enflé par l'énergie archétypique ou submergé : délires, hallucinations.
*9 Les forces psychiques sont investies d'une énergie qui attire le Moi faible.

CHAPITRE II LA POSSESSION PAR LE MAL

Dans le chapitre précédent, j'ai tenté de cerner l'aire psychologique dans laquelle apparaît le problème du mal, au niveau des constellations archétypiques de l'inconscient collectif. .. ces récits reflètent la mentalité primitive et l'expérience originelle du mal par l'être humain proche de la nature, et non séparé d'elle par notre civilisation et son évolution technique. Nous avons vu qu'à ce niveau l'être humain ne se pose pas de problème psychologique ou éthique : la dissociation ou la possession psychiques sont considérées comme des catastrophes naturelles.
.. On pourrait, en littérature moderne, montrant(er) le terrible conflit intérieur d'un jeune homme déchiré entre son attachement pour son frère et le devoir collectif qui lui ordonne de dénoncer le criminel. P.219.
Ce qui produirait, à un autre degré de conscience, des motivations psychologiques, un conflit de devoirs, n'est considéré ici que sous le seul angle pratique. .. à ce niveau le mal n'étai(es)t pas seulement assimilé aux démons de la nature . mais aussi aux esprits des individus morts de mort violente.

LES ESPRITS DES PENDUS
.on nous décrit ici les conséquences d'une mort violente. .ce n'est pas seulement l'esprit de la première femme suicidée qui se transforme en mauvais fantôme, mais cela se reproduit, un suicide en entraînant un autre.
Psychologiquement : on sait que le suicide est contagieux. (cf. communauté..) Les suicides peuvent également se succéder, de génération en génération, dans une même famille. C'est une suite sans fin de meurtres jusqu'à ce qu'un homme courageux, (*1) tel que le soldat du conte, intervienne et mette fin à l'effet destructeur.La femme-revenant (*2) n'agit pas ici par pure méchanceté, mais pour se libérer de cette existence intermédiaire où elle ne peut ni retourner à la vie, ni se rendre définitivement dans l'au-delà. P. 225

L'ESPRIT DE LA FORET TROMPE PAR LA RUSE (*3)

DAME TRUDE

TRUNT, TRUNT, ET LES TROLLS DES MONTAGNES

.. A quelle catégorie appartiennent ces puissances maléfiques. certaines sont des esprits définis, connus .. comme l'esprit des forêts qui dévore les chasseurs, .. la géante des montagnes..
Ce sont des personnages connus du folklore, qui font partie de ces esprits mauvais qui vivent dans les régions sauvages considérées comme étranges et dangereuses par le groupe sociologique ou le peuple concerné. Pour ceux qui vivent près de la mer, ce seront des esprits marins ; pour ceux qui vivent près de forêts sauvages, des esprits des bois, tandis que pour les peuples montagnards, ce seront les esprits des hauteurs et des glaciers. Cela a incité la plupart des philologues et des ethnologues à penser que ces esprits étaient de simples personnifications des forces de la nature.
.. ces puissances, sous leur forme originelle, sont en relation étroite avec les dangers venant des animaux féroces, des forêts, de la neige, des tempêtes, des inondations, des éboulements de terrain, des tremblements de terre, etc., mais elles ne se réduisent pas à cela, .. elles ont également un aspect psychologique. Si, dans beaucoup de récits, ces esprits ont un nom et une légende connus. dans d'autres ils n'ont pas même de forme ou de nom.
Dans certains de ces contes, des êtres humains sont victimes des pouvoirs des esprits de la nature : un homme normal peut se transformer en un être démoniaque et meurtrier (*4).la forme la plus terrible de mal que j'aie jamais rencontrée dans ma vie, . c'est celle des personnes qui ont été englouties par les archétypes du mal, c'est le phénomène de possession.
Il existe encore dans les contes une autre catégorie d'esprits : ceux d'êtres humains innocents qui, morts de mort violente, deviennent, à partir de là, les esprits malfaisants qui en attirent d'autres dans la tombe. Et nous avons conclu que cela s'expliquait par l'énergie que le décès d'un proche laisse inemployée, et par le mystère et la fascination de la mort, (*5) sur laquelle nous n'en savons guère plus aujourd'hui que l'homme primitif.
Si nous observons maintenant les conditions dans lesquelles ces personnages sont tombés au pouvoir du mal, nous voyons se dégager certains traits communs à la quasi totalité de ces récits. .. la boisson joue un rôle important ; on peut en conclure que boire de l'alcool ou le jus de certaines plantes est, pour le primitif, l'un des moyens les plus simples et les plus faciles d'ouvrir la porte aux esprits par abaissement du niveau mental. La solitude ou l'isolement par rapport aux villageois ou à la tribu à laquelle on appartient rend également vulnérable.
Quant à la jeune fille solitaire. elle désira rester seule et se dissocia de la fête du clan, ce qui incita l'esprit des bois à penser qu'elle serait une proie facile à dévorer. Se trouver seul dans un pays ou un milieu étranger rend un individu plus vulnérable à l'inconscient ; il n'est plus soutenu par le conscient du groupe. Etre parmi des gens avec qui l'on n'a pas de liens affectifs est une forme de solitude.
Dans le cas de la fillette de « Dame Trude », c'est une curiosité enfantine et l'absence de crainte révérentielle devant la puissance du mal qui ouvre la porte à celui-ci. P.231
Dans beaucoup de récits de par le monde, on rencontre cette sorte d'audace infantile qui ressemble à du courage, mais n'en est pas vraiment ; il s'agit plutôt d'un manque de jugement, d'une absence d'instinct et de réserve respectueuse devant des forces qui nous dépassent. Cette inconscience du danger que représentent les forces obscures, qu'elles appartiennent à la nature extérieure ou aux profondeurs psychiques, fait que l'être humain pénètre sans défense dans le domaine de l'archétype. . cette attitude est traitée de frevel. . « frivole » et il en a aussi le sens de « superficiel », « léger ». Mais il signifie plus encore que cela. . enfreindre les règles.. jagdfrevel est le mot usuel pour désigner le fait de transgresser les lois de la chasse, comme de chasser hors de la saison, tuer une biche grosse, ou mal viser et blesser un animal sans s'occuper de l'achever. Autrefois, ce mot avait une connotation plus religieuse. de blasphème ou de sacrilège. « passer les bornes », quitter l'attitude respectueuse due aux puissances numineuses.
Cf. histoire : L'aîné des bergers. s'était comporté avec bravade et impertinence envers l'esprit de la montagne, le traitant en égal. Ce faisant, il manquait de réalisme et d'instinct du danger. P.233
..Ces gardiens de bétail sont beaucoup plus primitifs que les Indiens d'Amérique du Sud, car ils n'ont rien qui ressemble à un Kouroupira, à un esprit qui ait une forme définie et un nom ; i1s se contentent de parler de « Ça ».
Qui est ce « Ça » qui retient la montagne ou la laisse aller ? ..« Ça » est tantôt bénéfique, tantôt mauvais, et tantôt neutre. Parfois son comportement se rapproche de celui d'un être humain, et parfois il est tout à fait impersonnel. Nul ne sait de quoi il a l'air, il agit seulement..
. On voit que « Ça » demande à être traité de façon tout à fait spéciale : il ne faut pas se laisser impressionner par lui au point d'être pris de panique, mais il ne faut pas non plus le traiter à la légère, sinon il devient hostile. L'attitude de l'enfant dans « Dame Trude » ou du berger d'Uri montre le risque d'une attitude irresponsable vis-à-vis des forces dangereuses, qu'elles soient extérieures ou intérieures - ou les deux.
.si l'on a quelque expérience de la vie, on sait qu'une attitude infantile et une méconnaissance des dangers psychiques ouvrent la porte à tous les genres de possession, d'inflation et de dissociation. Ces phénomènes et les règles de conduite à tenir en face d'eux ne sont pas, réservés aux seules sociétés ou aux individus demeurés proches de la nature : on voit tous les jours des personnes chez qui le vernis culturel (*6) et le conscient rationnel craquent. .. ils y apparaissent dans toute leur vérité, sans y être recouverts par le rationalisme et l'intellectualisme. des individus qui vivent en contact direct avec les forces de la nature et ses dangers apprennent à la respecter davantage que ceux qui sont protégés par le confort et la vie artificielle procurés par la société technique où nous vivons. La vie citadine nous entretient dans une inconscience des dangers du dehors et du dedans jusqu'à ce que ceux-ci nous rattrapent par quelque catastrophe : tremblement de terre, crise économique, guerres, pollution - ou encore épidémies d'angoisses et de névroses. .. J'éprouve un malaise lorsque je découvre chez un de mes analysés cette imprudence infantile. Que vous devez rencontrer le mal et l'explorer parce qu'il est une partie de vous, de votre destin, s'il y a une raison valable ou que vos rêves vous disent de le faire, c'est autre chose : il s'agit alors de votre mal, de l'abîme que vous portez en vous- même et qu'il vous faudra, tôt ou tard, reconnaître. Mais si vous agissez poussé par une attitude frivole, par simple curiosité intellectuelle ou par un goût pervers « pour voir », sans tenir compte du caractère contagieux et destructeur du phénomène, vous vous comportez en inconscient irresponsable, incapable de juger de la gravité d'un danger ; vous devenez donc une proie toute prête à être engloutie. P.235 ..
Quel aspect ont donc ces personnifications d'esprits maléfiques?
..une théorie fort répandue selon laquelle ces démons ne sont que des personnifications des forces mauvaises de la nature. Je la crois insuffisante. Ce que l'homme vit comme mauvais est d'abord ce qui met sa vie ou sa sécurité en question, ce qui est désagréable ou dangereux pour lui et le remplit de panique. C'est ainsi que s'est formée son expérience archétypique du mal : la faim, le froid, le feu, l'inondation, le glissement de terrain et l'avalanche, la tempête de neige, la tempête en mer et le danger de noyade, celui de se perdre en forêt, les animaux féroces, ours blanc du Nord, lion, crocodile africain, serpent ou scorpion, ours ou loup de chez nous, la maladie, la mort, etc.
Il est frappant de constater un peu partout une tendance à représenter ces forces sous une forme composée. . Ce sont tantôt des figures à demi-humaines et à demi-animales, tantôt des silhouettes humaines déformées.des êtres hybrides. (*7) On ne peut éviter de comparer toutes ces distorsions aux phantasmes et aux dessins de schizophrènes, ce qui a induit la théorie également très répandue selon laquelle les esprits malfaisants ne seraient que les produits phantasmatiques d'individus schizophrènes, en l'occurrence ceux qui ont commerce avec les esprits, tels que l'homme-médecine et le chaman. Ceux-ci ne seraient que des individus psychotiques qui terroriseraient le reste de la tribu en se servant de leurs propres images délirantes. P. 237.
Mais de notre point de vue, le processus est inverse : beaucoup d'individus qui se dissolvent dans un épisode psychotique ou dans une psychose chronique ont été comme happés par une expérience archétypique du mal ; on aurait dit autrefois que le diable les avait saisis.
L'expérience archétypique du mal fait apparaître les forces mauvaises sous la forme d'êtres humains contrefaits, ou bestiaux,.cela est chargé de sens symbolique : c'est la projection du fait que le mal, tel qu'il est vécu psychiquement par l'homme, est de se laisser prendre par une attitude unilatérale, un mode de comportement unique, qui engloutit le conscient, le déforme ou le démembre. (*8)
La vie de tous les animaux, même à des niveaux archaïques d'évolution, est modelée par .. des « modèles de comportement ». ..
Il arrive que les modèles de comportement débordent leur objet et entrent en collision, ce qui met le sujet en difficulté. Dans ce cas, des comportements qui sont destinés à être des moyens d'adaptation aux situations vitales font l'effet contraire et deviennent un handicap. Expérimentalement, l'homme peut rendre l'animal tout à fait névrosé ou dissocié en le mettant dans des situations contradictoires que son comportement instinctif ne permet pas d'affronter. lorsque l'on perturbe ses conditions naturelles. P. 239
Cf. lézard mâle et la poule couveuse.. jusqu'à ce que l'une des deux pulsions cède..
On voit que, même au niveau animal, les comportements instinctifs ne sont pas sans poser des problèmes. C'est peut-être la raison pour laquelle la nature inventa progressivement de plus hautes formes de conscience, créant une sorte d'office central capable de décider de la nécessité de passer d'un certain modèle de comportement à un autre plus adapté. Notre moi conscient, hélas, ne réussit pas toujours à mieux régler les conflits psychiques que ne le fait l'instinct animal, et il en crée même souvent de nouveaux en s'opposant aux instincts ou en s'enferrant dans des conflits de devoirs. Une femme peut vivre un conflit entre son propre instinct de conservation et l'intérêt de ses enfants.. Les situations conflictuelles sont sans nombre et d'une infinie variété.
Mais il y a pire que le conflit : chaque fois qu'un individu est dominé unilatéralement par un modèle de comportement, son adaptation et son équilibre sont gravement perturbés. Il y a toujours un danger à se laisser prendre par un comportement particulier. Emportés par la passion sexuelle, la plupart des animaux deviennent inconscients du danger. . Pour les animaux comme pour les êtres humains, il est bien difficile de dire où finit le comportement instinctif et où commence le choix conscient.
Ces comportements instinctifs constituent les racines profondes de l'être humain ; lui aussi risque de se laisser emporter par eux, c'est-à-dire par des modèles archétypiques qui se manifestent dans ses actes, ses affects et ses phantasmes. Si l' l'homme est submergé par un de ces comportements, on peut dire qu'il est « possédé » par lui. P. 241
Ne jouer qu'une seule note parmi celles qui composent la mélodie de nos possibilités est en soi un mal. (*9)
Nous commençons donc à voir ce qui relie relie la possession psychique aux dangers naturels : si le conscient est emporté par un affect violent, c'est l'analogue d'un glissement de terrain, sauf que le premier phénomène est intérieur et le second extérieur. Les vannes de l'affect cèdent et l'on est submergé; tout comportement humain, tel que l'exercice de la raison, la relation aux autres, etc., est balayé, le moi conscient est englouti. (*10)
Les personnes menacées d'être emportées par un affect violent dissociant peuvent rêver d'avalanche, d'explosion, d'incendie, ou de tout autre cataclysme. (A notre poque, il s'y ajoute, par exemple, l'explosion atomique.) L'inconscient utilise une image symbolique adéquate pour prédire, non une catastrophe extérieure, mais intérieure. Le comportement culturel qui s'est édifié dans la personnalité est totalement recouvert ou détruit par une émotion, une conduite unilatérales : l'agressivité, la peur, ou une quelconque réaction primitive puissante..
Le fait que ces créatures soient représentées comme mi-animales ou à une jambe est très juste, car cela reflète la distorsion et l'incomplétude de l'homme dissocié ou possédé. Si, par exemple, vous vous mettez dans une telle colère contre votre femme que vous en arriviez à l'injurier ou à la frapper, vous marchez sur une jambe : vous ne vous rappelez que votre fureur, et vous oubliez que vous l'aimez également. Vous négligez l'aspect opposé, l'autre côté de vous-même ou de la situation. Vous vous comportez de façon unijambiste, ou votre tête roule de façon autonome.
Beaucoup d'intellectuels ou de scientifiques modernes et des personnes hyperrationnelles sont comme des crânes qui roulent : il leur manque le coeur et toutes les réactions humaines normales ! .. Lorsqu'une personne schizophrène dessine un tel démon, c'est pour montrer que ce qui est en elle, ou ce qui la tient captive, est une force de cet ordre.
Nous en arrivons au problème suivant, qui est de savoir comment l'être humain peut se comporter devant le mal. Nous avons vu que l'une des attitudes les plus réquentes qui rendent vulnérable aux attaques des esprits est un goût excessif pour la solitude.
Est-ce l'isolement physique, affectif ou psychique qui invite à la possession ? Personnellement, je crois que ce sont les trois. .
Dans certaines traditions, la solitude est recherchée par les personnes qui désirent atteindre un niveau de développement spirituel et religieux plus élevé, que ce soit l'illumination, la sainteté ou le don chamanique. Nous devons donc modifier notre conclusion pour y inclure ces éléments, et dire que la solitude invite les puissances de l'au-delà à se manifester, en bien ou en mal. L'explication psychologique en est que la quantité d'énergie utilisée normalement dans la relation avec l'entourage revient en ce cas vers le sujet et active l'inconscient. p.243
Si l'on demeure longtemps seul, l'inconscient est renforcé, pour le meilleur et pour le pire : on se battra avec le diable, ou l'on aura une expérience intérieure numineuse, ou les deux à la fois. .. ceux qui se retiraient ainsi dans l'introversion, à la recherche de la sainteté.. étaient tourmentés par les démons, ce qui s'explique par le fait qu'au début l'apport d'énergie libéré par cette retraite renforce les complexes autonomes de l'inconscient.
. l'introversion pouvait fortifier la conscience. Mais chaque fois que montait un phantasme, je le prenais pour point de départ d'une imagination active que j'écrivais, et je me trouvais en paix.. au moment où je rencontrai cet esprit-voleur de façon inconsciente et sans le moyen d'approche que constitue l'imagination active, j'étais en bonne voie pour me faire gentiment posséder. J'étais même assez stupide, bien que j'aie eu à l'époque de bonnes notions de psychologie junguienne, pour ne pas voir que ce voleur était un animus qui envahissait mon territoire.
. la solitude renforce et fait surgir ce qui est dans l'inconscient et.. si l'on ne sait pas comment s'y prendre avec ces contenus, ils se manifestent en projections sur l'extérieur. parce que j'étais moderne et rationnelle, j'imaginais cette puissance terrifiante qui faisait irruption en moi sous la forme plus acceptable d'un criminel, mais le processus lui-même était exactement semblable. La plupart des gens ne sont pas capables de supporter longtemps de pareilles situations ; ils ont besoin de la compagnie des autres pour se protéger contre « Ça », contre l'inconscient.
Cf Renner.l'homme qui vit seul dans la nature doit tracer un anneau d'or protecteur autour de lui, un mandala, soit en lançant sa prière dans les quatre directions de l'espace, soit en faisant le geste de tracer un cercle autour de lui, soit en le dessinant sur le sol. Si l'on ne sait pas, d'une façon ou d'une autre, se protéger par des pratiques rituelles, on ne peut vivre longtemps seul dans la nature sauvage sans danger ; il faut le cercle magique, ne serait-ce que nos propres affaires rangées autour de nous.
.un mot des conditions d'hospitalisation dans les hôpitaux psychiatriques. .. on enlève aux patients tous leurs objets personnels. à partir du moment où tout leur avait été retiré, ils s'étaient sentis abattus, perdus, livrés nus et sans protection aux puissances du mal, et avaient renoncé à lutter. C'est comme si leur dernier refuge leur avait été retiré. ..ces petits objets auxquels on est attaché par un lien émotif et qui sont nécessaires pour constituer l'anneau d'or de protection autour de soi. (*11) P. 247
Les objets familiers assurent une continuité au conscient ébranlé et les supprimer ne peut qu'aggraver l'état mental de ces personnes en accélérant la dissociation psychique, la perte d'identité et la déshumanisation d'êtres rendus anonymes. Le même processus se produit dans les hôpitaux, les asiles de vieillards et les prisons.
La solitude attire encore le mal d'une autre façon : si vous vivez seul loin d'une communauté humaine pendant très longtemps, la tribu ou les autres personnes du groupe projettent leur ombre sur vous sans que les faits puissent apporter une correction. Ainsi, quand je rentre de longues vacances et que je revois des personnes que j'ai en traitement, j'ai souvent remarqué qu'elles ont progressivement tissé des sortes de toiles d'araignées avec les idées négatives les plus extraordinaires à mon sujet. C'est pourquoi l'on dit en français que « les absents ont toujours tort ». La chaleur du contact réel dissipe ces nuages de projections négatives.
Le solitaire n'est donc pas seulement exposé au mal qui se manifeste dans sa propre nature mais aussi aux projections des autres. lorsque les gens ne comprennent pas, ils projettent sur vous leur propre mal. Dans des temps plus anciens.. l'étranger était dangereux, il amenait avec lui la maladie, le meurtre et le désordre dans les relations humaines, c'est pourquoi on ne pouvait l'approcher qu'avec toutes sortes de précautions. P.249

Petit séminaire du 20-01-99
*1 C'est le travail de prise de conscience de l'enchaînement destructeur. Faire jouer le Soi ou l' Animus positif chez la femme ; polariser la pulsion de vie qui s'active.
*2 L'âme errante est une énergie qui n'est pas placée dans une énergie d'évolution.
*3 La pulsion de mort se symbolisant permet alors la polarisation. A travers une initiation la pulsion destructrice peut passer au pôle évolutif : cf. rêve de la vallée aux tombes blanches.
Voir dans les rêves si les images sont archétypiques, car l'archétype est le jocker et vient là où l'histoire n'arrive pas à se refaire au plan personnel.
*4 Tant qu'elles sont polarisées par des investissements positifs dans la vie (sentimental, professionnel etc. ) ces forces démoniaques sont maintenues. Mais la perte de ces investissement amène la déstabilisation.
*5 La mort est une composante de la vie : les trois Parques, c'est une seule et même pulsion. C'est à l'analyste de tenir le fil de la pulsion de vie car l'analysant se décourage. Cf. le petit bonhomme positif du rêve reste porteur de la pulsion de mort puisqi'il en est issu, mais elle est raccochée à la pulsion de vie.
Aider le Soi à émerger. L'analyste est l'archétype manquant. ( le cône de poussière dans le rêve de F. C. est une promesse du Soi.)
*6 Si le Moi n'est pas structuré il est englouti par la rencontre de ces forces, de son « imaginal », il croit que c'est de l'imagination active ..
*7 Comme le Cyclope. Devant des images comme ça il faut donner tout ce que l'on peut au Moi pour le structurer et qu'il ait confiance en lui. C'est faire de la « psychagogie » (Charles Bauduin) ; être éducatif par rapport à la vie ; donner des repères de vie au quotidien : comment on fait dans la vie de tous les jours ; c'est du holding.
*8 Toute unilatéralité est négative ; il faut toujours deux pôles en tension et que chacun soit énergétisé, sinon on est dans l'illusion.
*9 Car laisse toute les autres dans l'inconscient.
*10 Devant des rêves de 'cataclysme' évaluer la capacité du moi conscient face à ce contenu et s'attacher à le soutenir.
Au début d'une analyse toujours interpréter d'une manière douce ; quand on est plus loin dans l'analyse, on peut parler d'un complexe.
Chaque cas est particulier ; ces images peuvent être la représentation ou d'un noyau psychitique, ou d'un complexe, ou d'affects puissants. Elles peuvent amener et expliquer les distorsions dans le comportement.
*11 Etre nu, démuni.

CHAPITRE III LA RENCONTRE AVEC LES PUISSANCES DU MAL

..les situations qui, d'après les contes, paraissent attirer les puissances du mal.. la légèreté, la boisson, l'isolement phy sique ou psy- chologique sont parmi les conditions qui se retrouvent le plus fréquemment ; mais d'autres sont également dignes d' être relevées. dépasser la mesure en se laissant griser par le succès attire le mal.. l'équilibre naturel demande à être respecté ; .. P 251
En respectant les lois de la vie, l'homme ne fait que retrouver la loi naturelle de l'instinct ..
Nous commençons, trop tardivement, à prendre conscience que l'homme est le seul animal capable de détruire entièrement son environnement et toute l'économie biologique de la planète, attirant un mal irréversible sur lui-même et sur les autres êtres. Nous nous éveillons seulement au fait que nous avons dérangé Kouroupira . nous sommes beaucoup moins conscients que le primitif (et nous sommes très en dessous de la sagesse instinctive du fauve), car nous avons perdu, et nos freins naturels, et la crainte religieuse des esprits de la nature.
Le mal, tel qu'il apparaît dans le folklore, n'est donc pas vécu au niveau de la morale courante, de la loi religieuse ou de l'éthique, mais comme un phénomène de la nature. Cela est très important du point vue pratique car nous sommes bien souvent confrontés avec cette forme de mal objectif. Il s'agit alors de la rencontre de Kouroupira, de « Ça », de Dame Trude ou de toutes les créatures analogues qui continuent leur existence au fond de notre psychisme. .. le point de vue des contes nous rappellent que l'issue de certaines situations ne dépend pas, à proprement parler, de notre décision ethique, mais que, pour être heureuse, elle exige que nous retrouvions la voie de la sagesse instinctive. Les puissances naturelles sont dangereuses, aussi l'une des façons archaïques les plus usuelles de se protéger d'elles est de rester à l'abri des règles et des tabous de la tribu. Pour chacun de nous aussi, suivre sa voie individuelle et se distinguer du groupe où de la masse est plein de périls et demande un réel courage. P.253

LA BELLE WASSILISSA

Contrairement à la capricieuse fillette de « Dame Trude », Wassilissa, mûrie par les épreuves, a une attitude juste vis-à-vis du mystère qu'incarne Baba- Yaga : elle n'y va que poussée par la nécessité et non par imprudente curiosité, et elle sait arrêter à temps ses questions.
Baba-Yaga, parle des cavaliers comme étant « mon Jour, mon Soleil et ma Nuit », comme lui appartenant, ce qui ne peut être le fait que de la Grande Déesse de la nature elle-même. Elle est entourée de crânes ; elle est donc aussi, de toute évidence, la déesse de la mort, qui est également un aspect de la nature. Baba-Yaga est la déesse du jour et de la nuit, de la vie et de la mort, elle est donc le grand principe de la nature. Elle a pour attributs le balai, cher à nos sorcières, ainsi que le mortier et le pilon, instruments qui ne sont pas sans évoquer la rande Déméter.. P.255
La mort et la renaissance du grain sont une image du passage de l'être humain par la mort, aussi ces mains- fantômes qui prennent le blé et le pavot pour les moudre appartiennent-elles à l'au-delà. Ce monde fantasmagorique est un domaine intouchable, le secret des dieux où il est dangereux de pénétrer. C'est l'au-delà, le royaume d'Hadès, maître du sommeil et de la mort.
Il y a de grandes différences entre l'attitude de Wassilissa et la curiosité infantile de l'héroïne de « Dame Trude » ; en outre, cette dernière ne possède pas de protection magique et l'idée ne lui vient même pas qu'elle pourrait en avoir besoin. Wassilissa, elle, reçoit la bénédiction de sa mère et la poupée et, malgré cela, elle n'aurait pas osé pénétrer sur le terrain de la sorcière sans y avoir été contrainte. On remarquera que la lutte entre la vie et la mort, le bien et le mal qui se produit entre Baba-Yaga et l'adolescente prend la forme archétypique de 1'« affrontement magique »,. De plus, chacune d'elles respecte l'ultime secret de l'autre : Wassilissa ne pose pas la dernière question, et la sorcière prétend se contenter de la mi-confidence de la jeune fille, qui lui cache l'existence de sa poupée. ..
Baba-Yaga se montre contrariée du silence de la jeune fille et provoque ses questions. Les trois premières concernent ce qu'elle a vu dans la forêt et celle qu'elle se garde de poser, ce qui se passe à l'intérieur de la cabane de Baba-Yaga et qui touche, de ce fait, à son intimité.
Dans une autre version, la sorcière dit : « Tu as bien fait de ne pas me questionner sur les choses qui sont à l'intérieur, car il ne faut pas sortir la saleté hors de ma hutte. » Ces mots rappellent étrangement le dicton selon lequel il faut « laver son linge sale en famille ».
Dans une autre version, la sorcière demande à une fillette : « Enfant, m'as-tu vue dans ma misère ? » et l'enfant prétend n'avoir rien vu. C'est là un point intéressant : la sorcière serait humiliée qu'on mette au jour ses petitesses et ses saletés, elle est mal à l'aise vis-à-vis de sa face obscure, en a honte et se montre reconnaissante du tact dont fait preuve sa visiteuse. Elle cherche à cacher une partie d'elle-même ; sa personnalité est donc légèrement dissociée. Ell n'apparaît plus ici comme un simple démon de la nature, mais commence à prendre des traits humains, puisqu'elle se montre capable d'un début de différenciation éthique. C'est son point sensible ; c'est pourquoi, si elle avait insisté, la jeune fille aurait éveillé la colère de l'ogresse et se serait fait dévorer. C'est bien d'ailleurs ce qui arrive, dans certains cas, à l'analyste qui ose mettre le doigt sur l'ombre de l'analysé ! Il (ou elle) se fait avaler à l'instant par une irruption d'affect. Quand il s'agit d'un être humain, il est des cas où l'on doit en prendre le risque, mais avec une déesse, on serait certain de disparaître de la surface de la terre.
.. Baba-Yaga, n'est pas totalement mauvaise ; elle est ambiguë, claire ou sombre suivant les cas..
Le thème du mystère du dieu ou de la déesse qu'il ne faut pas dévoilé est répandu dans le monde entier. P. 257
. « Parce que tu as nié avec constance et que tu n'as pas révélé ce que tu as vu, je te récompenserai. » Si bien que, contrairement aux principes de notre morale chrétienne, une forme de mensonge plein de tact à propos de 1'ombre de ces divinités n'est pas considérée comme une faute ; au contraire, avoir su jeter un regard dans les abîmes du mal et prétendre n'en rien connaître est récompensé.
Beaucoup de versions modernes de ces contes ont été modifiées : la jeune fille y est persécutée à cause de ses mensonges ; elle finit par avouer la vérité, et c'est alors que la déesse la récompense. Ce sont là des versions artificielles, fabriquées. Il est évident que ce qui apparaît comme un mensonge est un signe de révérence, de respect envers l'altérité de la divinité.
Jung cite ( L'homme et ses symboles) le as d'un homme qui vint le voir parce qu'il souffrait de graves symptômes. Dès la première heure, Jung se rendit compte que cet homme lui cachait quelque chose, car il laissait paraître toutes les manifestations d'une mauvaise conscience. Mais, par une étrange intuition, il eut le sentiment qu'il ne devait pas aborder le sujet directement, si bien que cet homme put truquer pendant plusieurs années son analyse. Jung continua à ne pas intervenir, parce que les symptômes de cet homme s'atténuaient et qu'il le trouvait mieux à chaque séjour, chose qui ne se produit pas habituellement si l'on ruse avec l'analyste. Après plusieurs années, le patient lui confia un jour : « Dr Jung, il faut que je vous dise combien je vous suis reconnaissant de ne pas m'avoir posé de questions auparavant, car je n'aurais as pu vous répondre et cela aurait détruit notre travail. Puis il avoua une faute assez étrange qu'il avait commise et qu'il n'avait jamais pu regarder en face. Il avait fallu que se soit construite une relation humaine avec Jung, qu'il ait réparé sa propre estime de lui-même et son énergie avant de pouvoir assumer ce qu'il avait fait et le partager avec son analyste. Jung constata alors qu'il avait eu raison de ne pas faire intrusion dans le secret de cet homme, et que le sentiment irrationnel qui l'avait retenu était juste. On voit que la confession (la catharsis) n'est pas une panacée à utiliser n'importe où et n'importe quand.
Un parallèle intéressant de ce thème est le conte d' « Amour et Psyché » .. Psyché est poussée par ses sours jalouses à violer le secret de son époux Cupidon-Eros. etc.. la « boîte de beauté » .. Les secrets sont dangereux pour celui qui n'y est pas préparé, pour le non-initié, pour celui qui n'y est pas appelé. La question d'ouvrir ou de ne pas ouvrir la porte du mystère au bon moment existait déjà à un niveau très primitif.
Savoir s'il faut dévoiler ou ne pas dévoiler le secret est comme de marcher sur le fil du rasoir ; si vous vous trompez, il peut vous en coûter la vie ! P.259
. forcer une confidence avant le moment juste détruirait tout. La question est donc : « Dois-je jeter un coup d'oil dans la chambre interdite, ou dois-je faire comme si je ne me doutais de rien ? ». éviter à tout prix un diagnostic qui enfermerait la personne dans son état et risquerait de la précipiter dans l'abîme. On attendra les rêves, qui montrent généralement comment contourner le problème en consolidant la partie saine de la psyché ; peu à peu, cette partie saine s'élargira en tache d'huile et fera reculer la partie malade, si bien qu'un jour celle- ci pourra tout naturellement être dévoilée. Et l'on s'apercevra parfois que le problème n'existe plus ! .. Une jeune fille qui avait suivi régulièrement une analyse, y progressant sans grands heurts - le fond de son problème n'ayant guère été touché ouvertement -, rêva une nuit qu'elle découvrait qu'elle était schizophrène, ce qu'elle n'avait jamais pu s'avouer à elle-même. Une voix la reprenait alors sévèrement, disant : « Non, tu as été schizophrène ! », déclarant clairement qu'elle ne l'était plus. Un autre rêve, où elle voyait une enfant débile et psychotique guérie venir à elle, confirma le diagnostic de guérison.
.. Les contes semblent répondre à cela que nous sommes ambivalents parce que la Grande Déesse, la nature, l'est elle-même. P.261

LE JEUNE TSAR
.
La sorciere devient donc pour lui une déesse protectrice qui lui montre la voie à suivre. Tandis que la fillette de « Dame Trude » est encore une jeune créature sans défense, Ivan est un homme adulte. Symboliquement, cela signifie que seul celui qui a l'expérience intérieure des réalités profondes - et donc aussi du mal - est capable d'approcher un peu les mystères de la nature. .. quel que soit le sexe du sujet - il y faut des qualités viriles de courage et de décision. .. Baba-Yaga n'est pas réellement méchante, elle est comme la nature : si l'on sait s'y prendre avec elle, elle se comporte bien. II dépend donc de nous que nous fassions l'expérience de l'un ou de l'autre de ses aspects. .
Le problème atteint ici un niveau moins passif, plus conscient, puisque influencé par l'attitude et le comportement humains.
Baba-Yaga appelle Ivan : « Mon petit enfant » . La Grande Mère tente de le faire régresser à un stade d'impuissance infantile. Elle le teste, en cherchant à le rendre faible et à le transformer en petit garçon qu'eIle aurait mangé avec gourmandise à son dîner. ..
Savoir dire ou faire la chose juste au moment crucial fait tourner l'ensemble du problème.
Ce thème de la nature double de la sorcière nous ramène au motif du crâne .. aux yeux de braises .. (Wassilissa) . le phénomène de la conscience, à son origine, est une expérience immédiate de la voix ou du regard de Dieu en nous ; en termes psychologiques, nous dirons que c'est une manifestation du Soi dans la psyché. . c'est un phénomène naturel : la belle-mère sorcière et ses filles ne sont pas tuées par Wassilissa, mais par le phénomène même du mal qui les a possédées, par leur mauvaise conscience, repréntée ici sous une forme archaïque. .
. Wassilissa .. rend le crâne à la terre-mère à qui il appartient. Le pouvoir de vengeance qui a été placé entre ses mains s'exerce sans qu'elle en ait eu l'intention, car elle ne savait pas que ces yeux apporteraient la mort aux coupables. Elle désirait leur procurer le feu et la lumière demandés .. Wassilissa ne prétend pas conserver la puissance justicière de la nature,elle enterre le crâne et s'en va. Elle est totalêment détachée.
Toute action psychologique tend à produire des réactions en chaîne, en bien comme en mal. En ce qui concerne ce dernier, il se produit un état émotionnel contagieux : la colère répond à la colère, la haine à la haine, le crime au crime. . P.263 .. C'est pourquoi la sagesse veut qu'on interrompe le processus de désintégration. Quand on s'en aperçoit et que le moment en est venu, il est important de refuser de se laisser posséder par ce mécanisme et d'enterrer, en quelque sorte, son émotion destructrice, d'en détacher sa personnalité tout entière : de renoncer au sentiment de pouvoir qui accompagne toujours une forte émotion. Il eût été humain pour Wassilissa de se dire : « Elles n'ont que ce qu'elles méritent » et de se réjouir, mais alors Wassilissa elle-même se serait laissé prendre par la puissance de l'instrument de vengeance qu'elle avait utilisé,. Pareille attitude de détachement est difficile à atteindre, car l'émotion qui vous saisit devant une injustice ou une offense vous possède et balaie tout autre sentiment ; vous êtes soulevé par l'indignation, le désir de donner une leçon à l'autre, etc., et vous ne vous rendez pas compte que vous ne vous contentez pas de vous protéger contre le mal, mais que vous le propagez, et que vous vous identifiez au Dieu justicier, à la sorcière ou à la déesse-nature. C'est une inflation, et abandonner une inflation est un acte de lucidité et de courage, un vrai sacrifice aux dieux, car c'est renoncer à un sentiment de puissance surhumaine pour rentrer dans ses propres limites individuelles. L'expérience montre que souvent, si l'on appris à ne pas se laisser prendre par l'envie de faire justice soi-même ou de rendre le mal pour le mal, celui-ci revient en quelque sorte sur celui qui l'a provoqué. . s'en réjouir, c'est encore être un maillon de la chaîne des réactions mauvaises.
Savoir quitter la roue des illusions quand il le faut est de la plus grande importance . Se laisser contaminer par le mal mène à la mort, nous dit le conte. Le terrible secret de la sorcière, le mal et la mort ne font qu'un. ..
La mentalité primitive associe la mort et le mal.
Dans les mythes égyptiens.. la mort est personnifiée comme un ennemi contre lequel on lutte sa vie durant et qui, à la fin, a le dessus. Nous avons conservé cette idée dans le mot « agonie » (du grec agôn qui signifie « combat »). ..
Jusqu'à ce que la vie ait inventé l'homme, peu de créatures mouraient de vieillesse. Dans la nature, lorsque les forces physiques ont diminué, ou bien l'on est mangé, ou l'on meurt de faim, de soif et de froid. La mort nous apparaît comme cet ennemi définitif qui vous coupe la gorge, vous broie et vous dévore. . P. 265
. Si l'on se représente ces conditions d'origine, on comprend qu'être vaincu par le mal, par l'ennemi, être mangé et mourir sont des réalités très proches. C'est comme si notre énergie vitale était une lumière radieuse qui tient les lions, les tigres, les loups et même nos congénères en respect ; mais dès que cette lumière baisse et que la vitalité s'affaiblit, toutes les forces obscures font irruption et prennent le dessus sur elle, si bien que, sur le plan physique, le dernier combat est toujours une défaite au profit des ténèbres. Il y a donc parenté entre le symbolisme de la mort et celui du mal. .
Cette proximité entre le mal et la mort est peut-être la substructure de ce qui est, sur le plan psychologique, un grand danger : le désir de mort.
..Jung dit .. (que) lorsque l'on donnait de l'énergie psychique à quelqu'un, il fallait toujours observer ce que cette personne en faisait. S'il se produisait un progrès, même léger ou momentané, et même s'il y avait ensuite une rechute, on pouvait continuer à lui donner de l'amour, de l'attention et de l'énergie. Mais si cela produisait l'effet contraire, il fallait comprendre que l'on nourrissait le démon de cette personne et que celle-ci ne recevait rien de ce qu'on lui donnait. Il ne s'agissait pas de condamner l'individu en cause, mais de comprendre qu'une attitude de don ne lui servirait à rien. Dans ce cas, c'était comme si l'animus démoniaque de cette personne était installé devant sa bouche et avalait tout ce qu'on lui offrait de bon : en effet, si son démon grossissait, elle, elle maigrissait bel et bien.
Dans un cas semblable, si l'on continue à traiter la personne avec amour et attention, on agit de façon destructrice . Non seulement la tradition chrétienne, mais la tradition de la médecine somatique également obligent de façon impérative à toujours porter assistance au patient ; cela ne tient pas compte du fait qu'il peut arriver que l'on fasse ainsi prospérer le démon, tandis que l'état du sujet empire. C'est pourquoi, en ce cas, une seule attitude est juste : cesser de donner quoi que ce soit ! Jung me conseilla de renvoyer cette personne en lui expliquant quel démon malhonnête et menteur la possédait. .. P.267
... Son animus démoniaque oeuvrait à détruire, créant autour d'elle une atmosphère de mort psychique.
On peut observer ce phénomène dans la vie courante sous la forme apparemment anodine du trouble-fête : quand des gens sont heureux de s'amuser, quelqu'un arrive avec un air sinistre et jette un froid,. Si l'on reçoit un cadeau, on vous fait une remarque jalouse, si l'on se repose, on vous donne un sentiment de culpabilité, etc. Chaque fois que la vie psychique, le plaisir - au sens le plus fort - s'épanouissent, il se trouve des personnes pour les tuer par de l'envie, de la critique, ou le feu dévorant d'une fausse hauteur spirituelle. Devant ce désir démoniaque de détruire la flamme de la vie, le mieux est de se boucher les oreilles et de fuir. C'est pourquoi, en un sens, le mal est un squelette. L'esprit de « non-vie » et de « non-amour » a toujours été associé à l'essence du mal. C'est la négation pour elle-même, que tout un chacun porte en soi jusqu'à un certain point. Il vaut mieux faire jeûner à mort un tel démon de la mort : en le faisant, on le bat sur son propre terrain ; on avance une main de squelette pour serrer sa main de squelette, on ne lui offre pas de sang, de chaleur, d'énergie vitale jusqu'à ce que le démon retourne là d'où il est venu.
. la tradition judéo-chrétienne a formé et trempé notre conscience .. lui donnant un sens aigu du mal et tendant à établir des règles de charité et de conduite absolues. Cela est juste dans une certaine mesure lorsqu'il s'agit pour nous-mêmes d'acquérir une conscience plus élevée et plus subtile. Mais si nous appliquons cette rigueur aux autres, cela peut produire l'effet contraire et provoquer des réactions en chaîne de culpabilité et d'autopunition. Accumuler des braises sur la tête des autres en suggérant qu'ils devraient avoir mauvaise conscience est le plus sûr moyen de les rendre réellement méchants. Ces traits de comportement abominables ont fait de nous le groupe de peuples le plus inquiet et le plus désagréable de la planète. Cela est en rapport direct avec le mauvais usage que nous faisons de vues morales élevées que nous utilisons de façon erronée.
D'un autre côté, s'en tenir à la sagesse naturelle peut avoir l'inconvénient de créer un certain relâchement, une relativisation de l'attitude morale qui nous fait qualifier le blanc d'un peu noir et le noir d'un peu gris, jusqu'à ce que se forme une sorte de magma dans lequel le bien et le mal se confondent, anéantissant du coup toute aspiration éthique. .. Nous ne pouvons régresser sans dommage au niveau de l'ignorance de la limite entre le bien et le mal. Le mouvement actuel va dans ce sens : l'oisiveté, le fait de vivre aux dépens des autres n'apparaît plus humiliant à beaucoup. On ne vole plus, on « pique » . L'absence de tension entre les opposés aboutit à un appauvrissement de l'énergie vitale. . P.269
Une différenciation éthique trop aiguë en zones de noir et de blanc nettement délimitées n'est pas favorable à la vie. La familiarité avec les contes de fées m'a appris qu'il était probablement bon de traiter le mal extérieur à soi selon les règles de la sagesse naturelle, et d'appliquer la conscience aiguisée seulement à soi-même, car nous sommes seuls à connaître nos motivations et nos intentions réelles.
Cela nous ramène au fait qu'il n'est pas bon de révéler l'ombre secrète de la déesse de la nature, car c'est nier la différence d'essence entre la déité et l'être humain, et donc manquer de respect envers la figure divine. Job ne dit pas à Dieu : « Je pense que tu as basculé dans ton ombre ».. Job dit, au contraire : « Je mettrai ma main devant ma bouche ».. Ce n'est pas à l'être humain de frotter le nez de Dieu dans ses excréments ; cela supposerait une telle inflation et une méconnaissance tellement absolue des réalités psychiques que cela entraînerait la mort. Job dit : « Je sais que j'ai un avocat dans les cieux », indiquant par là que c'est Dieu lui-même qui est son défenseur. C'est une façon respectueuse de dire : « C'est une affaire entre Dieu et Lui-même. » Alors Dieu, parce que Job ne le provoque pas, change d'attitude envers lui.
Si nous transposons la chose au niveau de la relation entre deux êtres humains, cela signifie qu'en ne soulignant pas l'ombre de l'autre, nous ne lui ôtons pas sa chance de la découvrir par lui-même. Si vous faites remarquer à autrui qu'il (ou elle) a laissé agir son ombre, vous vous placez au-dessus de lui. Si la relation humaine n'est pas suffisamment stable et que l'autre craigne que vous ne soyez trop fort pour lui, il est préférable, le plus souvent, de laisser aller, car si l'autre découvre la chose tout seul, son propre prestige est renforcé. Il peut donc arriver que de ne pas faire allusion aux fautes et aux faiblesses de l'autre soit une façon de respecter son intégrité. On respecte cette personne en la jugeant capable de sens éthique et susceptible de découvrir son erreur par elle-même. Si la relation est excellente, il n'est plus besoin de ces précautions, car il n'existe plus de problème de prestige entre les deux. . L'attitude à avoir dépend donc beaucoup de la qualité de la relation. Tant que quelqu'un est incertain de lui-même et en danger de perdre sa propre estime, il vaut mieux ne pas toucher à son ombre et ne pas jouer les redresseurs de torts. Cependant, il y a des circonstances où l'on a la responsabilité morale d'autres personnes, et où c'est un devoir d'intervenir. Il peut arriver aussi que des rêves nous y obligent malgré nous.
Pour en revenir au conte de « Wassilissa », les trois méchantes femmes commencent par laisser éteindre leurs lumières pour obtenir à la place celle de la sorcière. Elles refusent de devenir conscientes, et la conscience non réalisée devient en elles un feu consumant. C'est pourquoi Jung disait que la pire des fautes est de refuser de devenir conscient lorsqu'on en a la possibilité. S'il n'y a pas en vous de germe de conscience plus haute, si vous demeurez au niveau que Dieu vous a donné (et non plus bas), c'est bien. Mais si vous ne vivez pas au niveau de vos possibilités intérieures, celles-ci deviennent destructrices. Jung disait aussi que l'une des forces négatives les plus nocives, sur le plan psychologique, était une puissance créatrice inutilisée. Si quelqu'un a un don créateur et, par paresse ou sous tout autre prétexte, n'en fait rien, cette énergie psychique positive se transforme en pur poison. C'est pourquoi nous envisageons souvent les névroses et les symptômes psychotiques comme étant la perversion de possibilités plus hautes non vécues. La névrose est souvent un « plus », non un « moins », mais ce « plus » n'est pas actualisé. P.271 .
L'une des conséquences les plus négatives de cet état de choses est que ceux qui se refusent à devenir conscients essaient généralement d'entraver ou de troubler les efforts de ceux qui s'y efforcent. C'est pourquoi Jung disait que si un patient dépasse à un moment donné son analyste,. il doit quitter celui-ci, parce que l'analyste tendra probablement à le limiter et à le faire régresser vers son propre niveau. On assiste ainsi couramment au drame de personnes que les rêves invitent à l'individuation et que leurs analystes ramènent à des problèmes uniquement personnels ou dépassés, coupant ainsi les ailes à un développement ultérieur. La mutilation qui en résulte peut provoquer dépressions, symptômes névrotiques, rechutes et même suicides.. Le désir jaloux d'empêcher les autres de devenir conscients parce qu'on s'y est dérobé soi-même est l'une des instances psychiques les plus destructrices. .
Avoir la possibilité de devenir conscient et ne pas le faire est donc la pire des choses.
. Il existe aussi des contes où entrer dans la chambre interdite ou bien poser la question indiscrète conduit à un degré de conscience plus avancé. En ce cas, le thème présente une analogie avec celui, très répandu, de la felix culpa, de la faute ou des erreurs bénéfiques qui servent à relancer l'action ou poussent le héros à de nouveaux exploits, enrichissant son expérience intérieure et confirmant son courage.
En résumé, la morale générale des récits que nous venons de voir est qu'on ne doit pas chercher à pénétrer le mystère d'iniquité à moins d'y être poussé par une nécessité, extérieure ou intérieure. P.273

CHAPITRE IV LE MAL « CHAUD » ET LE MAL « FROID »

LA COLERE

.. C'est, bien entendu, le méchant de qui vient l'idée de la ruse qui est le perdant. Ce type de conte peut sembler bien naïf, mais il faut se rappeler que le contrôIe des émotions représente un progrès culturel très long à acquérir. . Celui qui est capable de contrôler ses émotions a donc la personnalité la plus évoluée des deux.
Le mal, sous sa forme « chaude », qu'il soit figuré par démon ou véhiculé par des êtres humains, est le résultat d'un affect souterrain non satisfait, d'unë charge émotive qui est comme un feu qui brûle et qui couve sans cesse. Les affects réprimés sont hautement contagieux et explosifs, aussi bien chez les individus qu'au sein des familles, des groupes ou des nations . Ce caractère contagieux de l'émotion présente un grand danger, car dans la vie quotidienne, on s'aperçoit que si l'on touche à certains problèmes cruciaux .. la plupart des gens deviennent la proie d'émotions inconscientes. . En ce cas, l'émotion s'empare de l'être par en dessous, et l'affect le saisit, chassant toute objectivité et toute réaction humaine normale. La meilleure façon de savoir si l'on s'est soi-même laissé prendre est de s'observer pour voir si l'on a conservé le sens de l'humour : si celui-ci a disparu, on peut être sûr qu'une émotion incendiaire sévit dans une zone quelconque de soi-même et que l'on est en grand danger de se laisser envahir par le principe du mal. C'est pourquoi la capacité de surmonter la colère et les affects n'est pas seulement un problème archaïque ; c'est, aujourd'hui encore, un facteur décisif. Dans nos sociétés, beaucoup d'individus ont appris à contrôler plus ou moins leur agressivité et à cacher leurs émotions, mais intérieurement, sous le masque (la « persona »), l'émotion refoulée continue à les tenailler et à influencer leur façon de penser. Peu de gens savent dépasser cette maîtrise apparente des affects et se détacher réellement d'une émotion intense. P. 279
.. lorsqu'une personne tombe dans une humeur agressive, il est extrêmement difficile aux autres de demeurer indemnes. . une émotion très forte a une force qui peut submerger le moi ; elle est donc ressentie comme démoniaque ou « divine » . . Wotan, le dieu des émotions incontrôlées, de la sainte colère comme de la fureur destructrice, vit encore dans l'inconscient de ces peuples.(germaniques et nordiques) .
il est important de ne pas succomber à la contagion des forces obscures. Dans ce récit, les deux aînés, en jouant des tours à leur oncle, entrent inconsciemment dans son jeu et sont contaminés par le mal. Au lieu de combattre directement leurs émotions, ils se contentent de les mettre dans leur poche quand elles risquent de leur nuire ; ils conservent leur haine en réserve, prêts à s'en servir comme arme contre leur persécuteur. L'un vend les vaches, l'autre le cheval et la charrette ; en agissant ainsi, ils vont contre la morale collective et évitent d'affronter le problème en eux-mêmes. Ils soutiennent le défi, mais avec des moyens autres que ceux qui avaient été décidés d'un commun accord. Ce n'est pas juste et les rend vulnérables à leurs affects.
Le plus jeune frère, lui . a une façon naïve de se garder de ses émotions.. Parce qu'il se tient à l'écart des forces obscures et des calculs rusés, les choses se nouent d'elles-mêmes.
Un détail intéressant est le symbole du fusil avec lequel il tue accidentellement la femme du fermier. Le héros utilise, sous une forme sym- bolique, la propre capacité explosive de son oncle pour la retourner contre lui en la personne de sa femme, de son anima, ce qui est plus que le vieux paysan ne peut supporter. .
Lorsque l'on parvient à travailler un problème sur le plan symbolique et avec une intention droite, les choses tournent souvent ainsi. . l'imagination active peut être très utile, car elle aide à surmonter l'irruption d'un affect ou d'une charge émotionnelle dévastatrice. L' émotion à surmonter n'est pas forcément la colère ou la haine, ce peut être aussi bien l'amour ou tout autre sentiment qui donne au sujet l'impression d'être submergé, vaincu, et d'avoir perdu sa liberté sans espoir. L'imagination active consiste à personnifier ces affects, en les laissant monter en soi, et à entrer en contact avec eux, à dialoguer avec eux comme s'il s'agissait d'êtres autonomes. Il s' agit bien d'ailleurs de complexes autonomes, sortes de personnalités secondaires ; si l'affect est si fort, c'est qu'un complexe a été touché, et la seule façon de pouvoir agir sur ce complexe est de le laisser d'abord se montrer tel qu'il est, et de s'exprimer. Lorsqu'une partie de l'émotion a pu ainsi se décharger dans l'imagination active et que le complexe et son affect ont révélé leur vrai visage, on peut commencer à les intégrer. Lorsqu'on se dit : « J'ai avalé ma colère pour telle ou telle raison, mais je ne parviens pas à m'en débarrasser, elle me hante, j e ne peux m'empêcher d'y penser tout le temps », la seule chose à faire est de laisser l'affect s'exprimer en nous- même et de le tirer au clair. P.281
Ce faisant, on déplace le conflit du niveau extérieur au niveau intérieur et symbolique. ..
Le plus jeune fils est du type « Simplet », personnage qui est le héros d'un très grand nombre de contes. .. Le simplet est donc une figure archétypique, un thème mythologIque général. Il symbolise l'intégrité fondamentale de la personnalité. Ces contes insistent sur le fait que cette intégrité morale est plus importante que les combinaisons d'un intellect habile et qu'elle est absolument nécessaire pour ne pas être victime du mal. Si cette droiture morale fait défaut, l'individu est vulnérable. Cette simplicité d'esprit n'a rien à voir avec l'unilatéralité ou la sottise, c'est la simplicité de l' « individu », de celui qui n'est pas divisé contre lui-même. Cette pureté d'intention est chose subtile et difficile à conserver.. La pureté d'intention s'est envolée, on cherche à surmonter ses affects dans un but intéressé. On se sert de l'inconscient à ses propres fins au lieu de se mettre au service du Soi, et l'on ne se rend pas compte que l'on s'est fait prendre par le mal auquel on voulait échapper, et que l'on est en pleine magie noire. C'est cette forme de connivence avec le mal que refuse d'utiliser le simplet. . Dans notre société, agir de la sorte est en effet considéré comme stupide. Celui qui le fait est un simplet. Notre avidité nous a fait oublier le sacrifice dû aux dieux - à la nature, à l'inconscient -, sacrifice qui évite la démesure. Nous voulons aller jusqu'au bout de nos découvertes et de nos techniques - forcer la porte interdite - et, ce qui est plus grave, nous le faisons de façon inconsciente. .
Mais le conte montre que les gens stupides sont en réalité ces paysans avares, ces calculateurs cruels. Ils sont si peu généreux qu'ils sont hors du courant de la vie, ils sont stériles. . Le plus jeune fils.. n'a guère de besoins égotiques et se contente de jouir de la vie. P. 283
. L'attitude intègre qui refuse les compromissions était exactement celle de Jung. Jung n'avait rien d'un naïf, mais il possédait au plus haut point cette intégrité. Celui qui l'approchait avec honnêteté recevait toujours une réponse sincère. Mais Jung était assez sage pour ne se découvrir que lorsqu'il sentait que c'était approprié et pour voiler cet aspect de sa personnalité quand il se trouvait face à quelqu'un de trouble. Cette intégrité, qui n'est autre que le noyau authentique de l'individu, est une manifestation du Soi ; c'est l'essence même de la psychologie junguienne...
La conclusion générale de ces contes est paradoxale : il faut tantôt agir, tantôt rester tranquille. La tâche consiste à se demander en toute occasion si, cette fois, en conscience, on doit agir ou non et, pour nous aider à cela, il y a les rêves. Dans chaque situation individuelle, il n'y a qu'un seul choix, une décision unique qui se renouvelle d'instant en instant. Si l'on adopte cette attitude, la vie devient une constante aventure éthique. . Il nous faut garder sans cesse ouvertes les oreilles intérieures, pour écouter les indications profondes du Soi qui nous dira de faire ceci à cette minute, peut-être le contraire la minute d'après. ..P.285
(Exemple des deux contes suivant)

DU PETIT HOMME LONG D'UN EMPAN

NEIGEBLANCHE ET ROSEROUGE

Le premier (nain) aime qu'on lui taille la barbe, le second en est ulcéré. . en étant charitables envers le nain, Ies fillettes ne font que prolonger l'existence de ce fauteur de troubles et retardent la délivrance du prince et leur double mariage Nous voici donc .. en plein paradoxe. Mais l'atmosphère générale et certains détails de ces contes permettent de mieux les comprendre. Dans « Neigeblanche et Roserouge », il n'y a pas au début de personnage masculin, mais seulement l'agneau et la colombe. C'est un paradis imaginaire, un jardin d'enfants protégé par la mère et les anges. Ce conte se moque de la tendance de certains milieux chrétiens à confondre une attitude infantile avec la simplicité de cour et l'honnêteté intérieure. Jung remarquait que le Christ n'a pas dit : « Si vous demeurez des enfants, vous trouverez le royaume de Dieu », mais : « Si vous devenez semblables à des enfants. » Redevenir enfant ne signifie pas rester infantile, mais dépasser ce stade et devenir adulte et conscient de la présence du mal dans le monde, tout en conservant ou en retrouvant son intégrité psychique et le chemin du noyau central de la personnalité. . l'agneau et la colombe indiquent assez une sentimentalité chrétienne de la pire espèce. Il est des personnes chez qui il est difficile de distinguer ce qui est attitude immature et irresponsable de ce qui est une simplicité authentique. Pour atteindre un certain degré de sagesse, l'innocence et la charité ont besoin d'être complétées par le discernement et la fermeté. Ce monde trop gentil est contrebalancé par la méchanceté du nain et la rude fermeté du prince-ours.
Quant aux nains, ce sont des esprits de la nature, des pulsions à l'état pur. Dans la mythologie comparée, ils sont tantôt bienveillants, tantôt malfaisants . Les fillettes ne pouvaient pas savoir à l'avance s'il s'agissait d'un bon ou d'un mauvais nain, mais elles ne surent pas tirer les conclusions de l'expérience.
. C'est une croyance traditionnelle que tout enfant a son ange gardien qui écarte de lui les dangers.. Mais souvent aussi, le thème de l'ange gardien a affaire avec l'inconscient des parents. Si l'atmosphère familiale est harmonieuse et pleine de vie, l'instinct des enfants les protègera, car les enfants ont une énergie vitale énorme et une relation très forte avec l'instinct de conservation. S'ils vont bien psychiquement, cet instinct de vie leur évitera généralement les accidents. Mais si l'énergie vitale de l'enfant est minée par une ambiance malsaine, il saura moins bien échapper aux dangers. Ces remarques sont évidemment également valables pour les adultes, bien des accidents ou des maladies traduisant des malaises intérieurs ou des désirs inconscients de suicide.
Le jugement négatif que les proches et la collectivité portent facilement sur celui qui se conduit avec droiture et honnêteté intérieure peut obliger à voiler ses motivations. L'instinct de conservation exige de ne pas se rendre vulnérable inutilement. P.289
Demeurer soi-même, ou conserver une vue personnelle des choses et de la vie au sein d'une collectivité fortement organisée est toujours difficile car, d'un point de vue éthique, la collectivité a un niveau inférieur à celui que peut atteindre chaque individu qui la compose. Jung citait souvent le proverbe romain : Senator bonus vir, senatus mala bestia . Quand on est dans un groupe, on est généralement obligé de cacher son noyau le meilleur et le plus intime, et il est rare qu'on puisse le laisser paraître. Cependant cela peut arriver. Jung me dit : « Oui, habituellement c'est dans la solitude que l'on rencontre le Soi, mais il y a quelquefois des exceptions ; quand le Soi se manifeste comme un facteur collectif, généralement dans une petite réunion d'amis, c'est une expérience particulièrement numineuse. C'est même parfois ressenti comme plus numineux que lorsqu'on l'éprouve seul.
Des expériences semblables sous-tendent des thèmes symboliques tels que celui des chevaliers du roi Arthur et de la Table Ronde qui est une forme évoluée du thème archétypique du repas totémique primitif. On le retrouve, bien entendu, dans le symbolisme du repas eucharistique.
Une autre raison de ne pas dévoiler sa nature profonde est que rien n'irrite davantage les autres et n'attire plus les projections négatives de leur part que de paraître jouer les sages ou les redresseurs de torts. Il faut parfois se garder de montrer que l'on a raison . Par ailleurs, comme la réaction éthique ne vient pas du moi, mais du Soi, elle ne peut être prévue ou décidée consciemment. Les exemples les plus pénétrants que je connaisse de cette attitude intérieure appartiennent au bouddhisme zen. Maître zen a, vis-à-vis de son disciple, les réactions les plus spontanées et apparemment les plus irrationnelles. On ne peut y discerner aucune sorte de plan ou d'intention pédagogique. La vérité intérieure de sa personnalité agit sur le disciple et, en se manifestant, l'éveille ; penser à l'avance à ce qu'il fera ne pourrait qu'affaiblir l'effet ou l'empêcher. Si nous traduisons cela dans notre langage, cela signifie qu'il est parfois bon de ne pas trop se concentrer au niveau du moi et de laisser le conscient s'obscurcir quelque peu, pour permettre à quelque chose de plus vrai de jaillir.. P.291
. Si vous êtes en Tao, c'est-à-dire si vous êtes en harmonie avec les couches les plus profondes de votre être, avec v?tre totalité dans le Soi, celui-ci agit à travers vous. Mais pour cela, il faut être vacant, ne pas avoir d'intention venant du moi : si vous voulez faire la chose juste, aider l'autre, votre moi bloque l'effet spontané ; vous vous placez en travers de la possibilité naturelle. C'est pourquoi Jung disait, paradoxalement, que l'analyste qui a l'intention ou le désir de guérir ses patients n'est d'aucune utilité. . vouloir guérir est une attitude de pouvoir. Qui plus est, cela sous-entend que nous savons en quoi consiste la guérison et ce qui est bon pour l'autre, ce qui est exactement contraire à notre démarche : seul le soi en l'autre sait ce qui lui est bon et par quelle voie il doit y parvenir, que ce chemin ou ce but plaise ou non à l'analyste.
De plus, l'analyste - homme ou femme - qui désire trop intensément guérir ou aider son patient, fait preuve de sentiments maternels mal intégrés et a tendance à empêcher la personne de descendre dans son enfer intérieur. Cette attitude est aussi due à une peur de l'inconscient chez le thérapeute. Or ce n'est que lorsque l'on est descendu au fond de l'enfer, sans secours extérieur, qu'une expérience numineuse peut se produire, qui peut guérir. Si l'on protège le sujet, on l'empêche de faire l'expérience de l'ombre, du mal et de l'extrême souffrance, mais on l'éloigne aussi, du même coup, de l'expérience intérieure la plus positive. . en cherchant à faire toujours le bien, à être toujours charitable, en s'opposant au mal, on empêche le cours plus profond de la nature de se réaliser. .. si l'ours avait consulté les fillettes avant de frapper le nain à mort, elles se seraient écriées : « Oh non, pauvre nain ! Laissez-lui sa chance ! » . La pure nature agit de la façon qu'il fallait, sans intervention du moi humain. Mais cela exige que la réaction parte réellement du Soi, d'un être conscient et unifié, car, dès que le moi se mêle de réfléchir ou de tirer des règles de conduite de semblables choses, tout est faussé et peut devenir dangereux. C'est une expérience du sentiment où le raisonnement n'a rien à faire. Les femmes qui ont cette sorte d'indulgence vis-à-vis de leur animus négatif - et l'on peut en dire autant des hommes séduits par leur anima - deviennent de plus en plus irritables et de mauvaise humeur. Elles s'en rendent parfois compte sans pouvoir s'arrêter. Leur animus fait penser au nain pris dans son fil à pêche. II ne faut pas discuter avec un tel animus, mais lui asséner un grand coup ; on a rarement P. 293 le courage de le faire soi-même, aussi ce sont les autres qui agissent, ou les circonstances, et ce n'est guère agréable. Une faiblesse et une connivence du moi font . que l'on continue à s'emmêler soi-même dans des raisonnements qui ne mènent à rien. Si quelqu'un dans cet état d'esprit vous aborde, mieux vaut ne pas entrer dans le jeu, sinon l'on se trouve également pris à l'hameçon et entortillé dans la ligne. Chez une femme, cela prend davantage l'aspect d'une argumentation spécieuse, et chez l'homme d'une humeur maussade et tendancieuse, qui voit tout en négatif, mais le résultat destructeur est, à peu de chose près, le même.
Cf. rêve d'un homme qui arriva en me disant : « Je me fais vieux et la vie est finie pour moi, je suis fatigué, je n'ai plus envie de rien faire. Je me désintéresse de mon travail, mais je suis trop las pour chercher.. »
Une voix lui ordonnait d'aller dans le bois allumer un feu. Il obéit, mais il s'aperçut qu'il n'avait pas pris d'allumettes. Il retourna chez lui en chercher, mais quand il revint à l'endroit où il avait préparé le feu, il vit que la boîte ne contenait plus qu'une allumette. Il alluma le bois qui commença à prendre et il se demanda s'il devait souffler dessus ou non ; il souffla juste un petit coup et la flamme jaillit. Et une voix lui dit : « Voila ce que peut faire l'esprit »
.. Le rêveur ne réagit pas normalement à ce rêve : il en fut seulement effrayé et taxa le rêve de négatif. Ce faisant, il tombait dans le piège classique qui est de comprendre un rêve suivant son humeur du moment, au lieu d'essayer de le regarder objectivement. Ce rêve est très clair : il n'a pas de temps ou d'énergie à perdre - il ne lui reste qu'une seule allumette -, mais c'est suffisant pour rallumer en lui le feu de la vie. On lui demande vraiment très peu de chose : préparer un feu, gratter une allumette, souffler un peu - moyennant quoi « l'esprit » fera le reste. Autrement dit, il peut reprendre goût à la vie. Mais il comprit tout le contraire du rêve ; il me dit : « Vous voyez bien que l'inconscient montre qu'il n'y a rien à faire, qu'il n'y a plus d'énergie en moi, plus d'élan spirituel, alors, pourquoi lutter ? » J'essayai tout : le bon sens, la persuasion, et enfin je tempêtai et jurai, tant j'étais bouleversée, mais tout ce que j'obtins fut qu'il me regarda tristement, d'un air détaché, en disant : « Mais je dois être objectif. Il me faut accepter l'autre interprétation », et il partit. En fait d'objectivité, il niait les éléments les plus importants du rêve : que son feu avait pris, et que l'Esprit lui-même y veillait. C'est là le genre de réaction que produit une anima négative chez l'homme ; de même que l'animus négatif chez la femme, elle fausse le jugement. J'avais vu son humeur morose dès qu'il était entré, à l'expression enfantine et boudeuse de sa bouche : cette humeur dépressive lui inspirait de dire des choses inexactes tout en prétendant être objectif - le fameux logos -, ce qui est une façon de réagir typiquement masculine. L'impatience du nain est un trait commun à l'animus négatif de la femme et à l'ombre de l'homme. C'est particulièrement flagrant chez les hommes de type intuitif, qui sont souvent incapables de laisser les choses advenir. S'emmêler dans ses propres ratiocinations est communs aux deux sexes ; il faut alors essayer de faire tourner la situation d'une façon ou d'une autre.
Il se passe quelque chose d'analogue quand un patient risque de glisser dans un épisode psychotique. On peut encore .. éviter quelquefois la catastrophe en provoquant une transformation dans sa P.295 situation extérieure : aider le patient à changer brusquement de travail, interrompre l'analyse ou l'envoyer à un autre thérapeute.. Si l'on n'interrompt pas le mouvement, il s'amplifie, provoquant une avalanche. La chose est également vraie sur le plan intérieur : un choc venu d'un changement extérieur peut arrêter le cataclysme émotif.
Il est inutile de discuter avec l'animus ou l'anima négatifs, parce qu'on ne fait que nourrir et augmenter l'envie d'avoir raison, de se justifier et d'argumenter de la personne qui est au prise par un tel état d'esprit. Le mieux est d'essayer de faire diversion et de changer l'humeur ambiante, en tentant d'y remettre du sentiment car, malgré l'apparence, il ne s'agit généralement pas d'une action au niveau de l'intellect, mais d'une humeur dépressive chez l'homme et de sentiments blessés chez la femme. Mais faire tourner ou interrompre une semblable humeur au lieu de se laisser prendre par elle nécessite une certaine dose d'instinct et de force intérieure.

CHAPITRE V A LA RECHERCHE DU COUR SECRET

. le mal « froid » .

LE GEANT QUI N'AVAIT PAS SON COUR AVEC LUI P.297

Au début du conte, il est question d'un roi et de ses sept fils . Il a donc à la cour de ce pays une situation tout à fait déséquilibrée : huit hommes, et pas une seule femme. D'entrée de jeu, nous pouvons supposer que l'histoire nous montrera la façon dont la femme y retrouvera sa place. Que signifie que ces hommes soient aux nombre de huit ? . d'après l'expérience de Jung le quatre représente la totalité psychique de l'individu ; le huit, en tant que redoublement du quatre, a un sens analogue. L'histoire débute donc sur un symbole de la totalité dont l'élément féminin est exclu, ce qui signifie qu'à l'époque où ce conte prit forme, régnait une attitude religieuse et une façon d'envisager la vie où seules dominaient les qualités masculines. L'idéal de cette société mettait l'accent sur le logos et sur tout ce qui touche à la sphère de l'intellect, de l'abstraction ainsi que des activités viriles et guerrières. Cela correspond en partie au modèle de comportement de l'homme, mais non de la femme, aussi une pareille attitude présente-t-elle une déficience grave en ce qui concerne les aspects de la vie liés aux qualités de la femme et du principe féminin, de l'anima et de I'éros. C'est pourquoi les princesses devront être arrachées au pouvoir du mâle atteint de gigantisme, qui, ayant exilé propre cour dessèche et pétrifie ceux qui l'approchent. Les géants apparaissent dans les mythologies les plus anciennes. Le fait que l'église - symbole féminin - soit ici présente et que le géant doive être tué à la fin de l'aventure montre que ce conte ne remonte pas au-delà .. où les contrées .. furent christianisées. Les peuples scandinaves avaient une religion et un ordre social à prédominance patriarcale, si bien que, lorsqu'ils se convertirent au christianisme ils assimilèrent tout naturellement les aspects masculins, abstraits et spiritualistes et en rejetèrent l'élément féminin, le condamnant de ce fait à demeurer dans un état archaïque de non-développement. On sait, en effet, que tout contenu refoulé régresse dans l'inconscient et devient même, le plus souvent, négatif. Le géant est, entre autres choses, un élément de l'ancienne mentalité païenne également réduit par la nouvelle religion à trouver refuge dans la nature sauvage - dans l'inconscient - et, par là même, devenu dangereux. Les légendes nordiques préchrétiennes mettent en scène des géants qui se comportent avec une certaine intelligence, alors que les récits plus tardifs, les montrent d'esprit borné ; on est donc fondé à penser que la répression dont ils ont été victimes lors de la christianisation de ces régions les a abêtis. Dans la plupart des contes de tous pays, les géants sont dotés en effet d'une force énorme proportionnée à leur taille et d'une non moins grande stupidité. Le thème du frêle petit homme qui vient à bout par ruse d'un ou de plusieurs géants est classique et très répandu. On dirait que presque toute l'énergie vitale de ces êtres s'est employée à leur croissance musculaire, et bien peu à celle de leur cerveau.
Presque partout, on considère que les géants sont responsables des changements de temps et sont liés aux forces brutes de la nature : il existe des géants de la glace et du feu, il y a ceux de l'orage, ceux qui provoquent les glissements de terrain, les chutes de rochers et les avalanches, ceux dont les mouvements font trembler la terre, comme celui qui loge sous l'Etna . P.305 Dans la plupart des mythologies, ce sont des êtres de nature intermédiaire entre les dieux et les hommes. Il est souvent dit que leur race fut créée en premier, esquisse assez peu réussie de ce que devait être ensuite, en apparence, une invention un peu meilleure et digne de se perpétuer. D'après certains mythes nordiques, au contraire, les géants apparurent avant les dieux eux-mêmes et furent les premiers habitants de la terre. Plusieurs mythes de création rapportent que l'univers fut créé à partir du corps d'un géant cosmique sacrifié et démembré. Ce thème se retrouve aussi bien en Inde (Purusha) qu'en Chine (Pan Kou) ou que chez les gnostiques ou dans la tradition juive (L'Adam cosmique). Dans l'ancienne mythologie germanique, Ymir, le géant primordial, est sacrifié par Wotan (ou dans le nord par Odin) :

A partir de la chair d'Ymir le monde fut formé,
De son sang les profondeurs de la mer,
Les montagnes de ses os, les arbres de ses cheveux,
La sphère céleste de son crâne.

L'énergie consciente naît de l'inconscience primordiale et, en y apportant la distinction, tue celle-ci. Dans la mythologie grecque, les Titans .., dans le livre d'Hénoch .. les anges désirèrent les filles des hommes .. le fruit de leur union fut une race de géants qui ravagea la face de la terre. Jung interprétait ce mythe comme reflétant l'irruption destructrice de contenus inconscients dans le champ du conscient collectif.
Les géants sont liés à l'état préconscient de l'être primordial indifférencié et aux énergies brutes de la nature. Ils figurent des états émotionnels archaïques dont l'irruption violente risque, du moins momentanément, de perturber ou de submerger le conscient. La relation entre les émotions fortes et le gigantisme est évidente : chaque fois que nous nous laissons prendre par un affect, nous perdons aussitôt le sens de la mesure et nous nous mettons à enfIer toute chose, à exagérer : nous faisons, comme on dit chez nous, « un éléphant d'un pou ». Le moindre événement, la moindre remarque prend alors des allures de tragédie, et le sens de l'objectivité et de l'humour disparaît complètement, entraînant une baisse du jugement qui rend capable d'agir avec la stupidité des géants. Si cet état se prolonge et risque de rompre l'équilibre du conscient, des rêves peuvent présenter des visions énormes, des monstres de grande taille ou le danger de catastrophes naturelles. Etudier les mythes et les contes, comme les rêves individuels, peut nous aider à vaincre ces « géants » ou nous apprendre à ruser avec eux.
Beaucoup de mythes, en particulier dans les pays nordiques, associent les géants à la glace ou au feu, ce qui signifie que l'émotion peut nous submerger sous des formes opposées, nous incendier ou au contraire nous figer en glace ou en pierre. Seuls les individus extrêmement émotifs sont capables de se glacer. La colère, par exemple, peut être qualifiée de « chaude » lorsqu'elle nous fait monter le rouge du sang au visage et nous rend capables de discours « enflammés » ; elle peut nous faire « voir rouge », « bouillir de colère », « prendre feu et flamme », etc. Mais lorsque l'émotion dépasse ce stade, il arrive qu'on ne sente plus rien ; on reste immobile et muet, rigide et froid. Sous l'effet de choc, les artères se contractent et le cour paraît s'arrêter, le visage pâlit. On est « glacé d'horreur », on reste « pétrifié ». Ces états, apparemment contraires, ont en commun la violence du contenu intérieur qui déséquilibre le fonctionnement psychique et physique habituel, exacerbant ou paralysant les réactions normales : un géant a momentanément pris le dessus. P.307
La mythologie attribue généralement aux géants une nature intermédiaire entre les dieux et les hommes. Transposé en langage moderne, qu'est-ce que cela signifie ? On peut interpréter les dieux comme des personnifications des forces psychiques et des énergies de la nature ; ce sont des symboles, des images, des noms donnés aux manifestations archétypiques. Les archétypes sont, rappelons-le, les structures de base de la psyché, et peut-être de l'univers. Dans notre psychisme existent des centres, des noyaux d'énergie de charge très forte qui révèlent leur existence de différentes manières, entre autres par des images ou des arrangements d'images. De même que chaque dieu a une histoire et une fonction mythologiques propres, règne sur un domaine déterminé de la vie et exige de l'être humain certaines règles de conduite, des rites et des sacrifices, toute image archétypique porte en elle un certain ordre correspondant à un modèle de comportement spécifique qui se propose ou s'impose à l'être humain.
Comme les dieux des religions polythéistes luttent parfois entre eux, nous avons vu qu'il arrive que ces modèles de comportement entrent en conflit ; il n'en reste pas moins que chaque archétype et chaque modèle de comportement qui lui correspond possèdent une certaine organisation intrinsèque. Les histoires des dieux, en nous éclairant sur les caractéristiques et les tendances de ces noyaux énergétiques qui nous habitent, peuvent nous aider à en prendre conscience et à vivre avec eux en assez bonne intelligence. Cependant, lorsqu'une charge archétypique approche du conscient d'un individu, il arrive qu'elle n'ait pas encore pris forme et que seule la partie émotive en soit perçue : son aspect d'ordre n'apparaît pas encore au conscient. Parfois, cela se manifestera en malaise ou en bien-être physique, en états d'âme, émotions incompréhensibles ou affects. On souffre d'un brusque afflux d'énergie dû à ce qu'un noyau archétypique se trouve « excité » et que l'énergie libérée par lui n'a pas encore trouvé sa place dans la vie consciente. Lorsque ces forces jaillissent à l'état brut, elles correspondent aux images des forces de la nature, et lorsqu'elles commencent à pouvoir se domestiquer, aux géants, mi-hommes, mi-dieux. L'aspect dangereux des géants se comprend facilement si l'on pense au risque de possession ou de dissociation que fait courir à l'individu un affect violent ; leur légendaire stupidité s'expIique aussi, car quiconque est pris par une émotion forte tombe dans un état excessif pouvant aller jusqu'à la stupeur ; on commet alors les actes les plus insensés que l'on n'aurait jamais accomplis de sang-froid.
Il existe cependant des récits où des géants se rendent utiles par leur force hors du commun. D'innombrables légendes médiévales racontent comment un saint, ayant par ruse maîtrisé un géant, lui fit construire un pont ou une église en une nuit. Etant pure émotion, pure énergie psychique, le géant, s'il est soumis à l'intelligence et à la conscience, les rend capables des tâches les plus surhumaines.
Lorsque Jung eut recueilli une grande quantité de matériaux historiques pour servir de base à ses Types psychologiques, il voulut commencer à en rédiger le texte. . Il rêva alors d'un grand navire chargé de marchandises destinées à être distribuées à toute la population. Le bateau se trouvait à l'entrée du port et un superbe pur-sang arabe blanc, fin et délicat, était censé le haler jusqu'au mouillage, ce dont il était bien incapable. Alors un énorme géant apparut, au teint rubicond et à la barbe rousse.. il fendit la foule, prit une hache et tua le cheval blanc, puis, s'emparant de l'amarre, il amena d'un seul élan le bateau à quai.
Jung comprit qu'il lui fallait abandonner ses projets conscients (donner une clarté et une précision cartésiennes) P.309 et se laisser porter par le feu de l'inspiration. Une certaine quantité d'élan vital et d'enthousiasme héroïque est nécessaire pour mener à bien des tâches qui paraissent surhumaines, mais cela n'est bien entendu possible que si l'émotion coule dans le même sens que l'intention consciente et collabore avec celle-ci ; sinon, elle devient destructrice et paralyse l'action, comme c'est le cas dans notre conte.
. Se Pétrifier est encore plus grave que de se changer en glace, car la glace fond. Cela correspondrait à un état catatonique. Un individu en catatonie est paralysé et comme pétrifié par la force de ses émotions inconscientes. Lorsqu'il en ressort, il traverse généralement un état de froideur, puis il se produit une terrible explosion émotive. Pour parvenir à délier cet état tragique, il faut traverser à rebours tous les stades y conduisant. La mythologie grecque connaissait Méduse, la Gorgone dont la face entourée de serpents était si terrible qu'elle pétrifiait ceux qui la voyaient. Pour la tuer, Persée dut se servir d'un miroir, évitant de la regarder directement : il dut placer la réflexion objective entre lui-même et le choc émotif que provoquait sa vue. Les princes du conte ignorent cela ; ils regardent le géant et sont transformés en pierre avec leurs compagnes.
. Les frères aînés font montre d'un égoïsme naïf et d'un manque de prudence qui sont la conséquence d'une forme d'inflation. L'amour transporte, fait marcher sur les nuages et, dit-on, rend aveugle ; il occulte la mémoire de tout ce qui n'est pas Iui et fait perdre le sens de la mesure, ce qui réunit assez de conditions pour tomber dans les pièges du géant.
Pour partir à la recherche de ses frères, il ne reste au plus jeune prince qu'un vieux cheval poussif. Le roi, représentant le conscient collectif, n'a presque plus d'énergie vitale : il a perdu sa femme, six de ses fils, ses chevaux et ses biens. L'appauvrissement s'accentue donc sur le plan conscient, tandis que, par une compensation naturelle, il se fait un accroissement d'énergie au niveau inconscient.
L'affaiblissement du royaume était venu d'une hypermasculinité. Dans un pareil contexte, agir en héros et appliquer les règles de l'ancienne attitude dominante, en dressant la virilité et la volonté du moi contre l'instinct, l'amour et le principe féminin, eût été continuer à suivre les ornières qui n'avaient que trop prouvé qu'elles menaient à l'impuissance et à la stérilité. C'est donc une chance pour l'adolescent de n'avoir plus que ce vilain cheval et un pauvre bagage, et d'être privé de la possibilité de plastronner et de faire des rêves de grandeur héroïque.
Sa première rencontre est celle d'un corbeau avec qui il partage un peu de sa nourriture pour l'empêcher de mourir de faim. . Dans la mythologie européenne, il est généralement un messager entre le Dieu suprême et les hommes. Ainsi, Wotan a deux corbeaux, Hugin et Munin, qui observent ce qui se passe de par le monde et, se posant sur les épaules du dieu, le lui rapportent ; ils représentent sa connaissance extra-sensorielle, absolue et divine.
Un récit grec raconte qu'à l'origine le corbeau était blanc ; lorsqu'il annonça à Apollon qu'il l'avait trompé avec Coronis, la corneille, Apollon, furieux, le rendit noir. P.311 .
Dans la mythologie, le corbeau est l'époux de la corneille, sa contrepartie féminine, comme le chien est le mari du chat et le cheval celui de la vache : c'est une façon enfantine d'accoupler les animaux. Les corbeaux paraissent savoir à l'avance où il y aura des cadavres pour se nourrir et à Rome, on tirait des augures de la direction de leur vol. Quand l'eau du déluge se mit à baisser, Noé envoya d'abord un corbeau qui, probablement occupé à dévorer les noyés, oublia de revenir. Alors Noé envoya la colombe qui. Elle, lui rapporta un rameau verdoyant, les Pères de l'Eglise en conclurent que le corbeau représentait le principe du mal, le diable, et la colombe le Saint-Esprit, le principe du bien, la divinité. Mais le corbeau peut être positif : saint Jean fut nourri sur l'île de Patmos par un corbeau qui lui apportait dans son ermitage un pain d'origine surnaturelle, et il en fut de même pour Elie au désert. Les Pères de l'Eglise confrontés avec cette ambivalence, pensèrent, par une intuition psychologique très juste, que le corbeau représentait les pensées profondes, obscures et semi-conscientes que saint Jean exprima dans son Apocalypse. .. Au Moyen Age, l'image archétypique du corbeau a représenté des aspects tantôt sombres, tantôt clairs ; il est aussi bien un symbole du diable que celui d'une relation mystique inexprimable avec Dieu. En alchimie, le corbeau symbolise le stade de la nigredo, l'obscurité féconde, d'où, après bien des opérations et des dangers, sortira la Pierre, l'or, l'enfant divin. Il est donc le messager de la face obscure, inconnue de la divinité. La mélancolie, les idées mauvaises ou dépressives et les pensées profondes sont très voisines. La solitude peut favoriser la possession par le mal mais, pour ceux qui savent comment s'y comporter et parviennent à traverser cette étape de nigredo, elle aide à trouver le centre intérieur de soi-même. Sur le plan collectif, cet oiseau noir représente des pensées obscures qui ne font pas partie du conscient de l'époque et que celui-ci risque de considérer comme mauvaises parce qu'il en a peur. C'est pourquoi, chaque fois qu'un individu descend dans ses propres profondeurs, ils se sépare de la mentalité collective et en rapporte des contenus nouveaux qui sont dérangeants pour la clarté de l'intellect et le conservatisme paresseux du conscient. La question est alors de savoir si ces contenus sont réellement mauvais ou s'ils expriment seulement des réalités inconscientes qu'il est nécessaire de ramener au jour. Les profondeurs qu'il symbolise ont été tellement négligées que le corbeau du conte est sur le point de mourir d'inanition, et que le premier acte du prince doit être de le nourrir.
Le héros rencontre ensuite un saumon échoué sur une rive . L'instinct étonnant du saumon qui lui permet, au printemps, de retrouver la rivière où il est né et d'en remonter le courant jusqu'aux emplacements propices à l'accouplement et à la ponte est une performance héroïque qu'il répète chaque année et où beaucoup succombent. Son comportement et sa vitalité n'ont pu que frapper l'imagination et, d'autre part, dans les contrées où se déroule le conte, il constitue un apport de nourriture appréciable. . Il est l'image de l'élan vital, de la persévérance, du courage et de la connaissance nourrissante des rythmes et des réalités cosmiques. Dans la mythologie scandinave, il possède le savoir secret et la connaissance de l'avenir. La mythologie celtique connaît un saumon plein de sagesse qui vit dans un puits et que les héros viennent consulter pour se renseigner sur l'autre monde. Capable de nager à contre-courant et de mener à bien une aventure apparemment déraisonnable, il est l'image même des efforts contre nature - de l'opus contra naturam des alchimistes -, de l'être humain luttant contre ses tendances naturelles à l'inconscience, à la paresse, au laisser-aller et à la facilité. . P.313 . L'homme, pour atteindre un plus haut niveau de conscience et de sagesse, doit faire un effort semblable. Or, dans ce conte, tout va si mal dans le royaume que même le saumon a perdu le contact avec l'eau et va mourir. On se rappelle que le poisson, Ichthys, est un symbole du Christ et que l'ère chrétienne coïncide astrologiquement avec celle des Poissons.
Le Prince rencontre ensuite un loup ; étant un mammifère, cet animal qui a hanté nos forêts jusqu'à une époque relativement récente est plus proche de l'homme que les précédents. Affamé comme le corbeau, le loup suit les armées et se repaît des cadavres ; il est un danger pour le voyageur isolé et le bétail ; il est lié à la mort. C'est l'animal de tous les dieux de la guerre, et celui du diable. Dans l'ancienne mythologie germanique, il appartenait, comme le corbeau, à Wotan et il était dit que la fin des temps se produirait lorsque le loup Fenris serait lâché et engloutirait le soleil, la lune, l'univers et les dieux mêmes. Cependant, peut-être à cause de sa ressemblance avec le chien et de son intelligence développée, le loup ne porte pas uniquement les projections négatives, mais souvent aussi celle d'une sagesse naturelle qui apparaît, par exemple, dans nombres de contes du type de celui-ci. Dans l'antiquité grecque, il était lié à Apollon, dieu solaire et principe de conscience, sous son aspect hivernal. Son nom grec, Lykos, est proche du latin lux (light en anglais, Licht en allemand), peut-être parce qu'il voit dans l'obscurité où ses yeux brillent. A Rome, il était rattaché à Mars .. ce qui explique que Romulus et Rémus aient été allaités par une louve. L'animal, dont le dévouement pour ses petits est exemplaire et va jusqu'au sacrifice de la vie, a, dans le folklore, une affinité avec le principe féminin et l'instinct maternel protecteur qui, dans certains cas, peut devenir dévorant. . Mowgli . pareille aventure arrive symboliquement à des millions d'enfants : malheureux chez eux, il ne leur est pas permis de devenir humains parce que leurs parents ont un inconscient inhumain, et ils tombent dans l'attitude du loup solitaire. Ils souffrent d'isolement, de frustration affective, incapables qu'ils sont d'établir des contacts avec les autres. Par ailleurs, dans le monde entier circulent des histoires d'individus changés par magie, la nuit, en loups et qui, sous cette forme, commettent des crimes. Dans les rêves de femmes modernes, le loup représente souvent l'attitude dévorante que peuvent avoir les femmes qui sont possédées (et dépossédées) par un animus négatif. Cela nous amène à l'aspect négatif de l'archétype du loup, tel qu'il apparaît dans « Le petit Chaperon rouge » .. On peut dire que la grand-mère se transforme en loup pour manger l'enfant. Le chasseur qui, dans certaines versions, tue le loup et fait sortir l'enfant de son ventre, tranche le lien fusionnel entre l'enfant et la mère et provoque en quelque sorte une nouvelle naissance. II fait allusion à Wotan, le dieu chasseur. Le loup est ici un attribut de la Déesse sombre, face obscure de la nature qui dévore les enfants qu'elle a mis au monde. Dans certains papyrus magiques tardifs, le loup est auprès des chiens d'Hécate et, dans le folklore nordique, il accompagne les sorcières et les grandes déesses. Bien des contextes le présentent simplement comme un symbole d'avidité. Dans le Roman de Renart, Isengrin est aussi intelligent que Goupil, mais la faim - il a toujours le ventre creux - lui fait perdre tous ses moyens et il se laisse tromper par son rusé compère. P.315 Le conte de Grim « Les sept petites chèvres », raconte comment celles-ci réussissent à lui faire avaler les pierres avant de le jeter à la rivière.
Dans l'inconscient masculin le loup peut représenter un désir sans frein d'atteindre par tous les moyens le but que l'on s'est fixé, l'avidité, le besoin de réussite sociale et de puissance. Dans bien des névroses, chez l'homme comme chez la femme, une enfance malheureuse et sans affection réelle a créé une sorte de vide qui pousse à dévorer tout le monde et toute chose sans jamais être assouvi. Ce stade infantile ne pourra se dépasser que progressivement ; il est plus archaïque encore que le désir de pouvoir ou l'instinct sexuel, car il traduit un besoin d'être reconnu dans le droit à la vie. Il correspond à ce que Freud a nommé le stade « oral ». . Ces personnes sont esclaves d'un état de frustration chronique très pénible ; ce n'est pas elles qui veulent tout dévorer, « cela» le veut en elles. Elles n'en sont pas réellement responsables : leur « ça » n'est jamais satisfait, si bien que le loup hurIe en elles sa faim continuelle, assaisonnée de ressentiment. Le loup peut donc symboliser le besoin de posséder ce que l'on n'a jamais eu en dévorant le monde entier, tout comme Fenris désire engloutir le cosmos.
.. dans beaucoup de contes, le loup est, comme ici, bienveillant et apporte son aide au héros, il est alors son animal-guide. C'est que l'aspiration qui est maîtrisée et dirigée vers son véritable but est un facteur essentiel sur Ie chemin de l'aventure intérieure. L'agressivité même de cet animal peut être nécessaire. . On dit du loup, comme du diable, que, si on l'appelle, il vient. Aussi, en Allemagne, on évite de le nommer et on en parle comme d'Isengrimm, « fureur de fer », ce qui a donné le français Isengrin. Dire une chose avec lngrimm, c'est l'exprimer sur un ton de froide résolution. Si cela se produit à un moment où une détermination sans faille s'avère nécessaire, la cruauté du loup sera positive.
Dans notre conte, le loup .. se contente de manger le vieux cheval, débarrassant ainsi le prince d'un passé moribond et encombrant. Il est capable de Iimiter ses appétits et de mettre un frein à son avidité, ce qui est encore souligné par le fait qu'il se laisse seller et harnacher. Ayant accepté l'aspect obscur du corbeau et libéré dans l'inconscient l'instinct vital, le saumon, le prince voit à présent se métamorphoser sa monture. Le vieux cheval ne fournissait aucun élan héroïque au jeune homme, alors qu'à présent il est porté vers son but par un instinct plein de feu. Le loup, possédant la science secrète de la nature, l'amène tout droit chez les géants et lui enjoint d'obéir à la princesse .
Le loup conseille donc au prince d'adopter une attitude complètement passive. Même quand, à la fin, le prince a trouvé l'ouf, c'est encore le loup qui l'amène à faire le pas décisif : écraser l'ouf qui contient le cour du géant. C'est donc le loup qui, avec l'aide de la princesse, conduit toute l'action. Le prince est en quelque sorte l'instrument dont se sert cet animal pour vaincre le géant.
Le thème de la cachette sous le lit qui permet d'écouter la conversation d'un couple revient dans un certain nombre d'histoires et de contes. Chez les personnes peu soigneuses, le dessous du lit est négligé . C'est pourquoi le dessous du lit est le support de la projection de ce que Jung a nommé l'inconscient personnel. P.317 Par ailleurs, on sait que les nuits d'insomnie, les soucis, les peurs, les tourments ou la mauvaise conscience nous assaillent sur notre couche. « Sous le lit » est l'endroit où les complexes réprimés et les problèmes vivent, minant sournoisement notre attitude consciente et notre repos.
.. durant toute mon enfance, un chasseur vivait sous mon lit, ainsi qu'un nain jaune ; et les Noirs se tenaient entre le lit et le mur .
Le Yi King dit, lit, à l'hexagramme 23, « L'Eclatement », qui symbolise la mort d'où sortira la résurrection, que le bois du lit est vermoulu et s'effondre. Le commentaire ajoute que les forces du mal n'ont pas assez d'énergie pour affronter ouvertement les forces du bien, mais les détruisent de façon cachée. On retrouve la même idée : ce qui est réprimé mine dans le secret.
Dans notre conte, les rôles sont comme inversés : pour vaincre le méchant géant, le prince se cache sous le lit. Cette passivité attentive lui permet, avec l'aide de la princesse, de parvenir au cour du problème, au centre d'où le géant tire son énorme énergie. Quand on se trouve en présence d'une personne qui est submergée par l'émotion, il est inutile de lutter ouvertement contre son état ; tenter de raisonner quelqu'un qui est emporté par la colère ne sert à rien, car l'on ne fait que l'exciter davantage, Mais si l'on parvient à toucher le centre secret d'où vient son émotion, le problème de base que la personne ignore généralement elle-même, il arrive que toute la situation tourne et s'apaise comme par enchantement. Lorsque l'on est exagérément émotif pour des riens, c'est, le plus souvent, que la libido, la vitalité inconsciente, ne coule pas dans la bonne direction et ne se dirige pas vers son but naturel.
Les individus qui ont un besoin créateur et ne le vivent pas font une montagne de taupinières, compliquent les choses inutilement, tombent passionnément amoureux de partenaires qui n'en valent pas la peine, etc. Ils ont en eux, en quelque sorte, une charge d'énergie flottante qui, n'étant pas fixée à son objet juste, tend à appliquer un dynamisme exagéré à des situations inadéquates. Si on leur demande pourquoi ils le font, ils n'en savent rien, car cela se fait de façon inconsciente. Mais dès que ces personnes se consacrent à ce qui leur importe vraiment, toute la surcharge s'écoule dans la bonne direction, cessant de s'échauffer à propos de choses qui ne méritent pas un tel intérêt.
La fonction religieuse est probablement la plus forte poussée instinctive de la psyché humaine. Si elle n'est pas dirigée vers son but naturel, elle charge les autres aires de la vie et place en elles une émotivité imméritée. . La fonction religieuse, mutilée par le système matérialiste régnant, reparaît de la façon la plus étonnante : dans certaines campagnes, on a fait de l'électricité une sorte de Dieu ; on appelle un fils « Volt » ou une fille « Electra », et l'on parle des centrales avec le même respect craintif que l'on aurait montré auparavant en matière religieuse. (Journal de voyage en Russie L. van der post) Tous les « ismes », partis politiques, idéaux ou philosophies sont ainsi susceptibles de devenir des religions au rabais.
Pour employer une image, nous dirons que, chaque fois qu'un courant important de développement psychique est arrêté, son eau coule dans des lits secondaires : ou, si elle est complètement bloquée, elle forme un étang : insalubre, habité de serpents et de moustiques et d'autres animaux nuisibles. C'est pourquoi, pour surmonter l'émotion destructrice dont elle est prisonnière et le noud de sa relation odipienne avec lui, la princesse doit découvrir comment le géant est relié à son propre cour. . P.319
. Dans certaines versions, le « cour » est remplacé par la « mort ». Dans un parallèle russe, un magicien noir dit : « Dans l'île est une église, dans l'église un oiseau, dans l'oiseau un ouf, dans l'ouf, ma mort. » .. lorsque l'on tient l'ouf on tient aussi la mort du géant dans sa main. Le cour est l'organe qui symbolise la fonction du sentiment et c'est le point vulnérable, le talon d'Achille de cette figure démonique, invulnérable par aiIleurs.
Quel lien unit cette suite de symboles que sont l'eau, l'île, l'église, le puits, la cane, l'ouf et le cour ? Tous sont des symboles du Soi. Dans la mythologie, l'île lointaine porte généralement la projection du paradis perdu : le jardin des Hespérides se trouve sur une île. Dans la mythologie grecque, Kronos .. se retira dans une île boréale isoIée où l'âge d'or se perpétue. En généraI, l'îIe merveilleuse a conservé un état idéal révolu. La mythologie celtique connaît plusieurs îles féeriques, comme celle d'Avalon. A la fin du Moyen Age, l'île de Thulé, identifiée à des îles imaginaires plus anciennes, était censée être le lieu de retraite des dieux, des fées, des héros et des génies marins.
L'île peut être aussi un lieu ensorcelé : qu'il suffise de rappeler les aventures d'Ulysse, et aussi, en Orient, de Sinbad le Marin. . L'île représente une zone lointaine de l'inconscient, sans relation avec le moi, et donc étrange. Le mot « île » vient du latin insula, qui a donné insulaire, mais aussi isolé. En termes psychologiques, nous dirons que l'île représente un complexe autonome, c'est-à-dire un ensemble de réactions qui ont la vie propre et n'ont pas, ou peu, de relations avec le reste de la personnalité. C'est une zone « isolée » dont le sujet a parfois vaguement conscience, ou pas du tout.
.. cas d'un homme qui souffrait d'un état schizophrénique latent, sournois et chronique. Il vivait emprisonné par sa mère .. ayant largement dépassé la quarantaine, il fût devenu tout à fait incapable d'entrer en relation avec une femme. Il était en état d'assurer un simple travail de bureau, à condition de rentrer directement à la maison. .. des rêves de ce patient montraient que cet homme pouvait à tout moment se suicider ou retomber dans un épisode psychotique. Mais sans cesse revenait aussi le thème d'une île à la végétation tropicale luxuriante, où vivaient des femmes. S'il s'en approchait, un serpent venimeux venait le menacer. Je devinai qu'il se masturbait probablement en se laissant aller à des phantasmes érotiques et qu'il menait là une existence secrète, tout à fait isolée du reste de sa vie. En un sens, c'était positif : il y avait au moins en lui une aire instinctive presque normale - ce qui était montré dans l'image de l'île luxuriante. (Jusqu'à l'âge de quarante-cinq ans, il ne connut pas d'autre vie sexuelle.) Mais, d'un autre côté, c'était négatif, car cela diminuait son désir de quitter sa mère. C'est pourquoi son paradis avait aussi un serpent venimeux qui l'empêchait l'île d'entrer en relation avec les femmes. Cela prit une année entière avant qu'il n'abordât la question. Il rêva une nuit qu'il avait encore été piqué par le serpent de cette île et qu'il en était gravement malade. Il vit sur le sol une partie de la tête et du corps du serpent et se dit : « Il faut que je l'amène au médecin pour qu'il me donne un sérum contre le venin. » Alors il accepta enfin de parler de l'île dans laquelle il se réfugiait. On voit comme l'île représente une zone isolée, un complexe autonome ; sa sexualité était retranchée de sa vie par son complexe-mère négatif. Il le savait, mais avait décidé de garder ce domaine secret ..
Même quand l'île est connue du P.321 sujet, la grande étendue d'eau, d'inconscience, s'étend entre elle et le moi. Elle peut aussi être presque inconnue, ce qui signifie qu'un complexe autonome vit dans une région de l'imaginaire qui échappe presque complètement à la connaissance du sujet.
De plus, la mer, l'île, l'église, le puits, la cane et l'ouf sont des symboles féminins et maternels. Rappelons qu'à la cour du roi il n'y avait ni reine ni princesses. Les symboles féminins, nous dit le conte, sont isolés du reste de la vie. Même l'église se trouve sur cette île éloignée : ce contenant féminin de la relation au sacré est coupé de la vie consciente. L'église contient le puits qui permet d'entrer en contact avec la profondeur. C'est une construction humaine qui permet de puiser l'eau de l'inconscient. Ce qui est réprimé est donc la fonction vivante de l'église originelle qui possède encore le système symbolique conscient permettant de recueillir sans danger l'énergie inconsciente.
Lors de la conversion de ces pays au christianisme - dans la mesure où celle-ci n'était pas imposée par les conquérants - l'Eglise offrit la possibilité d'une expérience spirituelle et mystique qui entraîna un progrès de la conscience ... elle exerçait alors une fonction de médiation entre le conscient et les profondeurs de l'âme. Puis l'aspect psychologiquement juste de la foi nouvelle s'atténua peu à peu, ce qui avait été expérience vivante se réduisit à une forme conventionnelle et sociale sans signification religieuse profonde. Alors la fonction religieuse de la psyché se tourna à nouveau vers le paganisme, mais, du fait que celui-ci était désormais dépassé et avait régressé dans l'inconscient, cette démarche posait le problème décrit ici. Le catholicisme, en respectant d'avantage le symbole que le protestantisme, se sépara moins nettement du paganisme. .. il y existe même un saint Priape, ce qui est un moyen génial de préserver les valeurs païennes ! De plus, la place donnée par l'Eglise catholique à la Vierge a sauvé, dans une certaine mesure, le principe féminin. .
Dans le puits est une cane. Le canard, dans les contes qui traitent du problème du mal, est un facteur de salut. Dans la mythologie indienne, le soleil descend le soir sous la forme d'un canard d'or dans le lac nocturne à l'ouest et en émerge le matin à l'est. Dans nos pays, canards et oies sont tantôt en relation avec le principe du mal, et tantôt peuvent en sauver. Ces oiseaux ont un lien avec les démons et les sorcières qui ont souvent des pieds palmés. .
Le canard est un oiseau remarquable : il peut se déplacer au sol, nager, plonger et voler. Sa démarche à terre est maladroite, mais bien moins que celle des cygnes : il est à l'aise dans les éléments et les différents niveaux de l'être et circule de l'un à l'autre ; c'est pourquoi il est souvent un symbole du Soi, ou de ce que Jung a appelé la « fonction transcendante », cette faculté qu'a la psyché inconsciente de guider l'être humain arrêté dans une certaine situation vers une situation nouvelle, en le transformant. Chaque fois qu'un individu est bloqué par des circonstances ou une attitude dont il ne parvient pas à se sortir, la fonction transcendante produit des rêves et des phantasmes qui l'aident à construire, sur un plan symbolique et imaginaire, une nouvelle façon de vivre qui soudain prend forme et conduit à une attitude nouvelle.
Dans la cane est un ouf. L'ouf porte en lui un germe, il symbolise une nouvelle possibilité de vie ; .. Pâques .. les fêtes de printemps on décore et on offre des oufs, en vou de renouveau et d'éclosion de la vie après l'hiver. Dans nombre de mythes de création, l'ouf donne naissance au monde et acquiert la dignité de principe cosmique. Il est le tout-commencement, ce à partir de quoi l'univers tout entier peut naître ou renaître. Dans les mythes indiens, le mythe P.323 orphique et d'autres encore, le monde naquit de l'ouverture de l'ouf.
En alchimie, l'ouf joue aussi un grand rôle. Il est le vase hermétique où se constitue le « poulet » des sages, mais aussi la pierre philosophale elle-même, car il contient tout et n'a besoin d'aucun apport extérieur. Si ce n'est d'un peu de chaleur. Donnant naissance à la vie par lui-même et sans addition étrangère, il symbolise le noyau le plus intime de l'individu, le Soi, auquel nous ne pouvons rien retrancher ni ajouter. Si nous Iui offrons la chaleur d'une attention journalière, il se développera de lui-même.
Cet étonnant ensemble de symboles religieux de caractère essentiellement féminin est le « cour secret » du géant.

 

 

 


CHAPITRE VI L'AFFRONTEMENT MAGIQUE

LE BUCHERON QUI BERNE LE DIABLE ET FAIT SIENNE LA FILLE DU ROI

L'oeuf, symbole du Soi, qui était encore une fois entre les mains d'un être maléfique capable d'attirer l'anima dans l'au-delà, lui est pris, mais n'est pas détruit. Il est ramené à la surface, à la conscience, pour être intégré à la réalité, et seule la puissance mauvaise est supprimée.
Cette solution correspond.. au schéma habituel de la perle ou du trésor arrachés au dragon ou à tout autre être mauvais.
Dns le premier, le géant représente une émotion destructrice ; . l'idéal conscient chrétien était en danger d'être partiellement englouti à nouveau par l'inconscient païen et de régresser vers des couches archaïques encore très proches. L'église qui contient 1'oeuf, symbole du renouvellement du Soi, est incompatible avec le géant et son comportement, qui doivent disparaître. Le fait que l'église, son puits et l'oeuf sont isolés au loin évoque la situation de ces personnes chez qui la source secrète de l'énergie vitale ne coïncide pas avec le comportement conscient. Elles joueront peut-être un rôle dans leur ville, leur paroisse ou dans leur profession et en tireront une position sociale, mais leur vie quotidienne et leurs actions ont une tout autre inspiration ; leur psychologie est cloisonnée, car leur vraie raison de vivre est incompatible avec leur position consciente.
La même chose apparaît à l'évidence dans beaucoup de mouvements de masse. La foule y est dynamisée par un idéal ; or, si l'on examine celui-ci de près, on s'aperçoit qu'il est d'ordre religieux et qu'il prend sa source dans un symbole du Soi, ce qui explique la fascination qu'il exerce, alors que les meneurs de jeu et l'action proposée par eux appartiennent à un tout autre ordre. C'est ainsi qu'au début du mouvement nazi de nombreuses personnes, en Allemagne, furent induites par l'image archétypique du paradis sur terre, du rétablissement de l'âge d'or. .. Cet idéal naïf, enfantin, servait à entraîner les individus dans le mouvement, alors que ce qui se préparait en réalité était de l'ordre atroce du géant privé de coeur. La même chose se produit dans tout mouvement, . qui prétend établir le Ciel sur terre par n'importe quels moyens. Proposer à la naïveté des gens un idéal archétypique est un des grands principes de toute propagande, car, une fois fasciné par le symbole, on ne réfléchit plus, on est possédé et prêt à tous les fanatismes. Dans la vie individuelle, c'est aussi une combinaison des plus néfastes que celle qui allie des actions criminelles ou un comportement destructeur à un idéal religieux non réalisé et irréalisable. Cela entraîne, aussi bien pour les individus que pour les peuples, des explosions psychotiques. On découvre souvent, dans les replis de l'âme du psychotique, une sorte de rêve de paradis enfantin qui le rend étranger à la vie ; ce monde secret se dérobe derrière un comportement émotif autodestructeur. Cette dissociation P.331 permet aux peuples comme aux individus de commettre les crimes les plus horribles, la conscience claire et au nom d'un idéal trompeur.
La relation du géant et de l'église où est son cour est image d'une folie de cet ordre. Dans les cas de dissociation psychotique .. le thérapeute ne peut faire autrement que de détruire l'idéal infantile qui est la source secrète du comportement destructeur, en le mettant au contact de la réalité. Le prince du conte norvégien n'est pas capable de juger de ce qu'il doit faire, aussi cela ne lui est-il pas demandé ; c'est le loup qui prend sur lui la décision et lui ordonne d'écraser l'ouf. .. le loup représente une détermination qui seule peut s'opposer à l'absence de cour du géant. Le loup représente ici une fermeté instinctive juste, c'est-à-dire capable d'agir au bon moment. Cette fermeté est absolument nécessaire au processus d'individuation. Si, au contraire, on est confronté, comme dans le second conte, à une situation où les opposés ne sont pas aussi éloignés et aussi incompatibles, il est possible de détruire la source du mal et de ramener l'ouf, germe du futur développement intérieur, à la conscience.
. seul un meurtrier potentiel peut devenir un bon chaman. Cela signifie qu'en face de certaines maladies de l'individu ou de la collectivité, au moment crucial, une fermeté de fer est nécessaire, et que le chaman ou le thérapeute qui n'a pas intégré cette faculté n'est pas apte à affronter le principe du mal. L'attitude juste est comme le fil du rasoir et devra éviter aussi bien une indulgence coupable qu'une dureté destructrice. Dans la phase terminale du traitement analytique d'une personne souffrant de dissociation névrotique grave, une situation semblable à celle du premier de ces deux contes se produit fréquemment, car c'est à ce moment que (comme dans une maladie physique) le problème atteint sa phase la plus aiguë. Cela provient en partie de ce que le sujet est devenu progressivement conscient de sa dissociation et des causes réelles de ses symptômes névrotiques, sans pour autant être encore capable de réunir en lui les opposés. Certaines personnes à la nature candide et innocente comme celle du Simplet des contes de fées, une fois parvenues à ce stade abandonnent tout naturellement leurs symptômes névrotiques comme l'animal qui mue laisse sa vieille peau, et sont guéries. .. Le plus souvent, le progrès se double d'un attachement accru au comportement névrotique, et c'est au moment où l'on pourrait penser que le sujet psychotique, schizoïde ou atteint de névrose obsessionnelle, est tiré d'affaire et qu'il a pratiquement retrouvé son équilibre qu'il faut être particulièrement attentif à une rechute, ou même au risque de suicide. La personne, se rendant compte qu'il va lui falloir affronter à présent une vie normale, peut être prise d'un sentiment de terreur et de dégoût qui fait qu'elle préfère retomber dans la maladie, ou se tuer. Loin d'être terminé, le travail intérieur consistera dès lors à voir comment la personne pourra mener une vie saine mentaIement qui ne lui répugne pas au point qu'elle veuille la fuir à nouveau ; cela amènera souvent à transformer certains éléments de sa vie concrète afin de trouver un moyen terme entre ses aspirations et une meilleure adaptation. Ce sera la phase suivante et terminale de l'analyse. . les opposés psychiques .. sont attirés l'un vers l'autre et se repoussent, pourtant ils se rapprochent peu à peu l'un de l'autre et, tout à coup s'unissent ; c'est toujours un moment de choc, particulièrement quand la névrose est ancienne. P.333 . une fois passée, cette phase de vie retrouvait son sens et sa valeur. Il arrive un moment où il faut savoir trancher et jeter loin de soi ses symptômes si l'on ne veut pas également perdre le reste de sa vie. L'analyste peut avoir à faire preuve d'une dureté sans pitié vis-à-vis de la maladie d'une personne qui a tendance à s'y complaire.
Dans les cas de psychose latente où seule une partie relativement restreinte de la personnalité est atteinte tandis que le conscient présente quelque solidité, on peut agir comme on le ferait s'il s'agissait d'une névrose, et essayer d'aider le sujet à intégrer la partie autonome et malade de sa psyché. Il peut se produire de fortes crises, mais, si cela réussit, on aboutit à la réalisation de la totalité psychique et à la guérison définitive. Dans les cas, au contraire, où la conscience est faible et son champ réduit, tandis que l'aire malade est étendue, chercher à rapprocher les deux serait risquer que la partie atteinte n'assimile la partie saine et que la psychose ne devienne manifeste. Il est alors préférable de tenir la personne à l'écart de l'inconscient profond et de mettre l'accent sur sa vie concrète. Mieux vaut, en ce cas, consolider un équilibre imparfait que de risquer un complet chaos. On ne prendra de l'inconscient que juste ce qu'il faut pour permettre cette consolidation et une meilleure adaptation. .. Ex. médecin qui désirait entreprendre une analyse didactique. .. série de rêves cruciaux qui menèrent Jung à décider de le détourner d'une telle entreprise. Dans l'un de ces rêves, il errait dans les pièces d'une maison à l'atmosphère sombre et inquiétante où n'y avait ni être vivant, ni objets, meubles ou tableaux. II arriva enfin à une pièce au centre du bâtiment, dont il ouvrit la porte : un tout petit enfant y était assis sur un pot de chambre et se barbouillait de ses excréments. Le noyau psychique de ce médecin de quarante-cinq ans était demeuré à ce stade infantile, et la distance entre le sujet conscient et cet enfant était trop grande ; et, ce qui était pire et décisif, il n'y avait rien, pas d'images, pas d'êtres qui eussent pu établir un lien entre eux. Par ailleurs, il était parvenu à compenser sa psychose latente dans une vie professionnelle assez réussie et l'on pouvait espérer que cela continuerait sans de trop grandes difficuItés ; détruire cet équiIibre, fût-il imparfait et précaire, en remettant tout en cause, eût déclenché une crise dont il ne se fût peut-être pas sorti et qui eût risqué de détruire sa vie familiale et sociale. . La détermination du loup qui dévore le vieux cheval et tue le géant est équivalente, dans ce cas, à celle du chirurgien qui doit couper un membre pour sauver le reste du corps. L'ensemble géant-ouf est détruit pour qu'une nouvelle vie puisse se développer en dehors de cette aire de conflit insoluble. On remarquera que le premier ouf est périssable, tandis que le second est en diamant.
L'ouf de diamant symbolise la chose indestructible, précieuse et pure par excellence. .. le diamant est un symbole du Soi dans ce qu'il a d'incorruptible et d'éternel. Ces deux contes ne sont donc contradictoires qu'en apparence. Ils ont pour thème commun l'ouf, symbole de renouveau du Soi, qu'il faut arracher à l'inconscient, mais dans l'un des contes, l'ouf est périssable et périmé ; il faut le ramener à la conscience pour en finir avec lui, tandis que dans l'autre conte, l'ouf est parvenu à maturité, il a achevé sa transmutation P.335 alchimique en diamant .. Grâce aux huit animaux, symboles de totalité instinctive, le bûcheron réussit à ramener au conscient le contenu spirituel éternel et toujours nouveau représenté par l'ouf de diamant.
Dans les deux récits, c'est la princesse qui permet de trouver la solution, parce qu'elle participe des deux mondes. . Seuls les héros qui ont pour alliés le principe féminin et les instincts ont une chance de survivre et de vaincre. L'anima est, pour l'homme, le facteur essentiel dans le combat contre le mal.
.. dans les moments décisifs, le héros ne fait pas grand-chose : les animaux ou l'anima agissent ou décident pour lui. Ces contes appartiennent tous deux à des pays européens. Ils ont une valeur relative, en ce qu'ils compensent une attitude trop extravertie, active et masculine de la conscience. Lorsqu'il arrive une catastrophe, on lira toujours dans les journaux : « Quelque chose doit être fait ! Que fait donc le gouvernement ? » Cette réaction correspond à l'idéal conscient traditionnel du chevalier-héros qui veut que l'homme combatte activement le mal. Etudier d'abord le problème pour parvenir au «cour» de la situation est étranger à notre mentalité et ne nous vient qu'après coup à l'esprit. En agissant avant l'heure et mal à propos, on ne fait, le plus souvent, qu'augmenter la puissance du mal en lui donnant de plus en plus de libido. Cette extraversion est un des principaux problèmes de l'homme blanc ; sa maladie chronique est de vouloir répondre au mal en intervenant à tout propos. Or il y a un temps pour tout et il est des circonstances où il est juste de ne rien faire, d'attendre et d'observer, tandis qu'à d'autres moments il est indispensable d'agir rapidement. L'individu centré, rendu souple aux impulsions du Soi, sentira quand il est juste d'agir et quand il est préférable de laisser advenir jusqu'à ce que les événements soient mûrs et atteignent le point où ils peuvent tourner. . Cela nous amène au thème .. de l'affrontement magique. C'est le contraire du combat utilisant la force pure et simple, comme celui du héros qui tue le dragon ou du bûcheron qui se change en lion solaire pour dévorer le démon de l'obscurité (mais le lion peut aussi symboliser, dans certains cas, la force démoniaque dévorante). La contestation magique élève le débat au niveau des forces spirituelles. .

LE TSAR MAGICIEN NOIR P.337

 

CHAPITRE VIII LE MARIAGE DU ROI ET DE LA REINE

LE FILS DU ROI ET LA FILLE DU DIABLE

. thème classique du vieux roi en difficulté qui a besoin d'être aidé ou qui doit être remplacé, ainsi que celui, non moins répandu, du père, .. ayant tout perdu et sans le savoir vend son enfant au diable ; c'est alors la tâche de l'enfant, fille ou garçon, de se libérer de l'emprise du mal.
. illustre bien la façon dont beaucoup de parents « vendent » leurs enfants en les livrant à leurs propres problèmes non résolus.
.. le roi représente l'attitude consciente régnante et l'idée ou l'idéal qui la sous-tend, ce qui implique l'image dominante de Dieu qui fait partie de la mentalité collective de l'époque. Nous nous trouvons.. dans une situation de vieillissement et l'usure des normes de la collectivité : le roi est devenu incapable de repousser les forces destructrices qui l'assaillent ; l'ordre social et religieux, ses idéaux et ses symboles ne sont plus désormais assez puissants et ne représentent plus un but suffisamment attirant pour unir et éveiller son peuple. C'est pourquoi une partie de l'énergie psychique se répand dans toutes sortes de canaux sans issue. Le processus de dissolution est déjà très avancé, car non seulement l'envahisseur a vaincu l'armée royale mais, comme nous le voyons par la suite, le symbole du Soi, le fouet à quatre queues qui, lorsqu'on le claque dans les quatre directions de l'espace, produit tous les effets possibles, se trouve dans le monde souterrain, en la possession du diable. P.391
Le sceptre royal primitif a pour origine le bâton ou le fouet du berger ou du gardien de bétail. Il symbolise le pouvoir du roi, sa fonction de législateur et de justicier. .. les rois du monde souterrain, comme Osiris, tiennent un fouet à la main. Les quatre lanières du fouet et les quatre directions de l'espace se réfèrent à la totalité. Ce fouet étant tombé aux mains du pouvoir infernal, le roi du monde supérieur est perdu et n'a pas la moindre chance de vaincre : il ne peut qu'abdiquer en faveur de son fils ou se détruire.
La figure archétypique du roi qui doit être tué rituellement pour renaître est une allusion à l'inévitable vieillissement de tout principe conscient qui doit périodiquement se renouveler pour que ne s'arrêtent pas l'évolution psychique et la vie.
Le roi, donc, agit ici comme le font souvent les parents : il vend inconsciemment son enfant au diable en interprétant mal la requête du démon au lieu de s'y arrêter pour l'étudier. Mais on sait que, dans le monde cruel des faits, l'inconscience n'est pas une excuse. Aussi le diable revient-il demander son dû, le fils du roi, alors âgé de vingt et un ans ; c'est un adolescent juvénile et simple, tout à fait incapable d'affronter le problème. L'ouvre de rédemption reposera donc entièrement sur la fille du diable.
Celle-ci est une variante des figures féminines qui vivent avec un démon ou une figure démoniaque. Le diable ne vit en célibataire que dans le dogme chrétien ; dans le folklore il est toujours accompagné d'une figure féminine, sa femme, sa fille ou, plus souvent sa mère ou sa grand-mère. Ce terme.. n'implique pas forcément la parenté. Cela signifie que le diable habite auprès de la Grande Mère. .
La grand-mère, mère ou fille, associée par le folklore au diable, est habituellement plus amicale envers les humains que lui et joue un rôle d'intermédiaire. Ici, la fille se désolidarise complètement de son père et quitte le monde infernal pour suivre le prince dans le monde d'en haut où elle devient la reine de la prochaine génération. Le fils du roi a, tout le long du conte, un rôle complètement passif : il ne lui est demandé qu'une attitude introvertie d'obéissance et d'attention. C'est un exemple type de compensation d'un ordre conscient trop patriarcal et trop actif. Le principe féminin, réprimé, est envoyé dans les enfers rejoindre le diable où il attend la première occasion de revenir à la surface et d'y reprendre son rôle régulateur. Si l'on compare ce conte au poème épique de Gilgamesh, on constate que, dans le mythe, le héros n'est pas soutenu par des figures féminines mais par le dieu solaire Shamash et, dans l'au-delà, par l'ancien héros des grandes eaux, Utnapischtim. La grande déesse Ishtar est son ennemie. La constellation inconsciente change suivant le cadre culturel où elle apparaît. Il semble que dans la Babylone sumérienne le renforcement de la masculinité et du principe mâle était appuyé par l'inconscient, car il correspondait à ce stade de développement. Si, dans notre conte, le héros est soutenu exclusivement par une figure chthonienne féminine, il faut y voir la réponse à un problème européen d'époque relativement récente où les aspects masculins de la vie, poussés à leur paroxysme, ont basculé dans leur ombre destructrice. Cette domination du principe mâle, sous ses formes positives et négatives, telle qu'elle se représente dans la civilisation occidentale, ne peut se dénouer que par la médiation du principe féminin, comme cela apparaît dans ce type de récits. P.393
La fille du diable n'a pas seulement de l'affinité pour la race humaine, elle représente le principe féminin par excellence, l'éros. Le principe de l'amour peut dénouer la raideur de la position masculine par rapport au monde, comme la fille du roi résout toutes les difficultés à la place du prince. Le diable ordonne d'abord au héros d'accomplir des travaux herculéens que seul un être doté de pouvoirs surhumains pourrait mener à bien. Il défie le fils du roi au niveau du pouvoir et l'on peut rendre grâces à Dieu que le jeune homme se reconnaisse incapable de relever le gant, car il n'y parviendrait pas et ne ferait que tomber dans l'inflation. La fille du diable, elle, n'utilise pas son propre pouvoir, mais celui de son père. Par sentiment pour le prince, elle réussit trois fois à retourner le fouet à quatre lanières contre son possesseur. Les deux premiers travaux : transformer un marais fétide en prairie et un bois en vignoble correspondent à ce que l'on pourrait appeler des tâches culturelles. Dans la plupart des sociétés primitives, c'est un héros ou un dieu qui accomplit ces oeuvres civilisatrices. Ici, au contraire, cette activité est ordonnée par le diable.
A la lumière de ce conte, on ne peut que se poser la question de savoir qui inspire notre exploitation technique sans frein de la nature. Ce fut jadis la condition de la civilisation ; mais, de nos jours, l'exagération du processus l'a fait basculer et rendu négatif, il est tombé aux mains des forces diaboliques de l'activité inconsciente destructrice. L'inquiétude et l'avidité extraverties vont toujours de l'avant, sans réflexion et sans freins, au-delà des limites que peut tolérer la nature. Enfin le diable va jusqu'à demander que soit bâtie une contre église : le Dieu trinitaire étant vénéré dans des églises à la surface de la terre, le diable veut en posséder une dans les enfers. Mais il n'y parvient pas, même avec l'aide de son quadruple fouet. Cela fait penser à tous les mouvements qui ont dérobé de façon cachée et souterraine à la religion son idéalisme et ses formes variées d'activité et d'organisation pour les utiliser à leurs propres fins : Hitler.. et les Etats communistes totalitaires.. C'est ainsi que, dans l'inconscient, une contre église se bâtit. Mais, c'est un des détails les plus significatifs de cette histoire, on nous dit qu'elle est construite en sable ; celui-ci est une masse de particules inertes infimes, sans cohésion entre elles. On ne peut rien construire avec des êtres humains que l'on a réduits à n'être plus que des particules d'une masse.
Trois fois, le couple échappe à ses poursuivants en prenant une forme inattendue. C'est le thème de la fuite par la métamorphose. Ces métamorphoses prennent la forme de symboles du Soi et de mandalas. Le premier est proche du conscient : c'est une église avec son prêtre qui chante l'office, ce qui représente la façon traditionnelle dont le diable a été tenu en respect dans notre civilisation. Cela peut suffire quelque temps, mais ne mène pas très loin. L'image suivante plonge plus profondément dans la nature et n'utilise pas un symbolisme culturel : c'est un aulne où chante un oiseau doré.
L'aulne est un vieil arbre magique connu pour son pouvoir apotropéïque contre la sorcellerie et les démons. Les paysans placent ses branches dans les champs et sur les portes des étables pour les protéger des mauvais esprits. L'arbre lui-même est considéré comme démonique : il pousse dans les endroits sombres et marécageux et son bois est inutilisable ; de plus, il rougit en peu de temps et l'on dit que c'est parce que le diable s'en sert pour battre sa grand-mère ou sa femme. Seul ce qui est démoniaque peut s'opposer au démon : pour lutter contre le mal, il faut le connaître, avoir une certaine affinité intuitive avec lui, ce qui ne s'acquiert que par la connaissance de sa propre ombre. Comme le diable se sert du bois d'aulne pour battre sa femme, on peut s'en servir pour le battre lui-même. P.395
L'aulne est en relation avec tout ce qui, dans la nature, apparaît comme sombre ou inutile ; ces qualités mêmes qui le rapprochent du principe du mal le rendent capable de protéger le héros qui, sous la forme d'un oiseau doré, chante : « Je n'ai pas peur »
La troisième métamorphose est un champ de riz où une caille trottine en pépiant : « Dieu avec nous ! » Le riz est un symbole de fertilité et la base de la nourriture d'une grande partie de l'humanité. Le salut vient ici de la fertilité de la terre-mère, de quelque chose qui n'est ni de l'ordre du démon, ni de celui du Dieu chrétien, mais appartient de droit au principe féminin. Le prince, qui est toujours celui des deux qui se trouve en danger, arpente la rizière sous la forme d'une caille. (éveillé, attentif). La caille demeure continuellement éveillée et révèle sa présence par son agitation et le cri qu'elle lance dans la nuit, . la capacité de demeurer éveillé intérieurement est montrée ici comme décisive. Même si l'on surveille son ombre et son animus - ou anima -, la fatigue due à un excès d'activité extérieure, le manque d'attention aux images intérieures et aux rêves, une bouffée d'inflation suffisent à provoquer un abaissement du niveau mental propre à permettre aux forces du mal de nous atteindre. Dans une situation dangereuse, cette vigilance est l'élément crucial.
Dans une situation difficile, on peut observer que si, par émotivité ou distraction, on devient quelque peu inconscient, on perd ses moyens. . Si l'on perd de vue l'attention centrale, on se laisse prendre par la situation et l'on finit par trahir ses propres objectifs : au moment décisif, on oublie ses arguments et l'on est vaincu. C'est une « perte d'âme », et c'est toujours le signe que l'on a projeté une part de son ombre sur la situation - même si celle-ci est réellement mauvaise, car il ne s'agit pas, bien entendu, de minimiser le mal objectif qui existe bel et bien. L'éveil de la caille est donc très important, mais ne suffit pas ; une dernière métamorphose se produit : la fille du diable se change en étang de lait et elle transforme le prince en canard. L'élément décisif est que ce dernier doit gardé la tête plongée dans le lait en nageant au centre du bassin.
... Quant au lait, nourriture maternelle des êtres jeunes et aliment d'une blancheur innocente, il a toujours été l'un des ingrédients apotropéïques les plus répandus. En contre partie, il est facilement atteint par les sorcières et les esprits mauvais : chacun peut, en lui lançant le « mauvais oeil», jeter un sort sur la vache du voisin pour faire tourner son lait, ou sur la crème, et le beurre ne voudra pas se former. Le lait, à l'opposé du vin, est une boisson sobre. Dans la Grèce et la Rome anciennes, si l'on offrait du vin aux dieux, ils devenaient actifs et entreprenants, tandis que le lait les rendait doux et bienveillants. Le lait était donc offert aux divinités infernales et aux morts pour les apaiser, et le vin aux divinités de l'Olympe qu'il s'agissait d'évoquer pour obtenir d'elles une aide active. .
Le prince-canard doit garder la tête plongée dans le lait et ne pas regarder le diable, quoi que celui-ci puisse lui dire. Cela illustre à merveille la seule attitude qui soit possible, à mon avis, lorsque l'on est confronté avec le mal venant de l'extérieur : si on le regarde, il y a déjà projection. .. « projection » signifie que quelque chose est inconsciemment lancé comme hors de nous-même sur l'autre ou sur l'objet. P.397
Si l'on regarde quelque chose de mauvais, dit Platon, quelque chose de mauvais tombe dans notre âme. On ne peut regarder le mal sans qu'un affect soit évoqué en réponse, car le mal est un archétype, et tout archétype a sur nous un impact. Contempler le mal signifie être contaminé par lui. C'est pourquoi le prince, sous la forme du canard, doit nager toujours près du centre le plus intérieur qui se trouve au-delà du bien et du mal, au-delà de la faille qui sépare les opposés.
..attitude pratiquée.. dans le bouddhisme et autres philosophies orientales ; .. se retirer du mal en dépassant le problème des opposés, en demeurant au centre intérieur, au delà de la dualité du bien et du mal et de leurs conflits.
Cependant, dans ce conte, il y a bien lutte, mais elle ne se déroule pas au niveau conscient ; ce n'est pas le prince, mais la fille du diable qui mène le jeu et finalement détruit son propre père quand celui-ci l'a avalée.
Jung aimait à citer l'adage alchimique bien connu : « Toute hâte vient du diable » . Le diable est impatient par nature, c'est pourquoi l'impatience est du diable. Si nous sommes la proie d'une humeur agitée, qui nous fait dire sans nécessité : « Il faut décider cela dès aujourd'hui », « cette lettre doit être envoyée maintenant », ou « ce travail doit être fini avant ce soir », le diable est derrière. Ne disons-nous pas d'une tâche bâclée qu'elle a été « faite à la diable » ? Le diable est une personnification de l'impatience : il veut obtenir, tout de suite, ce qu'il désire. .
Dans la Grèce antique, l'oie était un aspect particulier de la Mère Nature : Némésis. Le nom de cette déesse vient de némô qui signifie distribuer, attribuer à chacun sa juste part. Cette déesse représente le principe de la justice naturelle qui veut que chacun, à un certain niveau, subisse les conséquences de ses actes. Si l'on observe de près les processus inconscients, on ne peut manquer d'y discerner cette sorte de justice naturelle qui n'a rien à voir avec la justice au sens humain du terme ; il s'agit plutôt d'une force régulatrice souvent déconcertante, car elle réagit et frappe selon ses propres lois, et qui pourtant nous apparaît comme signifiante. C'est cette justice qui fait, par exemple, que celui qui va continuellement contre sa nature se détruit, même s'il n'a rien fait de « mal » aux yeux de la loi ou de la morale humaine : si l'on néglige son corps, on tombe malade ; si l'on néglige ses dons naturels ou son développement psychique, on est névrosé. De même, une attitude morale pervertie ou un crime caché détruira intérieurement un être aussi sûrement qu'un châtiment reçu du dehors. C'est ainsi que le diable de notre conte se tue lui-même. Il se transforme en oie, oiseau de Némésis; inconsciemment, il s'identifie à ce principe de justice qui s'exerce d'elle-même. Il a agi par haine et repoussé l'éros et l'aspect Féminin, et voilà que, dans sa fureur, il avale le lait maternel, sa fille-anima et le canard, et le lait commence à fermenter et à bouillonner dans son intérieur. Le lait a pour mauvaise habitude de se sauver d'un récipient en chauffant, même si on le surveille, aussi est-il l'image du « débordement » des émotions incontrôlées. ne traite-t-on pas les gens sujets à des colères soudaines de « soupe au lait » ?
Si nous comparons ce conte à celui du « Géant qui n'avait pas son cour avec lui », nous dirons que la fille du diable est son cour : elle a en effet du cour et du sentiment, elle est son anima. Le diable est dissocié d'elle : il est froid et cruel, c'est pourquoi sa fille le fuit à la première occasion. Dans sa fureur impatiente, il avale donc d'un coup une énorme quantité de lait maternel, avec sa fille-anima et le prince-canard, germe d'un esprit renouvelé. Il incorpore sans réfléchir le sentiment et l'émotion que jusque-là il a repoussés froidement ; son intention mauvaise et sa précipitation le rendent incapable de les intégrer, de se les assimiler : le lait fermente et le fait exploser. Autrement dit, le diable, possédé par son anima, devient la proie de ses affects et, tout comme celui qui se laisse aller à toutes ses humeurs, il est un homme « fini », il se défait, sa personnalité se dissocie. P.399
Ce conte présente un tableau frappant de ce qui se passe généralement lorsqu'une civilisation a fait son temps et qu'elle est appelée à se transformer. Les idéaux et les normes sur lesquels elle s'était bâtie ont perdu leur spontanéité et leur influence positive sur les individus et sur la collectivité ; ils se sont desséchés et sont devenus des règles sans âme, puis des coques vides. Alors de jeunes forces et des idéaux naissants montent de l'inconscient, sous la forme d'idées nouvelles, de bouleversement des mours et de la société que le vieil ordre, trop rigide, est incapable d'assimiler : la distance est trop grande qui les sépare, et les valeurs montantes sont encore trop chaotiques ; elles sont en pleine fermentation et inassimilables telles quelles, il leur faudra le temps d'évoluer à leur tour pour donner forme à un ordre nouveau.
L'aspect meurtrier que peut prendre une civilisation de type trop exclusivement masculine comme la nôtre à deux causes psychologiques principales : d'une part l'unilatéralité est forcément déséquilibre ; une société qui privilégie l'un des sexes et une moitié de l'être humain et de l'humanité est incomplète et dangereuse. Que ce soit au niveau individuel ou au niveau collectif, il est aussi faux et mutilant de vouloir vivre avec les seules qualités viriles qu'avec les seules qualités féminines, car tout être humain, homme ou femme, est une combinaison des deux principes, mâle et femelle, aussi indispensables l'un que l'autre à son équilibre et à sa fécondité. C'est ce que toute la symbolique alchimique, par exemple, essaye de montrer, grâce aux images du mariage du roi et de la reine, ou de l'hermaphrodite, images oniriques qui sont toujours vivantes et apparaissent avec le même sens chez beaucoup de contemporains. Toute qualité portée à son extrême bascule dans son opposé si elle n'est pas contrebalancée par une autre : les qualités viriles de courage, d'action, de curiosité intellectuelle et d'efficacité, si elles sont développées de façon linéaire et sans frein, deviennent froides et sans âme ; ce ne sont plus alors les qualités viriles positives qui apparaissent, mais leur ombre destructrice dont nous voyons chaque jour les effets.
D'autre part, l'aspect émotionnel meurtrier qui provoque ou accompagne si fréquemment le mal dans une civilisation trop uniquement masculine vient de ce que le principe féminin réprimé - comme tout ce qui est refoulé - régresse dans l'inconscient : l'anima devient femme ou fille du diable. Cette anima rendue négative se manifeste chez les hommes sous la forme d'émotions aveugles, destructrices ou qui se constellent mal à propos. .
Si, par contre, le principe féminin est ramené des enfers dans la conscience, s'il est accepté et intégré à la vie, il vaincra la forme particulière de mal représentée ici par le diable. Ce nouveau principe de conscience, figuré par le jeune couple qui se dresse, intact, au sortir du ventre du diable qui les a, en quelque sorte, mis au monde, règnera désormais dans une égalité entre le jeune roi et son épouse la reine. Le nouveau principe de conscience est donc une totalité, il se place au-delà de la scission entre les opposés, féminin et masculin, bien et mal. Les contes -et les rêves - montrent que le progrès serait de tendre vers une réalisation de cet équilibre.
On peut dire, en s'appuyant sur l'exemple de ces contes, que le centre le plus intérieur, le noyau divin de la psyché humaine, est la seule chose qui puisse transcender le problème du bien et du mal et qu'il est le facteur absolu capable de nous conduire au-delà de la situation de chaos à laquelle nous sommes confrontés. Seul l'être conscient et individué peut résister aux épidémies psychiques qui contribuent dans une proportion incalculable à augmenter le mal et la souffrance dans le monde. . P.401 . il faut que nous acceptions de plonger, avec eux (les contes), en eau profonde.