2. Le complexe à tonalité affective et ses effets généraux sur la psyché

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Le fondement essentiel de notre personnalité est l'affectivité. (Bleuler propose pour « sentiment - cour - affect - émotion » le terme « affectivité », « qui doit désigner non seulement les affects au sens propre, mais aussi les sentiments légers ou les tonalités affectives du plaisir et du déplaisir dans tous les événements vécus possibles ») Pensée et action ne sont pour ainsi dire que des symptômes de l'affectivité. (Bleuler dit : « L'affectivité est donc, beaucoup plus que la réflexion, l'élément moteur dans tout ce que nous faisons et négligeons de faire. Sans doute n'agissons-nous que sous l'influence de sentiments de plaisir et de déplaisir ; les considérations logiques ne reçoivent leur force motrice que des affects qui leur sont rattachés. L'affectivité est une notion plus étendue, dont la volonté et l'ambition ne représentent qu'un seul aspect. » Godfernaux dit : « . Au-dessous des lois froides et rationnelles de l'association des idées, il y en a d'autres bien plus conformes aux nécessités profondes de l'existence. C'est là la logique du sentiment ») Les éléments de la vie psychique, sensations, représentations et sentiments sont donnés à la conscience sous la forme de certaines unités que l'on pourrait peut-être comparer, .. la molécule.
Exemple : je rencontre dans la rue un vieux camarade, dans mon cerveau cette rencontre fait surgir une image, une unité fonctionnelle : l'image de mon camarade X. Nous distinguons dans cette unité ( « molécule » ) trois composantes ( « radicaux » ) : perception sensorielle, composante intellectuelle (représentation, souvenirs visuels, jugements, etc.), tonalité affective. Ces trois composantes sont indissociablement liées : il suffit qu'apparaisse le souvenir visuel de X pour que, normalement, tous les éléments associés se présentent à la fois. . Ce camarade X m'a attiré un jour, par des bavardages inconsidérés, une histoire ennuyeuse dont j'ai continué à subir les conséquences longtemps après. Cette histoire comporte un grand nombre d'associations (elle est comparable à un corps composé de molécules innombrables.) Un grand nombre de personnes, de choses et d'événements y sont contenus. L'unité fonctionnelle « mon camarade » en est une figure parmi d'autres. Toute la masse des souvenirs possède une tonalité affective définie, un vif sentiment d'irritation. Chaque molécule participe à cette tonalité affective, si bien qu'ordinairement, même là où elle se présente isolément ou dans d'autres combinaisons, en règle générale elle apporte partout cette tonalité affective, laquelle est d'autant plus nette qu'elle manifeste plus nettement sa relation à la situation complexuelle dans son ensemble.
. Je me promenais avec un monsieur très émotif et hystérique. Dans un village, les cloches de l'église sonnèrent.. Mon compagnon d'ordinaire très sensible à ce genre d'impressions, entra soudain dans une colère inattendue, prétendant qu'il ne pouvait supporter ces carillons.. que d'ailleurs cette église était déplaisante et ce village antipathique. (village réputé pour son site ravissant) Ce bizarre affect inadéquat m'intéressa je poursuivis ma recherche, alors mon compagnon commença à se lancer dans une diatribe contre le pasteur du lieu, sous prétexte qu'il avait une horrible barbe et. qu'il faisait de mauvais poèmes. Quant à mon compagnon, il a des dispositions pour la poésie lyrique. L'affect, dans ce cas, c'était donc la concurrence poétique.
Cet exemple montre comment la molécule (le carillon, etc.) participe à la tonalité affective de toute la masse de représentations (concurrence poétique), que nous désignons du nom de complexe à tonalité affective. Ainsi conçu, le complexe est une unité psychique supérieure. Lorsque nous examinons notre matériel psychique (par exemple à l'aide des expériences d'associations), nous découvrons que pour ainsi dire chaque association se rattache à tel ou tel complexe. . plus notre analyse est soignée, plus nous voyons que les différentes associations se rattachent à des complexes. Un seul rattachement est incontestable, c'est le rattachement au complexe-moi. Le complexe-moi est chez l'homme normal la plus haute instance psychique : nous entendons par là la masse de représentations du moi, que nous imaginons accompagnée de la tonalité affective puissante et toujours vivante de notre propre corps.
La tonalité affective est un état affectif qui est accompagné d'innervations corporelles. Le moi est l'expression psychologique de la combinaison solidement associée de toutes les sensations communes du corps. C'est pourquoi la personnalité propre de chaque individu est le complexe le plus solide et le plus fort et s'affirme (à condition d'avoir une bonne santé) au travers de tous les orages psychologiques. Ce qui explique que les représentations qui concernent directement la personne de chacun soient toujours les plus stables et les plus intéressantes.. : ces représentations-là ont la tonalité d'attention la plus forte (1'attention est pour Bleuler un état affectif. ( « L'attention n'est donc qu'un état particulier de l'affect » ; « L'attention, tout comme l'ensemble de nos actes, est toujours régie par un affect, ou mieux : l'attention est un aspect de l'affectivité qui ici ne fait rien d'autre que ce que nous connaissons déjà d'elle, c'est-à-dire qu'elle ouvre la voie à certaines associations et en inhibe d'autres.) )

LES EFFETS AIGUS DU COMPLEXE

La réalité veille à ce que la ronde tranquille des représentations égocentriques soit fréquemment interrompue par des représentations à forte tonalité affective, dénommées affects. Une situation dangereuse repousse le jeu tranquille des représentations et lui substitue un complexe d'autres représentations à très forte tonalité affective. A côté de lui, le nouveau complexe fait tout passer à l'arrière-plan, c'est lui qui est momentanément le plus distinct, car il inhibe complètement toutes les autres représentations ; parmi les représentations clairement égocentriques, il ne laisse justement subsister que ce qui convient à sa situation P.55 .. il est capable d'étouffer même les plus fortes représentations antagonistes jusqu'à la complète inconscience (momentanée.) Il a la tonalité d'attention la plus forte. (.. l'état d'attention se manifeste.)
Où un complexe de représentations va-t-il puiser son pouvoir inhibiteur ou favorisant ?
Le complexe-moi est, en vertu de son lien direct avec les sensations corporelles générales, le complexe le plus stable et le plus riche en associations. La perception de la situation menaçante provoque de l'effroi. L'effroi est un affect, et donc suivi d'un état corporel, d'une harmonie compliquée de contractions musculaires et d'excitations du sympathique. La perception a donc trouvé le chemin de l'innervation corporelle et par là, aidé aussitôt son complexe d'associations à s'imposer. Par l'effroi, d'innombrables sensations corporelles communes sont modifiées, ce qui entraîne le changement de la plupart des sensations qui constituent le fondement du moi habituel. En conséquence, le moi habituel perd la tonalité d'attention (ou la netteté ou l'action favorisante ou inhibitrice sur d'autres associations ou d'autres synonymes.) Il est obligé de reculer devant les sensations communes plus fortes ou différentes du nouveau complexe, mais normalement il ne disparaît pas tout à fait, il subsiste au contraire un moi-affect ( Par « moi-affect » je qualifie donc la modification du complexe-moi issue de l'apparition d'un complexe à forte tonalité affective. Pour des affects déplaisants, la modification consistera en règle générale en une limitation, un retrait de nombreuses parties du moi normal. De nombreux autres désirs, intérêts, affects doivent céder la place au nouveau complexe dans la mesure où ils lui sont opposés. En proie à un affect, le moi se réduit au strict nécessaire.) parce que même des affects très forts sont incapables de modifier toutes les sensations communes qui constituent les fondements du moi. Comme le montre l'expérience de chaque jour la plus banale, le moi-affect est un complexe faible qui, par rapport au complexe-affect, possède une force constellante notablement inférieure.
A supposer que la situation menaçante se résolve rapidement, le complexe perdra bientôt sa tonalité d'attention, les sensations communes reprenant peu à peu leur caractère habituel. Cependant l'affect persiste assez longtemps par la suite dans ses composantes physiques et donc aussi psychiques ; pendant un bon moment encore on a « les jambes qui flageolent », longtemps encore le cour bat la chamade, le visage est empourpré ou pâle, on peut à peine « se remettre de sa peur ». De temps en temps, au début à intervalles rapprochés, ensuite à intervalles plus longs, l'image effrayante revient et se montre chargée de nouvelles associations et fait surgir des vagues de réminiscences de l'affect. Cette persévération de l'affect est, à côté de la grande force du sentiment, l'une des raisons d'une augmentation proportionnelle de la richesse en associations qui s'y rattache. Aussi des complexes étendus ont-ils toujours une forte tonalité affective et, à l'inverse, des affects forts produisent toujours des complexes très étendus, ce qui résulte tout simplement de ce que, d'une part, les grands complexes incluent de nombreuses innervations corporelles et que, d'autre part, les affects forts, au moyen de leur excitation corporelle générale, à la fois forte et durable, sont en mesure de consteller de très nombreuses associations. Normalement, les effets des affects peuvent persister pendant un temps indéfini ( troubles gastriques et cardiaques, insomnie, tremblement, etc.). Mais peu à peu ils s'estompent, les représentations du complexe disparaissent de la conscience, et c'est seulement dans les rêves qu'apparaissent de temps à autre des allusions plus ou moins masquées. Dans les associations ils se manifestent encore pendant des années dans les perturbations caractéristiques provoquées par les complexes. Mais leur extinction progressive a une caractéristique psychologique générale : la disposition à réapparaître avec une force presque intacte en réponse à des stimuli identiques mais beaucoup plus faibles. Il règne encore assez longtemps une sensibilité au complexe. P.57

LES EFFETS CHRONIQUES DU COMPLEXE

1 faut distinguer deux cas :
1. L'existence d'une action du complexe qui se prolonge très longtemps, provoquée souvent par un affect unique.
2. Mais surtout l'existence d'une action chronique du complexe qui passe à la chronicité parce que l'affect est attisé en permanence.
. Il est des impressions qui agissent pour la vie entière. cf. les effets durables d'impressions religieuses fortes ou d'événements bouleversants. Les effets sont d'habitude particulièrement forts dans la jeunesse. Du reste, le but de l'éducation est bien de donner à l'enfant des complexes durables. La solidité du complexe est garantie par une tonalité affective toujours vivante. Quand la tonalité affective s'éteint, le complexe en fait autant. La persistance d'un complexe à tonalité affective a naturellement les mêmes effets constellants sur le reste de l'activité psychique qu'un affect aigu. Ce qui convient au complexe est accepté, tout le reste est exclu ou au moins inhibé. . Il n'est pas d'argument, si faible soit-il, qui ne soit avancé, pourvu qu'il soit pro ; a l'opposé, les arguments contra, même les plus forts et les plus plausibles, ne peuvent triompher ; ils glissent ni plus ni moins, car les inhibitions du sentiment sont plus fortes que toute logique. . Combien de fois voyons-nous une impression désagréable unique avoir pour conséquence chez de nombreuses personnes un jugement inébranlablement faux dont nulle logique, si pénétrante soit-elle, ne peut jamais venir à bout !
Mais les effets du complexe ne s'étendent pas seulement à la pensée, ils s'étendent aussi à l'action qu'ils peuvent durablement contraindre à prendre des directions bien définies. .
C'est le deuxième groupe .. dans lequel la tonalité affective est constamment entretenue par des stimuli actuels, qui fournit les meilleurs exemples de constellations de complexes. Les effets les plus forts et les plus durables sont notamment dus aux complexes sexuels dans lesquels la tonalité affective est constamment entretenue, par exemple par l'absence de satisfaction sexuelle. Cependant les constellations ne sont pas toujours grossières et évidentes, ce sont au contraire souvent des influences subtiles et dissimulées sous des symbolismes qui s'exercent sur les pensées et sur les actes. . Freud propose comme cas particulier de la constellation la notion d'action symptomatique. (En fait il faudrait parler de « penser symptomatique » et d'« agir symptomatique ».) . Freud montre comment, dans les perturbations apparemment accidentelles de nos actes (lapsus de la parole, de la lecture, oublis, etc.), interviennent des complexes constellés. Il démontre la même influence sur nos P.59 rêves. . les complexes perturbent également l'expérience d'associations de façon caractéristique et régulière (mode de réaction surprenant, persévération, allongement du temps de réaction, éventuellement absence de réaction, oubli ultérieur des réactions critiques ou post-critiques etc.). ( Freud dit : « Quand le compte rendu d'un rêve me paraît au premier abord difficilement compréhensible, je demande au narrateur de le répéter. Ce qu'il fait alors rarement dans les mêmes termes. Mais les endroits où il a modifié son expression me sont signalés comme les points faibles du déguisement du rêve. Le Conteur a été averti par mon invitation à répéter que j'avais l'intention d'apporter un soin particulier à l'explication du rêve ; il s'empresse donc de protéger, sous la pression de la résistance, les points faibles du déguisement du rêve, en remplaçant une expression révélatrice par une autre plus éloignée du sens caché. » )
. Pour les mots les plus simples, il se produit des hésitations ou d'autres perturbations que l'on ne peut expliquer que par le fait qu'un complexe a été stimulé par le mot inducteur. Mais pourquoi une représentation étroitement liée à un complexe ne peut-elle être reproduite « aisément » ? Comme première raison de cet empêchement, il faut mentionner l'inhibition émotionnelle. Les complexes se trouvent le plus souvent dans la situation de refoulement, il s'agit habituellement des secrets les plus intimes sur lesquels on veille anxieusement, que l'on ne veut pas dévoiler ou que l'on ne peut pas dévoiler. Le refoulement peut même être si fort que l'on a une amnésie hystérique pour le complexe, c'est-à-dire qu'on a le sentiment d'une représentation qui émerge, d'une liaison significative, mais une réticence indéterminée empêche la reproduction. On a le sentiment d'avoir voulu dire quelque chose qui vous aurait aussitôt échappé. Ce qui a échappé, c'est l'idée du complexe. Parfois survient une réaction qui contient inconsciemment l'idée du complexe, mais on est soi-même aveugle à cette idée, et seul l'expérimentateur peut vous mettre sur la bonne voie. La résistance qui provoque le refoulement produit aussi après coup encore un effet surprenant dans la tentative de reproduction. Les réactions critiques et post-critiques sont préférentiellement frappées d'amnésie. Ces faits soulignent tous que le complexe a une certaine position d'exception face au matériel psychique plus indifférent. Les réactions indifférentes sont « aisées », elles comportent des temps de réaction aussi brefs que possible : elles sont donc à tout moment à la libre disposition du complexe-moi. . Les associations de complexes sont donc beaucoup moins à la disposition du complexe-moi que les associations indifférentes. On doit en conclure que le complexe adopte une position relativement indépendante vis-à-vis du complexe-moi ; c'est un vassal qui ne se soumet pas inconditionnellement à l'autorité du complexe-moi. .. Plus la tonalité affective est forte, plus les perturbations de l'expérience sont également fortes et fréquentes. Un sujet qui a un complexe à forte tonalité affective est donc beaucoup moins en mesure de réagir « aisément » ( ce qui ne vaut pas uniquement pour l'expérience d'associations, mais aussi pour tous les stimuli de la vie quotidienne !), au contraire il est constamment gêné et perturbé par les influences incontrôlables du complexe. Sa maîtrise de soi (la maîtrise de ses humeurs, pensées, paroles, actes) souffre proportionnellement à la force du complexe. L'intentionnalité de son action est remplacée de plus en plus par des erreurs involontaires, des bévues, des impondérables dont souvent il est lui-même incapable d'indiquer quelque cause. . une foule le mots inducteurs apparemment innocents stimulent le complexe. . P.61 .
L'expérience d'associations n'est pourtant qu'une reproduction de la vie psychologique quotidienne. Mais la sensibilité au complexe peut également être démontrée dans toutes les autres réactions psychiques. .
Beaucoup de gens accomplissent des actes extraordinairement compliqués qui au bout du compte ne signifient en fait rien d'autre que l'expression symbolique d'un complexe. .
.. un complexe fort perturbe constamment les pensées et les actes et les déforme bizarrement, de façon générale et dans le détail. Le complexe-moi a cessé en quelque sorte d'être toute la personne, à côté de lui existe un second être qui vit sa vie à sa manière propre et de ce fait empêche et perturbe le développement et le progrès du complexe-moi, car les actions symptomatiques demandent très souvent du temps et des efforts qui sont perdus pour le complexe-moi. . l'état amoureux. L'amoureux est possédé par son complexe : il n'a d'autre intérêt que ce complexe et les choses qui lui conviennent. . P.63 . Ce qui ne convient pas au complexe glisse ; tous les autres intérêts se réduisent à rien, ce qui provoque une stagnation et une dévastation temporaire de la personnalité. Ne suscite des affects et n'est mentalement élaboré que ce qui convient au complexe. Toutes les pensées et tous les actes vont dans la direction du complexe ; ce qu'on ne peut contraindre à s'engager dans cette direction est repoussé ou bien accompli superficiellement, sans affect et sans aucun soin. . La série des idées objectives est sans cesse interrompue par des irruptions du complexe, il se produit de longues pauses de la pensée qui sont remplies par des épisodes du complexe.
. toute l'énergie psychique se tourne entièrement vers le complexe, aux dépens des autres matériaux psychiques qui de ce fait restent inemployés. Il se produit une détérioration aperceptive partielle avec une désertification affective pour tous les autres stimuli étrangers au complexe. Même la tonalité affective devient inadéquate .
On peut qualifier la situation psychologique de l'état amoureux de possession par un complexe. . Chez les sujets féminins, les complexes de l'amour non payé de retour ou pour toute autre raison sans espoir sont fréquents. Ici nous trouvons le plus souvent une sensibilité au complexe extrêmement forte. Les plus légères allusions de la part de l'autre sexe sont assimilées et élaborées dans le sens du complexe, avec un aveuglement absolu même pour les plus importants des arguments contraires. Une réflexion sans intérêt de l'homme adoré est transformée en puissant moyen de preuve subjectif. Les intérêts fortuits de l'homme désiré deviennent le point de départ d'intérêts semblables chez la personne qui aime. La sensibilité au complexe se manifeste aussi dans une sensibilité inhabituelle aux excitations sexuelles qui se manifeste principalement sous forme de pruderie. Les possédées de ce complexe, quand elles sont jeunes, font ostensiblement un détour pour éviter tout ce qui pourrait rappeler la sexualité. P.65 A un âge moins tendre, .. se manifeste un intérêt symptomatique naïf pour toutes sortes de situations naturelles. Les objets de cet intérêt symptomatique sont alors les mariées, les grossesses, les naissances, les scandales, etc.
Nous avons affaire ici à un déplacement : le complexe doit à tout prix se vivre jusqu'au bout. Comme, chez un grand nombre de personnes, le complexe sexuel ne peut se vivre de façon naturelle, il emprunte des voies détournées. A la puberté, ce sont des fantasmes sexuels plus ou moins anormaux, souvent en alternance avec des phases d'exaltation religieuse (déplacements) Chez les hommes, la sexualité (lorsqu'elle ne se vit pas véritablement) est souvent déplacée sur une activité professionnelle fébrile ou sur un spleen ( sports dangereux, etc.) ou sur d'étranges passions savantes (manie des collections, etc.) ; chez les femmes, sur des occupations altruistes qui peuvent être déterminées par la forme particulière du complexe. .Ou encore on voit apparaître de curieuses bizarrerie, un « comportement étrange et maniéré » censé exprimer distinction et fière résignation. Habituellement les dispositions artistiques sont les principales bénéficiaires de ces sortes de déplacements. (Freud appelle « sublimation » ce déplacement) Mais il existe notamment un déplacement du complexe très fréquent, c'est la dissimulation de celui-ci par la mise en route d'une humeur contrastante. Nous rencontrons fréquemment ce phénomène chez les gens obligés de chasser un souci chronique qui les tourmente. Parmi eux nous trouvons souvent les auteurs des meilleurs bons mots, les humoristes les plus subtils, dont les plaisanteries sont assaisonnées d'un grain d'amertume. D'autres dissimulent leur souffrance sous une gaieté forcée et crispée mais incapable de créer une ambiance chaleureuse et agréable en raison de son caractère bruyant et artificiel ( « manque d'affect » ). Les femmes se trahissent par une gaieté débridée, agressive, les hommes par des excès soudains et démesurés d'alcool ou d'autres excès (même des fugues !) On sait que ces déplacements et ces dissimulations produisent de véritables doubles personnalités . en psychiatrie c'est le dédoublement de la conscience ou de dissociation de la personnalité. Les complexes qui se sont clivés se sont aussi toujours séparés selon des particularités de caractère ou d'humeur.
Il n'est pas rare que le déplacement se stabilise petit à petit et se substitue au moins extérieurement au caractère d'origine. Chacun connaît des gens que des observateurs superficiels considèrent comme formidablement gais et amusants ...dans leur vie privée, ce sont des bonnets de nuit grincheux qui gardent une vieille plaie ouverte. Souvent la véritable nature transperce tout d'un coup l'enveloppe artificielle, la gaieté acquise disparaît brusquement et c'est une autre personne que l'on a devant soi. Un seul mot, un geste qui a touché la plaie, montre le complexe tapi au fond de l'âme. C'est précisément à ces impondérables de la vie affective de P.67 l'homme qu'il faut penser avant d'aborder les âmes compliquées des malades . nous y? rencontrons les exagérations de ces mécanismes normaux .

3. L'influence du complexe à tonalité affective sur la valence de l'association

Nous rencontrons souvent des réactions au complexe qui sont construites de la façon suivante :
.
La première réaction renferme le complexe (en . Les réactions placées en deuxième position tombent dans la tonalité affective persévérante de la réaction précédente, ce que montrent l'allongement du temps de réaction et le caractère superficiel de la réaction. associations rangées parmi les liaisons verbales motrices, parmi les compléments de mots, parmi les rimes. Les liaisons verbales motrices et les réactions tonales se multiplient quand l'attention est détournée. Si l'attention faiblit, le caractère superficiel des associations augmente, par conséquent leur valence baisse. Lorsque l'expérience d'associations fait tout d'un coup apparaître des associations étonnamment superficielles sans détournement artificiel de l'attention, on est fondé à supposer une baisse momentanée de l'attention. La cause doit en être recherchée dans une distraction interne. J l son attention rail se détourne de la signification du mot inducteur sans qu'aucune cause ter une cause interne de cette distraction : cette cause, nous la trouvons le plus souvent dans la réaction précédente ou encore dans la même réaction. Une idée à fo1ie dente ou encore dans la mé ln complexe, qui, en raison de la forte tonalité affective, acquiert une grande netteté dans la conscience ou, en cas de refoulement, fait passer une inhibition dans la conscience, supprimant ou diminuant par là pour un court moment l'efficacité de la représentation par là pour un court moment l'et :
phénomène décrit nOt est devenu précieux sur le plan pratique en tant qu'indice znazc Que le complexe n'a nullement besoin d'être conscient. Même refoulé, il peut faire passer dans la conscience une inhibition qui perturbe l'attention ; en d'autres termes, il peut bloquer la performance intellectuelle de la ae la sible ( eITeurs ! ) ou en abaisser la valence (réactions tonales !).
Un complexe fort, par exemple un souci torturant, empêche la concentration ; nous sommes incapables de nous arracher aux soucis et de projeter notre énergie et notre intérêt sur un autre domaine ou encore nous essayons de le faire (par exemple « pour oublier les soucis » ! ) , nous y arrivons peut-être pour un court instant, mais pourtant nous ne le faisons pas « de bon cour » ; sans que nous le complexe nous empêche de nous consacrer totalement à notre objet. Nous succombons à toutes les inhibitions possibles, dans les interruptions du cours de la pensée (les « vols de la pensée » de la démence précoce ), des fragments du complexe surgissent et provoquent ( comme dans l'expérience d'associations) des perturbations caractéristiques dans la performance intellectuelle : nous faisons des lapsus calami.. nous faisons des condensations, des persévérations, des anticipations, etc. et surtout aussi des lapsus freudiens dont le contenu traduit le complexe déterminant ; nous faisons des lapsus linguae aux passages critiques, c'est-à-dire là où nous prononçons des mots qui ont aussi une signification de complexe. Nous faisons des lapsus en lisant en croyant voir dans le texte des mots-complexe ; souvent les mots-complexe apparaissent dans le champ visuel périphérique (C'est au point de convergence qu'on a la plus grande netteté et donc aussi la plus grande attention. C'est pourquoi, dans le champ visuel périphérique, l'attention est réduite et par conséquent l'inhibition vis-à-vis de quelque chose d'inadapté est inférieure à celle du point de convergence ; de la sorte, des fragments de complexes refoulés peuvent plus facilement surgir ici. )
Au beau milieu de notre occupation nous nous surprenons en train de fredonner ou de siffloter une mélodie machinalement. Les paroles - que l'on ne retrouve souvent qu'à grand-peine - sont une constellation du complexe ; ou bien nous murmurons machinalement un mot, fréquemment un terminus technicus ou un mot quelconque d'une langue étrangère, également en relation avec le complexe. A moins que nous ne soyons en proie à une obsession, un air ou un mot, qui nous revient toujours sur le bout de la langue ; ce sont aussi des constellations de complexes. Ou encore nous dessinons des signes sur le papier ou sur la table, souvent des signes du complexe faciles à interpréter. Partout où les perturbations provoquées par un complexe concernent des mots, nous voyons des déplacements par analogies sonores ou associations P.71 phraséologiques
L'idée refoulée se travestit en formes analogues, soit analogies verbales ( assonances), soit ressemblances de l'image visuelle. De cette dernière forme de déplacement, c'est surtout le rêve qui fournit les plus beaux exemples.
Jondant matériel de remplacement dans les automatismes des mélodies. 10
Déguisement des pensées refoulées. = chantonner et siffloter représentent une occupation accessoire fréquente dans des activités qui ne requièrent pas un « investissement complet de l'attention » Le reliquat d'attention peut ainsi suffire à un mouvement onirique de pensées liées au complexe. L'activité consciente de son but inhibant la manifestation claire du complexe, celui-ci ne peut donc se manifester que de manière floue, ce qui se réalise par exemple au moyen d'automatismes mélodiques renfermant la pensée liée au complexe sous une forme ordinairement métaphorique. L'analogie réside ici dans la situation, dans l'atmosphère . la pensée liée au complexe n'était pas parvenue clairement à la conscience mais s'était manifestée de façon plus ou moins symbolique. Jusqu'où peuvent aller de telles constellatIons symboliques, P.73 refoulement va puiser également des analogies tout à fait symboliques dans la conscience ( « inhibe » ) et les rattach symboliques da n peut admettre aussi qu'il voulait réciter cette poésie en tant qu'action symptomatique pour procurer un exutoire à l'excitation de son complexe. .
Un des domaines favoris des constellations de complexes est aussi la plaisanterie du type du calembour. Or pas la moindre conscience de la signification du calembour au moment où il l'avait fait, conformément à la règle générale voulant que la constellation du complexe soit obscure et doive l'être.
La cons~ction des rêves aussi met en évidence le type d'expression symbolique du complexe refoulé expliqué , est en effet dans les rêves que nous rencontrons les plus beaux exemples d'expression par image analogique 115.


P.243 : Causes du négativisme établies par Bleuler
a) Le repli autistique du patient sur ses fantasmes.
Ad a) Le « replis autistique » sur les fantasmes ( replis autistique chez Bleuler ; autoérotisme chez Freud ; introversion chez Jung) est ce même symptôme que j'ai qualifié de foisonnement évident des fantasmes du complexe. Le renforcement du complexe est identique à l'augmentation de la résistance.

b) L'existence d'une blessure existentielle qui doit être protégée de tout contact.
Ad b) La blessure existentielle est le complexe qui est naturellement présent dans chaque cas de schizophrénie et s'accompagne toujours nécessairement d'autisme ou d'autoérotisme, car complexe et égocentrisme involontaire sont des relations réciproques indissociables.

c) La méconnaissance de l'environnement et de ses intentions.
Ad c) « La méconnaissance de l'environnement » est une assimilation du complexe.

d) Le rapport nettement hostile à l'environnement.
Ad d) « La relation hostile à l'environnement » est un maximum de résistance. cf. point a)

e) L'irritabilité pathologique
Ad e) « L'irritabilité » se révèle comme l'une des conséquences les plus habituelles du complexe = sensibilité au complexe. Sa forme généralisée.. s'avère être une concentration d'affect ( = concentration de libido) par suite de résistances accrues.

f) La « bousculade des pensées » et autres facteurs qui viennent compliquer l'action de la pensée.
Ad f) Sous « bousculade de pensées » et difficultés intellectuelles analogues subsumer l'obscurité et l'illogisme de la pensée schizo. Je suis .. très réservé sur l' « intentionnalité » de l'attitude schizo..
Les lois de la psychologie des rêves et de la théorie des névroses doivent s'appliquer à l'obscurcissement de la pensée schizo. Les ménagements qu'imposent le caractère pénible du complexe élaboré obligent à la censure de sa représentation. . Il suffit d'un relâchement important de l'attention pour faire émerger des productions ressemblant à s'y méprendre aux fantasmes et aux modes d'expression de la schizo. . j'ai appris à interpréter (les troubles de la pensée) comme une conséquence du complexe.
En ce qui concerne le symptôme de la « bousculade des pensées», il s'agit principalement de « pensée obsessionnelle » .. qui représente premièrement une pensée complexuelle et qui, deuxièmement trouve son origine dans une sexualisation de la pensée. S'ajoute parfois au symptôme de « bousculade de pensée » un élément « maniaque » que nous pouvons observer lors de chaque déchaînement fort ou production de libido. Une observation plus précise révèle que la « bousculade des pensées » est une conséquence de l'introversion schizophrénique qui conduit nécessairement à une « sexualisation » (= autonomisation) de la pensée, c'est-à-dire à l'autonomie du complexe.

g) Souvent la sexualité, avec sa tonalité affective ambivalente, représente, elle aussi, l'une des racines des réactions négativistes.
Ad g)