Mortelles blessures d'amour, doubles narcissiques, harcèlements et perversions.

Les mécanismes en cause et les solutions d'un point de vue psychanalytique.

Docteur Michel Cautaerts

Psychiatre Psychanalyste

Membre didacticien de la Société Belge de Psychologie Analytique

Colloque Les sens du mal Bruxelles le 4 décembre 2010 Dr M. Cautaerts www.clairobscur.org 1

Préliminaires

En guise d'introduction, à l'attention des personnes peu familières de psychanalyse freudienne ou de la psychologie analytique de Jung, nous commençons par un rappel du développement.

La mère qui met au monde un enfant doit faire son deuil de la plénitude de la grossesse. Ce deuil se nomme: « deuil originaire ». Le nourrisson ignore sa propre existence séparée jusque vers 8 mois. Il est dans une dépendance absolue puis relative par rapport au maternel, lequel est constitué de tout l'environnement de l'enfant, y compris les discours familiaux. Le nourrisson est sans cesse au bord d'un gouffre d'angoisses de morcellement et de persécution. Il a besoin de l'attention et des soins maternels pour s'apaiser. La mère adéquate est une bonne pâte qui s'adapte au bébé. Peu à peu les pulsions agressives et érotiques se relient et la capacité de sollicitude se constitue. Durant ce temps , la bouche est l'organe érogène et gnosogène: c'est par elle que le bébé fait connaissance avec le monde.

À 8mois l'angoisse d'abandon apparaît, corrélative à la découverte que la mère est une personne séparée. Jusque 18 mois l'enfant apprivoisera la présence et l'absence de sa mère. Ensuite vient la découverte de l'autre pôle du corps: expulser, retenir, garder, collectionner, malaxer, donner forme sont les principales activités de cette phase dite anale. Enfin, l'enfant se situe par rapport au couple des parents et découvre qu'il n'est pas tout pour sa mère. C'est la phase oedipienne décrite par Freud, et qui exige l'apprentissage de la Loi et l'apprivoisement de la rage et des affects grossiers.

De 7 ans, âge de raison, à 12 ans se situe la phase de latence durant laquelle les pulsions laissent la place à l'apprentissage, au cognitif. Vient ensuite l'adolescence qui réactive les pulsions, avec la difficulté de trouver une place dans la société.

Carl Gustav Jung constate que, de même que le bébé se forme dans la matrice grâce à un processus dirigé par l'inconscient, la personnalité se forme par l'action successive d'énergies et d'informations qu'il nomme archétypes. Ceux-ci procèdent de l'instinct mais se montrent dans une forme symbolique imagée que nous présentent les symboles, les contes et les mythes. Cet inconscient qu'il nomme collectif ou objectif est sous-jacent et nous réunit tous.

Parmi les archétypes relevons que la Grande Mère présente d'abord une face positive et ensuite une face négative. De même les figures de Père. Deux forces opposées influencent le développement: le Puer, image de l'enfant, qui s'inscrit dans le temps et veut le changement et le Senex, image du vieillard, qui veut la durée et la tradition.

Le moi, pour Jung est un complexe, c'est-à-dire un ensemble de réactions qui a deux propriétés particulières: il s'inscrit dans la durée et il se relie aux autres complexes. La persona sert d'interface entre le moi et les autres: l'enfant ne montre que ce que les parents tolèrent. Il s'agit de leur montrer ce qu'ils attendent et de créer un masque pour tenir compte de leurs exigences. Se constitue aussi l'idéal du moi, image de ce qu'il faudrait être pour être aimé et répondre aux attentes, conscientes et inconscientes, des parents.

Le moi laisse de côté une partie de la personnalité, l'ombre, à la fois contre partie des positions du moi et éléments non encore apparus au conscient. Enfin, l'inconscient se montre², dans les rêves comme dans les relations, sous les traits du féminin chez l'homme, l'Anima, et du masculin chez la femme, l'Animus. Chacune de ces instances est, au départ, projetée sur les partenaires de relation.

Pierre Solié divise le moi idéal (ce que nous serions si nous étions complets) en deux instances: le double, du même sexe que le sujet, et le complémentaire, anima et animus, du sexe opposé à celui du sujet. Les complémentaires existent d'abord en projection sur la mère puis sur le/la partenaire de couple. En bref, ce qui anime se montre chez l'homme comme instance féminine, l'anima et chez la femme comme du masculin. L'anima cherche à relier, l'animus à séparer pour plus d'objectivité.

DIA No 7 (Jacobi)

Au cours de ses recherches, Jung a constaté qu'un archétype particulier, l'archétype du Centre, qu'il nomme Soi, dirige en fait le processus d'évolution de tout individu. Dans les mythes et les écrits religieux, le Soi se présente comme l'imago Dei. Ainsi un des symboles du Soi est le Christ entouré des deux larrons. Une quaternité dans les rêves ou les visions, quatre roues, quatre directions, quatre éléments, renvoie au Soi, comme nous le verrons dans un moment.

Perversion vient du latin « pervertere » qui signifie mettre sens dessus-dessous, mais aussi falsifier un texte. Tout abord de la perversion sème la confusion, aussi éprouverez-vous peut-être quelques difficultés de compréhension malgré le soin apporté au texte.

La perversion sexuelle peut se comprendre comme désir de contourner la loi au moyen de scénarios, destinés à maintenir l'illusion qu'on possède la mère, qu'il n'y a pas de castration au sens freudien. Excepté la pédophilie, les perversions sexuelles sont repérables et relativement peu destructrices.

En revanche, la perversion narcissique, qui sera au centre de mon exposé, est souterraine et pernicieuse. Très destructrice, elle agit sous le masque de la séduction et se rationalise sous couvert d'ambition. C'est une impasse dans le développement, qui se constitue en défense contre une psychose.

Différences entre perversion sexuelle et narcissique

La problématique de la castration porte, chez l'homme, sur le pénis ou le fait de n'être pas un homme. Chez la femme, elle porte sur le corps entier.

Érotique Non érotique

Préserver la possibilité d'un orgasme et jouir sans risque

Préserver d'une blessure de l'identité et avoir sous contrôle un dépotoir

Défense par mini-délire associé au refoulement et au désaveu

Défense primitives (clivage, déni, identification projective, extrajection) et usage de l'autre comme ustensile

L'autre est un objet plus ou moins interchangeable

L'autre est une chose, un ustensile

Fait peu souffrir l'autre (Attaque le corps) Jouit de faire souffrir l'autre (Attaque l'identité)

Présente des bizarreries (fascinum) Présente des paradoxes (tremendum)

Beaucoup de fantasmes et de scénarios Essentiellement des actes et très peu de fantasmes

Cherche la jouissance « extraordinaire » Cherche l'emprise et la toute-puissance

Nie la différence des sexes Nie le droit de l'autre d'être un sujet

Mortelles blessures d'amour, doubles narcissiques, harcèlement et perversions.

De la séduction traumatisante à la création vicariante

Les mécanismes en cause et les solutions d'un point de vue psychanalytique

Quelques évocations

Un beau matin, Jean-Pascal se pétrifie. Il tremble des pieds à la tête dans les bras de sa jeune épouse qui le remet au lit avec douceur. Il passera sa journée à frémir et pleurer sous la couette. Comment un homme de trente ans, que j'avais vu en pleine forme un an auparavant avait-il pu en arriver là?

Pourquoi la dépression de Juliette résiste-t-elle à un traitement bien conduit? Quelle est l'origine de la stérilité d'Anne, celle des fausses-couches à répétition de Julie? Marie s'enfonce un peu plus chaque jour dans la drogue et l'alcool, sans en comprendre la raison.

Toutes les nuits Cécilia rêve de son travail. Surmenée , épuisée, elle se croit incompétente car elle ne réussit pas à faire reconnaître la valeur de son travail par son patron. Telles sont quelques-unes des situations qu'engendre la perversion narcissique.

Une forme moderne du mal

Lorsque Jung (1971c,1983) parle du Soi, son expérience intérieure et les faits psychologiques le mènent à reconnaître que l'imago dei comporte une Ombre, qu'il nomme Ombre du Soi, Antéchrist, ou le Mal. Nullement théologique, ce désaccord de Jung avec la doctrine de la privatio boni est confirmé par l'expérience clinique. Aborder le mal mène à la confrontation à deux archétypes, celui du serpent et celui du sang, sujet qui déborde le cadre de cet exposé.

Je m'en tiendrai à une des formes du mal en notre siècle: la perversion narcissique. Cette peste exerce ses ravages et ses saccages en tous lieux. Dix pour cent de la population en sont victimes, dont plus de la moitié souffre de troubles psychosomatiques rebelles au traitement classique et dont on n'a pas repéré qu'ils sont la conséquences d'attaques perverses.

Manipulations et harcèlements ont été à juste titre nommés par Marie-France Hirigoyen « meurtres silencieux »: pas de sang, pas de traces! Alors que le nazi en uniforme est immédiatement repéré comme dangereux, le pervers narcissique est, aux yeux de l'entourage, tout charme et sourire. On le prend pour un homme extraordinaire, voire un saint, car il fait tout pour séduire. Seule sa victime mesure, et parfois seulement après un long moment, sa dangerosité. Voici une métaphore: le pervers, tel un tireur d'élite muni d'un silencieux, abat un homme dans la foule.

Sa victime s'écroule mais les voisins, qui n'ont rien senti ni entendu, croient à une syncope banale.

Ils minimisent le problème.

La formule condensée des perversions fait le titre de mon exposé: Je tu(e) il.

"Je" avec une majuscule, signale l'inflation psychique du pervers narcissique , son ego surdimensionné,

qui veut être ou posséder le Phallus.

"Tu(e)" renvoie au refus de l'altérité, au déni du droit de l'autre à être lui-même, à avoir des

désirs propres. La parenthèse signe le clivage du moi du pervers qui expulse dans l'autre ce qu'il ne

peut ni ne veut reconnaître en lui.

Il le tiers, ne peut exister: la perversion narcissique l'exclut car elle veut l'unisson, la fusion.

Pour le pervers, l'autre n'a pas droit au statut de sujet. Il n'est qu'un ustensile.

À l'image de l'usage pervers du langage, la formule sème le flou et joue sur les mots, trois ou quatre mots qui pointent la tendance néfaste de la société occidentale à tout mettre en chiffres, y compris l'individu réduit à n'être qu'un élément de statistique. Les trois ou quatre mots évoquent les fonctions psychologiques, l'axiome de Marie, la quaternité en voie de différenciation mais aux aspects déformés ou distordus, enfouie dans l'inconscient.

Voici l'itinéraire que nous allons suivre. Une brève description de la clinique de la perversion narcissique précédera l'étude des arrière-plans archétypiques. Un rêve et deux contes illustreront le propos qui se terminera avec l'évocation de la spécificité de l'analyse face à cette pathologie.

La confusion envahit quiconque aborde la thématique perverse, car celle-ci mobilise en l'inconscient la pire des angoisses, l'angoisse de néantisation à laquelle chaque humain a dû faire face au début de sa vie et qui demeure tapie dans l'inconscient des origines. Dans des conditions normales, la mère suffisamment adéquate, imprégnée par la préoccupation maternelle primaire, amortit pour son nourrisson l'agressivité orale, l'envie, la haine, ces éléments persécuteurs que sont les mauvais objets partiels. Elle lui permet de les distinguer en bons et mauvais objets, puis d'atténuer le clivage entre eux, aboutissant à la possibilité d'un objet ambivalent et à la sollicitude.

L'enjeu de la cocréation réciproque de la mère et de l'enfant est la reconnaissance mutuelle de l'existence de l'autre, de ses émotions, ses désirs, ses caractéristiques.

 

Psychose Psychopathie

 

ARBRE DÉCISIONNEL DES TROUBLES NARCISSIQUES

Dans une perspective classique, Bergeret (1974, 1986) trace une ligne de développement qui va de la psychose à la névrose.

Pour se défendre de la néantisation, le bébé peut construire une néoréalité et se couper du monde sur un mode psychotique.

Face aux pulsions orales, cannibaliques, le moi peut recourir au clivage d'une partie de lui-même et la pathologie sera borderline (état limite). Des contradictions persistent dans le moi sans que le sujet, qui peut les reconnaître de manière cognitive, ne s'en soucie de manière affective. Le sujet n'aura de cesse de chercher ce qui peut combler son manque qu'il ressent comme une vacuole creusée dans son moi. L'idéalisation alternera rapidement avec la dévalorisation.

Enfin le sujet peut établir et entretenir activement un clivage entre les bons objets, sur lesquels il se donne le droit de s'appuyer sans vergogne, et les mauvais objets qu'il tient à distance: une personnalité narcissique se construit avec un pseudo-oedipe. Ici le sujet établit une relation anaclitique avec l'objet, mais ne cherche pas à lui nuire. Passée cette phase, c'est l'oedipe qui mène à la névrose.

Origine de la perversion

Cependant la mère peut se trouver en difficulté face au deuil originaire qu'elle devrait traverser et vouloir maintenir l'état de complétude de l'entité mère-bébé au-delà de la période normale. Dès lors, elle refuse la séparation, accumule les dénis et exerce des représailles dès que son nourrisson manifeste des velléités d'indépendance. Celui-ci, lui-même tenté par l'omnipotence, est surinvesti par le narcissisme maternel qui inverse la relation. Au lieu de se faire bonne pâte - médium malléable dit René Roussillon- pour son bébé, la mère exerce une séduction écrasante et traumatisante sur le moi naissant de l'enfant. L'emprise maternelle contraint le nourrisson à s'adapter à ses attentes à elle. En compensation, elle lui offre une image grandiose de lui-même. Sans séparation il ne peut y avoir de relation, donc pas d'espace  transitionnel. Le désir, le plaisir et le jeu sont refusés afin de préserver l'omnipotence et l'unisson. Plus tard, l'angoisse d'abandon, impossible à dépasser vu la fusion partielle maintenue, servira d'écran afin de masquer l'horreur de la néantisation.

L'incestuel

Racamier (1987 Gruppo) fut le premier à décrire l'incestuel comme mode dysfonctionnel de relation familiale dans lequel règne un équivalent psychique d'un inceste, non consommé sur le plan physique.

Tendresse Incestuel

enveloppe fait effraction

sollicitude disqualification

sensualité hégémonie (mégalomanie)

douceur violence

tact compression

connivence complicité

partage et continuité coupures et ruptures

a des méthodes a des objets matériels fixes

Tableau 1 différences entre Tendresse et incestuel d'après Racamier

Les familles incestuelles vivent dans une clôture narcissique à l'intérieur de laquelle on trouve dénis et paradoxes, secrets et non-à-dire. Le père est absent, dévalorisé et fréquemment humilié. La mère d'emprise règne et tient sous sa coupe ses enfants, plus particulièrement l'un d'entre eux, porte drapeau du narcissisme familial, que Racamier nomme « figurant prédestiné ». Malheur à lui s'il faillit à sa mission: aussi vilipendé qu'il a été survalorisé, il sera gardé enfermé dans la famille qui devient d'autant plus close. S'il ne succombe pas à la psychose, il sera réduit à la fonction d'ustensile chargé de contenir les deuils expulsés, amalgamés et déformés refusés par la mère. Son destin sera de devenir un pervers narcissique: pour survivre à l'emprise il devra se cliver de toute émotion. Il ne lui restera, en  conséquence, que l'excitation et la quête incessante de l'omnipotence.

Afin de s'assurer une image grandiose de lui-même et de renflouer un narcissisme perpétuellement menacé de naufrage, le pervers devient prédateur, cherche des victimes à humilier et détruire. Il est en effet plus facile de se prouver son omnipotence dans la destruction que dans la création. Sa vie durant le pervers chassera des proies qui devront s'adapter à ses désirs, redéfinis comme des droits, tandis que les désirs des victimes seront redéfinis comme des maladies.

Cependant, derrière son apparente toute-puissance le pervers reste fragile car il a sans cesse besoin de victimes à humilier, voire à détruire, afin de se venger et d'affirmer sa propre grandeur.

Dans ces familles incestuelles, les enfants contribuent inconsciemment à entretenir le système pervers car ils partagent un fantasme d'indestructibilité. Les limites et les rôles sont flous, les règles remplacées par la loi du caprice. Il flotte une odeur d'indécence, un parfum de violence. On y respire les exhalaisons glacées de vieilles oubliettes familiales où croupissent les restes d'ancêtres qui sont des « tiers pesants » (Goldbeter 2005) c'est-à-dire qu'ils pèsent sur la destinée des membres de la famille.

Racamier nomme « extrajection » la défense spécifique de la perversion. Il ne s'agit pas, comme dans l'identification projective, de faire sentir un affect à l'autre, mais d'injecter dans l'autre réduit au statut d'ustensile, ce qu'on ne peut ou ne veut pas reconnaître en soi, notamment les deuils, la rage, la haine, la persécution. (Racamier, 1992, p.227)

Un rêve nous offre une illustration d'un tel système familial

« Dans une maison sans âge se trouvent réunies cinq générations. Un homme contient avec difficulté sa rage et menace de frapper sa mère, figure de femme dominatrice. De très jeunes enfants jouent à l'étage et passent près d'une trappe sans garde-fou ni protection. Inquiet, l'homme se précipite à l'étage et attrape comme il le peut un bébé qui allait choir dans la trappe.

Malheureusement le bébé lui glisse entre les mains. Il le retient par un élastique mais celui-ci se rompt. Le corps s'écrase trois mètres plus bas, avec un bruit mat, sur une sorte de coussin de feutre, lequel amortit la chute. L'homme se précipite à l'étage inférieur. Un couple âgé est à côté du bébé:

ils l'ont mis dans une sorte de corbeille (Une niche à chiens? Un moïse?), mal recouvert par deux petits coussins. L'homme prend le bébé dans ses bras: il vit encore mais ses yeux sont injectés de sang et son corps figé, comme en celluloïd. D'une voix impérieuse l'homme crie à sa femme de l'accompagner à la clinique, espérant qu'on pourra sauver le bébé. » Réveil en sursaut, angoissé.

Nous reconnaissons la maison, refuge intemporel archaïque, comme symbole d'enfermement dans un système familial qu'on ne peut quitter puisque cinq générations vivent au même endroit.

L'accent est mis sur les mères, avec en arrière-plan l'archétype de la Grande Déesse Mère. La rage contre la mère trouve son origine dans l'emprise qu'elle exerce mais aussi - élément moins apparent dans

le désir fusionnel insatisfait.(Von Benedek L., 2005) L'absence de garde-fou symbolise le manque d'attention. Le bébé qui passe à la trappe mais reste vivant sous une apparence pétrifiée illustre ce qui arrive aux enfants victimes d'une mère incapable de les aider à vivre la relation archaïque. Ils sont médusés, ce qu'illustre le mythe de Persée. Le feutre évoque la violence sournoise, le paradoxe qui veut à la fois détruire et conserver la victime.

Les yeux injectés de sang évoquent l'image de la fracture, non tant celle du crâne que de la fracture entre le moi et le soi de l'enfant. L'indifférence souligne le manque de solidarité qui entoure les systèmes pervers et les renforce. Les coussins renvoient aussi aux objets incestuels,

fréquemment l'argent, qui lient subrepticement deux personnes de la famille. La volonté de sauver cet enfant attire notre attention sur l'archétype du sauveur auquel le psychanalyste risque de s'identifier.

Arrière-plans archétypiques

Abordons maintenant, avec l'aide de Jung et Solié, les arrière-plans archétypiques. Mais d'abord rappelons ce que Jung dit de la mère afin de ne pas confondre la maman et les contenus archétypiques si facilement projetés sur elle. Voici ce qu'il écrit:

« Intimement connue et étrange comme la nature, amoureusement tendre et cruelle comme le destin, dispensatrice voluptueuse et jamais lasse de vie, mère de douleurs, porte sombre et sans réponse qui se referme sur le mort, la mère est amour maternel, elle est mon expérience et mon secret.[...] Celui qui sait ne peut plus faire retomber cet énorme poids de signification, de responsabilité et de devoir, de ciel et d'enfer, sur ces être faibles et faillibles, dignes d'amour, d'indulgence, de compréhension et de pardon qui nous furent donnés pour mères .» Jung C.G. Racines de la conscience p.110-111

Jung nous a appris que le moi se différencie à partir de l'inconscient et constitue une persona afin d'être aimé des parents dont les attentes constituent l'idéal du moi.

Jung laisse donc de côté, comme Aimé Agnel (1996) l'a rappelé, trois sortes de doubles:

1. le double obscur, généralement négatif, coupé du moi par clivage, déni et projection sur l'autre

2. le double perdu constitué de ce qui a été abandonné en chemin ou laissé inachevé. Le dialogue avec ce sosie constitue une tentative de se réapproprier des complexes devenus

autonomes.

3. l'ami intérieur, personnalité qui préfigure ce que l'on deviendra, donc image du Soi. Jung évoque les Dioscures dont on sait que l'un est mortel et l'autre immortel.

Pierre Solié quant à lui recense deux composantes de l'âme, le double et le complémentaire tous deux référés au moi idéal. Il établit un schéma du moi qui prend encore en compte l'idéal du moi et le surmoi et articule ceux-ci à la problématique du Soi.

Il importe de repérer l'Ombre du double, nommée double monstrueux par René Girard, qui figure la violence collective, laquelle mène à la transe non ritualisée, donc mortifère. De nos jours la transe se manifeste par exemple dans les émeutes ou les débordements populaires au football ou dans les festivals. Cette transe, une peste, menace l'ordre public et fait régulièrement retour dans la cité. La tentative de résoudre ce problème mène à la désignation d'un bouc émissaire chargé des fautes du peuple et sacrifié. Nous nous souvenons des Bacchantes (Euripide) et du diasparagmos que subit Penthée pour avoir dénié la dimension dionysiaque de la vie. Dans cette perspective le geste d'Oedipe qui se crève les yeux est un sacrifice partiel qui lui épargne le sacrifice total. Par la suite, le peuple, soulagé grâce au sacrifice de la victime émissaire, l'idéalise, comme l'illustre la tragédie OEdipe à Colonne.

Solié a montré que le développement peut se réaliser non seulement au travers de l'Oedipe, cher à Freud, mais comme fils-amants de la grande-Mère. Il a commenté en détail le mythe égyptien antique qui met en scène Isis et Osiris, le couple qui régnait sur la partie fertile de l'Égypte, tandis que leurs frères et soeur, Seth et Nephtys régnaient sur la partie désertique. Isis figure la Bonne Grande Mère, reste présente tout le long du cycle. En son absence, la Vache Hâthor, la Mère Terrible, prend sa place. Envieux, Seth tue Osiris, puis met son corps en morceaux. Isis rassemble ceux-ci et préside à la renaissance d'Osiris comme Dieu des enfers de deuxième naissance. Je n'en parle que pour éviter la confusion éventuelle entre fils-amants de la Grande Mère et pervers. On aura compris qu'on peut se développer normalement même avec un père absent! L'homme Osiris acquiert son féminin, et la femme Isis son masculin, par retrait des projections sur l'autre sexe ce qui nécessite l'affrontement des doubles ombreux représentés par Seth et Hâthor.

Peut-être connaissez-vous L'âne d'or, de Apulée, récit dans lequel est inséré le célèbre conte « Éros et psyché »? On y voit Lucius, un jeune romain, devenir de plus en plus confus et finalement être transformé en âne pour avoir voulu, par magie, devenir un oiseau. Après d'innombrables et douloureuses aventures, il sera sauvé et initié aux mystères d'Isis. De nos jours des adolescents se trouvent saisis par cette problématique: ils souhaitent ardemment devenir des héros, réaliser des exploits grandioses, afin d'être reconnus. Pour s'incarner, c'est-à-dire s'individualiser et se socialiser, il leur faudra cependant sacrifier ce fantasme, sans quoi ils demeureront prisonniers de l'inconscient collectif, donc de la psychose.

Le développement normal du moi implique l'évolution par différenciation du double narcissique, imaginaire, au travers du sacrifice, en double individué, symbolique et imaginal.

Au départ, doubles et complémentaires n'existent qu'en projection, et dès l'abord, sur la mère qui est tout pour le nourrisson, donc et le Soi et le monde. En conséquence, qui a subi des traumatismes précoces, avant que le moi ne soit constitué, se croit victime de la haine du cosmos.

Ensuite les doubles et complémentaires se projettent sur les personnes extérieures: cette phase extravertie correspond au début de la vie. Lorsque, plus tard, l'ombre se manifeste, sous les traits de la persécution ou de la dépression, elle déclenche l'évolution. Deuils et sacrifices vont se succéder et mener à l'individualisation, c'est-à-dire à la conquête d'une identité véritable, fondée sur le soi, donc sur les perceptions et les désirs propres au sujet. C'en est fini de l'obligation de se conformer aux attentes de l'autre, toujours plus ou moins remplaçant de la mère des origines.

Dans les perversions, la différenciation ne peut avoir lieu, en raison d'un problème qu'illustre partiellement le mythe de Narcisse. En bref: Narcisse est le fruit du viol d'une nymphe nommée Liriope par un dieux des eaux. Adolescent, il perd ses compagnons au cours d'une chasse. Écho, une nymphe des bois l'aperçoit et en tombe amoureuse. Mais, parce qu'elle a favorisé par ses bavardages les amour illégitimes de Zeus, Héra, l'épouse légitime de Zeus, furieuse, l'a condamnée à ne plus pouvoir prononcer que la fin des phrases. Elle va vers Narcisse, croyant que celui-ci l'appelle mais il la repousse. Elle dépérit jusqu'à n'être plus qu'un écho. Les soeurs d'Écho implorent vengeance et Némésis, déesse de la justice, condamne Narcisse à tomber amoureux de son reflet.

Tel est le mythe à l'arrière plan des troubles d'identité et d'estime de soi.

Un mythe fondamental

Le mythe le plus explicite à l'arrière-plan de la perversion narcissique est celui de Agditis-Cybèle. Il va mettre en évidence les confusions inter-générationnelles et la démesure (ubris) propres aux système  pervers. Un petit rappel sera sans doute bienvenu. Zeus (Ouranos) se voit refuser par Gaïa(Cybèle) un rapport de plus, car elle en a assez de garder en son ventre-tartare ses enfants. Zeus éjacule alors sur la surface de la Vieille Terre Mère. Toujours fertilisable, Terre produit un monstre hermaphrodite lubrique et ubrique, nommé Agditis, qui répand la terreur dans la région. Lassés de ses excès de violences, les dieux ont recours à Dionysos, lequel répand du vin dans la source où se désaltère le monstre. Enivré, Agditis s'endort. Dionysos met à profit ce sommeil de brute pour attacher à un pin le phallus en perpétuelle érection d'Agditis. À son réveil, pressé de reprendre ses viols, Agditis se lève d'un bond et se châtre ainsi lui-même: il n'est donc plus que femelle. De son sang répandu sur la Vieille Terre Mère naît un amandier dont les fruits sont déclarés tabou. Or il faut toujours une transgression pour promouvoir l'évolution. Une fille de la région, Nana, consomme le fruit défendu et se retrouve enceinte. Furieux, le père de Nana fait exposer l'enfant de Nana, nommé Attis, sur des roseaux mais il est nourri par une chèvre et devient berger. Or Attis, ce fils devenu grand, est aimé de Agditis, désormais femelle, mais aussi de Ia, la fille du roi Midas de Pessinonte qui va l'épouser. Dans une épouvantable crise de fureur jalouse, Agditis femelle débarque dans la noce, joue avec passion une musique infernale et sème la transe mortifère parmi les invités. Afin d'y échapper, les princes et les nobles, et Attis, le marié lui-même, se châtrent. Attis en meurt et sera pleuré par Agditis.

Dans ce mythe, comme dans les familles incestuelles, il est impossible de savoir qui est qui.

Solié a souligné la confusion des générations et des personnes: La Grande Mère y est confondue avec Cybèle, avec Agditis femelle et avec Attis puer. La transe mortifère qui possède tous les invités au mariage nous renvoie à la fascination qu'exercent les pervers sur leurs victimes et à la nécessité pour celles-ci d'accepter de s'en séparer, donc de perdre l'espoir d'un jour pouvoir gagner, ou d'être reconnues par eux comme êtres humains.

Le pervers est maintenu dans un état de demi-mort comme Attis qui peut encore bouger le petit doigt et dont les cheveux continuent de pousser. Pour garder la mère comme objet d'excitation et d'omnipotence, le pervers a sacrifié sans le savoir son lien à son soi, aux émotions et au désirs.

Du point de vue psychologique, le pervers narcissique est un Agditis, non au plan physique mais au plan psychique. L'ombre du double (le double monstrueux) est projetée/extrajectée sur les autres qu'il se donne donc le droit d'attaquer. Sa mère lui a refusé l'inceste physique mais il est pris dans un inceste psychologique. Son anima est une ensorceleuse qui fascine et lui inspire ses ruses.

Fréquemment, il projette son double sur ses relations de travail qui deviennent ses boucs émissaires.

( Solié 1980, p.365) Ce mythe montre le mélange des générations, le sentiment d'impuissance ou d'infertilité (se faire féconder!), le doute de soi , les moments d'angoisse de confusion, de transe qui vivent les victimes de pervers.

Deux contes

Plus près de nous, deux contes illustrent la perversion narcissique et sa guérison. Ils me permettront de parler de la reprise du processus d'évolution du pervers et des victimes.

Je ne pourrai ici n'en donner qu'une brève évocation,.

La Reine des Neiges

La Reine de Neiges est un conte d'Andersen, en sept histoires, qui commence avec une invention du diable:

1.Un jour [le diable] était de fort bonne humeur : il avait fabriqué un miroir dont la particularité était que le Bien et le Beau en se réfléchissant en lui se réduisaient à presque rien, mais que tout ce qui ne valait rien, tout ce qui était mauvais, apparaissait nettement et empirait encore.

Lors d'une tentative des démons d'escalader le ciel, le miroir explose en milliards d'éclats qui se répandent sur le terre. Fin de la première histoire.

Voici la suite:

2. Dans deux maisons séparée par un petit espace vivent deux enfants qui s'aiment, Kay et Gerda. Les familles ont disposé deux caisses jointes par dessus les gouttières et y font pousser des herbes potagères et des rosiers. La grand-mère parle de la Reine des Neiges. Le garçon déclare avec forfanterie qu'elle peut venir, qu'il la fera fondre sur le poêle brûlant. Gerda apprend un psaume dont voici les  paroles: « Les roses poussent dans les vallées où l'enfant Jésus vient nous parler ». Or, voici qu'un éclat du miroir pénètre dans l'oeil de Kay et un autre dans son coeur. Il devient méchant, moqueur, rationaliste et calculateur et s'adonne à la recherche de perfection. La neige venue, Kay se rend sur la place du village et accroche son traîneau à celui de la Reine des Neiges qui l'entraîne dans son royaume. Elle lui donne un baiser qui lui glace le coeur.

L'espace entre les deux maisons symbolise la faille dans l'identité des blessés du narcissisme. Le rosier renvoie au Soi. La Reine des Neiges évoque le syndrome de la mère-morte ou dépressive, dont le regard glacé ne signifie pas au nourrisson qu'il existe. La métamorphose de Kay renvoie au clivage entre pensée et émotions, et à la recherche de perfection en lieu et place de la quête de totalité.

3. Ne pouvant croire à la mort de Kay, Gerda sacrifie ses nouveaux souliers rouges au fleuve.

Voici qu'une barque entraine la fillette au fil du courant. Elle arrive au jardin fleuri d'une magicienne qui porte un grand chapeau orné de fleurs peintes. Afin de garder la fillette près d'elle, cette dame lui ôte la mémoire en lui peignant les cheveux et cache sous la terre les rosiers du jardin. Cependant Gerda éprouve le vague sentiment qu'il manque quelque chose dans le jardin.

Apercevant une rose peinte sur le chapeau de la magicienne, et que celle-ci avait oublié de faire disparaître, Gerda se souvient de Kay et pleure, ce qui fait resurgir les roses. Celles-ci révèlent à Gerda que Kay n'est pas mort car elles ne l'ont pas vu sous terre.

La magicienne évoque la nature fertile, donc Déméter, mais elle n'est pas parfaite: elle a un manque symbolisé par l'oubli de la rose sur son chapeau. On sait que, Coré, la fille de Déméter étant le double narcissique de sa mère, n'avait pas d'identité propre avant sa descente aux enfers (Willequet).

4. Gerda reprend sa quête, pieds nus, et rencontre deux corbeaux, une princesse intéressée par l'intelligence et un prince en qui elle croit reconnaître Kay. Elle leur raconte sa quête et reçoit un carrosse d'or attelé d'un cheval, des vêtements et un manchon.

Les corbeaux et le couple de princes symbolisent une ébauche de quaternité, avec accent sur l'idéalisation et la dévalorisation (deux animaux et deux nobles humains).

5. Lors de la traversée de la forêt, des brigands commandés par une ogresse barbue s'emparent des richesses de Gerda et menacent de la dévorer. Toutefois la fille des brigands, cruelle et dominatrice, se la réserve comme compagne. Émue par le récit des aventures de Gerda, elle lui donne d'une part son animal favori, un renne, pour se rendre chez la Reine des Neiges, où se trouve Kay, et d'autre part les gants de l'ogresse, en échange du manchon qu'elle garde pour elle..

La rencontre de la fille des brigands évoque la rencontre du double obscur - Gerda, trop bonne, doit apprendre la cruauté. La solidarité dont la fille fait preuve symbolise l'intégration de l'ombre.

Gerda chevauche le renne, donc fait confiance à l'instinct.

6. Gerda arrive chez une femme Laponne et, pour entrer dans sa maison, doit ramper sur le sol.

Elle apprend que le but de son voyage est encore lointain et reçoit un poisson sur lequel la femme écrit un message pour la Finnoise, qui est maîtresse des vents et des runes (Pinkola Estès). La maison de celle-ci ne comporte pas de fenêtres: on entre par la cheminée et il y fait très chaud.

Elle indique la route à Gerda. La fillette reprend son voyage. Elle est agressée par des milliers de flocons de neige glacés mais une prière transforme son haleine en petits anges lumineux qui la protègent.

Les deux femmes, deux figures symboliques de la Grande Déesse Mère, sont liées l'une à la terre et à l'eau, l'autre à l'air et au feu, nouvelle quaternité. Les petites anges représentent les défenseurs archétypiques du soi qui viennent à l'aide du moi en difficulté.

7. Gerda retrouve Kay en train de tenter vainement de former le mot « éternité » avec des morceaux de glace plats et coupants. Car la Reine des Neiges lui a promis, s'il réussit, qu'il serait son propre maître.

Une épreuve impossible à réussir, telle est bien la tâche que le pervers impose à sa victime.

Ainsi les harcelés tentent en vain de satisfaire le manipulateur, s'épuisent à la tâche et y perdent la santé et l'estime d'eux-même. Ils ne comprennent pas que le morcellement de leur moi résulte des manoeuvres du pervers.

Les larmes de Gerda réchauffent le coeur de Kay. À son tour il pleure, ce qui élimine l'éclat du miroir qu'il avait dans l'oeil. Le renne a trouvé une femelle et celle-ci nourrit les deux enfants de son lait.

À nouveau c'est le féminin qui apporte la solution, c'est-à-dire relie aux émotions.

 

Jung écrit:

Le conflit engendre le feu des affects et des émotions et, comme tout feu, il possède deux aspects,

celui de brûler et celui de produire de la lumière ... L'émotion est la principale source de réalisation de la

conscience. Sans émotion, il n'est pas de transformation d'obscurité en lumière et d'inertie en mouvement

» (Jung Racines, p. 115).

Durant leur voyage de retour, les enfants croisent la fille des brigands qui veut parcourir le

monde. Ils s'aperçoivent qu'ils sont devenus grands et retrouvent la grand-mère lisant la bible à

voix haute: « Si vous n'êtes pas semblables à des enfants vous n'entrerez pas dans le royaume de

 

 

Gerda affronte l'ombre personnelle dans une quête de totalité

Dieu. »

La redécouverte des émotions, grâce à l'amour du féminin, guérit la glaciation opérée par la Mère Terrible - la Reine des Neiges. La bonne-mère animale est réintégrée et la liberté retrouvée.

Est-il nécessaire de rappeler que Jung préconisait de se relier à l'inconscient avec une âme d'enfant?

La boule de cristal

Le conte de Grimm La boule de cristal met en scène la quête de totalité d'un fils d'une très mauvaise mère. Le fils est dissocié en trois parties. À un extrême, l'aigle symbolise la fuite dans l'abstraction, à l'autre extrême la baleine symbolise les sensations primitives, la recherche d'un sentiment océanique, image du foetus. Le héros rencontre deux géants. Ils lui fournissent malgré eux le chapeau magique qui permet d'arriver au château d'une princesse prisonnière d'un ensorceleur. Détail intéressant, lorsque le héros rencontre cette anima, elle apparaît laide, car l'emprise maternelle a imposé au sujet une image négative de son âme. Toutefois un miroir révèle sa vraie beauté, symbole de la nécessité pour les victimes de trouver la vérité sur elles-mêmes.

La reprise du processus d'évolution chez les victimes.

Du point de vue clinique, dessiner le schéma du moi du patient, comme nous l'avons fait à propos de Narcisse et Écho, aide au repérage des figures auxquelles il est confronté, tant dans la réalité que dans les rêves. Loin d'être une complication inutile, le schéma du moi de Solié nous révèle le lieu de reprise du processus d'évolution. C'est de l'inconscient collectif, de la part de l'anima/us sur laquelle la mère n'a pas de prise, que redémarre le développement du sujet et que va renaître une relation au vrai soi et au monde. C'est de l'âme que vient l'énergie qui anime héros et héroïnes dans leur quête. Car si l'âme n'y mettait pas du sien, nul ne tenterait, au risque d'en mourir néantisé, cette aventure redoutable qu'est la reprise d'une évolution.

Chez l'homme, c'est l'Éros qui mène le jeu vers une relation de sujet à sujet. Chez la femme, la prise de distance par rapport à la mère et la confrontation à l'ombre ouvre un espace intérieur dans lequel rêves et visions apportent un nouveau rapport au Logos, fait d'objectivité.

L'essentiel du travail analytique se fondera sur des clarifications et, parfois, des amplifications et non sur des interprétations. Il s'agit de favoriser le passage des agirs aux fantasmes (Caillot, 2003).

Winnicott (1969) nous avait déjà appris que le rôle de l'analyste était de mettre en place les conditions de sécurité nécessaires à l'enfant pour reprendre son évolution, conditions que la mère environnement

n'avait su lui fournir. C'est par le jeu que l'enfant-patient retrouve le chemin du soi, lequel ne doit pas être recherché par la mère ou l'analyste: il faut attendre qu'il se manifeste. Si je me sens en sécurité pour venir ici, dit une patiente, c'est que vous n'attendez rien de moi. L'analyste qui croirait détenir la clef de l'évolution et chercherait la guérison risquerait de tomber dans un contretransfert de fascination ou de séduction masochiste, voire de perdre sa nécessaire neutralité et de s'identifier au sauveur.

Différences entre analyse classique et analyse des victimes de pervers

1. Ruptures fréquentes

Dans l'analyse de patients victimes de pervers, une rupture du lien thérapeutique advient plus fréquemment que dans une analyse classique. Plusieurs dynamismes sont ici à l'oeuvre:

.Il peut se produire, de manière ponctuelle, une inversion des rôles, fréquente dans les perversions narcissiques: l'analysant assume le rôle du pervers et impose, par identification projective, le rôle de victime à l'analyste. Il sera impératif pour l'analyste de ne pas tenter masochiquement de satisfaire les exigences démesurées de son patient. Nombreux sont les jeunes analystes à s'être sentis impuissants, désespérés et honteux pour n'avoir pas repéré l'inversion, et sa conséquence, le décervelage i.e. l'incapacité de penser.

.A l'insu des protagonistes du travail, le patient peut avoir gardé l'espoir inconscient de rester le merveilleux enfant d'un analyste idéalisé. Ce cas est fréquent chez de futurs analystes. Se constitue alors une figure angélique et son double démoniaque, lequel va pousser l'analysant à passer à l'acte, souvent agressivement, vis-à-vis de l'analyste. L'enjeu est de sortir de la dépendance, ignorée, déniée ou désavouée, à l'analyste. L'acceptation des ombres des protagonistes permettra à l'analysant de conquérir sa liberté d'être humain et sa capacité de se situer comme un égal du thérapeute.

.La nécessité de quitter la relation archaïque à la mère peut rendre l'analysant hyper-exigeant et le faire décrocher à la moindre frustration supplémentaire. Ou encore, le patient se venge de ce deuil douloureux en infligeant à l'analyste le deuil (non-amorti) de la relation thérapeutique.

.L'évolution mène parfois la victime à traverser elle-même un moment de perversion, comme c'est le cas au sortir de la psychose où l'analysant fétichise l'analyste (Cf Racamier). Le risque de passage à l'acte est alors maximum, l'analysant se comportant, momentanément ou définitivement, comme un pervers.

2. Informations objectives

Les victimes recevront des informations objectives quant aux procédés pervers et à leurs conséquences. La clarification des mécanismes qui font apparaître le pervers comme tout-puissant ranimera la capacité de penser des victimes. Celles-ci découvriront d'une part l'accumulation de dénis et d'autre part l'usage particulier du langage, dont le pervers se sert, non pour communiquer mais pour agir sur l'autre. Retenons deux slogans:

.Le pervers narcissique fonctionne selon une loi qui lui donne « le droit de prendre à tout le monde sans rien devoir à personne ».

.Face à ses manoeuvres: « on n'en croit ni ses yeux ni ses oreilles! »

Ajoutons que la victime errera longtemps dans l'enfer du doute d'elle-même; Ce doute excessif, pathologique, est renforcé par l'entourage qui, le plus souvent, minimise la dangerosité des manoeuvres perverses, voire les ignore, les méconnaît ou les dénie.

Différences entre analyse classique et analyse des pervers : les attaques du cadre

Les pervers attaquent systématiquement le cadre ou les règles. Ils tentent subrepticement de définir quelle doit être l'attitude de l'analyste. En présence d'un pervers, l'analyste n'arrive plus à penser en séance. Si l'analyste est hanté par le cas, il devra poser un diagnostic différentiel entre perversion et troubles narcissiques. Dans ce cas il est recommandé d'avoir recours aux tests psychologiques. En bref, le pervers narcissique détruit, tandis que le borderline déborde, idéalise et dévalorise. La personnalité narcissique se mêle de ce qui ne la regarde pas, méprise le travail accompli et pose des exigences particulières. (cf pour rappel, tableau page7)

Résumé des manoeuvres du pervers narcissique:

Les manoeuvres auxquelles l'analyste doit faire face et qu'il devra analyser dans le transfert et en méta-communicant « sur » le transfert correspondent à la liste des moyens utilisés par le pervers narcissique à l'encontre de sa victime.

Dénis

Le pervers dénie la valeur de l'autre comme sujet et le réduit à n'être qu'un ustensile. Ainsi évite-t-il toute perte d'estime de lui-même car toute valeur conférée à l'autre lui est, croit-il, retirée à lui selon le principe des vases communicants. Ce déni permet de se défendre de l'envie que déclencherait le constat des qualités de l'autre. Le pervers narcissique s'idéalise lui-même et dévalorise ses proies. Toute sa vie est dédiée à la vengeance de l'emprise que sa mère a exercée sur lui autrefois. Il inverse les rôles en devenant lui-même le prédateur et exerce son emprise sur l'autre qu'il faut en outre humilier afin d'en triompher. L'humiliation ôte à l'autre sa qualité de sujet.

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Clivage

Le clivage interne du moi du pervers narcissique sépare la partie grandiose qui a tous les droits de la partie du moi souffrante, clivée et donc méconnue. Celle-ci est projetée sur et dans la victime qui n'a donc aucun droit sauf d'être l'ustensile. Les dénis poussent les victimes à agir, quitte à se surmener, dans le but de se voir enfin reconnues, ce qui a pour résultat de refermer les lèvres du clivage. Pour le pervers, le monde est clivé en complices et victimes (proies).

Projection et extrajection

Le pervers éjecte ce qu'il ne veut ni ne peut contenir en lui dans sa victime qu'il faut dès lors contrôler afin qu'elle garde le dépôt.

Harcèlement

Afin d'empêcher la proie de penser objectivement, le pervers narcissique la harcèle, la surstimule en provoquant des tempêtes émotionnelle successives qui ralentissent puis bloquent ses pensées (décervelage). Il attaque la victime sur ses caractéristiques, de préférence celles qu'elle ne peut pas changer, comme ses caractéristiques physiques. Jamais le pervers ne critique la tâche mais toujours la personne.

Manipulations et attaques de la vérité.

La manipulation consiste à faire faire à l'autre, inconsciemment, ce dont le manipulateur est conscient. La vérité ne compte pas pour le pervers, seule compte l'efficacité. En conséquence, le pervers use sans vergogne de falsifications, de mensonges, de médisances; il impose des non-à-dire, une loi du silence maffieuse, etc. Il ne répond jamais directement mais use de faux-fuyants. Face à une question précise, il avance une généralité.

Disqualifications

L'autre est en apparence invité à participer au jeu relationnel, mais, pour son malheur car il est déclaré incapable d'être un partenaire valable, à moins de répondre à toutes les exigences du pervers. Or le pervers ne peut jamais se déclarer satisfait car alors la victime aurait une valeur! Le jeu et ainsi transformé en un non jeu. Le play ne peut exister, seul persiste la possibilité d'un game aux règles sans cesse imposées par le pervers et modifiées au gré de ses caprices et de son besoin d'humilier.

Refus de l'éros

Le pervers est accroché à ses représentations non symbolisantes et non symbolisables et casse toute tentative de faire circuler l'éros dans la relation, d'ouvrir un espace de jeu dans lequel viendraient s'offrir des objets (transitionnels) partagés. Il dénigre toute tentative de symbolisation de la relation intersubjective et se moque des efforts que fait la victime afin d'établir une relation.

Brisure de l'image de soi

Le pervers narcissique veut être seul face à un miroir qui ne reflète que sa grandiosité. Pour sa victime il est un miroir opaque qui déforme et brise les images qu'elle a de son identité et casse son estime d'elle-même.

Inversion

Grâce à un maniement habile du discours, le pervers pratique l'inversion: c'est toujours lui qui a raison et l'autre qui a tort. Dans le transfert, l'inversion se manifeste aussi dans le « transfert par retournement » qui met l'analyste à la place de la partir clivée du pervers narcissique.

Utilisation des failles des personnes et de la société.

Le pervers connaît parfaitement les failles de la société et les exploite habilement. Il n'ignore pas la loi mais en discutaille le sens. Il adore les arguties et entraîne les magistrats et les juristes dans des discussions sans fin qui leur font perdre de vue la nécessité de juger. Il désarçonne ses victimes en multipliant les accusations mensongères afin de les fixer sur des détails et de leur faire perdre de vue l'essentiel.

Séduction

La séduction consiste à tirer quelqu'un hors de son chemin. Le pervers narcissique séduit sa future victime afin d'attirer sur lui la projection de son idéal du moi. Il pratique l'identification malveillante qui consiste à faire croire à sa proie qu'il partage ses valeurs.

Isolation de la victime

Le pervers travaille à briser toutes les relations de sa victime. Il attaque en particulier les personnes qui pourraient témoigner en faveur d'un ex-conjoint. Il tente d'établir des triangles pervers afin que les uns se méfient des autres. Il coupe sa victime des relations significatives pour elle et y arrive d'autant plus facilement que celles-ci sont lassées par les plaintes et minimisent la nocivité du pervers. Une fois encore, il a préparé le terrain de longue date et lorsque sa victime tente de renouer les liens avec d'anciennes relations, elle se heurte à des fins de non-recevoir ou des rejets humiliants.

Le pervers induit l'idée qu'il vaut mieux que la victime reste le bouc émissaire. L'interlocuteur préfère (inconsciemment?) que ce soit elle plutôt que lui, ignorant que le pervers ne cesse de renouveler ses proies.

Manoeuvres diverses

-demande un renseignement qu'il connaît parfaitement, ce qui trouble la victime et permet au pervers de faire intrusion à son domicile

-émet des messages énigmatiques

-Vérifie que la victime est toujours loyale en lui imposant un travail, de préférence impossible à réaliser dans le délai imparti

Origine de l'apparente toute-puissance du pervers narcissique

Le secret de la force du pervers réside tout d'abord dans l'usage particulier qu'il fait du langage:

il le détourne de sa fonction de communication et en use essentiellement pour agir sur sa victime.

D'autre part, le pervers n'éprouve pas d'émotions et ne doit donc pas les gérer. Comme il n'a aucun souci de la vérité, la recherche de celle-ci n'est pas un frein pour lui alors qu'elle l'est pour les personnes normales. Le pervers est donc libre de scruter tout à son aise sa future victime et d'en repérer les failles. De plus, il construit son piège en plusieurs étapes et a donc toujours de l'avance sur sa victime. Enfin, la nécessité d'échapper à la psychose et les désirs (inconscients) de vengeance constituent de puissants stimulants.

Qualités nécessaires à l'analyste

Outre les qualités requises habituellement pour devenir analyste, qui veut s'occuper de perversion devra être capable de regarder la réalité du mal, sans la minimiser. Il lui faudra rencontrer la rage et savoir que les familles interfèrent fréquemment avec une grande force pour tenter de mettre fin au travail analytique. En effet, les membres de familles à fonctionnement pervers partagent le fantasme que le départ d'un des leurs menace la vie de tous. Un brouillard de mensonges et la rétention d'informations essentielles masquent le plus souvent la perversion.

Il est prudent de laisser, autant que possible, la gestion des médications et des interruptions temporaires de travail pour raison médicale à un tiers soignant.

À l'intention des futurs analystes qui craignent par-dessus tout qu'on les accuse de passages à l'acte ou qu'on les déclare pervers, je souhaite leur rappeler que nul ne peut se vanter d'avoir totalement accompli son deuil originaire ou d'être exempt de toute forme de perversion.

Les échecs de l'analyse

Bien des analyses interminables découlent de l'absence d'un diagnostic structurel: l'analyste traite le patient comme un névrosé en rapportant tout à l'oedipe et entretient, à son insu, une collusion défensive avec le patient qui n'a nulle envie d'aborder les douloureux problèmes d'identité.

Un contrat thérapeutique trop imprécis laisse la porte ouverte aux passages à l'acte ou aux menaces de suicide. Les demandes de séances supplémentaires, au nom de l'angoisse, poussent le psychanalyste à s'identifier au sauveur et masquent parfois la prise de pouvoir du patient qui obtient une modification du cadre. Toutes les exceptions à la règle accroissent le risque que le patient se sente omnipotent. Dans tous les cas, il faudra sans cesse veiller sur le cadre.

Certains analysants pervers envoient des personnes de leur entourage à l'analyste, espérant s'attirer ses bonnes grâces, voire même, de façon plus pernicieuse, l'encombrer et l'épuiser, ou encore de l'humilier en lui envoyant des personnes ingérables.

Des mères perverses phalloïdes masquent leur volonté d'emprise sous couvert d'une demande de traitement de leurs adolescents. Leur but, dénié, est de les faire déclarer fous, ce qui justifierait leurs ingérences dans la vie des jeunes. À la première velléité d'indépendance, la mère cassera le contrat thérapeutique. D'autres cachent leur peu d'implication personnelle en attribuant leurs malheurs à la perversion de leur propre mère. D'autres encore manipulent les soignants, font intrusion dans les thérapies sous prétexte de demander conseil, et tentent, à coups de mensonges et de manoeuvres, d'induire des rivalités entre les services psychiatriques. La règle de ne pas accepter en traitement, séparément, plusieurs membres d'une même famille trouve ici sa justification. S'appuyer sur la morale plutôt que sur l'éthique constitue une erreur qui peut s'associer à la projection par l'analyste de ses propres côtés sombres sur le pervers, dès lors diabolisé à outrance, et mener à oublier que la victime est responsable de ses propres choix.

Une collusion inconsciente risque de s'établir entre psychanalyste et victime pour attribuer tout le négatif au pervers et faire un temps l'économie de l'analyse de l'ombre de la victime ou de celle de l'analyste. Or pervers et victime ont parfois en commun un grand désir de toute-puissance qui les lie l'un à l'autre. Le pervers narcissique l'accomplit en accumulant les dénis et les actes de destruction et d'humiliation, la victime en gardant l'illusion de pouvoir gagner.

Deux erreurs majeures se présentent malheureusement avec une grande fréquence:

.tenter une médiation dans un divorce, alors qu'un des partenaires est un pervers narcissique.

.prêter des affects au pervers.

Les rêves chez les victimes

Au début du travail analytique les rêves montrent les manoeuvres subies par la victime. Le patient a parfois du mal à surmonter sa honte pour évoquer d'autres rêves de meurtre ou de vengeances. Des conflits se constellent comme l'opposition entre monde magique et monde scientifique. Se présentent aussi des rêves de diasparagmos, souvent subi par une figure de double;

des rêves de serpents aussi, signalant que le patient est pris entre un désir de mort, de s'engloutir dans la mère des origines d'une part et la peur de l'abandon ou du rejet. Chez les enfants apparaît souvent la figure du monstre.

On assiste parfois à des somatisations brutales, des automutilations ou des autodestructions.

Les rêves de voyages signalent la remise en route de l'évolution.

La figure perverse met du temps à se dévoiler, d'autant que les patients nous cachent, parfois longtemps, des éléments importants qu'ils n'ont pas jugé utile de communiquer. Le sacrifice, nécessaire de la relation au pervers, se voit parfois différé.

Apparaissent dans les rêves des figures de père qui apportent des apprentissages, mais aussi des peurs d'abandon ou de trahisons, voire des mères-Méduses.

Les rêves signalent l'activation du niveau magique, ou encore une position de jouissance masochique de la victime qui, tentée elle-même par la toute-puissance, semble accepter de subir des souffrances sans limites, avec, dans l'ombre, une manipulation du bourreau par la victime.

La dépendance affirmée à l'analyste peut masquer le clivage toujours présent. Les rêves contribuent au dévoilement progressif des « jeux » pervers. Ils mettent aussi en évidence le décervelage que subissent les victimes.

Faut-il rappeler les rêves de tempêtes, d'océans en furie qui contrastent avec les rêves de mandalas (croix, cercles , châteaux, places centrales, etc)

Parfois le rêve détaille la conduite à tenir, par exemple en soulignant la nécessité que le masculin prenne un long bain avant de rencontrer le féminin.

Il arrive que le rêve mette en scène un désir de toute-puissance du féminin, surcompensation de la présence d'un père esclave de la mère. Certains rêves dénoncent des secrets de famille, d'autres mettent en scène la nécessité d'un sacrifice ou la rage (accidents, intrusions, insectes , monstres).

Quelques fois apparaît la figure de vieux sages. Soulignons enfin que les animaux dangereux renvoient à l'angoisse de dévoration, tandis qu'un monstre hétéroclite provoque la terreur liée à l'angoisse de néantisation.

Quand faut-il penser à la présence d'une perversion dans l'entourage du patient?

Les médecins ne sont, hélas, pas entraînés à déceler les ravages que produit le pervers chez ses victimes. Une dépression, des somatisations, en particulier des maladies de la peau, bref des pathologies qui ne répondent pas normalement au traitement doivent alerter le thérapeute qui examinera soigneusement toutes les relations de son patient. La présence d'un doute, obsédant, accompagné de ruminations doit mettre la puce à l'oreille du psychanalyste. La sensation de froid interne signe la présence d'une blessure de l'identité. On pensera aussi à la perversion si une personne habituellement en bonne santé se met à souffrir d'insomnies, doute d'elle-même ou se surmène à l'excès. L'existence de dénis, clivage et identification projective demande une enquête approfondie afin d'établir un diagnostic différentiel avec les divers troubles narcissiques. Enfin, les disqualifications sont indices de perversion.

Le sens du mal

Avant de terminer, je souhaite aborder la question du rôle de la perversion. À quoi sert-elle, si ce n'est uniquement à détruire? Force m'est de constater que la rencontre avec des pervers est, pour nombre de victimes, l'occasion de reprendre une évolution qui stagnait à l'insu du sujet ou d'affronter leurs ombres et leurs croyances, voire leurs illusions.

Conclusion

À l'attention des analystes qui affrontent leur tâche quotidienne avec courage je dédie ces quelques vers d'Edmond Rostand extraits de L'Aiglon. Acte 2, scène 9:

Et nous les petits , les obscurs, les sans-grades, Nous qui marchions fourbus, blessés, crottés, malades, Sans espoir de duchés ni de dotations;

Nous qui marchions toujours et jamais n'avancions;

Trop simples et trop gueux pour que l'espoir nous berne

De ce fameux bâton qu'on a dans sa giberne;

Nous qui par tous les temps n'avons cessé d'aller,

Ne nous soutenant plus qu'à force de trompette,

De fièvre et de chansons qu'en marchant on répète;

Enfin, laissons la parole à Madame Pinkola Estés pour évoquer le lien au Soi:

Qu'est-ce qui ne peut mourir?

C'est cette foi que nous portons en nous et qui nous dépasse,qui appelle les nouvelles semences vers les lieux nus ,endommagés et arides pour que nous germions à nouveau.

C'est cette force qui, dans son insistance,dans sa loyauté envers nous, dans son amour pour nous, dans ses voies souvent mystérieuses, est infiniment grande,

infiniment majestueuse,

infiniment ancienne.

(Pinkola Estés Cl. 1995 trad.998)

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Colloque Les sens du mal Bruxelles le 4 décembre 2010 Dr M. Cautaerts www.clairobscur.org 25

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