Tableau comparatif des personnalités névrotiques et perverses

Névrose Perversion

  • Conflit interne Conflit externalisé
  • Conflit entre instances intérieures Conflit expulsé : devient conflit entre personnes
  • ou institutions
  • Conflit maturatif , structurant Conflit stérile, déstructurant pour les autres
  • Morale, valeurs,
  • déontologie(SurMoi)
  • Pas de scrupules (opportunisme)
  • Culpabilité Pas de culpabilité
  • Idéal ( idéal du Moi) Mégalomanie (Moi idéal)
  • Doutes certitudes
  • Remise en question Persistance du but, seulement changement de
  • tactique
  • Respect des différences : recherche des
  • différences
  • Amalgame , nivellement ou brouillage des
  • différences
  • Respect des différences de générations Dérèglement des différences générationnelles;
  • confusion
  • Intériorisation du temps (rythmes , étapes ,
  • évolution)
  • Pas de temporalité,; instantané, circularité,
  • « éternité ».
  • Inscription dans la filiation, généalogie. Pas de filiation; auto-engendrement , pas de
  • dette.
  • Respect des différences des sexes Brouillage des différences sexuelles
  • Respect des limites (de territoire, des
  • compétences...)
  • Désorganisation ou escamotage des limites
  • Évitement de la souffrance pour soi et pour les
  • autres
  • Recherche de la souffrance pour soi
  • (masochisme) et/ou pour les autres (sadisme)
  • Ressources intérieures prépondérantes Ressources extérieures uniquement
  • Autonomie Vide intérieur : dépendance
  • Recherche d'harmonie Recherche de stimulation

Hurni et Stoll Saccages psychiques au quotidien extraits 1

Névrose Perversion

  • Créativité, curiosité Destructivité
  • Pensée créatrice Pensée stratégique
  • Amis Complices
  • Affects principaux= amour-haine Pas d'affects sauf rage et peur
  • Relations investies: fidélité Partenaires interchangeables
  • Relations internalisées (se maintenant à travers
  • le temps et l'espace)
  • Relations « concrètes », physiques, nécessité de
  • contrôler
  • Confiance Aucune confiance
  • Tableau extrait de Hurni et Stoll (Saccages psychiques page 166)

Le patient névrotique ou pervers (tableau extrait de Hurni et Stoll page 172)

Névrotique Pervers

  • Souffre Ne souffre pas ou souffrance uniquement
  • « extérieure »
  • Demande de l'aide Veut utiliser le médecin pour obtenir quelque
  • chose (?)
  • Demande de l'aide Somme le médecin de le soigner ou le met au
  • défi de le soigner ou induit le médecin à agir (le
  • soigner)
  • S'engage dans le traitement Reste extérieur au traitement (un pied dedans un
  • pied dehors)
  • « Alliance thérapeutique », comportant divers
  • affects
  • Relation utilitaire (« consommateur de soins »,
  • face à un « fournisseur de soins »)
  • Admet autorité médicale
  • Peut régresser et faire confiance à ceux qui le
  • soignent
  • N'admet que contraint l'autorité médeicale qu'il
  • perçoit comme domination à laquelle sa maladie
  • le force à se soumettre -mais dont il se vengera
  • Impossibilité de régression
  • Communique toutes les information nécessaires Cache des informations , attend que le médecin
  • les trouve.
  • Évite les situation de conflits d'intérêt Recherche de situation ambiguës (privé / public
  • par exemple)
  • Hurni et Stoll Saccages psychiques au quotidien extraits 2

Névrotique Pervers

Ressent de la reconnaissance Dénie toute aide reçue (« annihilation

rétroactive ») ou veut se venger d'avoir été aidé

Autant une authentique relation d'aide est une expérience positive, créatrice, enrichissante pour

les deux partenaires, et qui peut aller jusqu'à contrebalancer partiellement les vicissitudes de la

maladie, autant la relation avec un patient pervers est une relation de dupes, dans laquelle le

médecin se fait exploiter, bafouer et peut-être même détruire.

172

Lorsque nous avançons que le patient pervers veut utiliser le médecin pour quelque chose, nous

entendons par exemple les patients qui ne consultent le psychiatre que pour avoir un argument à

faire valoir lors d'un procès imminent (dont ils ont soigneusement caché l'existence), mais aussi,

plus subtilement, ceux que nous avons déjà évoqués et qui utilisent leur statut de malade pour

exploiter ou terroriser leur entourage. La demande d'aide est, elle, une expérience existentielle

inaccessible aux pervers qui n'y voient qu'un assujettissement face à un interlocuteur qui ne

manquerait pas d'en abuser (comme ils l'ont malheureusement souvent vécu avec leurs parents). En

ce qui concerne la relation, elle est dévitalisée, vue sous un angle uniquement fonctionnel, voire

mercantile. Nous devons malheureusement admettre qu'il s'agit là, sans conteste, de la vue de la

médecine qui prévaut chez bon nombre de nos partenaires politiques ou des compagnies

d'assurances.

Concernant les conflits d'intérêts, nous entendons des situations embarrassantes,

malheureusement inévitables, surtout dans une petite ville, dans lesquelles les genres se trouvent

mélangés. Les pervers en tout cas sont friands de toutes situations où le médecin se trouve par

exemple l'obligé économique, politique, le locataire ou l'ami - et, pourquoi pas, tout cela à la

fois ! Ce sujet est particulièrement épineux dans le cas de traitements de personnes perverses,

influentes ou haut placées, qui pourront être d'autant plus en rage contre les thérapeutes que le

traitement s'est révélé fructueux et qui pourront mettre à l'oeuvre des moyens considérables pour en

effacer la réalité.

Enfin, concernant la terminaison d'une relation médecin-malade, autant elle peut se révéler une

conclusion claire, convenue de part et d'autre, de cette association, autant, dans les situations de

perversion, elle peut se prolonger de façon désastreuse : le patient cherchera à détruire

rétroactivement soit la nature des soins reçus, soit leur qualité (certains patients pervers vont

jusqu'à dénier l'existence même des consultations). Certains s'efforcent d'instaurer une

relation sado-masochique concrète avec leur thérapeute, à travers la contestation de ses

honoraires ou d'autres récriminations. Contrairement aux paranoïaques qui vont mettre en route

une procédure délirante de revendications réparatrices, le pervers, moins organisé mais plus

incisif, va plutôt chercher à compromettre l'identité du .médecin, sa dignité, ses capacités ou

sa réputation. À ces fins, il aura tendance à recourir à la diffamation, aux médisances, aux

calomnies plutôt qu'à de véritables procédures juridiques.

Tableau comparatif d'attitudes déontologiques ou politiques face à un environnement normal

ou pervers

Dans un environnement névrotique Dans un environnement pervers

introspection « Extraspection »

Doutes sur le bien-fondé et sur exercice de la

médecine

Affirmation de la légitimité de l'art médical et de

ses qualités

Hurni et Stoll Saccages psychiques au quotidien extraits 3

Dans un environnement névrotique Dans un environnement pervers

Analyse interne des relations entre confrères Renforcement des liens confraternels attaqués

injustement

Police interne Rejets des attributions fallacieuses; dévoilement

des stratégies déstabilisatrices et des intentions

perverses masquées

Culpabilité face aux manquements Refus d'être manipulés par culpabilisation

Réorganisation , ajustement , recherche des

nouveaux équilibres

Défense de l''identité et des intérêts médicaux

compromis par de constantes « réorganisations »

Assumer ses responsabilités Faire assumer leurs responsabilités aux autres

Apporter la contribution de la médecine aux

autres partenaires

Rétablissements des responsabilités et

compétences de chacun (médical, politique,

assureur, administrateur...); refus d'altérer

l'identité médicale (« médecin gestionnaire » par

exemple)

Tableau extrait de Hurni et Stoll (Saccages psychiques page 176)

***

Quelques attitudes thérapeutiques inadéquates par rapport à la pathologie de

la relation perverse

Examinons en premier lieu quels sont les attitudes ou modes de faire qui se sont révélés

inadaptés à cette pathologie.

Qu'en est-il tout d'abord du soutien narcissique, ou soutien du Moi, tel qu'il se justifie face à

des patients déprimés, dévalorisés ou coupables ? Le réconfort, l'approbation manifeste ou tacite,

plus ou moins «bienveillante» ne sont certainement pas de mise face à des comportements en

séance et à des récits d'exactions, violents ou déprédateurs. Cette attitude se fonderait sur des

prémisses de dépression qui, à première vue en tout cas, manquent au tableau pervers. (Beaucoup a

été écrit sur une probable dépression essentielle ou mélancolie qui figurerait - très loin - à l'arrièreplan

de ces symptômes. Ce point de vue mériterait d'être étayé 1 ; il devrait dans tous les cas être

bien distingué des effets d'un contre-transfert mal maîtrisé, qui tendrait fallacieusement à nous faire

voir, ou pressentir, de la dépression, là où il n'y en a pas.) Ce à quoi nous avons plutôt affaire dans

de telles consultations, ainsi que l'illustre la vignette clinique, ce sont des plaintes, des griefs

concernant un partenaire rétif à se conformer aux injonctions de l'autre, ou plus précisément à

endosser les projections qui lui sont faites. Ce sont par conséquent des affects de rage qui sont

mobilisés en fonction de l'impossibilité ou de la difficulté d'expulser des objets internes sur l'Autre.

Ces affects peuvent éventuellement alterner avec un désespoir de veine tout aussi narcissique. Ces

partenaires sont insatisfaits de l'Autre qui, pour eux, est la cause unique de leur détresse. La source

de leur inconfort psychique est placée totalement, et avec véhémence, à l'extérieur d'euxmêmes.

On pourrait dire qu'il s'agit d'un refus catégorique, radical, d'une quelconque souffrance

interne. D'où leur détermination à écarter toute remise en question d'eux-mêmes.

1 Il l'a été récemment, par Sylvie Faure-Pragier qui a publié le récit de la cure d'un pervers, qui tendrait à

corroborer l'hypothèse de sentiments dépressifs majeurs (Faure 2000).

Hurni et Stoll Saccages psychiques au quotidien extraits 4

D'autres visées, légitimes dans un registre névrotique, nous semblent inopportunes face à des

interactions perverses. Ainsi en irait-il du soulagement d'une culpabilité (absente, comme c'était le

cas chez les deux conjoints de notre vignette) ou l'interprétation de désirs inconscients (attitude

qui ne tiendrait (184) pas compte du fait que les désirs concernant la relation, chez les pervers, sont

tout à fait conscients).

En deuxième lieu, nous en sommes arrivés à stigmatiser une autre attitude, pourtant naturelle,

particulièrement depuis l'enseignement de la psychanalyse, celle du silence et du retrait. Autant

cette conduite trouve sa valeur face à un patient névrotique en quête de fantasmes refoulés, autant

elle se révèle désastreuse, à notre avis, face à des pervers agissants. Le dicton qui veut que «Qui ne

dit mot consent» est tout à fait applicable à ces interactions et si un thérapeute entend sans réagir

que, par exemple, des parents ont maltraité leur enfant, son silence aura évidemment valeur

d'acquiescement, donc de complicité agie - le silence équivalant là à un acting-in.

Les systémiciens ont souvent préconisé, dans des situations cliniques fort diverses, ce qu'ils ont

appelé la «position down», évitement d'un piège tendu par certains patients qui délégueraient au

thérapeute une toute-puissance paralysante. Cette attitude, judicieuse en d'autres circonstances, ne

semble pas opportune ici et risque de- fournir à des pervers bien mieux rodés que nous une

occasion inutile de discréditer le thérapeute, empêtré masochiquement dans ses propres filets.

Dans ce même sens, nous avons relevé dans notre préambule la virulence des attaques à la

pensée des soignants. Comme l'a relevé Racamier (Racamier 1992a), il arrive souvent que les

thérapeutes se sentent égarés dans leur compréhension, confondent les générations, les temps, les

acteurs ou les lieux. Ce constat ne devrait pas être endossé par le soignant, mais tout de suite, dans

le sens d'une interprétation transférentielle, mis en rapport avec les manoeuvres émanant des

patients.

Le nivellement affectif pathognomonique des récits pervers pourrait encore induire les

thérapeutes à opérer un «prêt d'affects», autrement dit, à incarner une sorte de Moi auxiliaire,

partie du Moi vivante mais profondément réprimée (Amati 1989).

184

Ils pourraient ainsi être amenés à exprimer l'horreur, l'étonnement, la joie ou d'autres sentiments

qui font défaut au discours des patients. Cette modalité d'intervention pourrait être comparée au

«prêt» ou à l' «injection» de fantasmes qui a été parfois préconisée pour des patients à la pensée

opératoire. Ce mode de faire nous semble très risqué et nous ne l'envisageons que dans certaines

situations précises ayant trait au domaine éthique (cf., plus loin, «intervention éthique»).

La possibilité d'un dérapage fâcheux semble exister chez des thérapeutes novices en matière

de perversion - comme elle existe d'ailleurs chez tout un chacun : celle d'être entraîné à devenir

soi-même pervers. Des réactions sadiques sont particulièrement fréquentes. Loin d'être

thérapeutiques, elles signent en réalité l'aboutissement du projet pervers, celle de pervertir le

thérapeute.

Les pervers excellent dans les agirs et, plus encore, dans le faire-agir (Racamier 1993). C'est

avec cette tonalité que s'instaurent la plupart des traitements. L'établissement d'un cadre est, avec

ces patients, tout sauf chose aisée. Ces agissements demandent aux thérapeutes une grande

maîtrise de leur contre-transfert : ainsi, par exemple, le patient pourra-t-il demander au

thérapeute de le rappeler chez lui pour fixer un rendez-vous, tenter d'induire une malversation

vis-à-vis de l'assurance-maladie, modifier l'organisation du travail des thérapeutes par rapport

aux horaires habituels des rendez-vous ; cf. dans notre exemple, l'urgence de la consultation de

couple, l'utilisation de la lettre - jamais lue -, etc. Ce sont les patients qui tenteront de déterminer

les sujets abordés ou de distordre la relation thérapeutique en relation sado-masochique

(«puisque vous ne voulez pas être plus souple, je suis bien obligé de me soumettre»).

Hurni et Stoll Saccages psychiques au quotidien extraits 5