AVERTISSEMENT
Les conceptions de l'animus et de l'anima, c'est-à-dire de la part psychique complémentaire à son sexe qui habite chacun de nous, part masculine chez la femme sous forme d'animus, part féminine chez l'homme sous forme d'anima, ont représenté sans conteste l'une des découvertes fondamentales de la psychanalyse jungienne.
C'est en effet l'une des exigences absolues du principe d'individuation que de rendre conscientes ces composantes essentielles de notre âme, de les différencier et de les développer afin que leur puissance archétype s'intègre harmonieusement à la psyché individuelle. Ce processus d'individuation qui engage la personnalité tout entière ne trouve d'ailleurs son véritable accomplissement que dans ce qu'on appelle la conjunctio oppositorum, la conjonction des contraires - autrement dit dans l'union, sans fusion ni confusion, dans la relation vivante et perpétuelle à l'anima et à l'animus.
. James Hillman, qui est à l'origine de ce qu'on nomme aujourd'hui la psychologie archétypale, et qui a lancé la notion de psychologie polythéiste. . .Hillman universalise cette notion et l'élargit d'une composante psychique contrasexuelle, à un archétype per se de la féminité, complémentaire à l'homme et « double » de la femme.

LES REPRESENTATIONS MYTHIQUES DE L'ANIMA

La représentation d'êtres élémentaires qui vivent dans l'eau, dans l'air, dans la terre, dans le feu, dans des animaux ou des plantes est vieille comme le monde et répandue sur ta terre entière . Ceux-ci présentent une ressemblance étonnante non seulement entre eux mais aussi avec des figures apparaissant dans les rêves et les fantasmes de l'homme d'aujourd'hui. Nous pouvons en conclure qu'il doit y avoir à la base de ces représentations des facteurs plus ou moins constants qui l'expriment en tout temps et en tout lieu de la même façon.
.. la psyché, qui a la faculté de créer spontanément des mythes, émet des images et des figures qui ne doivent pas être considérées seulement comme des reflets ou des transcriptions de manifestations extérieures mais aussi comme l'expression de réalités psychiques internes ; nous pouvons donc penser qu'elles sont une sorte de représentation P.11 de la psyché elle-même. . Parmi les nombreux êtres mythiques que sont les géants, les nains, les elfes, etc., je n'ai tenu compte que de ceux qui peuvent être considérés comme une personnification de l'anima parce qu'ils sont du sexe féminin et se trouvent de ce fait en relation avec un homme. L'anima représente la composante féminine de l'homme mais aussi l'image qu'il porte en lui de la femme en général, autrement dit, elle représente l'archétype féminin. .ceux qui me paraissent les plus intéressants pour notre réflexion sont les nymphes, les femmes-cygnes, les ondines et les fées .Leur beauté est en général extrêmement séduisante mais elles ne sont qu'à demi humaines ; elles apparaissent souvent à plusieurs, particulièrement à trois, de même que l'animus indifférencié se présente sous plusieurs formes.
Par leur charme ou leur chant merveilleux, elles attirent l'homme dans leur royaume où il disparaît sans espoir de retour.. ou c'est l'amour qui les unira à l'homme et elles vivront dans son monde à lui. Mais elles recèlent toujours une inquiétante étrangeté et sont liées à un tabou qui ne doit pas être transgressé.
Une figure très archaïque est celle de la femme-cygne . :
La nymphe (Apsara) (Les Apsaras (qui se déplacent dans l'eau) sont des nymphes aquatiques célestes d'une grande beauté qui s'adonnent au chant et à la danse. Leurs partenaires masculins sont les Gandharvas qui, eux aussi, aiment la musique) Urvasi aimait Pururavas. Elle l'épousa à condition qu'il l'embrassât trois fois par jour mais ne devait pas rester en sa présence contre son gré ni se montrer nu devant elle. Après avoir vécu chez lui plusieurs années, elle devint enceinte. Les Gandharvas trouvèrent alors qu'Urvasi avait suffisamment séjourné chez les humains et se demandèrent comment ils pourraient provoquer son retour. Or une brebis avec ses deux petits était attachée à la couche d'Urvasi ; les Gandharvas les capturèrent pendant la nuit. « Ils ont dérobé mes animaux favoris, se Iamenta-t-elle, comme si aucun homme ni aucun héros ne se trouvait près de moi ! » A ces mots, Pururavas, dans toute sa nudité, sortit d'un bond afin de poursuivre les ravisseurs. A cet instant les Gandharvas produisirent un P.13 éclair et Urvasi vit son époux aussi nettement qu'à la lumière du jour. Une des conditions qu'elle avait posée était alors enfreinte et en conséquence, elle avait disparu lorsque Pufuravas revint.
Désespéré, il erra alors dans tout le pays, nourrissant l'espoir de la retrouver. Un jour, il parvint à un lac recouvert de lotus sur lequel nageaient des oiseaux aquatiques. Mais c'étaient des Apsaras et l'une d'elles était celle qu'il recherchait. Lorsqu'elle aperçut Pururavas, elle se montra à lui sous une apparence humaine ; il la reconnut à son tour et la supplia de lui parler : « Reste un instant, ô cruelle, et permets que nous ayons un entretien. Des secrets inexprimés ne nous apporteront aucune joie. » Elle répondit : « Que pourrais-je te dire ? J'ai disparu comme l'aurore et suis aussi difficile à saisir que le vent. Retourne dans ton pays, Pururavas ! Tu n'as pas fait ce que je te demandais ; je suis pour toi insaisissable. Retourne-t-en. » Pururavas répliqua : « Ainsi, ton ami va s'en aIler très loin pour ne plus jamais revenir ; il se précipitera dans la mort ou bien les loups sauvages le déchireront. » Et Urvasi lui dit : « Ne te sauve point, ne meurs point, ne laisse pas les loups sauvages te déchirer. Ne te fais pas tant de tourments. Aucune pitié n'est possible avec les femmes, leur cour est comme celui des hyènes. Ne te désole point et retourne dans ton pays. Lorsque j'errais parmi les mortels, je mangeais chaque jour un peu de graisse propitiatoire et j'en suis encore repue. »
A la fin pourtant sa pitié s'éveilla et elle lui signifia de revenir dans un an. Alors, une nuit, elle l'écouterait et son fils serait né. Lorsqu'au terme de ce délai, il se trouva à l'endroit convenu, un palais d'or se dressait devant lui. On l'enjoignit d'y pénétrer et son épouse lui fut amenée. Au matin, les Gandharvas lui permirent de formuler un vou et, sur le conseil d'Urvasi, il demanda l'autorisation de devenir un des leurs, ce qui lui fut accordé. Pour que ce vou fût exaucé, il devait auparavant offrir un sacrifice. A cet effet les Gangharvas lui donnèrent un chaudron ainsi que du feu. Il l'emporta dans son village ainsi que son fils né entre-temps. Puis il partit chercher le bois convenant al feu de son sacrifice propitiatoire et après l'avoir allumé, il devint un des leurs.
Cette légende très ancienne présente quelques-uns des trait caractéristiques que l'on retrouve dans d'autres versions. L'un d'entre eux étant qu'une relation avec un être mythique est liée à une condition bien déterminée dont l'inobservance entraîne des conséquences fatales. Urvasi ne doit pas voir Pururavas nu. Nous retrouvons une interdiction similaire dans le conte d'Eros et Psyché mais elle s'y trouve inversée dans la mesure où c'est son divin époux qu'il est interdit à Psyché de voir tandis qu'Urvasi ne peut pas voir l'homme Pururavas ce qui revient à dire qu'elle ne veut pas le voir tel qu'il est.
Même involontaire, la transgression de ce commandement provoque le retour de la nymphe dans son élément. Lorsqu'elle dit qu'elle est encore repue du peu de graisse propitiatoire dont elle s'est délectée pendant son séjour chez Pururavas, cela semble indiquer que la réalité humaine ne lui convient pas et, tout en retournant dans son univers, elle entraîne avec elle son époux. Il est pourtant question d'un fils qu'Urvasi a mis en monde lors de sa disparition et que Pururavas emporte dans sa maison. Ce qui est advenu de leur union trouve sa place dans le domaine des humains mais nous n'en apprenons rien de plus.
Ce qui frappe dans la relation entre Pururavas et les nymphes célestes c'est la différence de leur comportement P.15 : c'est avec des sentiments humains qu'il déplore la perte de sa bien-aimée et cherche à la retrouver, tandis que les paroles d'Urvasi sont celles d'un être mythique et sans âme qui porte un jugement sur lui-même en disant que les femmes ont le cour d'une hyène.
Ceux qui voyaient dans les figures mythologiques l'incarnation de puissances et de phénomènes naturels pensaient que la femme-cygne représente la brume qui plane au-dessus de l'eau et qui, en s'élevant, se condense pour devenir des nuages s'éloignant dans le ciel comme des cygnes en vol.
La comparaison de ces figures avec la brume et les nuages reste valable si on les considère d'un point de vue psychologique. On peut penser en effet que ce qu'on appelle les contenus de I'inconscient n'ont pas un contour très précis tant qu'ils ne sont pas conscients ou le sont à peine ; ils peuvent aussi prendre une apparence indéterminée, revêtir une autre forme et se métamorphoser. On ne les reconnaît clairement et distinctement que lorsqu'ils émergent de l'inconscient et peuvent être appréhendés par le conscient. C'est seulement à ce moment que l'on peut en dire quelque chose de précis. Il ne faut pas se représenter l'inconscient comme un espace réel avec un contenu délimité et pour ainsi dire concret ; nous avons là seulement une image servant à faire mieux comprendre une abstraction. Dans les visions ou les représentations. des phénomènes inconscients, les formes nébuleuses indiquent souvent le stade préliminaire de ce qui prendra plus tard des formes définies. .
. on peut conclure que le principe féminin représenté par la nymphe Urvasi est encore trop nébuleux et immatériel pour vivre en permanence dans le monde des humains, c'est-à-dire dans un état de veille consciente, et pour y trouver la possibilité de se réaliser. Lorsqu'elle dit : « J'ai disparu comme l'aurore et suis difficile à saisir, comme le vent, elle fait allusion à l'inconsistance et à la ténuité de sa nature .
La légende irlandaise : « Le rêve d'Oenghus » qui remonte au VIII siècle présente les mêmes caractéristiques :
Oenghus appartenait lui aussi à une lignée mythique. II vit en rêve une jeune fille d'une beauté merveilleuse s'approcher de sa couche ; lorsqu'il voulut la prendre par la main, elle disparut. La nuit suivante, la jeune fille revint avec une harpe et joua pour lui de très étranges mélodies. Cela dura une année entière et Oenghus, se languissant d'amour, tomba malade. Un médecin trouva la cause de sa souffrance et on chercha alors dans tout le pays la jeune fille qui, selon lui, était destinée à Oenghus. II apparut pour finir qu'elle était la fille d'un roi des elfes et qu'elle avait coutume de se métamorphoser en cygne tous les cinq ans. Pour la rencontrer, Oenghus devait se trouver un jour déterminé près d'un certain lac. Plus tard, lorsqu'il s'y rendit, il vit sur l'eau trois fois cinquante cygnes attachés par paires avec des chaînes d'argent. Oenghus cria le nom de la jeune fille de ses rêves ; ceIIe-ci le reconnut ; eIle était P.17 disposée à venir sur la rive à condition qu'il lui promit de la laisser retourner dans l'eau. Il s'y engagea et elle vint à lui ; ils s'étreignirent et s'endormirent sous la forme de deux cygnes. Puis ils nagèrent trois fois autour du lac afin de remplir la condition qu'elle avait imposée. A la fin ils s'envolèrent vers la maison du père d'Oenghus et se mirent à chanter si merveilleusement que tous ceux qui les entendirent sombraient dans un sommeil long de trois jours. Désormais la jeune femme-cygne resta chez Oenghus.
Le caractère onirique de ce récit est particulièrement évident. La bien-aimée lui apparaît dans son sommeil, avant qu'il la connaisse ; il est dit explicitement qu'elle lui est destinée et qu'il ne peut pas vivre sans elle, cela caractérise l'anima, son autre moitié. Il la conquiert en se pliant à ses exigences : il la laisse retourner dans l'eau, tout au moins pour un certain temps et il devient lui-même un cygne. Autrement dit, il essaie de la rencontrer dans son élément à elle, d'être sur le même plan, et c'est grâce à cela qu'elle sera à lui pour toujours, attitude que l'on devrait retrouver dans la relation à l'anima. Le chant magique des deux cygnes montre que ces deux êtres, à la fois opposés et faits l'un pour l'autre, sont unis pour ne former plus qu'un dans un accord harmonieux.
La Walkyrie nordique . au service d'Odin. prend les guerriers tombés au combat. elle a aussi pour fonction d'octroyer la victoire ou la défaite, ce qui montre bien sa parenté avec les Nornes ( Déesses du destin, qui réglaient l'ordre de l'univers et la vie des hommes. EIIes peuvent être comparées aux Parques ou aux fées) qui filent notre destinée et en coupent le fil. Mais, .. lorsque dans le Walhalla elle tend aux héros la corne à boire, elle joue le rôle habituellement réservé aux servantes. Mais offrir à boire est aussi un geste très significatif qui exprime la relation et l'affection et ce thème apparaît souvent : une figure de l'anima offre à l'homme une timbale remplie d'un philtre d'amour, d'allégresse, de métamorphose ou de mort. . Quelquefois, comme Brunehilde, elles sont les maîtresses ou les épouses de grands héros auxquels elles donnent protection et assistance pendant le combat.
Dans ces êtres à demi divins nous pouvons voir un archétype de l'anima, ceIui d'une anima correspondant à un homme sauvage et combatif. Comme l'anima, elles incarnent les souhaits et les aspirations de l'homme et, dans la mesure où celui-ci est porté au combat, son principe féminin apparaît aussi sous une apparence guerrière. Les Walkyries sont habituellement représentées sur un cheval mais elIes peuvent aussi traverser I'air et l'eau et prendre la forme d'un cygne. p.19
Dans le chant de Wölund..
La passion irrésistible des jeunes filles pour le combat ainsi que l'attirance qu'elles exercent sur les frères lors de leur envol sont ici très significatives. D'un point de vue psychologique, cela veut dire que la passion et l'esprit d'entreprise sont d'abord ressentis dans le principe féminin inconscient. Avant d'apparaître clairement à la conscience, le désir de nouveauté et de changement semble être d'abord un mouvement du cour, une (é)motion confuse, un état d'âme inexplicable. Lorsque c'est un être féminin qui les exprime. cela signifie que c'est le principe féminin de l'homme, c'est à dire son anima qui perçoit les pulsions inconscientes et les transmet au conscient.
Ce processus provoque généralement une impulsion ; il peut aussi ressembler à une intuition qui ouvre des nouvelles possibilités et incite l'homme à les rechercher et à les saisir. Lorsque la femme - cygne souhaite provoquer le combat, elle joue alors le rôle de la femme inspiratrice qui est caractéristique de l'anima ; cela reste toutefois à un stade primitif car l'action à laquelle l'homme est incité est avant tout le combat.
Dans la poésie du Moyen Age, la femme est représentée dans ce rôle mais avec plus de raffinement. Le chevalier combat en tournoi pour sa dame . La présence de sa bien-aimée excite son courage et accroît sa vaillance . le prix de la victoire est souvent le don de son amour. Très souvent, c'est avec une grande cruauté qu'elle exige de son chevalier des exploits insensés ou surhumains comme preuve de son dévouement.
Dans la littérature.. il est intéressant d'observer que l'inspiration se dirige progressivement vers d'autres objets que le combat.
Le nom de Dame Aventure montre aussi que cette qualité P.21 si masculine qu'est l'esprit d'aventure était autrefois incarné par un être féminin.
Une autre particularité de la femme-cygne est d'être l'annonciatrice du futur. Les Walkyries dévident le fil ( Au sujet de l'anima considérée comme fileuse cf. Jung Aion § 20) de la victoire et disposent de la destinée et, en ce sens, elles sont semblables aux Nornes. Par contre celles-ci - elles se nomment Urd, Werdandi et Skuld - sont des incarnations du déroulement naturel de la vie, de l'évolution et de la disparition.
Dans les régions celtes, cette même particularité est imputée aux fées . leur nom vient du mot fatum (sentence, prophétie) et on les voit généralement apparaître par trois. Il arrive alors souvent que le bien dispensé par les deux premières soit ensuite annulé par la troisième, ce qui rappelle également les Nornes ou les Parques.
Le chant des Nibelungen raconte comment celles-ci, au cours de leur trajet les conduisant au roi Etzel, arrivèrent au bord du Danube dont les eaux montaient et que Hagen prit les devants pour chercher un passage. Il entendit alors un clapotis et, en s'approchant, il vit « wîsiu wîp » (des femmes sages) qui se baignaient dans une source merveilIeuse. Il s'approcha furtivement, prit leurs vêtements et les cacha. Une des femmes dit alors que s'il leur rendait, elles lui diraient ce qui leur adviendrait au cours du voyage.
. Là aussi des femmes avisées, semblables à des oiseaux aquatiques interviennent en prédisant l'avenir.
Il est bien connu que les peuples germaniques attribuent à la femme le don de prophétie et que, pour cette raison elle fut tenue en haute estime, voire même honorée. ... p. 23
Le don de voyance et l'art de la prédiction sont le plus souvent attribués à la femme, parce qu'elle est généralement considérée comme plus ouverte à l'inconscient. La réceptivité est une attitude féminine et présuppose une ouverture et une disponibilité ; pour cette raison Jung pense qu'elle est le grand mystère de la féminité. En outre la mentalité féminine n'a pas pour l'irrationnel la même aversion que l'homme dont le conscient est orienté vers Ia rationalité et qui a tendance à refuser tout ce qui n'est pas conforme à la raison : c'est pourquoi il reste souvent fermer à l'inconscient. Platon critiquait déjà dans « Phaidros » cette attitude par trop rationnelle surtout lorsqu'il s'agit d'amour - et vante l'irrationnel et même la folie dans la mesure où celle-ci peut être un don des dieux. Il en mentionne les différents aspects :
1. Les sagesses de l'oracle proclamées par la Pythie ; celle-ci peut, par exemple, dispenser des conseils pour le bien de l'Etat. .
2. Le don prophétique de la Sibylle qui prédit l'avenir.
3. L'exaltation suscitée par les muses.
Pythies, sibylles et muses sont des êtres féminins comparables aux devineresses nordiques dont les manifestations ont un caractère irrationnel ; c'est pourquoi, du point de vue de la raison et du logos elles peuvent être considérées comme démentes. . Il y a toujours eu des devins et des prophètes, mais ils le sont grâce à une disposition féminine à la réceptivité qui leur permet de percevoir des suggestions dont l'origine est au-delà du conscient.
L'anima étant la partie féminine de l'homme, elle possède cette réceptivité et cette liberté vis-à-vis de l'irrationnel ; pour cette raison elle est considérée comme l'intermédiaire entre l'inconscient et le conscient. Ce comportement féminin joue un rôle important chez l'homme créateur. On dit d'une oeuvre qu'elle est conçue, qu'elle est arrivée à terme et d'une pensée qu'elle est en gestation.
Le thème de la femme-cygne apparaît aussi dans de nombreux contes. .. un résumé du « Chasseur et de la femme-cygne » : Un garde forestier qui P.25 suivait la trace d'un chevreuil arriva au bout d'un lac juste au moment où trois cygnes blancs s'y posaient. Aussitôt après ce furent trois belles jeunes filles qui se baignaient dans le lac. Quelques instants plus tard, elles sortirent de l'eau et ce furent à nouveau trois cygnes qui s'envolèrent. La pensée de ces jeunes filles ne le quitta pas et il décida d'en épouser une. Alors, trois jours plus tard il repartit vers le lac et retrouva les baigneuses. II s'approcha sans bruit et s'empara du vêtement de cygne que la jeune fille avait déposé. Elle le pria instamment de le lui rendre mais il fit la sourde oreille et l'emporta chez lui ; la jeune fille fut alors dans l'obligation de le suivre. L'entourage du garde lui fit bon accueil et elle accepta de l'épouser. Mais il donna le vêtement de cygne à sa mère qui le mit en lieu sûr dans un coffre. Après qu'ils eurent vécu heureux durant plusieurs années, la mère trouva ce coffret un jour de grand rangement et elle l'ouvrit. Sitôt que la jeune fille aperçut son vêtement de cygne, elle le jeta rapidement sur ses épaules et dit : « Celui qui veut me revoir doit venir dans la montagne de verre qui s'élève au-dessus de la terre dénudée ».
( Selon des sources germaniques et nordiques, la montagne de verre était considérée comme un au-delà, le séjour des morts et des bienheureux ; seIon d'autres croyances c'est là qu'habitent des femmes-cygnes, des fées, des sorcières, des nains ainsi que d'autres créatures de ce genre. Dans beaucoup de contes, c'est là que l'on conduisait ceux qui avaient été enlevés par un esprit ou un démon et ils devaient alors être délivrés. Ce lieu situé dans l'au-delà est sans doute l'équivalent de l'ïnconscient).
A ces mots, elle prit son élan et s'envola. Le chasseur affligé se mit à sa recherche et, après bien des difficultés, la retrouva grâce à l'aide d'animaux secourables ; il délivra celle qui était, comme il l'apprit alors, une princesse ensorcelée.
.un thème nouveau et très important, celui de la délivrance. Cette nécessité de la délivrance et donc de l'ensorcellement indique que la figure du cygne n'est pas originelle mais que, apparue par la suite, elle dissimule une princesse, comme le ferait un vêtement. Sous l'aspect d'un animal se cache un être supérieur qui doit être délivré et que le héros épouse à la fin.
La princesse qu'il faut délivrer . nous reporte nettement à l'anima. Si le conte nous apprend que la princesse existait avant le cygne c'est certainement par allusion à un état originel d'unicité et de totalité qui a été retiré à la suite d'une « malédiction » et doit être restitué. L'idée que la perfection originelle a été détruite par un comportement coupable ou par la jalousie des dieux est une représentation archaïque à l'origine de beaucoup de religions et de systèmes philosophiques. Nous en trouvons des témoignages avec la chute d'Adam au paradis terrestre, avec l'être originel de Platon qui formait d'abord un tout avant d'être scindé en deux parties et plus tard avec la Sophia de la gnose, prisonnière de la matière.
En voici l'explication psychologique : la perfection unitaire de l'enfant est détruite ou détériorée par les exigences de la vie et l'accroissement de sa conscience. Ainsi l'homme, en développant sa conscience, est entraîné à abandonner son principe féminin qui reste alors à « l'état élémentaire ». C'est aussi ce que provoque la différenciation des fonctions psychologiques ; la fonction inférieure reste à l'arrière-plan, donc indistincte et inconsciente. Pour cette raison, elle est généralement liée à l'anima qui est elle aussi inconsciente. La délivrance consiste en la reconnaissance et en l'intégration de ces éléments inconscients de la psyché. . P. 27
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Le fait que la mère soit la cause de la séparation du couple permet de conclure à une rivalité cachée entre celle-ci et l'anima, comme cela se présente fréquemment dans la réalité. On pourrait penser aussi que cet acte exprime la tendance de la « grande mère », c'est-à-dire de l'inconscient à rappeler auprès d'elle ce qui dépend d'elle.
L'origine royale de la femme-cygne indiquée par la couronne montre qu'elle est un être d'essence supérieure, ce qui correspond à l'aspect suprahumain et divin de l'anima. .. étabIir un rapport entre la princesse ensorcelée et la psychoIogie féminine. Elle représente la personnalité supérieure de la femme ou bien son vrai moi.
La figure de l'oiseau, créature de l'air, symbolise le caractère animal de l'être élémentaire mais contient aussi une allusion aux facultés de l'esprit qui sommeillent en lui.
Depuis toujours la nixe a été un être mystique très populaire ; elle apparaît fréquemment dans les rêves ou parle à l'imagination.
. ces êtres aquatiques - appelés- « Merminne » ( la signification première du mot Minne est, souvenir, mémoire. Il est apparenté au mind anglais et est dérivé de la racine indo-germanique man : penser, croire. ) ou « Merfei ». . »wîsiu wîp » (les femmes sages) à cause de leur don de prédiction et de leur connaissance de la nature qu'elles ont en commun avec les femmes-cygnes. Mais lorsqu'il est question d'êtres de ce genre, ce sont d'autres aspects qui sont généralement privilégiés et surtout celui de l'Eros. Celui-ci s'accorde avec la coutume ..connue sous le nom d'amour courtois. .nouvelle attitude envers la femme et l'amour.contrepartie chevaleresque au culte du logos pratiqué dans les cloîtres. Cette valorisation de la femme est due principaIement à une mise en valeur et à une activité accrue de P.29 l'anima .
C'est surtout dans l'Eros que l'anima, comme la femme, est essentiellement féminine, c'est-à-dire qu'elle est déterminée par le principe de l'attachement, de la relation tandis que l'homme est en général plus engagé dans le principe du logos qui ordonne et discerne, dans la raison.
Ainsi les Merminnes . sont toujours en relation amoureuse avec un homme ou bien elles essaient d'en créer une, ce qui est le propre des aspirations fondamentales de la femme. De ce point de vue, elles se distinguent des femmes-cygnes qui ne cherchent pas d'elles-mêmes la relation mais qui tombent sous le pouvoir de l'homme à cause du rapt de leur vêtement de plume, c'est-à-dire d'une ruse. C'est la raison pour laquelle elles cherchent à s'enfuir dès que l'occasion s'en présente. De telles relations sont généralement instinctives et font regretter l'absence de moralité ou de sentiments élevés. Le fait que l'homme s'empare de la femme d'une manière plus ou moins violente montre que sa conduite érotique se manifeste à un stade très archaïque. Ce n'est pas sans raison que l'être mythique exige en se liant à lui qu'il ne Iui fasse pas violence, qu'il ne la batte pas et qu'il ne lui dise aucune parole méchante.
Les légendes se rapportant aux fées aquatiques sont extrêmement répandues dans les pays de population celte. .
. C'est là ( dans le pays de Galles) que vivaient une veuve et son fils. Un jour que celui-ci gardait son troupeau dans la montagne, il arriva au bord d'un lac ; il vit à son grand étonnement qu'une jeune fille d'une beauté sans pareille était assise à la surface de ce lac. Elle était occupée à peigner sa chevelure bouclée et l'eau lui servait de miroir. Soudain elle aperçut le jeune homme qui ne la quittait pas des yeux et lui tendait un morceau de pain pour l'attirer sur la rive. Elle s'approcha de lui mais refusa le pain, le trouvant trop dur ; dès qu'il essaya de l'atteindre, elle disparut sous l'eau. Désappointé, il rentra chez lui ; cependant il revint un autre jour au bord de ce lac. Sur le conseil de sa mère, il offrit cette fois à la demoiselIe des eaux du pain qui n'était pas cuit, mais ce fut encore en vain. Ce ne fut que le troisième jour, lorsqu'il essaya avec du pain à demi cuit, qu'elle se montra disposée à l'accepter et l'incita même à lui prendre la main. Après qu'il l'en eut priée instamment, elle accepta de devenir sa femme mais ajouta que si par trois fois il lui donnait un coup sans raison, elle le quitterait pour toujours. Il accepta cette condition avec empressement puis elle disparut à nouveau dans l'eau. Aussitôt, il vit surgir deux superbes jeunes filles accompagnées d'un homme aux cheveux gris et à l'allure imposante qui se présenta comme le père de sa fiancée et lui dit qu'il consentait à cette union à la condition qu'il désigne celle des deux qui était effectivement la sienne. Cela ne lui fut pas aisé car elles étaient exactement semblables. Il finit par reconnaître sa bien-aimée à la manière dont elle avait lacé ses sandales. Le père promit alors de donner pour dot à sa fille autant de vaches, de chèvres et de chevaux qu'elle pouvait en compter sans reprendre son souffle ; au fur et à mesure qu'elle s'y appliquait, les animaux émergeaient P.31 de l'onde. Le couple élu domicile dans une ferme voisine où ils vécurent heureux et dans l'aisance et où naquirent leurs trois fils.
Un jour, ils furent invités à un baptême. La femme n'avait aucune envie de s'y rendre mais son mari l'exigea. Alors qu'elle hésitait à chercher le cheval dans la prairie, il lui donna avec ses gants un léger coup sur l'épaule et elle lui rappela alors leur convention.
Une autre fois, au cours d'un mariage auquel ils se devaient d'assister, elle éclata en sanglots au milieu des joyeux convives. Le mari lui en demanda la cause en lui tapant sur l'épaule et elle répondit : « Maintenant commencent les difficultés pour ce couple et aussi pour toi car c'est déjà ledeuxième coup. » Après un certain temps, il arriva qu'ils assistèrent à des funérailles et que, contrastant avec l'affliction générale, elle fut secouée par un violent éclat de rire ; ce fut naturellement très pénible au mari qui la heurta et l'enjoignit de ne pas rire ainsi. Elle riait, disait-elle, parce que la mort délivre les hommes de leur peine. Puis elle se leva et quitta la maison avec ces paroles : « Le dernier coup est tombé, notre contrat est caduc, adieu ! »
Après avoir rassemblé les bêtes de sa ferme, elle prit la route avec tout le troupeau jusqu'au lac et y disparut.
L'histoire ne dit pas ce qu'il advint du mari inconsolable mais on dit que les fils allèrent souvent sur la rive du lac et que parfois leur mère leur apparaissait. Et, en vérité, elle annonça à son fils aîné qu'il était appelé à devenir un bienfaiteur de l'humanité car il en soignerait les maladies. Elle lui remit à cet effet un sac contenant des prescriptions médicinales et promit de lui apparaître toutes les fois qu'il aurait besoin de son conseil. En réalité, elle se manifesta plus souvent et apprit à ses fils à connaître les plantes médicinales ainsi que leur action si bien que ceux-ci se rendirent très céIèbres par leur savoir et leur art de guérir. .
Dans cette histoire, il ne s'agit pas seulement d'une relation instinctive érotique ; la femme de l'onde apporte à son mari la prospérité (comme Mélusine à Ragondin) et transmet à ses fils la connaissance des plantes médicinales qu'elle doit manifestement à son alliance avec la nature.
. Les interdictions ne sont pas toujours les mêmes .
Le manquement à la parole donnée arrive toujours par inadvertance ou par un hasard malheureux mais jamais de propos délibéré. Quoique les conditions imposées soient totalement irrationnelles, leur inobservance a des conséquences aussi inéluctables et irrévocables que les lois de la nature. Ces êtres à demi humains font en effet partie intégrante de la nature et ne disposent pas de la liberté de choisir qui est donnée à l'homme et lui permet de ne pas se conformer aux lois naturelles. Il peut par exemple être déterminé par des idées ou par des sentiments et peut ainsi dominer ses instincts.
Ce qui est significatif dans notre récit ce sont les trois circonstances où la fée aquatique reçoit le coup fatal.
La première occasion se présente à un baptême auquel eIle n'à pas envie d'assister, ce qui veut dire que sa nature païenne entraîne sa répugnance à participer à une fête chrétienne. On pensait à cette époque que les elfes craignaient tout ce qui était chrétien ; ils auraient été chassés par les P. 33 sermons des missionnaires et se seraient réfugiés dans la terre .
A la deuxième occasion, la femme éclate en sanglots lors d'une circonstance heureuse et à la troisième, elle trouble l'atmosphère de tristesse par ses rires inextinguibles : elle comporte donc de manière incongrue. Contrairement à ce qu'elle croit, son comportement n'est pas adapté à la situation. Ce qui se manifeste ici est resté indifférencié. Il est bien connu que les composantes de la personnalité restées inconscientes ou refoulées persistent sous une forme primitive et imprécise qui est inadéquate lorsqu'elle s'extériorise sans modification. C'est d'ailleurs ce que nous montre notre propre observation ou celle des autres. La nixe habitant dans l'eau, c'est-à-dire dans l'inconscient, représente la féminité à un stade semi-humain et à peine conscient. Dans la mesure où elle est mariée à un homme, on peut penser qu'elle représente son anima inconsciente et primitive, associée à un sentiment indifférencié qui déterminera les manquements. . ce sentiment auquel elle est inadapté n'est pas individuel mais collectif. Il est bien connu que la partie inconsciente de notre personnalité ( anima, animus, ombre) ou ses fonctions inférieures provoquent toujours des scandales qui nous conduisent à continuer à les refouler. La disparition de la nixe dans son élément décrit ce processus au cours duquel un élément inconscient apparaît à la surface mais est si peu coordonné au moi conscient qu'il disparaît à la moindre occasion. II suffit de très peu pour que cela se produise, ce qui montre à quel point ces contenus inconscients sont fugaces et vulnérables. C'est pour cette même raison que les elfes se vengent dès qu'ils sont méprisés ou contrariés. Ils sont extrêmement susceptibles et persévèrent souvent dans un ressentiment que rien ne peut entamer. Ces particularités sont aussi celles de l'anima, de l'animus et des fonctions indifférenciées. Ainsi cette sensibilité excessive que l'on trouve souvent chez des hommes par ailleurs très forts est le signe absolu que l'anima est en jeu. Ce caractère imprévisible, espiègle et souvent même méchant qui caractérise Ies esprits mythiques est le revers de leur fascinante beauté et c'est aussi une particularité de l'anima. Ces créatures sont totalement irrationnelles, bonnes et méchantes, secourables et nuisibles, bienfaisantes et destructrices, comme la nature dont elles font partie.
.l'anima n'est pas la seule à posséder les particularités dont nous venons de parler. On les trouve aussi chez la femme. En effet celle-ci est en général amenée par son destin biologique à rester plus près de la nature que l'homme et à s'y conformer dans une certaine mesure. L'image de l'anima se projette plus généralement sur ces femmes qui correspondent très exactement à la féminité inconsciente de l'homme.
. Dans les rêves, les fantasmes et les images de femme apparaissent des créatures de ce genre et surtout des nixes. Celles-ci peuvent représenter la féminité encore peu développée et demeurée primitive ou bien les fonctions inférieures de cette femme mais souvent ce sont les ébauches de la personnalité supérieure ou du moi.
Nous trouvons dans cette légende un autre trait caractéristique : la jeune fille de l'onde peigne sa chevelure P. 35 tout en se mirant dans le lac. Se coiffer est un moyen de séduction érotique. Le miroir en est un aussi ; ces deux attributs de la figure de l'anima se retrouvent souvent dans la littérature ou dans la sculpture. ( La superstition populaire fait du miroir un instrument magique. Il possède un pouvoir surnaturel car il donne l'image de l'ombre ou du double. Un miroir magique montre tout ce qui se passe dans le monde ; il annonce aussi l'avenir et dévoile principalement ce qui est secret ou caché. ) Mais le miroir a aussi une autre signification en tant qu'attribut de l'anima : celle-ci est, en effet, pour l' homme une sorte de miroir qui reflète ses pensées, ses souhaits, ses émotions. Pour cette raison, elle joue un rôle très important pour l'homme, en tant que représentation intériorisée ou que femme réelle ; il peut, grâce à elle, connaître des événements dont il n'est pas conscient. Mais il arrive souvent que cette fonction de l'anima, au lieu de l'amener à une plus grande conscience et à une meilleure connaissance de lui-même, ne fasse que Iui renvoyer une image flatteuse et le conduise aussi , parfois à s'apitoyer sur son sort. Ces deux actions grandissent le pouvoir de l'anima ce qui n'est naturellement pas sans danger. Il est dans la nature de la femme d'être un miroir pour l'homme et l'adresse étonnante qu'elle déploie dans ce domaine la rend particulièrement apte à être le support d'une projection de l'anima.
La belle Mélusine appartient à la lignée des Merfeien. ( cf. Paracelse considéré comme apparition de l'esprit, p§ 215) .. Le personnage de Mélusine est interprété comme étant l'anima, en rapport avec la symbolique alchimique et la conception de Paracelse selon laquelle les mélusines sont des âmes séjournant dans le sang.)
. Raymond, fils adoptif du comte de Poitiers, a tué celui-ci malencontreusement à la chasse. Resté inconsolable, il décide de prendre la fuite. Sa route le conduit à une clairière où il aperçoit trois femmes magnifiques assises près d'une source. Mélusine est l'une d' el1e. II lui confie sa douleur et elle lui dispense de bons conseils. II brûle d'un amour ardent et elle accepte de devenir sa femme à la conditiol1 qu'il lui permette de se retirer chaque samedi sans que personne n'aille alors J'épier. Raymond accepte et ils vécurent heureux pendant de longues années. Mélusine met au monde plusieurs fils qui présentent toutefois chacun une anomalie. EII~ fit construire un château superbe auquel elle donne un B)n-.. dérivé du sien : Lusinia, qui devient plus tard Lusignan. Dais alarmé par les bruits courant au sujet de Mélusine, son mari décide un jour de l'observer su brepticement ; il la trouve dans une salle réservée au bain et voit avec horreur qu'elle a une queue de poisson ou de serpent. Cette découverte semble tout d'abord ne pas avoir de suite, mais quelque temps plus tard la nouvelle lui parvient qu'un fils de Mélusine a mis le feu à un des cloîtres qu'elle a fondés et -lu.un de ses fils qui y était moine est mort. Lorsqu'elle veut onsoler son époux, il la repousse en disant : « Va-t-en, « ,errent abominable, corruptrice de ma noble lignée. « A ces mots, elle tombe à terre sans connaissance. Après être revenue à elle, éplorée, elle fait ses adieux à son époux et lui recommande de prendre soin des enfants ; elle s'envole par la fenêtre « en poussant un grand cri d'agonie » et disparaît. Par la suite, il lui arrive d'apparaître pendant la nuit pour s'enquérir de ses enfants dont certains sont encore jeune.ç et longtemps encore court la légende qu'elle hante la nuit les abords du château lorsque approche la mort d'un membre de la famille de Lusignan dont Mélusine passe encore pour être l'ancêtre. p.37
La condition posée par Mélusine consiste à pouvoir se retirer un jour par semaine dans son élément et prendre sa forme de nixe. C'est son secret et il ne doit pas être percé. Ce qui n'est ni humain ni évolué, la queue de poisson, ne doit pas être vu. Nous supposons que le bain hebdomadaire et le retour à l'état de nature auquel il est associé représentent une régénération. L'eau est par excellence un élément de vie ; elle est indispensable à son maintien ; . Marie est aussi appelée pégé : la source. Cette très ancienne notion d'une « eau de vie » possédant un pouvoir surnaturel ou celle de l' « aqua permanens » des alchimistes témoignent de la croyance aux propriétés magiques de l'eau. Les nymphes ou les fées habitant dans les sources à proximité présentent une certaine analogie avec cet élément de vie. De même que l'origine de la vie est un secret indéchiffrable, la nixe recèle aussi son mystère. Ces créatures sont d'une certaine façon les gardiennes des sources. .
L'anima exerce une fonction comparable : son nom, indique son caractère régénérant. Pour cette raison, elle apparaît souvent dans les rêves et l'imagination sous la forme de ces êtres féeriques.
Cf. rêve d'un jeune homme dont l'esprit est très rationnel et qui risque donc une certaine sécheresse de cour.
« Je traverse une épaisse forêt lorsque s'avance vers moi une femme recouverte de voiles sombres ; elle me prend par la main et dit qu'elle va me conduire à la source de vie. »
L'écrivain anglais William Sharp (1855-1905) relate ce souvenir d'enfance : au bord d'un petit lac entouré de platanes lui apparut un jour une belle dame blanche de la forêt. Il l'appela alors « Oil étoilé » et plus tard « Lady of the Sea » (Dame de la Mer) et il dit alors : « Je reconnus en elle celle qui est dans le cour de toutes les femmes. » Cela indique nettement qu'elle est l'image archaïque de la féminité et donc une forme de l'anima.
L'anima représente la relation à la source de vie se trouvant dans l'inconscient. Quand cette relation n'existe pas ou quand elle est interrompue, il s'ensuit un état de stagnation ou d'aboulie qui perturbe tellement celui qui en est atteint qu'il est contraint d'aller consulter un psychothérapeute. P. 39
Poème NUIT D'HIVER de G. Keller..
La nixe prisonnière de la glace correspond à la princesse ensorcelée de la montagne de verre... Le verre comme la glace forme une sorte de cuirasse froide, dure et rigide qui retient prisonnier un principe vivant ; celui-ci devra s'en échapper pour être libéré.
.. un autre trait important .. : lorsqu'un fils de Mélusine met le feu au cloître fondé par sa mère, apparaît nettement l'antagonisme entre les elfes et la chrétienté. D'autre part, dans beaucoup de versions, ces créatures semblent exprimer le souhait d'être délivrées.
Paracelse a écrit un traité au sujet de ces êtres élémentaires que sont les nymphes, les sylphes, les pygmées et les salamandres ; il dit qu'ils ressemblent à l'homme mais ne descendent pas d'Adam et n'ont pas d'âme. Ce sont les êtres aquatiques qui ressemblent le plus aux humains et font le plus d'effort, pour entrer en relation avec eux. « Ce ne sont pas seulement des êtres que l'on peut voir, il leur arrive de se marier et d'avoir des enfants ». II écrit plus loin : « On dit donc des nymphes qu'elles sortent de l'eau et viennent à nous, et qu'elles sont assises au bord des ruisseaux ; c'est là qu'elles habitent, et qu'elles sont vues, capturées, et épousées . Leur union avec un homme leur permet de recevoir une âme . Elles sont comme le païen qui demande le baptême et fait de son mieux pour recevoir une âme et trouver la vie dans le Christ. »
. Le thème de « Ondine » . vit renaître l'idée d'une nature animée et où . il fut question d'inconscient.
Le thème principal de ce récit est l'absence d'âme de la nymphe (comme la Petite Sirène).
Ondine est la fille d'un roi de la mer régnant en Méditerranée. Son père souhaitait qu'elle reçût une âme et il la fit conduire secrètement chez un couple de pêcheurs qui, croyant son propre enfant noyé, prit en remplacement l'entant trouvé. Avec l'âge, Ondine devint une gracieuse jeune fille mais elle déconcertait souvent ses parents adoptifs par son caractère étonnamment enfantin et constamment enclin à faire des niches.
Une nuit de tempête, un chevalier, qui passait par là, cherche asile dans la cabane du pêcheur. Ondine, à l'ordinaire pourtant timide, s'approche de lui avec confiance. Il est charmé par ses traits et ses manières enfantines et la tempête ayant à point nommé jeté là aussi un père de l'Eglise, celui-ci les unit. Mais lorsque Ondine avoue à son époux qu'elle n'a pas d'âme, celui-ci en conçoit un étrange malaise et, malgré tout son amour, il est tourmenté par l'idée d'être marié à une elfe. Elle le prie instamment de ne pas P.41 la répudier, car, comme toute les elfes, seul un lien d'amour peut lui donner une âme ; elle ne pose qu'une seule condition : qu'il ne lui adresse jamais de paroles méchantes, particuIièrement sur l'eau ou à proximité, sinon les habitants de cet élément, soucieux de son bien, viendraient la reprendre.
Le chevalier l'emmène dans son château et, un jour, surgit la fatalité sous la forme d'une demoiselle qui avait espéré l'épouser. Ondine la reçoit aimablement mais cependant elle devient toujours plus inquiétante aux yeux de son mari. Un jour qu'ils étaient en bateau sur le Danube, il en vient à exprimer ce sentiment : alors qu'elle sortait de l'eau non pas le collier de Berthalda qui y était tombé mais un autre en corail, il la traita de sorcière et de menteuse. Entendant, cette offense, elle se jette pardessus bord et disparaît dans les flots tout en exhortant son mari à lui rester fidèle, sinon les esprits aquatiques se vengeraient.
En dépit de cet avertissement, le mariage du chevalier et de Berthalda doit bientôt être célébré. Ce jour-là, l'épousée donne l'ordre qu'on aille lui chercher l'eau de beauté dans la fontaine du château qu'Ondine avait fait bloquer pour en éviter l'accès aux esprits aquatiques. Après que la pierre a été retirée, on voit sortir de la fontaine la blanche silhouette d'Ondine recouverte de voiles. En pleurs, elle s'approche du château et frappe doucement à la fenêtre de son mari. Dans un miroir il la voit venir à lui ; tout en s'approchant de son lit, elle lui dit : « Ils ont ouvert la fontaine et maintenant je suis là et toi, tu dois mourir.-» Tout en se dévoilant, elle l'embrasse et il meurt de ce baiser.
.
..la catastrophe est provoquée par le conflit entre l'anima, élément naturel, et la femme réelle ; c'est aussi ce qui se produit dans la légende de Siegfried et c'est aussi ce qui dans la vie est source de bien des difficultés. Cela exprime l'opposition entre deux mondes, l'extérieur et l'intérieur ou encore, entre le conscient et l'inconscient et il me semble que la noble tâche de notre époque soit de les concilier.
Une légende bretonne, le Lai de Lanval décrit une expérience de l'anima d'un autre genre.
Le chevalier de ce nom appartient à l'entourage du Roi Arthur ; il a le sentiment d'être méprisé car il est moins fortuné et ne peut mener grand train de vie. Un jour, il rencontre, près d'une source là aussi, une belle demoiselle qui le conduit à sa maîtresse qui était plus belle encore ; celle-ci l'héberge avec magnificence et lui offre ses dernières faveurs mais pose la condition que cela reste secret ; elle lui donne en outre le pouvoir de réaliser ses voux ; dès qu'il souhaite sa présence, elle lui apparaît ; et tous ses autres souhaits se trouvent aussi réalisés ; il peut alors vivre somptueusement et acquérir une considération qui va grandissant. La reine elle-même le remarque et lui offre son amour. Il le refuse ; vexée elle le contraint à avouer son amour pour une femme dont la beauté est plus grande encore. Furieuse elle exige du roi qu'il convoque un tribunal devant lequel il doit se disculper de l'offense qu'il lui a faite. Pour cela il doit apporter la preuve que sa bien-aimée est réellement aussi belle qu'il l'affirme. Il se trouve alors dans le plus grand embarras car il ne peut plus faire apparaître sa bien-aimée ayant dévoilé le secret de son amour. Tout espoir semble perdu lorsque survient celle-ci accompagnée de quatre jeunes filles ravissantes, vêtues d'une robe blanche et d'un manteau de pourpre et caracolant sur un palefroi blanc somptueusement paré : la Beauté personnifiée. Lanval est alors innocenté car tous se trouvent dans l'obligation d'avouer qu'il P.43 n'a pas exagéré. A la fin, la fée prend son amant sur son cheval et l'emmène dans son royaume. (Paracelse relaIe une légende allemande analogue.. de même les Frères Grimm.. C'est l'histoire d'un chevalier de Staufenberg qui, un jour qu'il allait sur son cheval à l'église, aperçoit une jeune fille d'une merveilleuse beauté assise esseulée à l'orée d'une forêt. Il apparut que c'était lui qu'elle attendait. Elle lui confia aussi qu'elle l'avait toujours aimé et qu'elle était restée à ses côtés pour lui assurer aide et protection. Ils décidèrent alors de se fiancer. Elle est, elle aussi, une fée qui vient chaque fois qu'il en fait le vou ; elIe lui procure la fortune à la condition qu'il ne se lie jamais à aucune autre femme. Mais lorsqu'un jour, poussé par sa famille, il s'apprête pourtant à le faire, elle le met en garde puis provoque sa mort dans les trois jours. Cette jeune fille qui a aimé le chevalier depuis toujours représente évidemment sa composante féminine ; son exigence d'exclusivité est une caractéristique de l'anima qui est souvent la cause de grandes difficultés et de conflits.)
L'éloignement dans le domaine des fées est aussi très important sur le plan psychologique. Dans la tradition celte, ce royaume n'a pas le caractère effrayant et angoissant qu'il a par ailleurs. Ce n'est pas le domaine des morts, on l'appelle au contraire « Pays des vivants » ou « Pays sous les flots » ; .. « les îles des jeunes filles ». Leurs habitants, d'une jeunesse et d'une beauté éternelles, jouissent d'une existence remplie par la musique, la danse et les joies de l'amour. Les fées y sont chez elles et aussi la célèbre Morgane (fata Morgana) dont le nom signifie : née de la mer ; c'est dans ces îles qu'elles conduisent les hommes qu'elles aiment. Cet Elysée comparable aux jardins des Hespérides est, sur le plan psychologique, un pays de rêve dans lequel il est tentant et agréable de séjourner mais qui présente cependant des dangers.
C'est dans ce domaine que règne l'anima et c'est là aussi qu'elle entraîne. Il semble qu'on ait autrefois ressenti le danger d'être englouti par ce monde, c'est-à-dire dans l'inconscient. Dans beaucoup d'ouvres poétiques on trouve en effet un chevalier envoûté par l'amour, qui oublie son activité d'homme et de chevalier et coule des jours heureux en compagnie de sa dame, étranger au monde et à la réalité.
Un exemple particulièrement frappant.. la légende de Merlin l'Enchanteur. A bien-aimée, la fée Viviane, grâce au pouvoir magique dont elle lui a volé le secret, J'enchaîne par d'invisibles liens et le maintient captif dans un buisson d'aubépines dont il ne peut se libérer.
Ce récit est très significatif car le personnage de Merlin incarne la pensée et la clairvoyance qui font défaut aux hommes qui l'entourent. C'est un être démoniaque et méphistophélique qui représente l'intellect in statu nascendi, c'est-à-dire dans sa forme primitive. C'est la cause de son pouvoir magique ; mais l'élément féminin, parce qu'il se trouve négligé, le conduit à rechercher Eros et rend prisonnier de la Nature cet homme identifié au principe du logos. . P. 45 .
.Lieu de joie et de plaisirs amoureux dans lequel Vénus mène la danse. . ElIes racontent toute l'histoire d'un homme attiré en ces lieux où il est retenu par une femme ensorcelante ; il ne retrouvera pas le chemin du retour ou alors ce ne sera qu'à grand-peine.
.. Calypso. Circé . P.47 Le rêve d'amour de Poliphilo, Francesco Colona : un moine décrit comment la femme de ses rêves, la nymphe Polia, lui montre et lui fait vivre une série d'images et de scènes très symboliques appartenant à l'Antiquité classique ; elle finit le conduire à Cythère où Vénus leur donne sa bénédiction.
. « Le Paradis de la Reyne Sibylle » d l'Antoine de La Sale G6, . 'ne caverne au flanc de la montagne passait pour être l'entrée du pal3is de la reine Sibylle dont le royaume correspond exactement au Venusberg. La légende ressemble à cclle de Tannhaüser avec toutefois une différence : la rémission de ses péchés est promise au chevalier repentant. Mais son écuyer lui fait croire que le pape n'a pas dit la vérité et veut les mettre en prison. Pour échapper à cette peine ils retournent tous les deux au paradis de la reine Sibylle.
Chaque vendredi à minuit la reine et ses dames d'honneur se retirent dans leurs appartement et prennent alors la forme d'un serpent ; cela rappelle la légende de Mélusine. .Dans cette version, le Venusberg est identique au Mont de la SybiIIe. Selon Desonay, il s'agirait de ..celle qui montra à Enée le chemin conduisant aux enfers en lui indiquant où se trouvait le rameau d'or qui en permettait l'accès Cette version s'est manifestement superposée à celle de la caverne du Monte della Sibilla située elle aussi près d'un lac dont on disait qu'il était l'entrée du paradis de la Sibylle.
Desonay suppose que cette grotte a été consacrée aussi à Cybèle, la mère des dieux . En tant que dispensatrice de la vie et déesse de la fécondité, elle règne sur les eaux ; en tant que mère de la montagne et patronne des animaux, elle aime et domine la nature sauvage. Elle accorde le don de prophétie mais peut aussi provoquer la folie et son culte orgiaque est apparenté à celui de Dionysos. . ses prêtres devaient s'émasculer pour célébrer le culte de cette déesse.
..ceux qui sont gardés dans le P.49 royaume des fées (On pourrait aussi l'appeler le « Royaume des mères » mais je préfère l'autre expression car dans ce récit, ce n'est pas l'aspect maternel de la femme mais celui d'Eros qui est au premier plan.) subissent aussi une sorte de castration, ils perdent leur virilité et se féminisent. Il y a cependant une grande différence : ceux-ci succombent à une séduction et tombent sous le charme de la femme tandis que les prêtres de Cybèle offrent un sacrifice à la déesse.
[1 est aisra'ëèômparer - le- càffié~reCIe la déesse Cybèle 1 celui de la « Reyne Sibylle » même si l'hypothèse ne peut être justifiée sur le plan archéologique.
)ans le paradis de la Sibylle se trouvent réunis presque tout ce que nous avons trouvé dans les différentes légendes des femmes-cygnes, des nixes et des fées. Il s'agit d'une donnée archétypique fondamentale. .
La Grande Mère, la Devineresse, la Déesse de l'Amour présentent différents aspects de la féminité originelle et donc de l'archétype de l'anima.
..Carl Kerenyl conclut que finalement Cybèle et Aphrodite ne faisaient qu'une et qu'elles étaient toutes les deux comparables à la Déesse Nature. Cette grande divinité se reflète dans les êtres mythiques dont nous avons parlé ainsi que dans leur légende et leurs caractéristiques sont aussi celle de l'anima.
Les femmes-cygnes et les nymphes ne représentent pas les seules formes que peut prendre un être élémentaire féminin. Mélusine a été traitée par son mari de serpent et, en fait, celui-ci peut aussi représenter la féminité, une féminité encore plus primitive que le poisson ou l'oiseau ; mais en même temps on lui attribue l'intelligence et la sagesse. Il est dangereux parce que sa morsure est venimeuse et qu'il peut aussi nous étouffer mais il peut aussi nous fasciner.
Le serpent apparaît dans beaucoup de mythes et de contes mais il n'a pas toujours un caractère nettement féminin. Il se manifeste aussi dans les rêves et les fantasmes des hommes et des femmes comme une image de la libido très ancienne et indifférenciée et rarement comme une composante de l'âme consciente ou susceptible de le devenir.
Il arrive cependant qu'il ait nettement les caractéristiques de l'anima. . Jung mentionne le rêve d'un jeune homme dans lequel un serpent féminin a un comportement « tendre et insinuant » et s'adresse à lui avec une voix masculine.
Un autre homme voit parfois dans son jardin une couleuvre à collier et il lui semble qu'elle le regarde avec des yeux étrangement féminins, comme si elle voulait entrer en relation avec lui.
Dans un conte d'Hoffmann, Le Pot d'or, l'être élémentaire apparaît sous la forme d'un serpent ou plus exactement d'un « triple petit serpent d'un vert doré ». Ce reptile qui regarde le héros de l'histoire avec « une ardeur indicible » deviendra une véritable figure de l'anima ; elle est en possession du pot en or, c'est-à-dire d'un récipient où se reflète « le merveilleux pays de l'Atlantide » qui, étant englouti sous la mer, représente l'inconscient P. 51 Serpentine en montre à Anselme les images, remplissant alors une fonction typique de l'anima. Elle l'aide en outre à déchiffrer un texte mystérieux écrit sur une feuille d'un vert émeraude qui est évidemment une feuille du livre de la nature.
Le danger que représente l'anima est plus marqué quand elle apparaît sous la forme d'une bête féroce, ce qui arrive souvent dans les rêves et les fantasmes. Un homme rêve par exemple qu'une lionne, ayant quitté sa cage, s'approche de lui et se caresse à lui. Elle se métamorphose en femme, devient alors menaçante et veut le dévorer. Des tigres, des panthères, des léopards, principalement des fauves, apparaissent fréquemment dans des rêves de ce genre. En Chine, la renarde joue un rôle important ; elle se manifeste sous les traits d'une jeune fille mais elle est facilement reconnaissable à sa queue. Elle présente souvent un caractère fantomatique et passe pour être l'incarnation de l'esprit d'un mort. Les femmes aussi ont souvent des rêves de ce genre ; s'il s'agit d'une femelle, elle représente alors l'ombre de la rêveuse ou sa féminité primitive.
La figure la plus impressionnante de la littérature moderne qui montre l'anima élémentaire possédant en même temps les caractéristiques d'un serpent et celles d'un fauve est l'Antinéa du roman de Pierre Benoît, l'Atlantide. Elle a la beauté de Vénus, l'intelligence du serpent et la cruauté d'un animal féroce ; elle exerce une fascination irrésistible sur tous les hommes qui viennent dans son royaume. Mais ils sont tous anéantis par leur amour . Antinéa affirme être originaire de l'Atlantide et descendre de Neptune ; elle aussi est donc née de la mer comme Morgane ou Aphrodite. Elle est une figure de l'anima absolument destructrice; ceux qu'elle envoûte perdent leurs qualités et leurs vertus masculines et finissent par trouver la mort.
Ces exemples montrent qu'un trop grand assujetissement à l'anima entraîne toujours cette conséquence fatale que l'on peut comparer à la castration des prêtres de Cybèle.
Sur le plan psychologique, il est intéressant de constater qu'Antinéa considère son oeuvre funeste comme une vengeance exercée sur l'homme qui a exploité et malmené les femmes pendant des siècles. Dans la mesure où elle incarne la partie négative de l'archétype féminin, il s'agirait de la vengeance du principe féminin pour la dévalorisation dont i1 a été victime.
Dans beaucoup de légendes, un être élémentaire aspire à se lier à un homme et à être aimé de lui afin de recevoir une âme ; cela veut simplement dire qu'une composante de la personnalité inconsciente et encore indifférenciée cherche à s'intégrer à la conscience, ce qui lui permettra de prendre vie. Cette aspiration s'exprime aussi dans les rêves. Jung en donne un exemple : Un jeune homme rêve qu'un oiseau blanc entre dans sa chambre. Celui-ci se métamorphose en une fillette de sept ans qui s'assied à sa table puis reprend la forme d'un oiseau, mais s'exprime avec une voix humaine. Il représente un être féminin qui voudrait être accueilli dans la maison du rêveur, mais il n'est encore qu'un enfant c'est-à-dire inachevé, ce qu'exprime aussi son retour à l'état d'oiseau. C'était une première apparition de la figure qui émerge au seuil de la conscience et n'est encore qu'à demi humaine.
L'inconscient n'a pas seulement tendance à persévérer dans son état primitif ou bien à absorber ou supprimer ce qui est devenu conscient mais il agit aussi dans la direction P. 53 opposée ; il y a des contenus de l'inconscient qui tendent à devenir conscients et ceux qui, comme les elfes, se vengent qu'il n'en soit pas tenu compte. Il semble que ce désir d'arriver à la conscience provienne des archétypes et soit comme propulsé par une sorte d'instinct. Nous ne connaissons pas ce qui déclenche ce processus et n'en connaissons pas la nature. C'est un des secrets inexplorés de la psyché et de la vie.
Dans les exempIes cités, la tendance à devenir conscient s'exprime ainsi : des êtres encore à demi humains et prisonniers de la nature désirent s'approcher d'un être humain, c'est- à- dire de la conscience et être accueillis par lui. .. Dans bien des cas, ces êtres élémentaires ont un père qui est plus ou moins caché. .
Dans les rêves modernes ainsi qu'en imagination active, la figure de l'anima apparaît souvent accompagnée de son père. Il semblerait que cela prouve qu'il y a dans l'inconscient, à la base du principe féminin, un facteur masculin intellectuel auquel serait dû la connaissance des choses cachées que possèdent les êtres élémentaires.Jung appelle cette figure « le vieux sage » ou « l'archétype du sens » tandis qu'il appelle l'anima « l'archétype de la vie ».
Cet élément signifiant qui est placé dans l'inconscient permet à la conscience de se développer.. On peut le comparer de la « lumen naturae » dont Paracelse dit qu'elle est une lumière invisible que l'on « connaît par les rêves » .
.Ils (les êtres élémentaires) ont tous des particularités et un comportement semblables que l'on peut comparer à ceux de l'anima : ils représentent le principe d'Eros ; en outre les êtres élémentaires transmettent un savoir caché tandis que l' Anima informe sur les contenus de l'inconscient. L'un et l'autre exercent une fascination et possèdent un pouvoir considérable qui peut devenir malfaisant particulièrement lorsque certaines conditions n'ont pas été observées, celles requises par la relation entre l'homme et l'être élémentaire ou entre le moi conscient et l'anima. C'est la raison pour laquelle. la relation est interrompue ou rendue impossible. Cela montre la difficulté de ces unions ainsi que la relation à l'anima. . elle impose à l'homme certaines exigences. C'est un facteur du psychisme qui demande à être pris en considération et ne peut être négligé comme l'homme a généralement tendance à le faire car son penchant naturel est de s'identifier à sa virilité.
Bien sûr il ne faudrait pas que, en se mettant au service de l'anima, il abandonne ou perde sa virilité ; il doit seulement concéder une certaine place au principe féminin qui fait aussi partie de son être. C'est ce qu'il fait lorsqu'il reconnaît et réalise l'Eros c'est-à-dire le principe de la relation. Il faut donc qu'il ait conscience de son sentiment P.55 et surtout qu'il l'utilise car, pour nouer et maintenir une relation, il ne peut se passer de ce jugement de valeur.
L'homme est par nature enclin à établir des relations avec les choses, par exemple avec son travail ou tout autre sujet d'intérêt. La femme de son côté préfère les relations personnelles comme c'est le cas pour l'anima. )ur cette raison elle cherche par tous les moyens à y entraîner aussi J'homme auquel cela rend parfois service. Mais il faut pour cela que cet élément féminin soit intégré au conscient. S'il agit de manière autonome, il perturbe ces relations ou les rend impossibles.
. il est indispensable de se confronter aux contenus de notre inconscient. Pour cela il est très important que l'homme soit en relation avec son anima et la femme avec son animus. Habituellement l'anima est d'abord projetée sur une femme réelle ; cela peut amener l'homme à en prendre conscience, . mais cela peut aussi l'entraîner à une trop grande dépendance dont les conséquences, peuvent être fatales.
. il lui est difficile de connaître l'anima qui est en lui tant que dure cette relation. Pourtant il voit souvent dans ses rêves des femmes qui peuvent être identifiées à une femme réelle. Elles représentent généralement « l'Etrangère », « l'Inconnue » ou « la femme voilée » ; quelquefois il s'agit d'un être qui n'est pas véritablement humain . De tels rêves sont généralement impressionnants et d'ordre affectif et permettent de penser qu'il s'agit d'une entité de l'âme avec laquelle il lui faut entrer en relation.
Dans la littérature, il est souvent question de ces figures, des circonstances qui les entourent et de leur influence, mais il est rare que leur fréquentation se termine bien. La seule raison semble en être que la personne n'a pas atteint l'état de conscience nécessaire. Pour avoir accès à l'inconscient, il est indispensable que le moi soit suffisamment déterminé et solide pour ne pas être dominé et anéanti par l'inconscient. Il est aussi nécessaire d'avoir un moi clairement conscient pour maintenir une telle relation car les figures de l'inconscient, bien qu'elles tendent à être accueillies par l'homme, c'est-à-dire dans la conscience, sont par nature fugitives et retournent facilement d'où elles viennent .
. La confrontation de notre propre personnalité avec les figures de l'inconscient permet de les distinguer du moi et en outre de les mettre en relation avec lui, ce qui exerce une influence d'un côté comme de l'autre.
.. très bel exemple de cette situation dans Libussa, conte d'origine tchèque.. .Il y est question d'une nymphe liée à un arbre ; :elle-ci, voyant son chêne menacé, demande protection à un jeune écuyer nommé Krokus. Pour le récompenser de ses services elle lui permet de fa ire un vou : gloire et honneur, richesse ou bonheur en amour. Mais il n'en choisit aucun ; il désirait « se reposer des fatigues du combat » et entendre de la bouche de la nymphe « des leçons de sagesse afin de déchiffrer l'énigme du futur ». Ce souhait lui fut accordé ; elle venait le voir chaque soir au crépuscule et ils se promenaient dans les roseaux au bord de l'étang.
« Elle initia son élève attentif aux secrets de la nature, lui P.57 apprit l'origine et le sens des phénomènes et lui en montra le caractère à la fois naturel et sacré ; elle fit de ce guerrier inculte un savant et un sage.
Grâce à la fréquentation de cette belle jeune fille de l'ombre, ses sensations et ses sentiments s'affinaient et, de son côté, la douce nymphe paraissait prendre plus d'épaisseur et de consistance. . C'est une description très convaincante de la double action provoquée par une relation avec l'anima. Celle-ci prend plus de consistance, devient plus réelle et plus vivante tandis que l'homme apprend la valeur du sentiment, devient de surcroît un « penseur et un sage ». Le conte se termine comme on peut s'y attendre 76 : ils vécurent longtemps ensemble mais un jour la nymphe quitta son mari car elle prévoyait la fin inéluctable de son chêne. Celui-ci fut frappé par la foudre et la vie de la nymphe restant, malgré son caractère humain, liée à celle de l'arbre, elle disparut pour toujours. W ïIliam ;Sh~rp 77, :crlvaln rtllglais connut avec son anima une relation curieuse et à ma Connaissance
unique. Son père, un commerçant, voulut lui faire étudier la jurisprudence, ce qui pourtant ne lui convenait pas. Puis il travailla trois ans dans une banque londonienne, ce qui lui déplut aussi. Il abandonna cet emploi et se consacra à la critique littéraire et artistique et publia également des poèmes, ce qui lui donna l'occasion de connaître les milieux artistiques et littéraires de Londres. .pour des raisons de santé, il renonça à enseigner à l'université .En plus de son activité de critique et d'inteIIectuel, il consacrait une part importante de sa vie aux rêves et à l'imagination ; il l'appelait la « vie verte» car elle était très étroitement liée à la nature pour laquelle il ressentait un amour profond. . Lorsqu'on lui demanda comment il en était venu à écrire sous le nom d'une femme, Sharp répondit : « Je p.59 peux ainsi écrire avec mon cour . Ce sentiment exaltant de ne faire qu'un avec la nature, cette extase et cette élévation cosmique, cette échappée jusqu'à l'extrême limite du monde connu, tout cela fait tellement partie du romantisme de la vie que je ne pourrais pas l'exprimer si je ne prenais pas une autre personnalité. » Il tenait secrète son identification à Fiona McLeod et ses amis eux-mêmes ne le surent que beaucoup plus tard. . Il écrivit un jour à sa femme : « W.S. et F.M. deviennent chaque jour plus nettement deux personnes distinctes, unies parfois par l'esprit, d'autres fois complètement différentes. » Pour son anniversaire, il avait coutume d'échanger des lettres avec Fiona dans lesquelles il lui exprimait sa reconnaissance tandis qu'elle lui prodiguait des conseils.
En l'occurrence l'anima atteint un degré extrême de réalité. Cela tient peut-être à une disposition particulière de W. Sharp mais, dans le principe cela correspond à ce que nous entendons par relation à l'anima ou par son intégration telles que chacun peut Ies réaliser dans une certaine mesure. L'intégration de l'anima, c'est-à-dire de l'élément féminin, dans la personnalité consciente de l'homme est inséparable du processus d'individuation. A ce propos, il nous faut tenir compte d'un point important ; l'élément féminin qui doit être intégré ne représente qu'une partie de l'anima son aspect personnel. Car l'anima est aussi l'archétype de la féminité et celIe-ci étant par définition suprapersonnelle ne peut être assimilée.
.derrière les êtres élémentaires ..se trouvent les figures divines de Cybèle et d'Aphrodite et, pour finir, la déesse de la nature. Cet arrière-plan archétypique explique la force irrésistible qui émane des figures de l'anima. Lorsque c'est la nature elle-même qui s'oppose à nous, il est compréhensible qu'elle soit la plus forte et nous laisse sans défense. Cela arrive surtout lorsque l'aspect archétypique de l'anima n'est pas différencié de l'aspect personnel. S'il y a confusion, l'anima personnelle devient toute puissante ; c'est pourquoi il est de la plus haute importance de distinguer ce qui est personnel de ce qui ne l'est pas. Dans les rêves ou dans les fantasmes cela aboutit souvent à la mort de la figure supra-personnelle de l'anima. J'ai eu connaissance d'un fantasme dans lequel elle monte au ciel alors qu'une femme ordinaire reste sur la terre. A la fin du « rêve d'amour de Poliphilo » .. la nymphe Polia disparaît dans les airs « comme une image céleste et déifiée ».
Jung relate le rêve d'un homme dans lequel l'anima se dresse à la place de l'autel dans une église ; c'est une femme d'une taille gigantesque et son visage est voilé. Lorsqu'elle est archétypique, l'anima est d'une taille surhumaine et habite dans les lieux célestes, comme les idées platoniciennes. Même si elle est distincte de la composante féminine personnelle de I'âme, elIe reste à l'arrière-plan en tant qu'image première et déterminante. Il faut considérer avec respect celle que l'on appelle la Grande Mère, la Déesse de l'Amour, l'Impérieuse Maîtresse. L'homme doit se confronter à son anima personnelle, sa propre féminité et celle-ci doit l'accompagner et le compléter mais elle ne doit pas le dominer.
Dans ce livre j'ai essayé de présenter l'anima en tant qu'être élémentaire et n'ai pas abordé ses manifestations supérieures, comme celle de Sophia par exemple. .
La reconnaissance et l'intégration de l'anima suscite en général une nouvelle attitude devant la féminité. Cette considération nouvelle pour le principe féminin conduit également à respecter la nature.p.61 . A Notre époque où des forces divisent dangereusement les peuples et les individus comme elles divisent l'atome, il est indispensable de rendre efficaces celles qui contribuent à un rapprochement et à une cohésion. La vie repose sur l'équilibre harmonieux des énergies masculines et féminines, dans l'être humain comme hors de lui. Une des tâches les plus importantes de la psychothérapie moderne consiste à opérer la conjonction des contraires.

CONTRIBUTION AU PROBLEME DE L'ANIMUS

Selon une conception primitive et proche de la nature, l'âme ne serait pas une entité mais plutôt un phénomène qui se présente sous des formes indéfiniment variées. .des esprits ou des âmes habitent les êtres humains..nous retrouvons ces croyances à propos des géants et des nains ~ qu'ils soient bons ou méchants ~, des fées ou des magiciens, souvent aussi à propos de l'esprit des morts ou d'animaux. Ces représentations trouvent leur origine dans cette sensation que nous pouvons parfois éprouver d'être envahis par P.63 des états ou des élans de l'âme ; elles peuvent être causées par l'émergence d'impulsions, de sentiments, de pensées, d'images qui paraissent totalement étrangers. Ces émotions sont souvent si complètement opposées à nos pensées ou à nos intentions qu'elles nous paraissent émaner d'un être qui aurait une existence autonome et séparée de nous.
Quand Saint Paul dit : « Le Bien que je veux, je ne le fais pas, mais le mal que je ne veux pas, je le fais . » , il exprime la même expérience : à savoir que parfois se manifeste en nous une volonté qui nous est étrangère et qui fait le contraire de ce que nous voulons ou approuvons. Cette autre volonté ne fait pas nécessairement le mal, elle peut au contraire vouloir le meilleur, et elle est alors ressentie comme un être supérieur qui nous guide et nous inspire, comme un esprit protecteur ou un génie au sens du démon familier de Socrate. . il s'agit simplement d'un Autre qui prendrait le pas inopinément, étranger à ce que nous voulons ou pensons, un Autre qui susciterait l'impression que nous sommes animés ou possédés par des esprits inconnus.
L'expérience de l'activité onirique ou fantasmatique .. constitue une autre source de ce type de représentations.
Le rationalisme scientifique avait oublié l'importance de ces phénomènes et considéré que la conscience de soi formait la totalité de la psyché. .. le moi conscient ne constitue qu'une partie de la psyché : certaines manifestations qui apparaissent dans des conditions inhabituelles de la vie psychique peuvent difficilement s'expliquer autrement que par l'existence de domaines qui demeurent étrangers à la conscience de soi ; .Ce sont ces domaines de l'âme que l'on a pris l'habitude de désigner sous le nom d'inconscient. .
. un nombre d'images ou de figures typiques . plus que d'autres émergent en tout temps et en tout lieu .. les personnages du héros, du monstre, du magicien, de la sorcière, du père, de la mère, du vieux sage, de l'Enfant . P.65 Jung nomme ses figures : « images archaïques ou archétypiques » .
Parmi ces archétypes, il en est particulièrement deux qui revêtent une importance particulière parce que, d'une part, ils font partie de la personnalité et que, d'autre part, ayant leurs racines dans l'inconscient, ils forment une sorte de pont entre ce qui est personnel et impersonnel, ainsi qu'entre le conscient et l'inconscient. Ces deux figures dont l'une est masculine et l'autre féminine, Jung les a appelées Animus et Anima. Par ces termes, il entend un système de fonctions agissant de manière à compenser la personnalité extérieure ; c'est en quelque sorte une personnalité interne présentant des qualités qui échappent à la personnalité extérieure, consciente et manifeste. Ce sont ces qualités féminines chez l'homme, masculines chez la femme qui, normalement et dans une certaine mesure, sont toujours présentes mais ne trouvent pas leur place chez un être tourné vers l'extérieur parce qu'elles gènent l'adaptation à son milieu ou à l'idéal établi.
Cependant, le caractère de ces figures n'est pas seulement déterminé par les tendances qui sont celles de l'autre sexe, mais il est aussi conditionné par les expériences que chacun fait au cours de sa vie avec ses partenaires de même sexe ainsi que par la représentation collective innée que l'homme porte en lui de la femme, et la femme de l'homme. Ces trois facteurs se condensent dans un ensemble qui n'est pas seulement une image ou une expérience vécue, mais plutôt une sorte d'entité dont le fonctionnement s'intègre difficilement aux autres fonctions psychiques. Cette entité suit en effet ses propres lois et intervient dans la vie comme un élément étranger, tantôt utile, tantôt dérangeant, voire destructeur. .il s'agit là de réalités psychiques.. d'un processus psychique.. Je me limiterai à traiter des manières dont l' Animus se manifeste dans sa relation à l'individu et au conscient.

1. Comment se manifeste l'Animus.

Qu'est-ce qui caractérise un être masculin ? Dans l'ouvre de Goethe, Faust, alors qu'il traduit l'Evangile selon saint Jean, se demande si la phrase « au début était le verbe » ne signifierait pas plutôt : « au début était la force » ou « le sens » et il écrit pour finir « au début était l'action ». Il semble que ces quatre termes, qui reproduisent le « logos » grec, définissent en fait la quintessence de l'être masculin.
.une progression dont chaque étape est présente dans la vie comme dans le développement de l'Animus. Nous trouvons en premier la force, puis l'action, le verbe, et pour finir le sens. Au lieu de force, il serait P.67 préférable de parler de force dirigée, c'est-à-dire de volonté, car la force à elle seule n'est pas encore humaine ni non plus spirituelle. . cet ensemble .. présuppose une prise de conscience. Sans elle, on ne peut concevoir ni volonté, ni action, ni verbe, ni sens. De même qu'il y a des hommes qui se distinguent par leur force physique, d'autres par l'action, par le verbe ou le sens, l'image de l'Animus possède aussi des caractéristiques différentes qui correspondent chacun à un stade de l'évolution féminine ou aux prédispositions de la femme. Cette image est, d'une part, projetée sur un homme réel qui lui ressemble et auquel revient de ce fait le rôle de l'Animus : elle apparaît d'autre part dans les rêves ou dans les fantaisies de l'imagination et peut finir par donner une certaine coloration au comportement général parce qu'elle représente une réalité psychique vivante. Pour des femmes frustes ou jeunes, ou pour la part qui est restée primitive en chacune d'entre elles, un homme doué de force et d'adresse physique devient naturellement un représentant de l'Animus comme le sont par exemple les héros légendaires, les vedettes sportives,. cow-boys, toréadors, aviateurs, etc. Pour celles qui nourrissent de plus grandes exigences, il s'agira d'un homme qui accomplit des exploits, c'est-à-dire qui exerce sa force vers un but doué de valeur. Les limites sont ici généralement fluctuantes, car la force et l'action se conditionnent mutuellement. Enfin, les hommes du verbe ou du sens marquent essentiellement la direction spirituelle car paroles et sens correspondent à des facultés de l'esprit. Ce sera donc à ce stade que nous trouverons l' Animus au sens restreint du terme, signifiant le guide spirituel et les dispositions intellectuelles de la femme. C'est à ce niveau surtout qu'il est problématique.
Les stades de la force et de l'action sont en effet projetés dans la figure du héros. Mais il existe aussi des femmes chez qui cette sorte de masculinité se trouve déjà harmonieusement intégrée à leur nature féminine et peut dès lors s'exercer librement. Ce sont les femmes actives, énergiques, courageuses et résolues. Chez d'autres, en revanche, l'intégration se fait mal et l'attitude masculine envahit et refoule la féminité ; ce sont les viragos énergiques, brusques et brutales, les Xanthippes (Xanthippe, femme de Socrate, connue pour son humeur acariâtre, est un terme couramment employé .. pour désigner une femme hargneuse et querelleuse) qui ne sont pas seulement actives mais se livrent aussi à des voies de fait. Chez beaucoup de femmes, cette virilité primitive transparaît aussi dans leur vie amoureuse. Leur érotisme a alors un caractère viril et agressif. Il ne requiert pas de sentiment et il ne lui est pas associé comme c'est généralement le cas chez la femme ; il fonctionne au contraire d'une manière autonome, sans être relié à l'ensemble de la personnalité. Ce comportement, généralement, est prépondérant chez l'homme.
. Le problème de la femme actuelle me semble résider surtout dans son attitude vis-à-vis du Logos de l'Animus, de l'intellectualité masculine au sens restreint du terme.p.69
. La femme a appris qu'elle ne pouvait ressembler à un homme parce que justement elle était, avant tout, une femme et qu'elle devait le rester. C'est cependant un fait maintenant bien établi qu'une certaine proportion d'intellect masculin est arrivé à maturation chez la femme et qu'elle doit trouver sa place et son usage dans l'ensemble de sa personnalité. Connaître cet élément, l'intégrer de telle sorte qu'il puisse s'exercer d'une manière adéquate représente une partie importante du problème de l' Animus.
. Ce ne sont ni l'orgueil ni une agitation désordonnée qui nous poussent à vouloir imiter Dieu, c'est-à-dire l'homme. ; ce n'est pas non plus la beauté du fruit de l' Arbre de la Connaissance qui nous séduit, comme il séduisit jadis Eve, pas plus le serpent qui nous incite à le savourer. Tout cela, au contraire, nous semble émaner d'un ordre : nous nous trouvons devant la nécessité de mordre dans cette pomme, qu'elle nous semble bonne ou mauvaise. Nous devons réaIiser que c'est la fin de l'âge d'or de l'innocence et de l'ignorance dans lequel plus d'une femme resterait volontiers. .
Et puisqu'il s'agit pour les femmes du début d'une phase nouvelle il ne faut pas s'étonner de voir des tentatives échouer, des exagérations et des caricatures grotesques se faire jour.. Si la femme méconnaît ce problème et si elle ne se conforme pas suffisamment à cette exigence d'une prise de conscience de ce qu'elle est et de la nécessité d'une activité intellectuelle, l' Animus s'autonomise, il devient négatif et exerce une action destructrice sur la personne elle-même jusque dans ses rapports avec les autres. Si la possibilité d'une activité intellectuelle n'est pas admise par la conscience, la libido, qui devrait y trouver un champ d'action normaIe, retourne à l'inconscient et y anime l'archétype de l' Animus. Ce glissement de la libido rend l' Animus autonome et lui insuffle même une telle force qu'il peut s'imposer au moi et finir par dominer la personnalité tout entière. .je pars du postulat que l'être humain est porteur d'un destin qu'il doit réaliser, de la même façon que l'ouf ou la graine contiennent déjà le programme de ce qui doit advenir. C'est pour cette raison précise que je parle d'une certaine quantité de libido destinée par nature à l'activité intellectuelle. besoins spirituels et moraux .
Autrefois, l'animus pouvait être dirigé vers l'au-delà (Dieu le Père revêt pour beaucoup de femmes l'aspect métaphysique et supra-terrestre P.71 de l'image de l'Animus) et il n'y a pas eu de conflit aussi longtemps que la spiritualité a trouvé une expression convaincante dans les formes générales de la religion. C'est maintenant que cette projection n'est plus possible que le véritable problème apparaît.
Une autre cause tient au fait que la possibilité de déterminer la naissance des enfants Iibère une quantité importante de libido. .exclusivement destiné à rester toujours disponible.
La troisième raison tient aux progrès de la technique qui retirent à la femme de nombreuses occasions d'exercer ses dons d'invention et son esprit créateur.
Là où autrefois, en attisant le feu, elle pouvait accomplir l'acte prométhéen, elle se contente aujourd'hui de tourner le robinet de gaz ou d'actionner un interrupteur électrique sans avoir la moindre idée de la perte de libido occasionnée par cette innovation, ni de ses conséquences. Toute cette énergie qui ne peut plus être employée dans un domaine .demande à l'être dans un autre, et ce n'est pas tellement simple. Beaucoup de femmes, lorsqu'elles prennent conscience de leurs besoins intellectuels, se disent : « je préférais avoir encore plus d'enfants » pour échapper ainsi à cette exigence inconfortable et angoissante .. Mais, à plus ou moins longue échéance, il faut s'en accommoder et céder à cette revendication puisqu'il est naturel que la sollicitation biologique diminue progressivement dans la deuxième moitié de la vie, de telle sorte qu'une reconversion devient inéluctable, si on ne veut pas tomber dans la névrose ou dans toute autre maladie. En outre, ce n'est pas seulement la libido libérée qui nous place devant de nouveaux devoirs, mais aussi la loi du Kairos = moment opportun (Myth., Gr. Allégorie de l'occasion favorable, souvent représentée sous la forme d'un éphèbe aux talons et aux épaules ailés. ) à laquelle nous ne pouvons pas échapper ..
Il s'agit donc pour la femme de détourner la libido vers de nouveaux chemins ; nous savons que toute civilisation repose sur ces changements de direction, et c'est cette possibilité qui distingue l'homme de l'animal. Mais bien des difficultés sont inhérentes à ce processus ; il s'en faut même de peu pour qu'il soit ressenti comme une faute ou un forfait. Cela n'a d'ailleurs rien d'étonnant car il s'agit bien là d'une effraction ou même du renversement d'un processus naturel, et donc d'une tentative audacieuse et dangereuse. C'est aussi pour cette raison que ce renversement a été depuis toujours intimement lié à des représentations et à des rites religieux. Il est certain que le mystère sacré de la mort et de la renaissance, représente le processus inexplicable et merveilleux de la métamorphose. Comme cela apparaît dans le mythe de la chute d'Adam du Paradis Terrestre, et dans celui du rapt du feu par Prométhée, c'est le Logos, c'est-à-dire la connaissance et la conscience, qui élève l'homme au-dessus de la nature. P.73 Mais ces conquêtes le placent dans une situation tragique entre l'animal et Dieu. A cause d'elles, il n'est plus l'enfant de la Mère Nature : il est chassé du Paradis Terrestre, mais il n'est pas non plus un Dieu car il reste inévitablement prisonnier de son corps et de ses lois naturelles, comme Prométhée demeure enchaîné à son rocher. L'homme connaît depuis longtemps la souffrance que représente cet assujettissement ou ce perpétuel déchirement entre l'esprit et la nature, tandis que la femme ne fait que commencer à l'éprouver réellement. Et ce conflit qui accompagne tout accroissement de la connaissance, nous conduit à nouveau au problème de l'Animus qui repose, pour finir, sur l'opposition entre la nature et l'esprit et sur la manière de les concilier.

..Comment ressentons-nous ce principe de l'esprit ?
En premier lieu, il nous arrive du monde extérieur. L'enfant le trouve généralement dans la figure de son père ou dans un homme qui en est le substitut. Plus tard, ce pourra être un maître, un frère aîné, le mari, un ami - et enfin .. dans des témoignages objectifs de l'esprit, comme l'Eglise, l'Etat, la société et ses institutions, les créations de la science et de l'art. Généralement, la femme n'a pas directement accès à ces manifestations de l'esprit, et ne les trouve que par l'intermédiaire d'un homme qui représente pour elle un guide ou un médiateur. Celui-ci devient alors le support ou le représentant de l'image de l' Animus, et nous pouvons dire que c'est sur lui qu'est projeté ce dernier. Aussi longtemps que cette projection réussit, c'est-à-dire que l'image recouvre à peu près son support, il n'y a pas à proprement parler de conflit. D'une certaine manière, cette situation paraît . très satisfaisante ; .. particulièrement quand celui qui nous transmet, la spiritualité est aussi pour nous un être humain et que nous avons avec lui une relation positive. Si cette projection peut s'établir d'une façon durable, nous avons ce que nous pourrons appeler une relation idéale ; idéale parce que dépourvue de conflits, mais qui nous laisse pourtant inconscientes. .. beaucoup de femmes, sinon la majorité, qui se croient heureuses et satisfaites d'une telle relation à l'Animus prétendument réussie souffrent cependant de symptômes nerveux ou physiologiques. Ce sont souvent des états d'angoisse qui apparaissent, des insomnies et une nervosité générale ou alors des souffrances physiques, des migraines, des troubles de la vue, des affections pulmonaires. . Peut-être le système respiratoire et l'esprit ont-ils une relation particulière comme le révèlent les mots animus ou pneuma qui signifient le souffle, le vent ou l'esprit. C'est de toute façon la libido qui ne trouve pas son utilisation appropriée et qui, refoulée, se reporte sur un point faible quelconque.
Un transfert si total de l'image de l' Animus engendre, outre la satisfaction et la réussite apparentes, une liaison contraignante avec l'homme concerné et, de plus, une dépendance croissante qui devient souvent intolérable. 0n appelle généralement « transfert » cet état de fascination et de dépendance absolue, qui n'est rien d'autre qu'une projection. Cette projection n'implique pas seulement la projection d'une P.75 image sur une autre personne mais entraîne généralement qu'on impute à celle-ci les activités qui correspondent à cette image idéale. Ainsi, un homme sur lequel est projetée l'image de l'Animus doit aussi assurer toutes les fonctions qui sont restées chez la femme à l'état latent, que ce soient la pensée, l'activité ou encore la responsabilité devant autrui.
La femme sur laquelle un homme a projeté son Anima doit éprouver sensations et sentiments à sa place ou bien elle doit établir des relations pour lui. c'est ce rapport symbiotique qui est la vraie cause de la dépendance et du conditionnement que nous trouvons alors.
Les cas de projection réussie ne durent souvent pas très longtemps, surtout lorsqu'on vit en relation étroite avec l'homme concerné. L'incompatibilité entre l'image et son porteur apparaissent alors trop vite. Un archétype comme l' Animus ne peut coïncider avec un individu et cela d'autant moins que cet homme possède sa propre individualité. Celle-ci est en réalité le contraire de l' Animus, car ce qui est personnel n'est justement pas ce qui est caractéristique, mais c'est le mélange unique et singulier de nombreux traits à la fois particuliers et typiques.
Lorsque cette différence s'instaure entre l'image et son support, nous nous apercevons avec désarroi et dans une grande déception que l'homme qui semblait personnifier notre image de l'Animus ne lui correspond pas, mais se comporte au contraire toujours autrement .. Il arrive souvent au début que nous essayions, de nous cacher la vérité - et cela nous est rendu relativement facile par la faculté d'adaptation que nous donne l'imprécision de notre discernement. C'est souvent alors par la ruse que nous tentons de faire de l'homme ce que nous voudrions qu'il représente pour nous. Nous n'agissons pas seulement en exerçant une contrainte ou une pression constante sur lui mais par notre attitude, nous incitons notre partenaire à se comporter comme un archétype, c'est-à-dire comme le veut notre Animus. .l'inverse est vrai pour l'homme. Il voudrait voir en la femme l'image qu'il porte en lui, et le pouvoir suggestif de son désir peut amener celle-ci à ne plus exister réellement mais à devenir l'illustration de l'Anima, c'est-à-dire qu'une manifestation de l'Anima provoque chez la femme une réaction de l'Animus, et vice-versa, ce qui établit un cercle vicieux, difficile à briser, qui est à l'origine des pires complications dans les relations entre les hommes et les femmes.
La découverte de l'incompatibilité qui existe entre l'homme véritable et la représentation que nous en avons nous place au centre du conflit, et il ne nous reste plus alors qu'à différencier notre image intérieure de l'homme extérieur. Nous sommes placées dans ce cas devant le vrai problème de l' Animus, c'est-à-dire le problème de notre propre composante masculine intellectuelle. .la question la plus importante à résoudre pour la femme moderne - est - d'établir une relation avec son Animus, de le reconnaître, de se confronter à lui et de l'intégrer dans sa personnalité tout entière. Le fait qu'il s'agisse là d'une disposition, d'un organe faisant constitutivement partie de notre personne explique que l'Animus puisse attirer vers lui la libido et devenir de la sorte une force dominante et une entité autonome.
Nous pensons qu'il existe un chemin vers chaque organe ou chaque système organique, que celui-ci représente une possibilité, une tendance à fonctionner, mais que lorsqu'une quantité insuffisante de libido y afflue, l'organe le fait savoir en occasionnant des troubles, c'est-à-dire que des symptômes apparaissent. . si une femme a un fort Animus et qu'elle en est comme possédée, c'est qu'elle ne tient pas suffisamment compte de sa propre spiritualité masculine, de sa disposition au Logos, qu'elle ne l'a pas assez utilisée, ou bien qu'elle l'a fait dans une mauvaise direction. Cela peut sembler paradoxal car, vu de l'extérieur, il semblerait P.77 plutôt qu'elle ne tienne pas assez compte du fait qu'elle soit une femme, son comportement paraissant justement excessivement masculin. Dans sa virilité affichée, je vois plutôt le signe que quelque chose de masculin en elle veut attirer l'attention et refoule la féminité première, et ce n'est que par le détour d'une confrontation avec le principe masculin que celle-ci pourra retrouver ensuite sa juste place.
II semble dans cette perspective qu'il ne suffise pas d'avoir simplement une activité intellectuelle masculine et concrète ; on peut le constater chez beaucoup de femmes qui ont fait par exemple des études supérieures et exercent une profession intellectuelle et masculine, mais ne réussissent pourtant pas à vivre en harmonie avec leur propre Animus. Cette carrière et cette conduite typiquement masculines peuvent très bien réussir grâce à une identification à celui-ci, mais alors la féminité s'en trouve rejetée. Ce dont je veux effectivement parler ici c'est de l'intellectualité féminine, le logos dans la femme, intégrée dans son être et dans sa vie, de telle sorte qu'il y ait coopération harmonieuse, et non point du cas de figure où I'une des deux parties est condamnée à demeurer dans l'ombre.
Une première étape dans cette voie consiste à abandonner la projection en la reconnaissant comme telle et en la détachant de son objet. Malgré les apparences, cette première différenciation est difficile à opérer et entraîne souvent avec elle un renoncement douloureux. L'abandon de cette projection nous montre en effet qu'il ne s'agit pas d'un phénomène qui existerait en dehors de nous, mais qui gît bien en nous-mêmes. Nous devons alors nous efforcer d'en comprendre la nature et le fonctionnement, de connaître cet « homme en nous » pour pouvoir le distinguer de notre véritable moi. Si nous ne le faisons pas nous ne nous distinguons pas de lui ou nous en sommes possédées. lorsque la féminité est ainsi dominée par l'Animus et refoulée à l'arrière plan, des dépressions, une insatisfaction générale, un détachement de la vie apparaissent rapidement, symptômes qui montrent bien que la moitié de la personnalité est comme empêchée de vivre par cet empiétement de l'Animus.
Utiliser les autres comme point de repère nous procure une aide inestimable dans ce travail difficile .. qui nous amène à distinguer et à intégrer l'Animus . .sans relation à quelqu'un qui nous serve de point de repère constant, il est presque impossible de se libérer de la domination démoniaque de l' Animus. S'il y a identité avec l'Animus, il arrive que nous pensions, disions ou fassions quelque chose en étant persuadées que cela vient de nous-même alors que, en réalité, l'Animus s'exprime à travers nous sans que nous en prenions conscience. Il est souvent même très difficile de se rendre compte qu'une pensée ou une opinion est dictée par l' Animus et n'est pas notre conviction la plus profonde, car l' Animus dispose d'une sorte d'autorité directe et violente et d'un grand pouvoir de suggestion. Il tire cette autorité de son appartenance à l'intelligence universelle, mais sa force suggestive est due à la passivité de la pensée propre à la femme et au manque d'esprit critique qu'elle entraîne avec elle. Ces opinions et ces conceptions, qui sont généralement affirmées avec beaucoup d'« aplomb », sont des manifestations caractéristiques de la présence de l'Animus.
Selon le principe du Logos, ce sont en effet des conceptions ou des vérités d'une portée universelle et, s'il est vrai qu'elles peuvent être justes dans l'absolu, elles ne sont pas convenantes lorsqu'il n'est pas tenu compte de la singularité et de la spécificité de la situation où elles s'expriment. Cette sorte de jugement définitif et à portée universelle ne trouve sa juste place que dans le domaine scientifique (et surtout en mathématique..). p.79 mais pas dans la vie où elle fait violence au contenu de l'énoncé, à l'interlocuteur à qui elle s'adresse ou même à celui qui exprime ce jugement définitif sans tenir compte de ses propres sentiments.
Bien sûr on peut aussi trouver chez un homme une telle inadéquation de la pensée, lorsqu'il s'identifie par exemple à la raison ou au principe du Logos, qu'il ne pense pas par lui-même et laisse penser son « ça ». De tels hommes sont particulièrement désignés pour personnifier l'Animus d'une femme .
L'énonciation de jugements est donc l'une des manifestations les plus importantes de l'Animus. Celui-ci se comporte de même manière avec les pensées d'ordre général, c'est-à-dire que, venant du plus profond de nous-même, ces dernières s'imposent à nous d'une manière définitive et pour ainsi dire inébranlable. Lorsqu'elles sont dictées de l'extérieur, nous les adoptons parce qu'elles nous paraissent d'une certaine façon évidentes ou attirantes. Mais ces pensées qu'elle adopte et même propage à son tour, la femme ne se sent généralement pas tenue de les approfondir pour les comprendre réellement. Une capacité de discernement peu développée la conduit ainsi à approuver toute idée avec le même enthousiasme et le même respect, qu'elle ait ou non de la valeur, parce que tout ce qui lui paraît venir de l'intellect lui en impose énormément et exerce sur elle une étrange fascination ; l'homme, en revanche, rendu méfiant et intolérant par son esprit critique développé, a souvent besoin d'un certain temps pour déterminer ce qui a de la valeur.
Le propre de la femme est d'avoir une pensée utile et pratique . c'est ce qu'on appelle le bon sens, qui n'est d'habitude dirigé que vers ce qui la touche ou lui est personnel. Sa pensée trouve là un fonctionnement adéquat et ne fait pas vraiment partie de ce que nous appelons, l'Animus au sens restreint, de ce terme. Celui-ci n'entre en jeu qu'au moment où l'intelligence n'est plus seulement utilisée dans la vie quotidienne mais cherche un champ d'application plus vaste.
D'une manière générale, on peut dire que l'intellect de la femme à un aspect sous-développé, naïf ou primitif. Chez elle, il n'y a pas de soif de s'instruire, mais de la curiosité ; pas de jugement mais des préjugés; pas de pensée, mais de l' imagination et du rêve ; pas de volonté, mais des souhaits.
Là où l'homme s'attaque à des problèmes, la femme se contente de réponses, là où il acquiert du savoir et des connaissances, elle se satisfait de croyances ou de superstitions ou alors elle se livre à des suppositions. Il est évident que ce sont là les premiers stades .
Dans l'Edda, un concours d'énigmes entre le vagabond Odin et son hôte rappelle les temps anciens où l'esprit de l'homme s'exerçait à deviner comme le fait encore très souvent celui de la femme. . Penser en formant des voux correspond aussi à un stade déterminé de l'évolution de l'esprit. . dans beaucoup de contes ; il .. est .. question d'une époque révolue, « au temps où les voux étaient encore exaucés » . P. 81 . rapport entre les voux et la faculté d'imagination.
. Wotan = Oski=Vou (les Walkyries sont aussi appelées Filles des Voux) Odin, le dieu du vent, le voyageur, le seigneur de l'armée des esprit et inventeur des runes est un dieu de l'esprit ., mais c'est une figure primitive et encore proche de la nature. En tant que tel, il est aussi le maître des voux, ce qui ne signifie pas seulement qu'il est le dispensateur du bien, mais qu'il est aussi celui qui peut créer par les voux. Grimm.. : « le vou est l'énergie qui mesure, répand, donne, crée ; celle qui donne une forme, imagine, pense ; c'est donc aussi l'imagination, l'idée, l'image, la forme. . est significatif que le vou se lise en sanscrit manoratha, roue du sens. le vou tourne la roue de la pensée.»
Un tel dieu de l'esprit et du vent peut donc être comparé à l'Animus féminin dans son aspect surhumain et divin .et cette prédisposition à formuler des voux est entre autres le propre de la pensée féminine. Si l'on garde à l'esprit que la puissance de l'imagination ne signifie rien moins que la capacité de produire à volonté n'importe qu'elle image mentale à laquelle on ne peut contester une réalité quand bien même elle est immatérielle, on comprend alors comment la représentation, la pensée, les voux et la création ont été mis sur le même plan. Il est tout à fait possible qu'une réalité mentale, c'est-à-dire une représentation ou une idée, soit directement appréhendée comme concrète et réelle, particulièrement dans un état de relative inconscience, lorsque les réalités extérieures et intérieures ne sont pas nettement différenciées mais débordent l'une sur l'autre. .on retrouve très nettement chez les femmes cette manière de penser. (pensée magique)
Une observation plus poussée nous conduit ainsi à découvrir, à notre plus grand étonnement, que nous avons une certaine opinion ou que nous pensons qu'une personne à laquelle nous nous intéressons fait une chose ou une autre ou qu'elle l'a faite ou le fera ; sans penser à confronter cette idée avec la réalité, nous sommes souvent persuadées qu'il en va vraiment ainsi ou du moins nous sommes enclines à tenir pour véritable et conforme à la réalité, le produit de notre imagination.
L'activité de l'Animus la plus difficile à déceler est du même ordre : nous créons nous-mêmes des images correspondant à nos voux. L'Animus sait parfaitement créer une image et la rendre vraisemblable ; celle-ci nous montre une personne comme nous aimerions qu'elle soit, « l'amant
idéal », l' « enfant attendrissant car sans défense », le « serviteur dévoué », l'« original hors du commun », « celui qui était destiné à mieux », etc. Cette activité de l'Animus lui confère un grand pouvoir sur nous jusqu'à ce que, libres ou contraintes, nous nous décidions à faire le sacrifice de l'illusion et à nous voir telles que nous sommes réellement. P.83
L'esprit de la femme est souvent à ruminer des choses du passé. ou bien nous échafaudons des rapports de cause à effet qui paraissent inéluctables. Nous appelons cela volontiers « penser », mais cette forme d'activité mentale, curieusement fourvoyée et improductive, ne peut qu'aboutir à nous torturer nous-mêmes. Là aussi apparaît le manque caractéristique de discernement entre ce qui est réel et ce qui est seulement conçu et imaginé.
Il semble donc que la pensée de la femme, quand il ne s'agit plus d'un bon sens appliqué à des questions pratiques, n'est pas à proprement parler une pensée mais plutôt une rêverie, une imagination, un vou et une crainte. Le pouvoir et l'autorité de l'Animus s'explique donc par cette (in ?)différenciation mentale primitive entre ce qui représenté et ce qui est réel. .
Cela nous conduit .. à la magie du mot.
Un mot semble aussi être une réalité pour un esprit sans clarté. .le mythe de la création de la Bible où le monde tire son origine de la puissance du Verbe. L'animus a le même pouvoir magique, et des hommes peuvent par leurs paroles, qu'elles soient bonnes ou mauvaises, exercer une contrainte sur les femmes. .la magie de la parole, l'art du discours, est pour l'homme le moyen infaillible de posséder une femme et de l'envoûter..
La femme n'est pourtant pas la seule à succomber à la magie de la parole. Il s'agit là en fait d'un phénomène très général : les runes sacrées des temps anciens, les mantras hindous, toutes les formules liturgiques ou incantatoires, et même les termes techniques et les slogans de notre époque, témoignent de la force d'envoûtement de l'esprit lorsqu'il est devenu parole.
. une phrase qui sonne bien peut lui en imposer, même si elle n'en saisit pas le sens exact, tandis que l'homme préfèrera en chercher d'abord la signification.
C'est une des grandes caractéristiques de l'Animus de se manifester non pas en tant que personnage, mais en tant que parole.. C'est comme une voix qui commente toutes les situations dans lesquelles nous pouvons nous trouver et nous dicte notre comportement. C'est principalement sous cette forme que l'Animus est perçu comme étant distinct de soi.. cette voix se fait entendre essentiellement dans deux registres. Dans le premier, se manifeste une appréciation critique, généralement négative, de chaque sentiment, une recherche minutieuse de tous les motifs et de toutes les intentions, ce qui provoque naturellement un sentiment d'infériorité et conduit à étouffer dans l'ouf toute initiative et toute envie de s'exprimer. Ce sont parfois en alternance des éloges excessifs, et le résultat de ces deux jugements extrêmes est une oscillation permanente entre la conscience d'une nullité absolue et un sentiment exagéré de sa propre valeur.
Dans le deuxième registre, on trouve presque exclusivement l'énonciation d'ordres ou d'interdictions - ou la répétitions de lieux communs. P.85
.deux aspects importants de la fonction du logos.: d'une part la discrimination, le jugement et l'appréciation et d'autre part l'abstraction et l'établissement de règles. Il est probable que, lorsque le premier prédomine, l'Animus se manifeste dans une seule personne. Lorsque c'est le second, il se manifeste au contraire dans plusieurs personnes à la fois sous la forme d'un « conseil ». Discriminer et juger est généralement le fait d'une seule personne, tandis qu'établir des lois suppose une comparaison et un accord, et demande la participation de plusieurs.
Quant à l'esprit créateur, c'est un fait reconnu qu'on le trouve rarement chez la femme.
Le pouvoir de création de la femme se manifeste plus souvent dans la vie que dans les ouvres ; elle l'exerce non seulement dans sa fonction biologique en tant que mère, mais aussi dans la vie en général, comme compagne, comme éducatrice, comme maîtresse de maison ou sous une autre forme quelconque. Les relations tiennent une grande place dans l'organisation de la vie, et c'est vraiment sur ce terrain que s'exerce le mieux le pouvoir créateur de la femme.
.. parmi les arts, c'est surtout dans le théâtre que la femme est le plus nettement l'égale le l'homme. Elle y trouve l'occasion de créer des personnages, des relations, la vie, et c'est pourquoi elle y est aussi créatrice que son partenaire.
Pourtant dans les productions de l'inconscient, dans les rêves, dans l'imaginaire ou simplement dans les pensées qui s'offrent à nous, il existe aussi des moments de création de l'esprit ; très souvent l'inconscient nous livre des jugements, des vérités objectives et donc impersonnelles, et c'est la véritable fonction de l'Animus supérieur que de nous faire connaître l'existence de ces connaissances et leur contenu.
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. l''Animus transmet des visions du monde ou de la vie qui dépassent de beaucoup leur pensée consciente (des femmes) et dont les qualités créatrices sont incontestables.
Dans le domaine le plus propice à l'activité créatrice de la femme, dans les relations humaines, c'est cependant moins l'esprit au sens du Logos qui intervient que le sentiment associé à l'intuition et à la sensation. L'Animus en revanche, peut y être dangereux car, lorsqu'il apparaît en tant que pensée, il rend la relation plus difficile si ce n'est impossible. Il arrive ainsi trop souvent qu'au lieu d'aborder une situation ou une personne conformément à notre sentiment, nous portions un jugement, et que ce dernier prenne le pas sur la réaction affective. Ce jugement peut par ailleurs être juste, intelligent et bien intentionné, il ne sert à rien ou bien tombe à côté car, s'il est objectivement vrai, il ne l'est pas subjectivement. P. 87 Or la relation ou le partenaire ne demande pas alors du discernement ou de l'objectivité, mais de l'empathie. .tout en croyant agir pour le mieux, nous adoptons une attitude objective et gâchons complètement la situation. Nous sommes souvent étonnés par cette incapacité à comprendre que le discernement, la raison, la neutralité, sont à ce moment-là totalement déplacés. . nous sommes habitués à considérer que la réaction objective de l'homme est par définition préférable à celle subjective de la femme. .
Lorsque l'homme découvre son Anima et se trouve contraint d'en tenir compte, il doit par là-même accepter ce qu'il tenait jusque là pour inférieur. (le fait que la représentation de l'Anima, qu'il s'agisse d'une image ou d'un être humain, soit par nature attirante et fascinante, n'entre pas ici en ligne de compte). Dans notre civilisation, le fait féminin a jusqu'à présent été considéré comme inférieur . cf. expressions :« ce n'est qu'une fille » ou « un garçon ne fait pas cela » .
Quand il entre en relation avec son Anima, l'homme doit descendre par conséquent de sa hauteur et vaincre une résistance, celle de son orgueil, parce qu'il reconnaît alors la « Maîtresse » ou « celle à qui il doit obéir ».Il en va tout autrement pour la femme. On ne dira pas de l'Animus : « celui auquel nous devons obéir » , mais plutôt le contraire, car il n'est que trop évident et naturel à la femme d'obéir avec une soumission d'esclave à l'autorité de l'Animus comme à celle de l'homme. Cette croyance à la supériorité de l'homme, elle l'a viscéralement, qu'elle en soit consiente ou non, et cela contribue dans une large mesure à augmenter encore le pouvoir de l'Animus. En ce qui le concerne, ce que nous devons surmonter ce n'est pas l'orgueil, mais notre manque de confiance en nous-mêmes et notre force d'inertie. Il nous paraît téméraire d'opposer nos humbles convictions aux jugements prétendus universels de l'Animus ou de l'homme ; et de nous décider à cette présomptueuse indépendance intellectuelle nous demande tout particulièrement du courage, car cela nous amène souvent à être mal comprises ou mal jugées. Mais, sans cet acte de révolte et malgré ses conséquences, la femme ne sera jamais libérée du pouvoir du tyran.
.ce que nous voyons, c'est une assurance arrogante, un « aplomb » que rien ne peut entamer et derrière lequel on remarque peu la timidité et le manque de conviction personnelle. . cette attitude obstinée et assurée, même si elle est parfois discutable, est celle qui conviendrait souvent mais elle est aussi généralement le signe d'une identité encore incomplètement atteinte. . P.89
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Pour la femme, reconnaître son Animus ne va pas sans sacrifice. Devenir consciente, c'est pour elle perdre le pouvoir de son sexe. En effet, c'est à la fois avec son inconscience et grâce à elle qu'elle exerce sur l'homme un effet magique, un charme qui lui donne pouvoir sur lui. Comme elle s'en rend instinctivement compte, elle s'acharne à refuser toute prise de conscience. souvent confortées dans cette attitude par l'homme qui s'en trouve on ne peut mieux et qui met tous les obstacles possibles à empêcher la femme d'évoluer vers une plus grande lucidité qu'il trouverait pour sa part inconfortable et inutile.
..La fonction de I'Animus pour la femme et de l'Anima pour l'homme.. :. On considère généralement que l'un et l'autre sont des intermédiaires entre des contenus inconscients et la conscience, et .. qu'ils agissent selon les mêmes procédés. idée juste en gros, mais il me semble important de faire aussi ressortir les différences.
Le rôle qui consiste à transmettre des contenus inconscients, c'est-à-dire à Ies rendre perceptibles, revient surtout à l'Anima. Elle aide à percevoir tout ce qui, autrement, demeurerait dans l'ombre. Pour cela, il suffit de mettre la conscience en veilleuse, de se trouver dans un état conscience féminin qui est moins rigoureux et moins clair mais appréhende en revanche ce qui est plus éloigné et reste encore caché. On a toujours reconnu à la femme le don pour la voyance et l'intuition.
Quant à l'Animus, son importance n'est pas due à une simpIe perception (la femme n'en a jamais manqué), mais à l'existence du logos qui est approprié à la connaissance et surtout à la compréhension. L'Animus nous transmet plus une signification qu'une image.
Ce serait une erreur de croire que nous avons eu recours à notre Animus lorsque nous nous abandonnons passivement à notre imagination. Il ne faut pas oublier qu'il n'y a rien d'exceptionnel, en règle générale, a ce qu'une femme laisse ainsi la bride à son imagination. Des événements irrationnels ou des images dont le sens est incompréhensible lui semblent tout à fait naturels. Par contre, ils représentent pour l'homme une difficulté, une sorte de sacrifice de la raison : c'est descendre de la lumière vers l'obscurité, de la clarté vers le désordre. Il a du mal à admettre que tous Ies contenus de l'inconscient, qui paraissent incompréhensibles ou absurdes, peuvent être riches d' enseignements. L'attitude passive qui est celle du regard correspond mal à la nature active du masculin. . p.91
..(la femme) n'éprouve pas le besoin de trouver un sens à tout et ne répugne pas à arder une attitude patiente et passive. Chez celles auprès de qui l'inconscient s'ouvre avec difficulté, et qui ont du mal à accéder à ce qu'il renferme, l'Animus peut représenter beaucoup plus un obstacle qu'une aide, car il veut comprendre et analyser toute image dès sa formation, avant même qu'elle puisse être nettement perçue. Ce n'est qu'après que ces images sont devenues conscientes que l'Animus doit dépIoyer ce qui est le propre de son activité. .
Il peut cependant arriver que ce que nous livre l'inconscient ait immédiatement du sens ;. une connaissance directement exprimée dans des mots. . Mais il est souvent difficile de savoir s'iI s'agit là d'une opinion connue et reconnue par tous et donc collective, ou d'un point de vue personnel. Pour le savoir, il faut ici aussi faire preuve d'un jugement conscient et opérer clairement la distinction entre ce qui vient de nous-même et ce qui vient de l' Animus.

2. La représentation de l' Animus par les images de l' inconscient .

. connaître l'existence de cette figure, s'en amuser ou s'y confronter sont des étapes importantes pour parvenir à un meilleur discernement. Une nouvelle difficulté se fait jour néanmoins lorsqu'il s'agit de reconnaître l'Animus, qu'il soit représenté par une image ou par une personne. Cette difficulté vient de sa diversité. . L'Anima apparaît sous des formes définies. une sour ou une fille, une maîtresse ou une esclave, une prêtresse ou une sorcière ; et à chaque fois elles sont annoncées par des signes précurseurs qui font opposition d'une nature à la fois claire et sombre, secourable et nocive, élevée et méprisable.
A la femme, par contre, ce sont plusieurs hommes qui apparaissent, un groupe d'hommes, un conseil, un tribunal ou une assemblée de sages, ou bien encore ce peut être un maître de l'illusion qui a le pouvoir d'apparaître sous des formes différentes.
. l'homme n'a vraiment connu la femme que dans les rôles mentionnés ci-dessus, comme mère ou bien-aimée, maîtresse ou servante etc., c'est-à-dire toujours en relation avec lui-même. Il a depuis toujours vécu selon ces schémas. La vie objective de l'homme en revanche a pris une plus grande diversité de formes car sa fonction biologique lui a laissé du temps pour toutes sortes d'activités. L'Animus peut donc apparaître, conformément à ces nombreuses possibilités, en tant que représentant, que maître d'un savoir ou d'un pouvoir quelconque. Quant à la figure de l'Anima, nous devons remarquer que toutes les formes qu'elle peut prendre sont relationnelles (même si elle se manifeste en tant que prêtresse ou sorcière, celle-ci est toujours dans une relation particuIière avec l'homme dont elle personnifie I'Anima, elle l'initie ou l'ensorcelle). .
La figure de l'Animus n'est pas nécessairement, au contraire, accompagnée de l'idée d'une relation.
Conformément à la tendance masculine à l'objectivité qui caractérise le Logos, cette figure peut se manifester d'une P.93 manière purement objective, indépendante, sous la forme d'un sage, d'un juge, d'un artiste, d'un aviateur, d'un mécanicien etc. Fréquemment, elle se présente avant tout comme étranger ou inconnu. Cette faculté de prendre des formes variées me semble être ..celle de l'esprit ; c'est celle de se mouvoir, de parcourir de grandes distances en un rien de temps, c'est aussi celle de la lumière. elle rappelle la pensée exprimée par les voux. L'Animus, pour cette raison, apparaît aussi souvent sous les traits d'un aviateur, d'un chauffeur, d'un skieur ou d'un danseur, lorsque c'est justement la légèreté et la rapidité qui doivent être soulignées. Ces deux facultés, celle de se métamorphoser et celle de se mouvoir rapidement, se retrouvent dans beaucoup de mythes.. ce sont celles des dieux ou des magiciens : Wotan, .. Mercure aux talons ailés représentent cet aspect du Logos qui évolue avec vivacité mais est en même temps immatériel. Il n'a pas un caractère très établi et ne représente qu'une énergie, une pluralité de formes, il est l'esprit en soi qui « souffle où il veut.»
Dans les rêves et les fantasmes l'Animus apparait généralement sous la forme d'un homme véritable, comme père, amant, frère, professeur, juge, sage, comme magicien, artiste, médecin, philosophe, savant, architecte, moine,.. ou bien comme commerçant, aviateur, conducteur, etc., bref, comme un homme qui se distingue par les capacités de son esprit ou toute autre qualité masculine. Dans un sens positif, il peut être un père secourable et bienveillant, un amant séduisant, un ami compréhensif, un guide expérimenté, mais il peut être aussi un tyran violent et grossier, un moralisateur, un sermonneur, un arbitre des bonnes mours ou encore un séducteur, un exploiteur, parfois même un pseudo-héros qui fascine par des supercheries intellectuelles et son caractère équivoque. L'Animus peut encore être représenté par un adolescent, par un fils ou un jeune ami. Dans ce cas, cela spécifie toujours que la composante masculine propre à la femme est en évolution. ..c'est pourtant de préférence dans la pluralité que l'Animus se manifeste, dans un conseil qui décide de tout ce qui doit arriver, formule des prescriptions, des interdictions, ou lance des opinions d'une portée générale.
..exemples dont le caractère archétypique est particulièrement évident .. rêve d'un monstre à tête d'oiseau dont le corps n'était qu'une enveloppe qui pouvait prendre n'importe quelle forme .. p.95
Cette enveloppe animale fait allusion à quelque chose qui en est encore à son premier stade -seule la tête est différenciée, indiquant la partie du corps spécifique de l'Animus, et il s'agit de plus de la tête d'un être aérien. La voracité rappelle alors le besoin de s'étendre et de se développer de cette entité encore indifférenciée. Cf. Les Upanishad .
Avec cet être à tête d'oiseau apparaît de la sorte un esprit du feu, un être mythique, composé seulement de flammes et toujours en mouvement, qui se dit le fils de la « mère d'en bas » . S'opposant à la mère céleste et lumineuse, ce personnage de mère personnifie la femme archaïque, celle qui est obscure, liée à la terre, magicienne, une puissance tantôt secourable, tantôt inquiétante comme une sorcière, souvent même destructrice. Son fils serait donc un esprit du feu chtonien qui rappelle le Logi ou Loki de la mythologie qui (Grimm) est représenté comme un géant doué d'un pouvoir créateur mais en même temps comme un séducteur méchant et rusé qui deviendra par la suite le diable des chrétiens. Son équivalent dans la mythologie grecque est Hephaïstos, le dieu du feu de la terre mais dont l'activité de forgeron indique que le feu est maitrisé, tandis que le Loki est une force de la nature élémentaire et indéterminée. Cet esprit du feu de la terre est le fils de la mère d'en bas, et pour cette raison la femme le connaît bien. Il a une influence positive dans ses activités pratiques, particulièrement lorsqu'elle manipule la matière ou lorsqu'elle en fait des oeuvres d'art ; ces activités deviennent au contraire négatives dans des états de tension et des explosions de sentiments ; elles sont même franchement néfastes lorsque retrouvant ses liens avec la femme archaïque, Loki agit comme instigateur ou complice de .. : « l'habileté diabolique et maléfique de la femme » . On pourrait l'appeler dans ce cas le Logos inférieur par opposition au Logos plus élevé évoqué par l'être aérien à tête d'oiseau qui correspond aux personnages de Wotan.. d'Hermès le meneur d'âmes qui, eux, ne descendent pas de la mère d'en bas mais ont un père lointain et inconnu.
Le thème de l'être protéiforme revient dans un rêve postérieur .. apparaît une image ayant pour titre « Urgo le dragon magicien » . Elle représente un être ressembIant à un serpent ou à un dragon accompagné d'une jeune fille qui est en son pouvoir. Le dragon a la faculté de s'étendre dans toutes les directions, si bien que la jeune fille n'a aucune possibilité de pouvoir lui échapper.
La « jeune fille » .. revient dans tous ses rêves .. peut être considérée comme représentant une figure de l'âme au sens de la personnalité inconsciente. P.97 .
Mais le fantasme suivant montre une évolution : un magicien présente sa danseuse à un prince indien .
Il s'agit là du même thème : la jeune fille sous la coupe du magicien n'a d'autre issue que l'obéissance. Mais le personnage du prince constitue un rival pour le magicien . La métamorphose, qui n'était jusqu'alors que représentée, devient là une réalité puisque la danseuse meurt pour ensuite resurgir de terre transfigurée et radieuse.
Ce qui est important ici, c'est le redoublement de la figure de l' Animus ., d'une part en magicien et d'autre part en prince. Le magicien représente la forme inférieure de l'Animus qui, grâce à son pouvoir magique, incite la jeune fille à prendre ou à simuler des formes variées, tandis que le prince personnifie,. un principe supérieur qui provoque une métamorphose réelle et non plus seulement imaginée . C'est une fonction importante de l'Animus supérieur, c'est-à-dire suprapersonnel, qu'il introduise et accompagne, en véritable psychologue, les transformations et les métamorphoses de l'âme.
Le rêve suivant montre une autre variation : la jeune fille a un bien-aimé fantomatique qui habite sur la lune et qui vient, à intervalles réguliers .. pour recevoir une offrande ensanglantée.. cette offrande métamorphose l'esprit de la lune qui devient alors lui-même l'enveloppe de la victime ; et elle se consume et prend une nouvelle forme tandis que le sang se dissipe et devient une plante d'où sortent des fleurs et des feuilles multicolores.
Autrement dit : c'est par ce sang reçu, c'est-à-dire par un afflux de libido, que le principe de l'esprit perd son caractère oppressant et destructeur et qu'il peut acquérir une existence et une activité personnelles.
Ce mêrne principe apparaît aussi dans Barbe-Bleue, figure bien connue de l' Animus, c'est-à-dire de l'homme qui séduit les femmes et les tue on ne sait pourquoi ni comment.
Dans le cas dont nous parlons. Il attire la jeune fille dans sa maison, lui donne du vin et la conduit ensuite dans une salle souterraine pour la tuer. Tandis qu'il s'apprête à le faire, celle-ci est prise par une sorte d'extase. Subitement, dans élan amoureux, elle étreint le meurtrier qui se trouve alors dépossédé de son pouvoir et disparaît dans les airs avec la promesse d'être dorénavant pour elle un esprit secourable. P.99
De même que la contrainte exercée par le fiançé lunaire se trouve annulée par l'offrande ensanglantée, c'est-à-dire un investissement de libido, c'est ici l'amour et l'étreinte qui brisent le pouvoir du monstre redouté.
Dans ces fantasmes, je vois les signes d'une manifestation archétype de l' Animus très importante dont nous trouvons l'équivalent dans le mythe et le culte de Dionysos.
Le ravissement extatique qui a saisi la danseuse de notre premier fantasme, et la jeune fille dans l'histoire de Barbe-Bleue-Amandus, peut être considéré en effet comme une manifestation caractéristique de la religion de Dionysos. Là aussi, ce sont principalement des femmes qui célèbrent le culte du dieu dont l'esprit les envahit totalement. des animaux vivants sont sacrifiés ou déchiquetés par des ménades en furie . Les fêtes de Dionysos ont lieu la nuit sur des montagnes et dans des forêts .
Dans cet ordre d'idée .. quelques personnages de la littérature . le joueur de flûte, l'homme de l'eau ou le roi des elfes .. qui avec leur musique mélodieuse, attirent des jeunes filles . l'Etranger dans La Femme de la Mer d'Ibsen ..
.. le personnage du joueur de flûte représente une forme particulièrement typique de l'Animus. . il séduit par ses mélodies des rats qui sortent de partout et se trouvent ainsi irrésistiblement entraînés à le suivre ; mais ce ne sont pas seulement des rats qu'il attire et fait disparaître dans sa montagne, ce sont aussi les enfants de la ville pour la raison que celle-ci ne voulait pas le récompenser pour ses services. Cela rappeIle Orphée qui savait tirer de sa lyre des sons si merveilleux que les hommes et les bêtes ne pouvaient faire autrement que de le suivre. Cette attirance irrésistible et cette conduite forcée vers un lointain inconnu, que ce soit l'eau, la forêt, une montagne ou les enfers, est, me semble-t-il, un fait typique de l'Animus, même s'il s'explique difficilement car, contrairement à ce qui se passe généralement pour celui-ci, il ne conduit pas à la conscience mais au contraire à l'inconscience comme l'évoque la disparition dans la nature ou dans les enfers. Dans le même ordre d'idée, citons aussi l'épine d'Odin qui plonge dans un profond sommeil celui qu'elle touche.
. P.101
Voici comment se manifeste dans la vie. la disparition dans la nature ou aux enfers : comme si elle subissait une attirance inconnue, la libido se retire de la conscience et de la vie réelle pour se diriger dans un autre lieu complètement inconnu. Celui-ci est un monde plus ou moins conscient de fantasmes ou de contes, où tout est comme nous le souhaitons ou bien il se présente comme un refuge qui permet de se défendre contre le monde extérieur. Mais nous allons souvent si loin que rien ne nous en parvient jusqu'à l'état conscient. Nous sentons peut-être que nous sommes entraînés quelque part, mais nous ne savons pas où et nous ne pouvons pas dire, lorsque nous retrouvons nos esprits, ce qui s'est passé pendant ce temps. La musique est souvent la cause d'une attirance et d'un enlèvement, comme dans la légende du joueur de flûte. Elle peut être considérée comme une objectivation de l'esprit qui n'est pas l'expression d'une connaissance, au sens habituel de connaissance intellectuelle et logique, et qui n'est pas non plus matérialisée ; elle est une représentation sensible de phénomènes très profonds suivant des lois immuables. Dans ce sens, la musique est esprit, un esprit qui conduit dans des régions éloignées et obscures qui sont inaccessibles à la conscience et dont le contenu s'exprime mal par des mots .. mais surtout par des sentiments et des sensations. . la musique permet d'accéder à des niveaux profonds où l'esprit et la nature forment encore une unité ; elle est donc pour la femme la forme d'expression la plus importante et la plus naturelle, celle qui, mieux que tout autre, lui permet de faire l'expérience de l'esprit. C'est pour cette raison que la musique et la danse sont considérées comme des moyens d'expression privilégiés pour la femme. .
C'est l'esprit qui entraîne dans des sphères musicales et cosmiques inaccessibles à l'état conscient, et qui sont en opposition avec la mentalité féminine habituellement dirigée vers ce qui est le plus proche et le plus personnel. Mais cette expérience n'est pas sans ambiguïté ; elle peut être une simple perte de conscience, un abandon dans une sorte de sommeil ou d'engourdissement, un rapprochement vers la nature qui ne représente rien d'autre qu'une régression à un niveau antérieur inconscient et donc dénué de valeur et même dangereux ~ mais elle peut signifier aussi une véritable expérience religieuse et porter alors une grande valeur avec elle.
Indépendamment de ces figures qui montrent l'Animus sous un aspect inquiétant, nous en trouvons une autre d'un tout autre genre : dans le cas dont il est question, c'est un ange dont la tête est une étoile et qui tient dans sa main un oiseau bleu, l'oiseau de l'âme. Cette fonction de gardien de l'âme, comme celle de guide de l'âme, ressortit derechef à la forme élevée et suprapersonnelle de l'Animus. Cet Animus supérieur ne se laisse pas transformer en une fonction dépendant du conscient, mais il reste une entité supérieure qui veut être reconnue et respectée comme telle. Dans le fantasme de la danseuse .. ce principe supérieur est personnifié par le prince. C'est donc un maître, non pas au sens du magicien, mais à celui d'un esprit supérieur qui n'a rien de terrestre ni d'obscur ; il n'est pas non plus un fils de la mère inférieure, mais le représentant et le messager d'un père lointain et inconnu, d'une puissante lumière suprapersonnelle.
Toutes ces figures ont les caractères des archétypes ; ..elles sont le plus souvent impersonnelles ou suprapersonnelles même si elles sont dirigées sur un individu et lui sont liées. P.103
Outre ces figures apparaît aussi en rêve l'Animus personnel, c'est-à-dire cette masculinité ou spiritualité qui correspondent à une prédisposition propre à la femme et peuvent trouver à se développer dans une fonction et une attitude qui peuvent être acquises en toute conscience et intégrées à la personnalité tout entière. Cet Animus personnel est représenté par un homme lié à la rêveuse par un sentiment, par le sang ou une activité quelle qu'elle soit. Nous retrouvons ici aussi les formes de l'Animus supérieur et de l'Animus inférieur qui apparaîssent seIon les cas avec des signes positifs ou négatifs. Il s'agit parfois d'un frère ou d'un ami attendu ou recherché depuis longtemps, d'un professeur qui dispense un savoir, d'un prêtre effectuant avec la femme une danse rituelle ou d'un peintre qui doit faire son portrait. Peut-être aussi que vient habiter chez elle un ouvrier. un liftier . Parfois elle a des démêlés avec un jeune gaillard révolté ou elle doit se méfier d'un jésuite obscur ou encore elle reçoit de commerçants méphistophéliques toutes sortes de magnificences.
La figure de l'étranger a aussi une existence en soi. Malgré l'étrangeté de son caractère à la fois connu et inconnu, celui-ci apporte généralement un message ou un ordre dont le lointain prince de la lumière l'aurait chargé.
Avec le temps, les figures évoquées deviennent des personnages aussi familiers que les hommes du monde extérieur que nous côtoyons ou que nous rencontrons souvent, et nous apprenons à savoir pourquoi c'est, selon le cas, l'un ou l'autre qui apparaît. Nous pouvons nous entretenir avec eux, leur demander un conseil ou une aide, mais souvent nous nous trouvons aussi obligées de nous défendre de leur présence importune et nous sommes irritées par leur insoumission. Il nous faudra donc veiller toujours davantage pour que ce ne soit pas l'une ou l'autre de ces manifestations de l'Animus qui cherche à avoir la primauté et à dominer la personnalité tout entière.
Il est très important à cet égard d'établir une distinction entre nous-même et l'Animus, ainsi que de déterminer son champ d'action ; c'est la seule façon de pouvoir nous libérer d'une identification et d'une obsession lourdes de conséquence . Cette distinction est accompagnée d'une prise de conscience et d'une réalisation du moi qui devient alors une instance déterminante.
Dans la mesure où l'Animus est supra-individuel, c'est-à-dire qu'il représente l'esprit en général, il peut être en relation avec nous comme un guide spirituel ou comme un génie secourable mais il ne peut dépendre de notre conscience. Il en va tout autrement de cet être qui demande à être considéré comme un frère, un ami, un fils ou un serviteur. C'est à lui que nous devons faire une place dans notre vie et dans notre personnalité et il nous faut utiliser la force qui l'habite.
Généralement, nos prédispositions, . nos passe-temps favoris, nous indiquent dans quelle direction cette force peut être employée. .. les rêves nous montrent la voie. .. il y sera question d'études, de livres de certaines disciplines, etc.. ou bien d'activités artistiques ou organisées. Mais celles-ci seront toujours objectives et réalistes, correspondant à cet être masculin qu'est l'Animus. L'attitude qu'il nous est indispensable d'adopter, qui est d'agir pour quelque chose et non pas pour quelqu'un, s'accommode mal du caractère de Ia femme et ne peut être que difficilement acquise. Mais elle est d'une grande importance car, si nous ne l'acquérons pas, il est inéIuctable que les exigences de l' Animus se portent ailleurs et soient alors P.105 confondues avec cette fausse objectivité .. bien qu'elles soient non seulement intempestives mais encore complètement erronées.
A l'exception de certaines actions spécifiques .. l'Animus peut et doit généralement aider à acquérir des connaissances et un jugement impersonnels, objectifs et raisonnables sur les choses et les situations, .pour la femme une conquête capitale, étant donné sa tendance à collaborer automatiquement et d'une manière trop subjective. Cette aide lui sera tout aussi utIle dans son domaine le plus spécifique, celui des relations humaines. Ainsi sa composante masculine l'aide à comprendre les hommes . autant son Animus, lorsqu'il reste autonome, nuit aux relations par son « objectivité » intempestive, autant la capacité d'avoir une attitude neutre et impersonnelle est essentielle à l'épanouissement de la femme.
La force de l' Animus peut donc agir non seulement dans les activités masculines et intellectuelles mais elle permet surtout d'acquérir une attitude intellectuelle qui la libèrera des limitations et des préjugés d'un moi étriqué. C'est. une aide précieuse de pouvoir nous échapper de nos malheurs personnels pour accéder à des pensées et à des sentiments plus généraux devant lesquels notre propre souffrance semble insignifiante et non avenue. Pour parvenir à une telle attitude et pour remplir les devoirs qu'elle entraîne, il nous faut avant tout nous soumettre à une discipline qui nous est beaucoup plus pénible qu'à l'homme car la femme est restée plus proche de la nature. En effet, l'Animus n'est pas un esprit qui se laisse dompter comme un cheval qu'on attelle à la charrue ; il a le caractère des êtres mythiques et il persiste dans une profonde léthargie ou bien il déconcerte par son vacillement incoercible ou bien encore il nous emmène loin du monde. .
.. la situation se présente différemment pour.. celles qui font des études, qui ont une profession ou une activité artistique ou d'organisation et qui, de cette façon, ont acquis l'habitude d'une discipline et d'une attitude réalistes bien avant d'avoir été réellement conscientes de leur problème d'Animus. Cela arrive aussi chez celles qui ont une prédisposition à s'identifier à l'Animus. Mais .. leur féminité leur a souvent posé dans ce cas un problème alors même qu'elles connaissaient une pleine réussite professionnelle. Elles ressentent généralement une insatisfaction, une aspiration vers des valeurs personnelles et non plus seulement matérielles, un besoin de nature et de féminité. Souvent aussi elles sont entraînées contre leur gré dans des relations difficiles ou bien le hasard ou le destin, les mettent dans des situations typiquement féminines dans lesquelles elles ne savent comment réagir. De la même façon que l'homme vis-à-vis de son Anima, elles se heurtent alors à la difficulté de devoir sacrifier une situation d'élite, ou à tout le moins supérieure, pour une autre moins considérée, fragile, passive, subjective et illogique, c'est-à-dire pour la féminité. Pour finir, cependant, ces voies différentes tendent vers un même but . La femme qui considère comme secondaires les activités intellectuelles ou réalistes court aussi le danger d'être dévorée par son Animus ou de ne faire qu'un avec lui. C'est pourquoi il est de la plus grande importance de trouver une compensation qui mette en échec les puissances de l'inconscient et nous relie au monde et à la vie. Nous la trouvons avant tout dans une prise de conscience toujours plus grande et dans un sentiment toujours plus fort de notre propre personnalité, en second lieu dans un travail qui demande P.107 un investissement intellectuel ; enfin - last but not least- dans des relations qui constituent un soutien et un point de repère humain en face du caractère supra ou extrahumain de l'Animus. Les relations avec les autres femmes sont aussi très importantes. Chez beaucoup d'entre elles, . au fur et à mesure que le problème de l'Animus se faisait plus menaçant, elles s'intéressaient davantage aux autres femmes et ressentaient leur fréquentation comme un besoin, voire une nécessité. prise de conscience d'un même danger pour toutes. Apprendre à estimer et à accentuer les valeurs féminines est la condition préalable pour que notre moi n'ait pas à redouter ce puissant principe masculin qui exerce son pouvoir de l'intérieur comme de l'extérieur. Si ce principe devient omnipotent, il menace ce qui est la raison d'être de la femme, le domaine où elle peut accomplir, ce qu'elle a de meilleur et de plus spécifique en elle, en un mot sa vie même.
Si nous arrivons à nous différencier de notre Animus et nous affirmer en face de lui au lieu de nous laisser dévorer, il ne représentera pas seulement un danger, mais il deviendra une énergie créatrice. De cette énergie, nous en avons besoin car. ce n'est que dans la mesure où cet être masculin est intégré dans notre âme et y exerce la fonction qui lui revient que nous pourrons être une femme au sens noble du terme et accomplir notre propre destin tout en restant nous-mêmes.


ANIMA I

« . Si un homme ne sait ce qu'une chose est, du moins aura-t-il augmenté sa connaissance s'il sait ce que cela n'est pas. » C.G. JUNG

. Expérience et notion sont étroitement liées ; elles interfèrent l'une sur l'autre, dans un rapport de P.109 réciprocité. . nos notions sont issues de nos expériences .. mais encore conditionnent-elles la nature des expériences que nous faisons. Il me semble, en particulier, qu'il existe un sentimentalisme qui se répand et déteint sur l'anima, que je suppose être enfoui au fin fond de la notion même, colorant ainsi nos expériences et les évaluations que nous pouvons en avoir d'une gamme subtile de teintes pastel. . Si donc, c'est dans la notion que gît le sentimentalisme, mieux vaut alors aller y voir. Certes, « anima » délimite une région de la psyché dont l'accès est peu aisé, qui ne se prête guère à l'observation. Mais la difficulté à laquelle nous sommes confrontés avec anima provient tout autant de l'indistinction des concepts que nous en avons que de l'indistinction de sa nature. Jung a souvent expliqué la valeur thérapeutique des concepts qui sont une manière d'appréhender, saisir, comprendre, de sorte que la précision conceptuelle de la pensée et du sentiment, et ceci tout particulièrement vis-à-vis d'un fascinosum aussi subtil et aussi vague que celui de l'anima, vient servir la conscience psychologique.
. on assiste plutôt à une sorte de satisfaction à répéter la pensée de Jung de façon défraîchie et à la perpétuer en multipliant Ies exemples. La notion, quant à elle, reste intacte ; ses incertitudes inexplorées.
. l'incertitude sied parfaitement à l'anima, car toute clarification conceptuelle nécessite que l'on utilise l'intellect et l'anima n'est pas de ce ressort. R os concepts en donneront un meiI1eur reflet s'ils 1 sont vagues. Pour moi, cette objection par trop courante, signifie que l'on s'est laissé abuser par la folle étreinte de l'anima. .Nous sommes sensés ne pas la laisser gouverner le domaine relationnel, où comme Eve elle nous rendrait trop sensuels et trop terre-à-terre, nous ne devons pas non plus la laisser dominer celui de l'idéation où, à l'instar de Sophia, elle nous rendrait confus et sans forme. Obscurcissant notre ciel et nous faisant tourner la tête, nous pouvons tout autant être victime de nos projections de l'anima à l'égard d'idées sentimentales qu'à l'égard des humains. Le sacrificium intellectus de la psychologie analytique est aujourd'hui quelque peu détourné de son sens authentique - offrir l'intellect aux dieux - pour ne plus vouloir dire qu'en abandonner le fardeau et le remplacer par de la mollesse d'esprit et du flou. Ni Freud ni Jung n'ont eu à se couper la tête pour servir la psyché. Si Sophia représente l'un des visages de l'anima, le fait d'avoir alors une certaine subtilité dans l'usage de l'esprit n'est pas lui faire affront .
. notre société, et la psychologie en tant qu'elle en est partie intégrante, se trouvent dans une situation tendue vis-à-vis du sentiment, de la féminité, de l'âme et du monde de l'imagination, tous ces secteurs dans lesquels la psychologie analytique a impliqué l'anima ; . Jung nous dit que, pour l'individu, l'Auseinandersetzung, « avec l'anima est l'ouvre du maître » . P.111.
Jung donne à « anima » plusieurs définitions. Elles peuvent être prises comme des niveaux distinctifs différents que nous pouvons séparer avant d'essayer d'en comprendre les inter-relations. Le terme niveau ne doit pas laisser sous-entendre une hiérarchie de paliers ou de degrés dans les valeurs mais simplement une série de facettes superposées les unes aux autres. . (image du diamant) comme s'il s'agissait d'un corpus unique.

1. Anima et contrepartie sexuelle

Jung et les ouvrages de psychologie analytique utilisent le terme « anima « en référence à l'aspect le moins conscient de la psyché masculine, représentant le caractère sexuel opposé. . « On peut (.) définir l'anima comme image, archétype ou empreinte de toutes les expériences de l'homme concernant la femme ». . Cette définition fondamentale qui place l'anima uniquement dans la psyché masculine s'appuie sur une hypothèse biologique, à savoir : « l'anima est probablement la figuration de la minorité des gènes féminins dans le corps masculin ». . Ainsi l'anima devient le véhicule P.113 et même l'image de la « Totalité » . puisqu'elle parachève l'hermaphrodite aussi bien sur le plan psychologique que sur le plan biologique par le fait même qu'elle représente la contrepartie sexuelle de l'homme.
S'il est vrai que l'anima représente le manque féminin de 1'homme, une thérapie régie par l'idée d'individuation - avec pour visée la Totalité - s'attachera alors essentiellement à son développement. . Cependant, aussi longtemps qu'« anima » restera la salade russe dans laquelle toutes les idées seront confondues, sentiment, éros, relations humaines, introversion, imagination, concrétude, sans parler de celles que nous découvrirons en cours de route, le développement de l'anima, tout comme l'anima elle-même, continuera à signifier tout et n'importe quoi. En réalité, au lieu du « développement de l'anima », nous assistons plutôt à un riche commerce d'indulgences eschatologiques relatives à la manière de sauver son âme par le relationnel, en devenant plus féminin, et au sacrifice de l'intellect.
La première notion d'anima, celle qui représente la contrepartie sexuelle de l'homme, se conçoit à l'intérieur de la vision imaginative suscitée par les opposés. L'homme et la femme sont des opposés, le conscient et l'inconscient sont des opposés, masculinité consciente et féminité inconsciente sont des opposés. D'autres caractéristiques peuvent venir s'ajouter à ces oppositions, comme par exemple : une conscience jeune possède une figure d'anima âgée ; un adulte se double d'une image de sorror proche de son âge ; une conscience âgée trouve sa correspondance en la personne d'une petite fille. . Le facteur social intervient également dans la définition de contrepartie sexuelle, et à ce sujet plusieurs passages font référence à l' « anima » comme à une personnalité inférieure, contrepartie de notre image sociale. Il existe une opposition entre le rôle social que chacun joue à l'extérieur dans la vie et la vie de l'âme, moins consciente et intérieure. Cet aspect d'une conscience moindre, orientée vers l'intérieur et vécue comme notre intimité personnelle, est l'« anima » considérée comme « image de l'âme ». Plus un homme s'identifiera à son rôle biologique et à son rôle social d'être viril (persona), plus son anima dominera son monde intérieur. De même que la persona régit l'adaptation à la conscience collective, l'anima gouverne le monde intérieur de l'inconscient collectif. De même que, selon Jung, passé le cap du milieu de la vie, la psychologie masculine se déplace vers son opposé féminin, il se produit une sorte d'adoucissement et d'affaiblissement social et physiologique orienté vers le « féminin », tous ces mouvements étant suscités par l'anima.
. Bien sûr, c'est avant tout au travers des figures oniriques de l'homme occidental, de ses émotions, ses symptômes, des fantasmes qui l'obsèdent et de ses projections, qu'on la rencontre. L'anima est « la séductrice sentimentale de l'homme à l'humeur changeante, possessive et fascinante », « Elle renforce, exagère, falsifie et colore d'une teinte mythologique toutes les relations émotionnelles. » P.115
Toutefois, le syndrome de l'infériorité des caractères féminins de la sphère personnelle, de même que les autres syndromes (hystérie de conversion ou délire maniaque ..) sont fonction des dominantes culturelles en cours . Des syndromes courants au temps de Freud, aux débuts de la psychanalyse, sont aujourd'hui moins courants ; l'anima, syndrome d'excès ou d'infériorité des traits féminins, est d'une évidence moindre au fur et à mesure que la culture se meut vers l'intégration, dans ses valeurs collectives, d'attitudes qui sont « typiquement le fait de l'anima ». Il ne faut donc pas identifier une description de l'anima, correspondant à une période de l'histoire caractéristique par son manque d'âme, son volontarisme outrancier, son puritanisme défensif et son patriarcat inflexible, à sa définition. Même si anima est de nature à exagérer et donne une coloration mythologique, son influence sur les relations émotionnelles de nos jours, où intériorité de l'âme et contrepartie sexuelle sont « de rigueur », apparaîtra de façon différente et sera gouvernée par d'autres mythes. L'objectif présent est donc de découvrir quelles sont les descriptions qui lui conviennent le mieux actuellement et de quelles teintes mythologiques elle se sert aujourd'hui.
De plus, et ceci indépendamment des périodes historiques et de leurs notions d'effémination, il existe probablement une conscience sophistiquée de l'anima (chez les troubadours, l'acteur, le courtier, le diplomate, le peintre, le fleuriste, le décorateur ou le psychologue - avec plus ou moins de sel selon le cas) qui fait moins référence à la féminité inconsciente qu'à la véritable identité du moi. Un homme peut être presque entièrement gouverné par l'anima, sans pour autant être inconscient - c'est-à-dire sans montrer de traits compulsifs ou indifférenciés de sexualité opposée. Un homme peut tout à fait être un enfant de l'anima et ceci ouvertement dans son comportement social, et vivre de façon adaptée dans une conscience collective qui a de nouveau fait place à ce qui, jusqu'à récemment encore, avait été considéré de façon absurde comme subjectivité inférieure de l'anima et sensiblerie féminine. Face à ces phénomènes, la psychologie analytique peut encore maintenir sa théorie en se référant une nouvelle fois au système imaginaire des opposés. Cette fois, c'est avec l'ombre masculine qu'est couplée l'anima. Lorsque le moi d'un homme se présente avec une prépondérance de caractères typiques ayant trait à l'anima, l'inconscient est alors représenté par l'ombre chtonienne masculine ; lorsque le moi d'un homme est féminin, il s'ensuit que sa contrepartie sexuelle inconsciente doit obligatoirement être mascuIine ( cf. sur l'homosexualité masculine qui est une identification à l'anima).
Aujourd'hui les notions de « masculin » et de « féminin » sont controversées. . Il est devenu difficile de parler d'anima comme d'une féminité inférieure . la psychologie archétypale a mis en doute la notion même de Moi. L'identité du Moi ne représente pas simplement quelque chose d'unique, bien au contraire, dans l'optique d'une psychologie polythéiste, le « Moi » peut être considéré comme le reflet d'un archétype parmi d'autres et représenter différents mythoIogèmes. Il peut tout aussi bien être influencé par une Déesse que par un Dieu ou un héros, P.117 de même que déployer dans son comportement des allures féminines, sans qu'en aucune façon cela n'indique une faiblesse du Moi ou l'émergence de sa disparition. Le Moi d'un homme peut remplir toutes les fonctions que l'on attend d'un Moi sans que pour autant il lui soit nécessaire de s'inspirer d'Hercule ou du Christ. Nul besoin d'être capitaine, père ou fondateur d'empire, mais plutôt se mouvoir à travers le monde tel un enfant lunaire ou un fils de Vénus, avec, malgré tout, I'intégrité de toutes Ies fonctions du Moi : orientation, mémoire, association, proprioception. .
Du fait que le système imaginaire des opposés confine l'anima en situation couplée, d'une part sur le pIan social avec la persona ou l'ombre, d'autre part sexuellement avec la masculinité, nous négligeons sa phénoménologie « per se », et ainsi, nous trouvons difficile de la comprendre en dehors de ces autres notions (masculinité, ombre, animus, persona). Nous considérons toujours la phénoménologie de l'anima à l'intérieur d'une alliance ou en fonction du plateau opposé d'une balance. Nos notions sont élaborées de façon à compenser quelque chose d'autre dont elle ne cesse d'être sous Ie joug. Et alors que les différences entre masculinité sociale et masculinité sexuelle sont encore imprécises et que les idées que nous avons du Moi se sont sclérosées à l'intérieur de clichés dogmatiques, la définition de l'anima semble dériver, sans s'en démarquer suffisamment, de ses occurrences historiques et culturelles. Cependant, la phénoménologie de l'anima existait au sein de la psyché bien avant ces dernières, et continue d'exister indépendamment du cadre psychologique à l'intérieur duquel elle a été placée. Une psychologie archétypale se devrait d'essayer de pénétrer de façon plus approfondie Ies descriptions que les différents complexes ont données de l'anima, de façon à obtenir une notion qui soit plus fondamentale.

2. Anima et Eros

. Nous nous sommes habitués à ce que les contenus et les sentiments érotiques soient liés à l'archétype de l'anima, mais lui appartiennent-ils vraiment ?
Du point de vue linguistique et phénoménologique, anima et psyché sont plus liées à l'air, à l'air vivant, issu de la tête (facette Athéna ?), siège sacré d'où jaillit la force( qui devient plus tard notre anima rationalis ou âme intellectuelle ), à la respiration, comme Jung le fait remarquer, à la rosée et aux émanations lourdes et fraîches, voire à la terre et à la mort (âme de P'o, anima telluris) qu'au feu et au désir. Cette substance vaporeuse de l'âme, semblable à la brume qui plane par-dessus les marais, l'oiseau aquatique, aux creux roseaux et au souffle de la P.119 brise frémissant dans les joncs, a été mise en conjonction avec l'anima . certaines des caractéristiques phénoménologiques qui opposent traditionnellement Anima et Eros. L'Anima se présente sous un aspect humide, végétatif, réceptif, indirect, ambigu ; sa conscience est réflexive et sujette à de continuels mouvements. Eros, lui, est fier, phallique, intrépide, orienté vers un but, rare et indépendant, érigé comme une flèche, une torche, une échelle. L'Anima fait référence au passé traditionnel, historique et archaïque. ( « De l'anima surgit immédiatement un étrange sentiment historique » . L'archétype de l'anima, tout particulièrement, évoque un sens de l'histoire. .. « . Elle apparaît volontiers dans un vêtement historique.. » et « elle a aussi un curieux rapport avec le temps. Ses relations avec l'histoire remontent jusqu'au passé archaïque et même phylogénétique. Bien que l'animus se transmette par l'intermédiaire du père et soit représenté par une congrégation de pairs présentant également un fort conservatisme et que, « même dans son essence la plus profonde », « le facteur historique n'est (donc) nullement absent de l'animus », Jung fait cependant une différence entre anima et animus qu'il exprime en terme de : « sentiment mystique de l'histoire ». Alors que l'anima remonte en arrière, l'animus, lui, « s'inquiète davantage du présent et de l'avenir » . On pourrait presque faire l'extrapolation suivante : l'anima nous fait remonter dans l'histoire de sorte que la lutte avec l'histoire -histoire des cas que nous sommes, celle de nos ancêtres, de notre culture - est une façon de procéder à la constitution de l'âme. L'intérêt pour l'histoire et pour la perspective
historique est le reflet de l'anima. L'intérêt pour Ie présent, la scène politique, les réformes sociales, les opinions en cours et toute la futurologie ; sont du ressort de l'animus -et ceci, aussi bien chez l'homme que chez la femme -. L'anima et l'animus ont besoin l'un de l'autre, car, tandis que l'animus actualise le passé par rapport au présent et au futur, l'anima, elle, donne de la profondeur et de la culture aux opinions en cours et aux conjectures. A fonctionner l'un sans l'autre, soit nous nous égarons dans les fouilles archéologiques du raffinement académique de l'anima, soit nous sommes à la pointe du futur suivant l'animus dans la science fiction de l'espace-histoire, dans le boom de la pollution/population .) Eros est éternel et jeune, il n'a pas d'histoire, voir même il efface l'histoire ou crée sa propre histoire, .. « histoire d'amour » .
Et, alors qu'anima se retire dans un isolement méditatif - le retrait de l'âme - éros, lui, cherche à s'unir.
Même lorsque Jung parIe des stades de la culture de l'éros et met en corrélation les quatre niveaux de la phénoménologie érotique avec les quatre degrés de l'anima (Eve, Hélène, Marie et Sophia), les images du féminin auxquelles il se réfère alors ne sont pas l'éros lui-même, mais les objets de son attente (pothos). Chaque pulsion a une projection qui lui correspond, qu'elle cherche à atteindre, un graaI pour recueillir son sang. Ces contenants peuvent être représentés par les images de l'anima décrite par Jung et une certaine qualité d'éros peut être mise en corrélation avec chacune de ses figures, sans que ces dernières ne soient cependant l'éros. Ce n'est pas elles qui dispensent l'amour mais elles qui le reçoivent ; elles en sont le reflet. Le moyen par lequel éros peut appréhender son existence. Lorsque notre désir nous est renvoyé par une joyeuse adolescente ou une religieuse infirmière, par l'intermédiaire spécifique de l'image de l'âme, nous avons la possibilité de connaître avec plus de précision la dualité de notre désir. Mais le désir n'est ni celle qui nous conduit vers la gaieté, P.121 ni l'infirmière. Les images sont les portraits de l'âme au moyen desquels l'éros est introduit dans le champs psychique et qui permettent de l'observer comme événement psychique.
Bachelard associe l'anima à la rêverie .. ; Corbin à l'imagination ; Ficino à la fantaisie (idolum) et au destin ; Onians à la vie et à la mort ; Porphyre à un esprit humide et une « opacité aérienne » . De plus, alors que l'anima fait traditionnellement référence à une fonction se situant à l'intérieur et en étroite relation avec la vie et son destin, l'éros, lui, est un daimon, extérieur, qui fait irruption dans notre vie et dans notre destin. Nous tombons amoureux et devons nous en relever. Tout au cours de l'activité de l'amour, nous subissons ses transports, sa rédemption, son anathème, et pourtant, ce sur quoi agit l'amour, n'est pas l'amour, c'est l'âme. L'âme est la cible vers laquelle sa flèche est pointée, le combustible qui alimente son feu, le labyrinthe dans lequel il effectue sa danse. C'est sur cette notion structurale .. : l'anima prise comme structure archétypale de la conscience. En ce sens, elle confère une approche du monde, structurée de façon bien spécifique, un mode de comportement, de perception, une manière de sentir, qui donne aux événements la qualité qui n'est pas celle de l'amour, mais celle de l'âme. Que dire encore de cette structure ? Quels en sont les traits spécifiques permettant de la caractériser et de la différencier, s'ils ne sont pas d'ordre érotique ?
L'Anima est intérieure (de là le qualificatif « close », de même que celui de « virginale » que l'on trouve dans les métaphores poétiques et religieuses de l'âme ), elle est aussi pleine de dévotion, bien que cependant labile, généreuse et productrice, mais toutefois réservée (farouche, indigne, fuyante, pure, dissimulée, ces dernières qualités se trouvant chez les vierges nymphes et les Déesses comme Marie ou Artémis). A cette intériorité appartient un mouvement d'approfondissement vers le bas (grottes, abîmes, tombeaux), qui, dans la phénoménologie de Koré-Perséphone, met ces dernières en relation avec le royaume des profondeurs.
« L'Anima ne rentrait en usage pour nommer la vie de l'âme, qu'après la mort » (Onians) Elle véhicule notre mort, mort tapie au sein de notre âme. Ici encore, ces notions sont fort éloignées d'une idée d'anima prise comme principe d'éros, tout particulièrement lorsque l'éros en est arrivé à signifier la libido, c'est-à-dire la pulsion de vie qui s'oppose à la mort . P.123
Cette conscience est mise en mouvement par des humeurs, notion .. représentée par des images ayant trait aux éléments atmosphériques naturels (nuages, vagues, eaux dormantes). La conscience de l'anima, elle, a une préférence marquée pour le mimétisme de protection et un attachement à quelque chose ou a quelqu'un chez qui elle peut trouver un écho. Nous reconnaissons là la nature des nymphes sylvestres attachées aux arbres, celle des âmes errant par-dessus les ondes, et dont la voix exhale des combes et des grottes ou fait émaner un chant du haut d'un rocher marin ou du fond d'un tourbillon et, avec plus d'intensité encore, celle des succubes. Le fait de concevoir anima de manière couplée est inféré par sa phénoménologie. Aussi, pensons-nous à elle en termes d'attachement à un corps ou à un esprit, en termes de mystère : mère-fille, de couple masculin-féminin, en compensation avec la persona, en collusion avec l'ombre ou comme guide du Soi.
Dans ces couples, comme dans le langage figuré de la mythologie, l'anima représente le partenaire réflexif. C'est elle qui permet le moment de réflexion au cour même de ce qui est donné de façon naturelle. Elle représente le facteur psychique issu de la nature, une idée que le siècle dernier a appelé « animisme ». Nous ressentons ce moment de réflexion au travers d'états émotionnels contradictoires constellés par les phénomènes d'anima : la fascination et le danger, l'horreur et le désir, la soumission fatale dans laquelle elle nous place et le doute, la conscience profonde qu'elle est détentrice à la fois de ma vie et de ma mort. Sans ces émotions qui bouleversent l'esprit, les lieux et les êtres auxquels elle est attachée n'auraient aucune importance. Mais la vie, le destin et la mort ne peuvent être rendus conscients, de telle sorte qu'avec elle, c'est une conscience de notre inconscience fondamentale qui est constellée. En d'autres termes, la conscience de cette structure archétypale n'est jamais très éloignée de l'état d'inconscience. Son attachement premier se situe à un niveau naturel, au niveau de tout ce qui est, dans sa simplicité essentielle, la vie, le destin, la mort, et qui ne pourra accéder un état autre que celui de reflet, sans parvenir jamais à se séparer de l'impénétrable opacité qui l'entoure. C'est proche de ce champ, qui est celui de l'esprit inconscient naturel, que réside l'anima.
Une conscience qui ne s'élève pas mais demeure attachée, qui erre et qui folâtre par-dessus l'étendue des événements naturels, peut également être figurée par le papillon. La fascination de ce lépidoptère pour le feu a, pendant longtemps, servi à représenter l'attachement virevoltant de l'âme à l'éros, de même que le papillon butinant sa subsistance des fleurs du sentiment, a représenté la relation psyché-éros. En outre, le papillon indique que l'air est l'élément de la psyché.
« Planer », prendre des airs, ne pas manquer d'air, être pompeux, à bout de souffle ou d'humeur changeante selon la pression atmosphérique, tout cela est du domaine de l'anima. Voler à basse altitude dans les rêves, et tout particulièrement dans les pièces (fermées, intérieures, dedans), au-dessus de meubles ou de personnes, est à distinguer de l'élévation du puer, et n'est pas nécessairement à prendre comme un signe dangereux de « décollage », d'inflation, de perte de contact avec le corps. Pour ma part, je considère que ce type de vols fait partie de la phénoménologie de l'anima, et que certains aspects de l'âme peuvent être parfaitement bien représentés par l'élément air. Dans les rêves d'enfants, les vols à basse altitude me semblent être un signe avant-coureur de la conscience de l'anima. .
A l'instar du papillon, la conscience de l'anima passe par des phases s'inscrivant dans un processus, une histoire. Tour à tour ouf, larve, cocon, aile resplendissante, et ceci non seulement de façon successive, mais simultanément. Notre P.125 approche des événements et des images, si fortement empreinte d'évolutionnisme, nous incite toujours à considérer le développement avant tout autre chose, nous faisant oublier que dans le domaine de l'imaginaI, à chaque instant, tous les processus appartenant à une image lui sont inhérents. Il n'existe pas seulement une coincidentia oppositorum, mais ne coïncidence de processus. Toutes phases à la fois : ni première ni dernière, ni meilleure ni pire, ni progression ni régression. Plutôt, l'histoire de l'âme considérée comme une suite d'images superposées. Dans le récit de leur interaction, la Mère devient croissance, l'Enfant avenir et le Héros épopée qui évolue vers l'accomplissement. Du fait que notre conscience est asservie par ces structures archétypales, nous sommes incapables d'envisager une phénoménologie de phases qui ne procède pas du développement, comme si le papillon était un pèlerin moraliste. Mais le choix d'une image issue de la nature n'implique par l'imposture naturaliste vis- à-vis de ses interprétations. Considérer la Psyché comme un papillon n'exige pas de nous que nous considérions l'âme sous l'angle du développement.
En dépit de ces distinctions entre éros et psyché, et du caractère spécifique que prend psyché face à éros, il n'en reste pas moins ces dames-de-plaisir qui, dans les rêves, nous rendent de sensuelles visites. Elles apparaissent érotiques, en soi, de sorte qu'elles donnent une base phénoménologique à l'aspect érotique de la notion d'anima.
Ici, je crois qu'il serait bon de rappeler que tout ce qui est féminin n'est pas nécessairement anima, et que tout ce qui est anima n'est pas forcément vénusien. Dans les rêves et les fantasmes, la phénoménologie de Vénus est ennoblie par le mot « âme » qui, du même coup, alourdit l'aspect aphrodisiaque de la psyché, au même titre qu'il sous-évalue Vénus. La prostituée, dans les rêves, est une prostituée qui peut revêtir une signification psychologique plus profonde (cf. la « Grande Prostituée » (meretrix) dans l'alchimie, au même titre que n'importe qu'elle image archétypale, et qui n'a pas besoin d'être anima, maîtresse âme, psychopompe vers le soi, à condition cependant qu'elle ne soit pas numineuse et ne véhicule pas tous les fascinants enchevêtrements bipolaires qui sont le fait de l'archétype de l'anima : vieille et jeune, délicate et matérielle, culture et nature, pure et infâme, proche et mystérieuse. Nous faisons preuve d'injustice envers complexité de l'anima, en appelant chaque belle de nuit apparaissant dans nos rêves, une image de notre anima ; et nous n'avons que peu d'égard envers Aphrodite, comme structure authentique de la conscience, lorsque nous en psychologisons la nature et l'appelons une « figure d'anima ».
Prendre en considération le domaine archétypal d'Aphrodite et ses modèles de comportement signifie les considérer pour ce qu'ils sont, sans fusionnement ni inflation dus à l'apport de l'âme. L'aspect séducteur des images vénusiennes nous entraîne au royaume de Vénus, de la même manière qu'Ulysse fut attirée par Calypso et par Circé . Mais .. dans l'Odyssée .. à aucun moment, Vénus n'est assimilée à l'âme. Ulysse a un guide, Athéna .. l'âme est ici considérée comme compréhension psychologique plutôt que comme éros. Il est évident que l'âme représente plus que simplement Vénus, et Vénus plus que simplement l'âme.
Il me semble que, d'une part, le fait d'attribuer de l'âme au premier volatile qui se présente dans les fantasmes est une manière d'exagérer de façon disproportionnée le sens de telles images, de même que celui des relations humaines dans lesquelles elles apparaissent. Lorsque les analystes mettent les valeurs de l'âme où il n'est question que de rapports vénusiens, ils la servent alors comme le feraient des P.127 « marieurs », en même temps qu'ils alourdissent les plaisirs de la vie du « développement de l'anima.»
. Vénus est une des gares de péage qui a droit à son dû. L'homme moderne a un contentieux auprès d'Aphrodite, et celle-ci exige de lui, aujourd'hui, le remboursement de sa dette à un taux exhorbitant. En fait, c'est comme si elle exigeait nos âmes en compensation de tous les siècles où la répression judéo-chrétienne les lui a refusées. Mais nous nous acquittons mieux de notre dette envers Aphrodite si nous la remboursons en monnaie sonnante et en devises qui sont les siennes . Il est plus rassurant le visiter sa maison planétaire au nom du développement de l'anima que de souffrir pour elle seule, des maux, passions, perversions, vengeances, fureurs et plaisirs soporeux liés à Vénus.
II me semble que la confusion que fait communément l'analyse de nos jours entre âme et éros prend sa source dans la perspective archétypale d'Aphrodite. En effet, Aphrodite veut absolument que les phénomènes soient considérés à travers les yeux de son fils, Eros. Par le maintien de cette perspective, elle exige de ce fils qu'il soit en permanence au service d'une optique de l'âme et de la Féminité exclusivement vénérienne et vénusienne. Mais avant tout, il est de son intérêt de conserver Eros du côté du pôle féminin de la coniunctio. Du fait qu'elle garde Eros à ses côtés, l'aspect érotique de ce dernier sera activé de manière aphrodisiaque, ce qui donne à l'éros cette physionomie que l'on trouve dans la conscience d'aujourd'hui, où il apparaît sexualisé de manière extrême (l'Eros de Socrate - où Jung dit avoir pris l'expression) ne laisse planer aucun doute sur sa nature masculine - Hermès se trouve dans sa généalogie, de sorte que l'on comprend qu'il ait des aspirations autres que l'Eros d'Aphrodite, qui n'était pour Socrate qu'une phase de l'activité érotique).
Cependant, Aphrodite attend toujours que reconnaissance lui soit rendue pour l'influence qu'elle a sur la notion d'anima . Souvent le domaine de l'anima ne semble pas être différent de celui d'Aphrodite, c'est-à-dire celui des relations érotiques, ou de leur transmutation dans le domaine d'Hélène qui, dans l'Antiquité, était considérée comme l'incarnation d'Aphrodite. C'est là que nous sommes censés trouver anima, et là, que nous la développons (Hélène - Aphrodite colore notre notion de façon telle, que lorsque Jung parle des quatre stades de la culture de l'éros, c'est Hélène tout particulièrement qu'il qualifie de « figure d'Anima »).
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Aphrodite a peut-être donné au transfert sa perspective correcte, de même qu'elle a probablement été la porte ouverte ayant permis au refoulé de s'échapper (dans notre culture, entre 1870 et 1960), mais ceci n'est ni la seule, ni même la plus importante perspective de l'anima. Les idées sur l'âme, issue d'Athéna, Artémis, Héra et Perséphone sont d'un autre cru. Vouer les événements qui sont Ie fait de l'anima, au culte d'Aphrodite, est une manière de refouler Psyché au service de cette dernière ; à refouler à l'état qui est celui du début des Contes d'Apulée, alors que ce qui suit et le point fort de ces contes s'applique précisément à décrire comment Eros et Psyché se meuvent tous deux vers une retraite de l'emprise d'Aphrodite.
Définir l'anima comme étant le facteur éros nous contraint alors en permanence à prétendre que l'excitation sexuelle est un message de l'âme et ne peut être repoussée - car qui repousserait l'appel de son âme ? Nous sommes donc contraints de prétendre que les relations humaines mouvementées de même que les enthousiasmes délirants nous sont inspirés par l'anima, alors qu'en réalité, ils sont moins le fait de la moiteur de l'âme permettant la réflexion, que celui de la capture de l'âme par Eros. Car ici, il nous faut admettre que si l'anima n'est pas l'éros, sa première inclination va cependant vers l'amour. II est vrai qu'elle séduit : être allumé, enflammé, illuminé. II est vrai qu'elle fait des avances, afin de faire se transformer la réflexion pure en connexion. Il est vrai qu'elle possède une gamme incroyable d'images voluptueuses afin de s'attirer l'éros, et ceci dans le but de ce que Platon appelait « génération» ou constitution de l'âme. Toutefois, bien que l'amour soit essentiel à l'âme, fait sur lequel insiste la théologie et que confirme la psychothérapie, et bien que l'âme soit ce par quoi nous recevions l'amour, il n'en est pas moins vrai que l'âme n'est pas l'amour.
En les distinguant bien l'un de l'autre par des contrastes comme moiteur et feu, serpent et lièvre, oiseau aquatique et colombe, reflet et désir, fantasme et pulsion, nature et esprit, idée et activité, profondeur et élévation, je m'applique ainsi à suivre Ie diton des alchimistes pour lequel, seul ce qui a été bien séparé peut être réuni de façon adéquate. P.131

3. Anima et sentiment

En plus de l'éros, on attribue généralement aussi à l'anima le sentiment, comme si elle représentait l'archétype de la fonction sentiment. Les origines de cette confusion sont multiples. La première et la plus simple d'entre elles réside dans l'idée d'infériorité. Lorsque la fonction sentiment est inférieure chez l'homme (selon l'adage généralement répandu en psychologie analytique), il y a imbrication avec l'infériorité de l'anima, contrepartie sexuelle masculine. . .. s'ensuit que du fait que nous différencions le sentiment, nous croyons différencier l'anima, alors que la tâche à accomplir est plus vraisemblablement de différencier l'anima du sentiment, de la différencier des rapports humains et des évaluations personnelles que le sentiment en est arrivé à signifier, et qui confinent l'anima dans le monde du sentiment personnel issu d'Hélène.
Une autre source de confusion entre anima et sentiment repose sur l'idée, .. que le sentiment est une prérogative féminine. (Les femmes sont plus à l'aise dans le monde du sentiment, c'est au contact des femmes que les hommes s'éveillent au sentiment, le développement du féminin s'effectue par le biais de la fonction sentiment.) Puisque l'anima est féminine par définition, en conséquence le sentiment fait référence à l'anima. Si nous poussons plus avant ce raisonnement fallacieux .. nous parvenons à l'équation suivante : développement de l'anima = développement du sentiment. Derrière cette équation se profile encore l'idée d'éros, éros qui est censé être la force résidant à la fois dans l'anima et dans la fonction sentiment.
De la même manière que l'anima n'est pas l'éros ou son représentant psychique, la relation que l'on suppose exister entre le Dieu-daimon Eros et, d'une part, la nature du principe archétypal de l'éros et, d'autre part, le sentiment pris comme fonction psychologique, n'a jamais été établie, aussi bien sur le plan empirique, logique que phénoménologique. La fonction sentiment est surtout à l'ouvre dans le domaine du sentiment . Seule une certaine partie de ce sentiment a à voir avec l'éros. Attribuer à l'éros le sentiment ou l'anima est une manière de vouloir vouer tous les événements au même saint, de tout rattacher à l'amour. Cette attitude n'est pas seulement arbitrairement chrétienne, . mais elle aboutit au fait que les aspects authentiques de l'anima ne sont considérés que du seul point de vue de l'amour. La haine, la rancune, le doute, la jalousie, le rejet, l'inimitié, la déception, la trahison, la cruauté, la misanthropie, le ridicule, toutes ces émotions ont un rôle à jouer dans les expériences que l'on peut avoir de l'anima. Elles conviennent parfaitement à nombre de créatures, cruelles et ensorcelantes, que nous rencontrons dans les légendes et dans la poésie - ainsi que dans nos rêves et dans la vie - même lorsque ces émotions si « négatives» sont loin de l'éros et de la fonction sentiment . P.133
On trouve encore une autre source de confusion dans l'idée de relation. Jung .. appelle souvent l'anima fonction de relation. Il considère aussi parfois l'anima comme le facteur qui donne « à la conscience de homme la capacité d'entrer en contact avec son entourage et de créer des liens. Bien que Jung lui-même ne décrive ce sentiment que rarement comme une relation mais plutôt comme une valeur, la psychologie analytique a tendance à en accentuer l'aspect relationnel. On parle généralement du sentiment comme de l'instrument mettant en rapport les personnes entre elles, et l'individu avec son monde intérieur et extérieur. Avoir « peu de sentiment » et être « sans relation » sont devenus des synonymes. Du fait qu'anima et sentiment sont tous deux appelés fonction de relation, ils ont tendance à se confondre.
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L'anima considérée comme relation est cette configuration qui médiatise personnel et collectif, ce qui est réel et ce qui ne l'est pas, l'horizon de la conscience individuelle et domaine originel de l'imaginaI, ses images, ses idées, ses figures, ses émotions. Dans ce contexte, l'anima fonctionne comme médiatrice et comme psychopompe. C'est cette fonction qui déterminera la qualité de la relation. De sorte qu'une relation gouvernée par l'anima présentera des paradoxes variables de langueur et de trépidation, de confusion et de légèreté, de foi et de doute, de même qu'un sens profond de la valeur de la personne due à l'importance apportée à l'âme imaginale qui se trouve ainsi en liberté. L'autre caractéristique principale, en plus des paradoxes émotionnels et de l'inflation de l'importance, est l'autonomie inquiétante - l'inconscience originelle - que revêt à ce point la relation à l'anima, car une telle relation en fait une passerelle vers tout ce qui est inconnu.
L'anima fonction de relation est donc vraiment très éloignée du relationnel. Il est même étonnant qu'elle puisse avoir été considèrée comme une aide dans le domaine des relations humaines. Dans chacune de ses formes classiques, elle apparaît comme une créature non humaine ou à demi humaine, et ses effets nous éloignent de la situation humaine en ce qu'elle a d'individuel. Elle nous rend lunatique, nous donne une vision déformée de la réalité, nous fait vivre dans Ia fiction, et ceci ne vient nourrir la relation, dans le cas seulement, où les personnes concernées partagent les mêmes états d'âme, les mêmes fantasmes. Si nous voulons vraiment « entrer en relation » , alors, au diable l'anima ! Rien ne dérange plus le véritable sentiment entre êtres humains que l'anima. Même lorsque sous ses formes dites les plus élevée (Diotime, Aphrodite, Uranie, Marie, Sophia) elle s'insinue dans la relation, une atmosphère royale et oppressante se fait alors sentir, et son rôle psychopompe se trouve éclipsé par une ernphase psychique.
Quant au sentiment considéré comme relation, c'est une autre histoire ! Il s'agit ici de cette fonction mettant objet et sujet dans une relation d'évaluation. Autrement dit : je te jauge ; ou encore, un événement se singularise sous une forme particulière ( « sentiment » ), qui est fonction de mon échelle de valeur, de sorte que j'en reconnais l'importance par rapport à d'autres événements. Le terme « relation» fait ici référence à un processus d'estimation et d'évaluation, qui se déroule de manière relativement constante entre la P.135 conscience et son contenu. C'est par l'intermédiaire de ce processus que peut s'établir une relation entre la conscience et son contenu, et entre les contenus entre eux. La pensée, qui est aussi une fonction rationnelle, permet également la relation. Elle aussi distingue, ordonne et fait des connexions cohérentes entre contenus, et entre sujet et objet. Il va sans dire qu'elle pense ces relations conformément à des principes de pensée, plutôt qu'elle ne les ressent en tant que valeurs.
Le rapport qu'entretiennent Georges et Marie dépend de la nature spécifique de Georges et de Marie. Ce rapport est le reflet du processus vivant de leur sentiment, et pour eux leur relation est unique. Si celle-ci était le fait de l'anima, elle serait alors moins un reflet d'eux-mêmes que celui d'un fantasme de nature archétypale agissant au travers d'eux. Ils deviendraient alors acteurs du collectif, interprétant un fantasme inconscient du style, amants, chamailleurs, ennemis, mère-fils, père-fille, soignant-patient, etc. Même la fonction sentiment est alors envahie par le fantasme qui domine. C'est ainsi que la complexité spécifique du rapport qu'entretiennent Georges et Marie se trouve propulsée en avant dans une mise en scène archétypale dont l'anima est à l'origine. Les raisons de cette dernière ? Parce qu'elle veut absolument que l'être humain respecte son type de relation inhumaine plus vaste et plus fatidique envers les facteurs impersonnels, et qui, d'un point de vue archétypal, sont antérieurs même au sentiment humain.
Le mélange de l'anima et du sentiment est une contribution à cette voie de complaisance qui, en psychothérapie analytique, considère la cure de l'âme comme une culture de l'anima d'une nature particulière, à savoir le développement du sentiment. Mais la culture de l'anima ou constitution de l'âme, pour utiliser une idée plus large, est avant toute chose un processus complexe fait de fantasmes et de compréhension, dont une partie seulement relève de la complexité subtile du sentiment. De plus, le sentiment qui se développe au cours de la constitution de l'âme est peut-être plus impersonnel, une sensibilité de détail envers la valeur spécifique des contenus psychiques et des attitudes, qu'il n'est personnel. Ce développement n'évolue pas de ce qui est impersonnel vers ce qui est personnel, en relation, humain. Le mouvement se fait plutôt à partir de l'emprise la plus étroite du monde humain et empirique dans lequel je suis et de ses intérêts personnels, en direction des événements archétypaux qui placent mon monde empirique et personnel à l'intérieur d'un cadre plus significatif. Ce cadre n'est donné ni par le sentiment ni par la relation, mais par l'anima dont la fantaisie mythologisante et la fonction réflexive évoquent la vie, le destin et la mort. Elle ne conduit pas au sentiment humain, mais nous en fait sortir. En tant que fonction reliant conscient et inconscient, elle obstrue le sentiment conscient, le rendant inconscient et rendant l'humain inhumain. Elle empIit notre esprit d'une multitude de choses sans rapport aucun avec le monde des humains.
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J'attends encore qu'on me donne la preuve qu'un lézard qui apparaît dans les rêves doive nécessairement se transformer en un animal à sang chaud, une hyène en quelque chose de plus gentil, la preuve aussi qu'une petite fille exige une maturation de sentiments, qu'une femme mystérieuse à l'allure de sorcière, une pauvresse, une primitive doivent forcément être élevées au niveau du monde des humains par le biais du sentiment et des relations personnelles.
Dans ces cas, ironiquement, peut-être même tragiquement, les véritables images (sont-ce là des images d'anima ?) de lézard, de petite fille, de traîne-savate primitive, ne reçoivent P.137 pas de sentiments ou ne sont pas évaluées avec sentiment, telles qu'elles se présentent, pour elles-mêmes. Au contraire, et au nom du développement du sentiment/anima, la véritable image perd toute sa puissance. Tout le sentiment est investi dans le développement, dans le mouvement transformateur des images, en direction de quelque chose de plus humain. C'est comme si le mythe chrétien de l'incarnation était, de façon continue, imputé aux images de l'anima, comme si toutes les images devaient suivre le modèle de l'inhumain devenant humain (Dieu s'incarnant), comme si tous les facteurs psychiques se devaient d'entrer dans les relations humaines. Ridicule, évidemment. Mais il va sans dire que, mettre le développement de l'anima au même niveau que celui du sentiment, puisque le sentiment est à présent considéré d'un point de vue humaniste, signifie précisément le massacre des animaux, le massacre aussi des daimones et des Dieux. Cela signifie transformer le « numinosum » sacré d'une image archétypale en quelque chose qui sécurise, quelque chose de sain et de profane. Par cette attitude, la thérapie analytique, tellement préoccupée par l'humanisation des images et le développement de la réalité archétypale en quelque chose de relationnel, est prise non seulement par le Darwinisme, mais aussi par le matérialisme le plus vulgaire, celui où l'homme est la mesure de toute chose et les Dieux des aberrations. Mais les Dieux n'ont-ils pas toujours eu une apparence aberrante et déformée ; n'ont-ils pas toujours revêtu des formes étranges, animales, grotesques, bizarres, horribles. Qui prétend qu'ils doivent avoir du sang chaud ou même simplement du sang humain ?
Interpréter les images insolites de la psyché comme des signes du développement du sentiment est un chemin qui conduit droit à l' « imposture humaniste », à la croyance que la psyché est une fonction de l'être humain, dont le but est de servir la vie humaine et ses images humanisées. Pour ma part, je considère encore le rapport entre l'homme et l'âme de la façon contraire, comme on le faisait dans la pure tradition platonicienne, où l'homme était une fonction de la psyché et son objectif de la servir. Le thérapeute de la psyché, dont le sens étymologique est « serviteur de l'âme », traduit les événements dans le langage de la psyché, et non pas la psyché dans le langage de l'humanisme.
Au faîte de l'humanisme séculier qu'est la thérapie, est hissé le drapeau du sentiment. Alors que l'Eglise et ensuite la psychanalyse n'ont pas réussi à chasser le diable, c'est en fin de compte « les rapports personnels dans un contexte humain» qui s'en chargeront. L'anima deviendra socialement acceptable, adaptée. Mais si, comme le dit Jung .. « les dieux sont devenus des maladies » alors, guérir l'âme de ses images inhumaines et sans relation peut aussi la guérir de ses Dieux. La confusion entre anima et sentiment et la tentative d'humanisation par le biais du sentiment n'ont alors rien de psychothérapique. Cela fait plutôt partie de la maladie de l'âme dont souffre le matérialisme contemporain, de la psychopathologie. Il nous reste encore à découvrir qu'elIe est la personne archétypale qui a capturé la conscience grâce à l'appel sentimental de l'humanisme et du sentiment. Au moins savons-nous qu'il ne s'agit pas d'Eros, qui préfère l'obscurité et le silence à la « relation », au « partage », à la « communication ». Toutefois, il existe un certain pouvoir archétypal, qui influence véritablement la thérapie, du fait même qu'il interprète le mouvement psychique de nos images, ainsi que leurs formes daimoniques et animales, pour en faire des relations sociales et des connexions personnelles, et du fait aussi qu'il fait émerger une culpabilité telle par rapport au « manque de qualité relationnelle ». Je soupçonne qu'il s'agit d'Héra, tout particulièrement lorsqu'elle prend l'aspect d'Hébé, qui est sa forme de « jeune mariée ». P.139

4. Anima et féminin

Nous en arrivons à présent aux deux définitions qui mettent en question l'anima en tant qu'elle représente l'image de la structure et de l'expérience génétique et contresexuelIe de l'homme. (Jung appelle l'anima « archétype du féminin » ) .. et « archétype de vie» .. De plus, il procède à des analogies entre l'anima et le yin .. et entre l'anima et le « p'o » chinois ; de même entre l'anima et les idées indiennes de Maya et de Shakti.. ; il met aussi l'anima en relation avec la Sophia gnostique (sagesse) .
A ce stade, il paraît difficile d'attribuer l'anima au seul sexe masculin. Le « féminin» et la « vie », ainsi que les analogies de l'anima se rapportant au gnosticisme, à l'Inde, à la Chine, relèvent tout autant de l'homme que de la femme. Nous sommes là à un niveau de l'anima qui est archétypaI, « l'image archétypale du féminin » et un tel archétype ne peut être attribué ou localisé à la psyché d'aucun sexe en particulier. Franchissons une étape supplémentaire et disons que nous ne pouvons nullement être sûrs que les archétypes ont une origine psychique seulement et n'appartiennent qu'au seul domaine de la psyché, à moins que nous élargissions d'abord le champ de la psyché au-delà des différences sexuelles d'une part, au-delà ensuite de la personne humaine et de la psychodynamique ( compensation), enfin, au-delà même de la psychologie. Jung, déjà, avait élargi la notion qu'il avait de la nature psychoïde de l'archétype, en disant que « les archétypes possèdent donc une nature que l'on ne peut pas qualifier avec certitude de psychique » Une notion d'anima juste nécessite donc que l'on ait un regard nouveau, qui ne s'arrête pas aux hommes, à l'homme et même à la psyché. . bien comprendre que l'anima en tant qu'archétype est trop vaste pour être contenue dans la notion de contrepartie sexuelle. L'anima délivrée de cette définition contraignante vise également la psyché féminine.
D'après la première notion (contrepartie sexuelle), l'anima n'existe pas chez la femme. « L'anima est féminine, elle est uniquement une formation de la psyché masculine » . « On ne trouve point cette même figure dans l'imagerie de l'inconscient féminin» . A la place, et conformément au principe du couple des opposés, la femme possède un animus.
Mais qu'en est-il alors des « femmes-anima », ces femmes qui jouent pour l'homme le rôle de l'anima, et que la psychologie analytique appelle des « types anima » . Jung dit de telles femmes, qu'elles jouent d'autant mieux ce rôle d'anima chez l'homme, qu'elles sont elles-mêmes vides. De ce fait, elles peuvent ainsi capter les projections des hommes et les leur renvoyer par un effet de miroir et de mime, de sorte que le type anima permet ainsi à la femme intérieure de l'homme de prendre vie.
. Nous appelons ces femmes des types anima et les rattachons à l'image antique de l'hétaïre ; toutefois, du fait de la théorie (les femmes n'ont pas d'anima), nous P.141 admettons que l'archétype de l'anima n'affecte la vie de la femme qu'au travers des hommes et de leurs projections à son égard.
. Les rôles que Jung attribue à l'anima - mise en relation avec le mystérieux, le passé archaïque, support permettant une mise en acte de la bonne fée, la sorcière, la prostituée, la Sainte, associations avec les animaux comme l'oiseau, le tigre, le serpent (pour ne mentionner que ceux que lui-même mentionne), tous ces rôles apparaissent fréquemment dans la psychologie de la femme, et d'une façon qui ne peut être mise en doute. La phénoménologie de l'anima ne se restreint pas au sexe masculin. Les femmes ont des petites filles dans leurs rêves et des prostituées ; elles aussi sont attirées et séduites par de mystérieuses inconnues. La Vierge, Sapho, la Belle au Bois-Dormant font au même titre partie de leur paysage intérieur. Et, du fait que ces images ne sont pas restreintes au seul monde masculin, il en va de même de l'émotion suscitée par l'anima qui ne peut se limiter au sexe masculin seulement. Les femmes, elles aussi, sont porteuses d'une espérance, d'une intériorité qui s'oppose à l'attitude extérieure de leur persona. Elles aussi perdent contact et peuvent être entraînées à méditer leur destin, leur mort, leur immortalité. Elles aussi font l'expérience de l'âme et souffrent de son mystère et de sa confusion. Nous disons d'une femme qu' « elle a de la profondeur », ce qui sous-entend « profondeur d'âme » ; disant ceci, nous exprimons exactement la même chose que lorsque nous le disons d'un homme.
Les femmes sont tout aussi caustiques dans leur chagrin et leurs ressentiments, aussi mordantes dans leurs ragots, aussi abyssales dans leurs sombres ruminations, que le sont les hommes. Les intensifications, exagérations et mythologisations appartenant à la description de l'anima apparaissent aussi chez la femme et ne sont pas dans ce cas à imputer à sa personnalité féminine inconsciente, sa femme intérieure ou le fait d'une minorité de gênes féminins. Ici, l'anima archétype de vie et archétype du féminin, influe sur le processus psychique, sans tenir compte du sexe, nous libérant de la vision masculin-féminin que véhicule l'anima, de la compensation et de ses oscillations infinies, de même que de la supercherie épistémologique qui tend à tout expliquer par la « projection ».
Pourquoi le même comportement s'exprime-t-il « anima » chez un sexe, et « nature féminine » ou « ombre » chez l'autre ? Quel effet cela a-t-il sur les différences psychologiques existant entre les sexes, si la même image apparaissant chez un homme et chez une femme est ennoblie dans le cas de l'homme, pour devenir une image de l'âme (anima), alors que pour la femme elle est condamnée à faire partie du royaume de l'ombre. En privant, par définition, la femme de l'anima, « la femme n'a pas d'anima, pas d'âme, elle a un animus » ( La traduction anglaise « woman has no anima, no soul, but she has an animus » ne correspond pas au texte original allemand : « Die Fraut hat keine Anima, sondern einen Animus. ), la psychologie analytique ne continue-t-elle pas, bon gré, malgré, une très ancienne tradition qui est celle de refuser l'âme féminine, et de chasser dans l'ombre les images de cette âme ? Et ceci ne met en rien en doute la réalité de l'ombre de la femme ni la question cruciale de l'esprit, présenté par la figure de l'animus.
Mais je doute vraiment que le développement psychologique de la femme veuille dire développement de l'animus, car ceci serait une détérioration des catégories de la psyché et de l'esprit. Animus fait référence à esprit, logos, verbe, idée, intellect, principe, abstraction, sens, ratio, nous. La P.143 différenciation de l'esprit n'est absolument pas du même ordre que la constitution de l'âme. .
L'hypothèse est la suivante : étant donné que les femmes appartiennent au genre féminin, elles ont de la profondeur d'âme ou plutôt, elles sont âme. Aussi longtemps que féminité et âme seront une seule et même chose, alors forcément le problème de l'âme des femmes sera résolu et par définition et par biologie. Mais, psyché, le sentiment intime de l'âme, n'est pas donné à la femme du seul fait qu'elle est née femme. Pas plus qu'à l'homme, il n'a été accordé à la femme, une âme sauvée congénitalement, l'homme, qui doit passer sa vie à se tourmenter du destin de son âme. Pas plus que lui, elle n'est dispensée des tâches que nécessite la constitution de l'anima ; négliger l'âme au profit de l'esprit n'est pour elle pas moins répréhensible que ce l'est pour homme, à qui la psychologie analytique a toujours dit qu'il devait sacrifier intellect, persona et extraversion, au profit de l'âme, du sentiment, de l'intériorisation, c'est-à-dire de l'anima.
L'immense difficulté qu'éprouvent les femmes envers l'imagination, de même que les affres par lesquelles elles doivent passer au regard d'un sentiment de vide intérieur, ces deux faits font ressortir que l'âme est bien la sphère de leur besoin. Les femmes n'ont pas moins besoin que les hommes d' imaginaire, de mythologisation, où elles puissent se dévoiler à elles-mêmes et découvrir le destin. Trouver un sentiment de valeur, confiance en son être ou une « foi psychologique», .. est autant un besoin pour une femme que pour un homme. On trouve, de façon égale chez l'un et l'autre sexe, les substituts permettant à l'âme de prendre la clé des champs ; les sensibleries de l'anima et ses inflations ; les tentatives entreprises par les femmes pour atteindre la profondeur, l'intériorité, la sensibilité et la sagesse sont autant la proie de l'âme artificielle que le sont celles des hommes. Peut-être même cette dernière est-elle encore plus évidente chez les femmes, car en l'absence d'anima, c'est l'animus qui comble le manque, l'animus, caricature grotesque et travestie.
L'animus est un fait de civilisation, dont la représentation psychique que nous réduirons à la notion de moi est, comme l'a fait remarquer Neumann, le masculin résidant aussi dans la femme. L'archétype du moi est le Héros, et son soubassement présentera, chez la femme également, les qualités de profondeur d'âme et de sentiment de l'anima. La sphère négligée n'est pas l'animus mais l'anima.
Un développement de l'animus, qui ne va pas de pair avec celui de l'anima, entraînera la femme hors de la compréhension psychologique. Ceci se produit par l'assèchement de son imaginaire, l'amenuisement de son champ d'humeur et d'implication dans la vie, par la transformation qui a lieu en elle, et qui en fait, au ieux, une perfection spirituelle et un cancre de la psychologie, sa sagesse, son intérêt, son appréciation se réduisant à une opinion, développée, détachée, plutôt qu'elle n'est une réflexion émanant du cour même de ses intérêts les plus profonds - et cela apparaît au même titre dans le cas où le développement de l'animus choisit pour champ la psychologie. Le domaine de la psychologie ne garantit aucunement que ses ressortissants soient spécialement pourvus d'acuité psychologique. L'inscription « psychologue » sur la porte du praticien ne garantit malheureusement en rien les qualités d'âme de ce P.145 dernier. Et que le praticien soit une femme, alors, l'épithète « psychologue », .. ne relèvera pas de l'âme, puisque le processus de développement (celui de l'animus) qui conduit à ce titre est, par définition, un processus de l'esprit et non pas un processus de l'âme. Ces affirmations n'impliquent nullement une négation du développement du logos ou du respect des idées féminines, mais puisque I'esprit n'est pas l'âme, l'animus n'est donc pas l'anima, et il n'est pas possible de négliger l'un en faveur de l'autre, pas plus d'ailleurs que de substituer l'un à l'autre. La syzygie procède des deux à la fois.
. En refusant d'accorder à la femme une anima et en lui donnant à la place un animus, c'est tout un modèle archétypal qui, dans la psychologie de la femme, a été déterminé. L'absence, per definitionem, d'anima chez la femme joue comme la perte d'un principe cosmique, avec non moins de conséquence dans la pratique de la psychologie analytique que n'en a la théorie de la perte du pénis dans la pratique psychanalytique.
.
Pour en revenir, donc, à la femme de type anima et à son vide, on se souvient que, pour exister, sa relation à l'archétype de l'anima devait jusqu'alors, et par définition, avoir lieu par l'intermédiaire d'un homme. Mais désormais, il ne nous est plus possible d'envisager la psychologie sous cet angle.
Le vide n'est pas une vacuité qui en soi sert à capter une projection de sexe opposé. Nous ne pouvons pas non plus expliquer ce vide en termes d'ombre inconsciente ou d'animus non développé. Au même titre, le faire dériver du complexe père en met l'origine dans l'homme, réduisant ainsi la femme au seul rôle de fille, à celui d'objet créé par projection, d'Eve née de la côte d'Adam, d'être sans âme, sans destin, sans individualité qui lui soient propres.
Ce vide devrait plutôt être considéré comme une authentique manifestation archétypale de l'anima dans une de ses formes classiques : jeune fille, nymphe, Koré, que Jung décrit si bien et au sujet de qui il déclare aussi, qu' « elle apparaît souvent chez la femme». Même si nous devions relier cette jeune fille à la fille, elle peut rester inhérente à la constellation de l'anima. Nul besoin d'en rechercher l'origine à l'extérieur, chez un père.
. les pères créent les filles, mais les filles, elles aussi, créent les pères. La mise en acte du personnage de la vierge-fille, pourvue de cette ouverture si charmante, de cette disponibilité pleine de pudeur, de cette séduction masochiste qui lui est propre, attire à elle un esprit qui est de l'ordre du père. Mais l'apparence qu'elle en donne, et la victimisation dans laquelle elle se place sont sa création. L'idée même, que toute entière, elle procède du père (père absent ou mauvais père), fait partie de l'aspect fantasmatique lié au père, de l'archétype de l'anima. Ainsi donc, elle se doit d'être « profondément attachée » à ce père, parce que l'anima joue comme reflet de cet attachement. ElIe crée, à l'intérieur d'elle-même, un père figuré et le rend responsable P.147, ce qui lui sert à confirmer la métaphore archétypale de la Fille, qui doit son origine, non pas au père, mais à l'anima qui appartient également à la psyché féminine.
En outre, la muse qui, .., entretient un rapport particulier avec la nymphe vers laquelle sa conscience se destine, appartient également et de façon authentique au potentiel de la psychologie de la femme, et n'est pas seulement le miroir de l'homme. Ce n'est pas l'anima masculine, et par conséquent, pas non plus, la vie intérieure de l'homme, que la nymphe, l'hétaïre ou la muse reflètent, mais la nature archétypale de l'anima qui, selon les cas, reçoit le nom de psyché ou d'âme.
A ce niveau de distinction, Jung lui-même se demande s'il est véritablement opportun de parler de la nature féminine de l'anima, en soi. Il craint que nous n'en arrivions à confiner la féminité de l'archétype dans sa forme projetée. De façon paradoxale, l'archétype même du féminin peut lui-même ne pas être féminin. Parallèlement, on pourrait se poser la même question concernant la « féminité» de la vie dont l'anima représente l'archétype.
La description asexuée et vide de contenu de l'archétypique de l'anima, en tant qu'il est considéré comme « vie », semblable à Maya, Shakti, Sophia et au p'o chinois, révèle une vie d'une sorte particulière, une vie qui projette de l'intérieur d'elle-même la conscience. En d'autres termes, la vie que Jung attribue à l'archétype de l'anima est la « vie psychique ». « L'anima. est un « factor » au sens propre du terme. On ne peut la faire, mais elle est toujours l'a priori des humeurs, des réactions, des impulsions et de tout ce que la spontanéité psychique peut comporter d'autre. Elle est quelque chose de vivant par soi-même, qui nous fait vivre une vie derrière la conscience qui ne peut être intégrée complètement à cette dernière, au contraire, est plutôt issue d'elle.»
Dans ce cas, donc, l'anima n'est pas projection, mais projecteur. Et notre conscience est le résultat de la vie psychique qu'elle a eue antérieurement. L'anima devient ainsi le véhicule originel de la psyché ou l'archétype même de cette dernière.

5. Anima et Psyché

. Jung utilise les termes anima et âme de façon interchangeable. Cependant, il déploie un effort tout particulier à la tâche difficile qu'est la distinction des trois termes : anima, âme et psyché . Il tient à s'assurer que son concept d' « anima » ne sera pas confondu avec les idées traditionnelles d'âme en religion et en philosophie . D'autre part, il veut aussi définir l'anima d'une façon qui ne permette pas de la confondre avec la psyché, dont elle n'est qu'un des archétypes. Ni l'âme ni l'anima ne peuvent être identifiées avec la « Totalité des fonctions psychiques » C'est le terme Soi qui est généralement réservé pour désigner cette totalité. . P.149
. ce qui au début n'apparaît que comme simple humeur ou excentricité liée à l'anima, devient finalement réceptivité de l'esprit, retenue et imagination, de sorte que la voie qui conduit à la compréhension psychologique passe par l'anima. . le processus par lequel anima devient psyché peut être déduit de la notion même que Jung a de l'anima. .il est possible de créer une définition nouvelle de l'anima, qui serait : archétype de la psyché. .
a)Jung associe à l'anima une multitude de formes féminines ; cependant, il en est une en particulier qu'il garde généralement hors de ses limites. C'est la mère. « II est à remarquer que ce type (type-anima) est complètement dépourvu de ce que l'on appelle ordinairement le caractère maternel » mais contre : .. L'anima rend possible un « rapport individuel purement humain », indépendant de l'élément maternel de reproduction ainsi, l'anima représente le mouvement qui conduit vers l'âge adulte et la « croissance qui éloigne de la nature »
Dans l'alchimie, la croissance qui éloigne de la nature est considérée comme l'opus contra naturam,
concept clé pour la compréhension psychologique qui se distingue de la compréhension naturaliste des événements psychiques. Le mouvement qui va de la mère vers l'anima représente ce déplacement de perspective qui va de la compréhension naturaliste à la compréhension psychologique. En Alchimie, la relation correspondant à la perspective psychologique a été illustrée par la relation qu'entretient l'adepte avec l'anima-soror. .
b). Jung démontre l'identité de l'anima et de Mercure. Mercure reçoit différents noms, qu'il donne aussi à l'anima et à l'âme ; et tandis que Mercure est appelé .. « l'archétype de l'inconscient », l'anima de son côté est l'archétype qui « personnifie l'inconscient collectif ».
Mercure et anima ont tous deux des natures similaires : fuyante, volage, chatoyante, difficile à capter, impénétrable, qualités représentées par le vif-argent pour le Mercure, par l'elfe et Mélusine pour l'anima et par les ailes trèmulentes de Psyché. Leur similitude ne les rend pas analogues en tous points, mais elle permet sans aucun doute de matérialiser l'idée que la signification particulière de l'anima est psychique, puisque Mercure est, par excellence, la représentation de la nature psychique. Je pense que leur identité est plus prononcée encore, lorsque l'âme et l'esprit n'ont pas été P.151 différenciés ; dans ce cas l'anima est exagérément mercurielle, moins le contenant, que séductivement insaisissable . l'esprit se trouve alors, et de manière prédominante : humide, vaporeux, pris dans un afflux sentimental d'incertitudes. C'est lorsque de telles conditions sont réunies, lorsque âme et esprit sont confondus, que l'esprit se revêt de blanc, qui est la couleur de l'âme (l'albedo, anima candida) et que l'âme apparaît habillée du bleu et du rouge de l'esprit. Certains des phénomènes de la « puella » expriment chez de jeunes femmes, ce mélange d'âme et d'esprit : un esprit mercuriel changeant, qui joue comme étincelle fascinante dans une âme ignorante de ce qu'elle contient.
c)Mais le groupe d'idées fondamentale de l'alchimie s'apparentant à l'anima est celui de Luna et Regina, et des multiples autres appellations qu'il reçoit pour désigner le composant unique du couple d'arcane. .. alchimiquement considéré dans une conjonction comme étant la contrepartie du corps, tandis que dans une autre conjonction, elle devient la contrepartie de l'esprit. Pour Jung, Regina est, de façon équivalente, féminin, Eros, âme, inconscient, anima et psyché - c'est-à-dire que dans ces syzygies alchimiques, Regina représente la psyché même, alors qu'on imagine cette dernière comme différente du corps ou différente de l'esprit.
.. Jung utilise le terme psyché dans deux acceptions. Selon l'usage étroit et traditionnel, psyché est le composant de la conjonction en rapport avec l'âme. C'est lorsqu'elle est prise dans ce sens, que la psyché .. n'est pas distinguable de l'anima. Selon un usage plus large, qui est aussi particulier à Jung, la psyché est plus qu'un composant et ne peut, par conséquent, être mise en équation avec l'archétype de l'anima. Dans ce sens, le terme psyché signifie le processus décrit par l'alchimie, y compris corps, esprit, soleil et lune, mercure etc. Chacun d'eux a valeur psychologique ; tous ont leur place à l'intérieur de la psyché - l'anima n'est qu'un facteur parmi d'autres.
De telles notions de l'âme, dont le sens est élargi, apparaissent dans l'alchimie, comme par exemple l'âme décrite par Richard Vitus . Cette âme est en même temps l'anima personnifiée sous une forme féminine et le principe psychologique qui permet la réflexion. Comme Jung le fait remarquer, elle permet de réunir les différences existant entre une notion d'âme plus large (anima mundi) et une notion plus étroite (anima vagula), en une seule et même notion de l'âme. Cette distinction entre âme et L'âme ou non âme ne semble pas avoir dérangé les alchimistes .. les néo-platoniciens .. pour Plotin, le discours psychologique s'entendait, toujours, aux deux niveaux à la fois : ce qui advient dans la psyché advient, de toute évidence, dans l'âme de l'homme. La psychologie archétypale se reflète bien sûr dans la psyché individuelle. Jung . : « il paraît souvent recommandable de parler moins de mon anima ou de mon animuss, que de l'anima ou de l'animus. En tant qu'elles sont des archétypes, ces figures sont au moins pour moitié des grandeurs collectives et impersonnelles ». Ou, lorsqu'il regrette .. que « l'homme lui-même a cessé d'être le microcosme et l'eidolon du cosmos, et son « anima » n'est plus la scintilla transubstantielle, étinceIle de l'Anima mundi, Ame du monde ». Du fait que nous considérons l'anima de façon personnaliste, ou du fait, peut-être, que c'est elle qui dupe le moi de cette manière, nous perdons le sens plus large qui incombe à l'anima. Et cette perte de l'âme a lieu alors même que notre P.153 engagement est le plus grand dans notre effort pour la trouver : « le développement de mon anima » au travers du rapport à autrui, de la créativité et de l'individuation.
A moins d'entendre « intérieur » d'une façon radicalement nouvelle ou de la manière classique ancienne, nous continuerons à perpétuer la division qui existe entre mon anima et l'âme du monde (psyché objective). Plus nous en confinerons l'existence à l'intérieur de nous-même, et plus nous prendrons littéralement le sens du mot intériorité comme signifiant au-dedans de ma personne, plus l'âme, en tant qu'elle signifie une réalité psychique intérieure, inhérente à toutes choses, perdra de son sens. Anima intérieure ne signifie pas seulement en mon sein ; introjection et intériorisation ne font pas de ma tête ou de ma peau le véhicule à l'intérieur duquel tout processus psychique s'accomplit. « Intérieur » fait référence à cette attitude que donne l'anima, qui permet de percevoir la vie psychique à l'intérieur de la vie naturelle.
La vie naturelle devient elle-même le véhicule, du moment même où nous lui reconnaissons une signification intérieure, du moment même où nous voyons qu'elle aussi revêt la psyché et en est porteuse. Anima fait de tout, à tout moment, son véhicule, par le fait même qu'elle s'introduit à l'intérieur.
Le moyen d'y parvenir est l'imagination. C'est au travers de la vision imaginaire que nous avons d'eux que les phénomènes prennent vie et permettent à l'âme de circuler. Lorsque notre vision du monde est dépourvue d'imagination, le monde alors devient objectif, mort ; même une vision telle que celle de la pollution aide à redonner vie au monde, de sorte qu'il fait à nouveau sens pour l'âme. L'imagination n'est pas seulement un processus intérieur se déroulant dans ma tête. C'est une manière d'être dans le monde, une manière de lui redonner de l'âme.
La tentative entreprise pour retirer l'âme de la vie extérieure prive l'extérieur de son propre « intérieur », emplissant l'individu d'un sentimentalisme subjectif qui fait du monde un crassier dont toutes projections, personnifications et la psyché elle-même sont extraites. C'est pourquoi, plus nous nous occuperons, au nom de l'anima, de notre personnalité propre et de notre subjectivité, moins nous travaillerons véritablement à la constitution de l'âme, et plus nous perpétuerons l'illusion que l'anima est en nous plutôt que nous en elle. La psyché est une notion plus vaste que ne l'est celle de l'homme, et l'homme fonctionne grâce à la psyché tout en dépendant d'elle, plutôt que le contraire. « l'homme est dans la psyché (et non dans sa psyché) La majeure partie de l'âme réside hors du corps », nous dit Jung . Du fait que la notion d'anima implique toujours l'âme du monde, ou l'âme « du » et « dans » le monde, une prise de conscience de l'anima ne se fait jamais simplement au travers du développement de la subjectivité individuelle.
Mon anima est l'expression de la supercherie personnaliste. Bien que les expériences de l'anima soient porteuses d'une numinosité de personne, qui procure un sentiment d'intériorité unique et une impression d'importance (exagérations et mythologisations des humeurs, de l'insight, de l'imagination), pour prendre ces expériences de façon littérale.. ces sentiments mettent l'anima à l'intérieur de « moi ». La teneur hautement subjective que prennent les événements qui relèvent de l'anima est un fait qui « ne doit surtout pas être entendu de façon personnelle », car il est de nature archétypale. L'anima constitue l'archétype qui se trouve à l'arrière-plan de ces personnalismes, en conséquence de quoi les expériences sont vécues comme étant archétypalement personnelles, nous donnant nous-mêmes un sentiment dont la nature est à la fois archétypale et personnelle. Mais, considérer ce qui est personnel de manière archétypale relève d'une supercherie du personnalisme. Aussi, lorsque, sous la domination de l'anima, celui qui s'est laissé entraîner par P.155 elle et à qui le sentimentalisme donne l'impression qu'il est plus uniquement « Iui-même », spécial, différent, appelé, c'est précisément à ce moment-là, comme Jung le dit, toujours dans le même passage, « qu'il s'en éloigne le plus et se rapproche du type moyen de l'homo sapiens ».
Retournons à présent au dilemme né des deux acceptions du mot anima - le sens étroit qui le donne pour être l'un des composants de la conjunctio, et le sens plus large qui en fait le lieu à l'intérieur duquel le processus entier se déroule - dilemme qu'il est possible de comprendre de la façon suivante : l'anima n'est peut-être qu'un seul parmi les ingrédients de l'alchimie du processus psychique. Mais, du fait de son rôle conjonctif (anima mercurius), elle constitue ce facteur au travers duquel tout se produit de façon psychique ; elle est le moyen par Iequel (anima comme copula et comme lien) et dans lequel (anima comme véhicule) le processus dans son entier a lieu. Du fait de l'anima, ces événements deviennent des expériences vécues qui m'appartiennent personnellement, et dont le prolongement se fait sentir jusqu'en mon âme. C'est grâce à l'ingrédient que constitue l'anima que des événements impersonnels, qui sont de simples réactions naturelles ou de simples idées spiritueIles, se transforment en expériences psychiques.
Ainsi, trouvons-nous l'idée chez Jung que, plus l'anima parvient à réalisation ( en tant que facteur archétypal de la psyché), plus « l'existence psychique devient réalité ». La réalité de la psyché, en tant qu'elle représente une expérience par trop convaincante, prend sa source dans les états d'âme et les excentricités subjectivées d'une anima personnalisée de façon excessive, car nulle part ailleurs que dans la méchanceté caustique des mauvaises humeurs, les réflexions qui échappent, les petites susceptibilités qui n'ont de cesse de tourmenter, nous rencontrons de façon plus opiniâtre, la réalité de l'âme - réalité en soi, idée si obscure et si intangible. Mais, comme Jung le fait remarquer, il y a dans la banalité de ces nuisances, une imagination qui est le fait de l'anima ; et l'existence psychique peut à son tour devenir réalité, si nous reconnaissons la force pulsionnelle et toute la portée qui résident dans l'imagination. L'anima fait référence à une « quintessence d'images » et à une « quintessence couleur d'air », dont l'effet final, en restituant la réalité de la psyché, constitue une réalisation « car c'est un fait psychique que ces images. Il est aussi réel que nous sommes réels en tant qu'êtres psychiques », « comme si nous étions nous-mêmes une figure imaginaire» La conviction que j'ai que la psyché et ses images sont aussi réelles que la matière et la nature, aussi réelles que l'esprit, dépend de la capacité qu'a eue l'anima à me convaincre. C'est donc d'elle par conséquent que dépend l'appel de la psychologie.
d) La relation entre anima et psyché apparaît d'une autre manière encore : dans l'idée jungienne de réflexion. Des cinq pulsions instinctuelles (faim, sexualité, activité, réflexion et création) sur lesquelles Jung a construit sa théorie, c'est sa notion de réflexion - « se pencher vers l'arrière » et « se tourner vers l'intérieur », loin du monde et de son objet, en faveur des images et des expériences psychiques, qui apparaît comme étant le plus précisément en corrélation avec sa notion d'anima. L'anima en tant que Luna, passive, froide, génitrice, sombre, intérieure, décrit, dans le langage alchimique, la réflexion. L'archétype correspondant à l'instinct de réflexion serait donc l'anima.
Les images primordiales de cet éloignement en marche arrière sont représentées par les nymphes fuyantes mais cependant fécondes, les voix trompeuses, les éphémères (clair P.157 de lune, brumes, échos, rêveries, fantasmes) . en relation avec les figures féminines associées à Pan. Le détachement de l'objet par le biais de l'intériorisation, en faveur des images intérieures, correspond ici encore à l'introjection endogamique de l'anima, ou « intériorisation par le sacrifice » .. nécessaire à la conscience psychique. II existe une autre image de réflexion que l'on associe traditionnellement à l'anima ; c'est celle du miroir et de l'activité liée à sa fonction.
Lorsque Jung expose brièvement ses idées sur la nature de la « réflexion inconsciente », il nous dit : « lorsque les jugements et les éclairs d'intuition sont transmis par une activité inconsciente, ils sont alors généralement attribués à une figure féminine de nature archétypale, à savoir l'anima ou mère/bien-aimée ». Il semblerait que dans ce cas, ce soit comme si l'inspiration venait de la mère ou de la bien-aimée : la « femme-inspiratrice ». A un autre niveau, .. il parle de la même activité mentale inconsciente en termes de « the natural mind » c'est-à-dire « l'esprit de nature », esprit où nous ne pensons pas, mais sommes pensés, et Jung tient cet esprit de nature comme étant une propriété exclusivement féminine.
Mais les passages clés mettant en relation psyché et anima par l'intermédiaire de la réflexion sont les suivants : « la richesse et le caractère essentiel de la psyché humaine sont probablement déterminés par cet instinct réfIexif. Ainsi la psyché devient-elle le résultat premier de l'instinct de réflexion qui, à son tour, se trouve intimement lié à l'archétype de l'anima. « C'est par la réflexion que la « vie » et son « âme » sont extraites de la Nature et dotées à la fois d'une existence séparée. L'archétype qui à la fois représente l'archétype de la vie et de l'âme, en tant qu'il se distingue de ceIui de « Nature unique » (procréative, Mère-Nature biologique) est l'anima, de sorte qu'elle représente cet archétype qui, à la fois, accomplit l'extraction par la réflexion et personnifie la vie et l'âme, dans une forme réfléchie. L'anima est nature devenue consciente d'elle-même à travers la réflexion. Ou, selon la formule de Jung « . la réfIexion est un acte spirituel qui va à l'encontre du processus naturel ; un acte au moyen duquel nous nous arrêtons pour évoquer quelque chose, former une image, puis entrer en relation pour ensuite en finir avec ce que nous avons vu. Il faut, par conséquent, la comprendre comme un acte permettant de devenir conscient. »

Les conséquences qui découlent de ce passage sont d'une importance extrême. Elles n'indiquent rien de moins qu'une vision entièrement nouvelle du fondement archétypal de la conscience. Si « devenir conscient » prend ses racines dans la réflexion, et si cet instinct se rapporte à l'archétype de l'anima, il est alors légitime de concevoir la conscience même comme étant fondée sur l'anima plutôt que sur le moi.
Nous avons déjà entendu Jung faire une telle proposition. Lorsque au sujet de l'anima, il dit : « C'est la vie derrière la conscience. dont. la conscience est issue » ( « Elle est quelque chose de vivant par soi-même, qui nous fait vivre une vie derrière la conscience qui ne peut être intégrée complètement à cette dernière, alors que cette dernière au contraire est plutôt issue d'eIle ) C'est sur cette notion qu'il élabore son raisonnement dans sa discussion de l'idée primitive pour laquelle « le nom d'un individu serait son âme », P.159 ce qui, dit-il, revient à identifier la partie au tout, le moi conscient à l'âme qu'il exprime ». Plus loin encore, il nous dit que « le moi, la conscience, jaillissement de la vie inconsciente ». Et c'est de l' « âme » dont parle Jung dans ces passages, lorsqu'il parle de la vie. II nous donne encore une description qui rappelle beaucoup celle de l'anima, lorsqu'il dit .. »la conscience émane. d'un corps obscur, le Moi » « qui renferme en lui des obscurités insondables » et qui est comme un « miroir dans lequel l'inconscient voit son propre visage ». Ce type de moi est réflexif ; il représente un complexe d'opposés ; et de même que l'anima, il est défini comme étant « une personnification de l'inconscient lui-même ». Dans un autre passage Jung compare, en les mettant en opposition, le moi et l'anima, en tant que fondements de la conscience. Commentant un texte chinois, il fait remarquer que là-bas, la « conscience (c'est-à-dire la conscience personnelle) sort de l'anima » et que l'Orient « regarde la conscience comme un effet de l'anima ». Les deux fondements archétypaux se trouvent ici mis en opposition par l'intermédiaire de l'image Orient-Occident.
Le moi, considéré comme fondement de la conscience, a toujours représenté un aspect anachronique de la psychologie analytique. Il est historiquement vrai que la tradition occidentale à laquelle nous appartenons a identifié le moi à la conscience, identification qui a, tout particulièrement, trouvé sa formulation dans la psychologie et la psychiatrie du XIX siècle. Mais cet aspect de la pensée de Jung n'est conforme ni à sa notion de réalité psychique ni à ses objectifs thérapeutiques orientés vers une conscience psychique. Ce qui apporte la guérison est une conscience archétypale (qui, .. est médiatisée par l'anima) et cette notion de conscience n'est aucunement fondée sur le moi :

« Tout se passe comme si, au point culminant de la maladie, les éléments destructeurs se transmuaient en éléments de salut. Cela se produit grâce au fait que ce que j'ai appelé les archétypes s'éveillent à une vie indépendante, assumant la conduite de la personnalité psychique en lieu et place du moi incapable, de ses volitions et de ses aspirations impuissantes. L'activité spontanée de l'âme s'est éveillée. quelque chose qui jaillit de l'empire obscur de l'âme, qui n'émane pas du moi, et qui, partant, est soustrait à tout ce que pourrait tenter l'arbitraire du moi, ce phénomène est ressenti comme un soulagement décisif : le sujet a retrouvé l'accès aux sources de la vie de l'âme, et cela constitue le début de la guérison.»

Tout le mouvement de l'ouvre de Jung procède d'un éloignement du moi vers un élargissement de la conscience dont les racines plongent à l'intérieur même d'autres dominantes psychiques et les reflètent. Cependant .. Jung utilise le mot « conscience » comme étant l'équivalent du mot « moi » Cette équivalence nécessite une suite d'opérations-compensations, comme par exemple le sacrifice de l'inteIlect, le développement de la quatrième fonction, le développement de l'anima, l'introversion, le déplacement, dans la seconde moitié de la vie, du centre d'intérêt de la conscience qui se concentre alors sur la mort, tout ceci se résumant à une « opération qui rend relative la valeur du moi P.161 dans l'intérêt de la « conscience psychique ». Mais cette dernière se trouve être, précisément, une conscience structurée par l'archétype de l'anima.
Cette « opération qui rend relative la valeur du moi », ouvre et objectif de l'idéal qu'est l'individuation, est cependant rendue possible, au début, si nous changeons la conception que nous avons du fondement de la conscience, du moi à l'archétype de l'anima, de moi à l'âme. C'est alors qu'on réalise, du début même (a priori et par définition), que le moi et toutes images liées à son développement ne furent jamais, même au commencement, le fondement de la conscience, car la conscience fait référence à un processus qui a plus à faire avec les images qu'avec la volonté, avec la réflexion qu'avec le contrôle, avec la profondeur réflexive vers l'intérieur qu'avec l'orientation active dirigée vers la « réalité objective ». II ne serait alors plus possible de confondre la conscience avec . la période correspondant au développement de la jeunesse et la quête de sa mythologie héroïque. Par conséquent, alors que l'éducation de la conscience se fait même au cours de la jeunesse, l'entretien de l'anima n'aurait pas moins de sens que n'en a le renforcement du moi.
Plutôt que de considérer l'anima du point de vue du moi, ce qui en fait une humeur toxique, une faiblesse inspiratrice, ou la compensation d'une contrepartie sexuelle, peut-être pourrions nous considérer le moi du point de vue de l'âme, ce qui lui permettrait de devenir un instrument pour faire face au jour le jour, rien de plus sublime qu'un Ioyal gardien des maisons planétaires qu'un serviteur de la constitution de l'âme. Du moins cette optique donne-t-elle au moi un rôle thérapeutique, plutôt qu'elle ne l'accule à une attitude antithérapeutique, un vieux roi opiniâtre dont l'importance doit être considérée de façon plus relative. Alors, peut-être en viendrons-nous aussi à considérer le mythe du Héros de façon plus relative ou à le prendre pour ce qu'il est devenu aujourd'hui pour notre psyché - le mythe de l'inflation au lieu d'en faire la clé secrète qui ouvre la porte au développement de la conscience humaine. Le mythe du Héros chante l'offensive et la destruction, il conte l'histoire du « moi fort » de la psychologie, qui met tout à feu et à sang, l'histoire de la carrière de sa civilisation -, mais il dit peu sur la culture de sa conscience. N'est-il pas étrange que, dans une psychologie aussi subtile que l'est celle de Jung, nous puissions encore croire que ce Héros-Roi et son moi soient l'équivalent P.163 de la conscience. Les images de cette équivalence psychologique nous parviennent vivantes sur les écrans de télévision, projetées en direct de la grande épopée contemporaine du moi héroïque qui se déroule actuellement au Vietnam *. Est-ce vraiment cela la conscience ?
Le fait de fonder la conscience sur l'âme est conforme à la tradition néoplatonicienne .. et ce que nous appelons aujourd'hui conscience du moi, correspond à la conscience qui se dégage de l'idée platonicienne de la caverne, conscience enfouie au fin fond des perspectives les plus obscures. Ce ne sont certes pas ces habitudes, ces banalités continuelles, ces aménagements quotidiens de la personnalité qui permettront d'englober la définition de la conscience, mystère qui déconcerte encore chaque secteur de la recherche. Le fait d'associer la conscience au moi limite cette dernière aux perspectives de la caverne, perspectives que nous appellerions aujourd'hui, supercherie humaniste, naturaliste, utilitariste, personnaIiste et réductive. Considérée sous l'angle de la psychologie traditionnelle (c'est-à-dire du néo-platonisme), la conscience du moi ne mérite nullement le nom de conscience.
La conscience qui émane de l'âme provient des images, elIe pourrait être appelée conscience imaginale. Selon Jung, la condition sine qua non à toute conscience est « l'image psychique ». « Tout événement d'ordre spirituel est à la fois image et imagination. S'il n'en était pas ainsi, il n'existerait (pas de) conscience. » .. Une image est, d'une part, le reflet intérieur d'un objet externe. D'autre part, et c'est ainsi que Jung préfère utiliser Ie terme, les images représentent le matériau même de la réalité psychique. L'image est « une représentation immédiate, bien décrite par la langage poétique, un phénomène imaginatif, (un) produit. de l'activité imaginative. » Les images peuvent être internes, « archaïques » et primordiales ; elles trouvent leur origine suprême dans l'archétype, et c'est dans la formulation des mythes que leur expression est la plus caractéristique. C'est donc vers le mythe que la conscience qui émane de l'anima doit se tourner, le mythe tel qu'il se manifeste dans les mythologèmes des rêves et des fantasmes et dans les patterns de vie ; à la place de cela, le conscient tire ses orientations de la visée trop littérale de ses perspectives, c'est-à-dire de cet imaginaire qu'il définit comme étant la «réalité».
Du fait que les phénomènes imaginatifs constituent le fondement de la conscience c'est vers eux donc qu'il nous faut regarder afin d'obtenir une compréhension fondamentale. Le « devenir conscient » pourrait désormais signifier une prise de conscience des images et de la reconnaissance de leur existence partout, et non pas uniquement dans un « monde imaginaire » séparé de la « réalité ». Et en particulier, nous pourrions reconnaître ces images en tant qu'elles jouent au travers de ce « miroir dans lequel l'inconscient voit son propre visage », le moi ses structures de pensée et ses notions pratiques de réalité. Les phénomènes imaginatifs deviennent ainsi le mode instrumental de perception et de pénétration, au moyen desquels nous réalisons mieux ce sur quoi Jung a si souvent insisté, à savoir : la psyché est le sujet de nos perceptions, l'élément percepteur qui agit par l'intermédiaire de l'activité créatrice, plutôt qu'elle n'en est l'objet. Ce ne sont pas les productions de l'imagination que nous analysons, mais ce sont elles qui nous permettent d'analyser ; et la traduction de la réalité en phénomènes imaginatifs serait certainement une meilleure façon de définir ce qu'est le devenir conscient, que ne l'est la notion antérieure donnée par le moi, celle de traduire les images en réalités. « La psyché crée chaque jour la réalité. P.165 Je ne dispose, pour désigner ce terme que celui de fantaisie créatrice» .
En particulier, les productions de l'imagination qui émanent des attachements affectifs et qui leur donnent de la profondeur font référence à la conscience de l'anima. Du fait que l'anima apparaît dans nos affinités, et joue comme le fascinosum de nos attractions et de nos obsessions, aux lieux et places où nous nous sentons le plus intimement nous-même, c'est là que cette conscience rnythologise le mieux. C'est une conscience, liée à la vie, au niveau, à la fois, de l'âme végétale et vitale, comme on l'appelait autrefois (dans le langage d'aujourd'hui, le symptôme psychosomatique), et de l'engagement sous toutes ses formes, des passions insignifiantes aux commérages, jusqu'aux grandes options philosophiques. Bien que la conscience fondée sur l'anima soit inséparable de la vie, de la nature, du féminin, de même que du destin et de la mort, il n'en découle pas pour autant que cette conscience est naturaliste, fataliste, immatérielle et morose ou même particulièrement féminine. Cela signifie tout simplement qu'elle relève tour à tour de ces différents domaines ; ils représentent les métaphores auxquelles elle est attachée.
Le terme attachement devient alors une expression plus significative dans la conscience de l'anima que ne le sont des expressions plus inductrices de culpabilité, qui se réfèrent au moi, comme engagement, relation et responsabilité. Le fait de donner au moi une valeur plus relative signifie, en fait, une mise en suspens de métaphores telles que choix et lumière, résolution de problèmes et affrontement de la réalité, renforcement, développement, contrôle, évolution. Nous pourrions utiliser à leur place des termes plus appropriés, pour décrire la conscience et ses activités, métaphores depuis longtemps familières à l'alchimie de la pratique analytique : imagination, image, réflexion, insight, de même que refléter, tenir, faire cuire, digérer, écho, commérer, approfondir.

ANIMA II

6. Anima et dépersonnalisation

accent sur la différence existant entre conscience de l'anima et conscience du moi, montrant comment le moi prend appui sur un facteur, l'anima qui se trouve à l'arrière-plan de ce dernier. II en ressort de façon implicite que le sentiment d'identité personnelle ne provient pas du moi, mais est au contraire donné au moi par l'anima. Ces passages sont utiles à la compréhension de cet état clinique que l'on nomme « dépersonnalisation ».
. (parfois aussi appelée déréalisation)
. Voici quelle est la définition de Schilder : « Condition dans laquelle un individu se sent totalement transformé par rapport à son précédent état d'être. Ce changement englobe à la fois le moi et le monde extérieur, et a pour conséquence que l'individu ne se reconnaît pas en tant que personnalité. Ses actes lui semblent automatiques. Il est comme un spectateur qui observe ses propres activités et ses actions. Le monde extérieur apparaît comme étranger et nouveau et a perdu sa réalité ». Quelqu'un qui dit : « je ne suis pas moi » ou « j'ai le sentiment de n'être personne».
Tout en gardant à l'esprit la notion d'anima, essayons de revoir quelles sont les caractéristiques majeures de la dépersonnalisation. Premièrement, elle n'est spécifique P.169 d'aucun syndrome. On la retrouve aussi bien dans les états toxiques, dans l'épilepsie ou les atteintes cérébrales, que dans certaines périodes normales de la vie, à la puberté ou au troisième âge par exemple ou encore dans l'hystérie, la mélancolie, les états anxieux, les phobies et les compulsions névrotiques tout comme dans la schizophrénie et les psychoses maniaco-dépressives. Son étalement temporel n'est pas spécifique, elle peut être tantôt éphémère, parfois d'une durée plus longue. ElIe semble provenir d'un système central et général et non du système périphérique. . Deuxièmement, la dépersonnalisation a été qualifiée .. comme un trouble de la relation entre le moi et le monde, et en particulier de la relation constitutive du sentiment de réalité de chacun d'eux : non seulement l'individu en proie à la dépersonnalisation sent qu'il n'est pas réel, mais il sent aussi que le monde extérieur ne l'est pas. Le monde se trouve derrière un voile ou une paroi de verre ; à la fois présent et absent. Troisièmement, il semblerait que cet état apparaisse tout particulièrement dans des situations de monotonie, d'apathie, de routine, avec pauvreté de l'expression sensorielle, ce qui est vécu est réduit à l'état de pur événement et ne peut plus être reconnu comme signifiant « moi». . Quatrièmement, selon Janet, le type de personnalité présentant ce symptôme est l'asthénique ou le psychasthénique. Ce type entre dans le cadre de la labilité psychique que nous appellerions aujourd'hui insécurité, fragilité, précarité. . Il s'agit de jeunes gens ayant tout juste vingt ans, névrosés compulsifs et angoissés introvertis, d'une intelligence extrême, qui parviennent à dépeindre admirablement leurs expériences de dépersonnalisation. Roth fait rarement état de dépersonnalisation chez la femme, et lorsque c'est le cas .. toujours en relation avec l'hystérie. . Cinquièmement, parallèlement à ce « moi» qui devient vide, il se produit une transformation du monde, qui perd son caractère esthétique et empathique et sa physionomie. Il ne contient plus aucune signification personnelle, plus rien n'a d' « importance » .II y a perte des valeurs temporelles, de la perception profonde et de la perspective visuelle. Ici et là-bas, proche et lointain sont des notions semblables ; le monde est devenu une terre sans relief.
Schilder montre que l'expérience de dépersonnaIisation ne dépend en aucun cas des fonctions que l'on attribue habituellement à la conscience du moi : mémoire, perception, association, sentiment, pensée, volonté. Celles-ci demeurent intactes, mais leur intention et leur vitalité sont rendues plus relatives du fait d'un facteur indépendant qui a été appelé le « coefficient personnel ». . Certes, la dépersonnalisation réduit le moi à son aspect le plus dépouillé, à celui de définition lexicale, c'est-à-dire : « expérience qu'a l'individu de lui-même». Toutes les fonctions de la conscience, y compris le moi lui-même, restent présentes et actives, mais le sentiment personnel de l'être, l'intériorité subjective, le sentiment de ce moi que je suis, tout cela a disparu et cette absence entraîne avec elle la perte du sentiment du monde. Gebsattel voit dans cette perte et dans cette absence un « vide » et un « abîme» de nature existentielle.
Ces aspects caractéristiques de la dépersonnalisation sont P.171 d'une grande utilité pour ce qui concerne l'anima. Selon Jung, c'est l'anima qui permet la relation entre l'homme et le monde, de même que la relation entre l'homme et sa subjectivité intérieure. De fait, elle constitue la personnification même de cette intériorité et de cette subjectivité, le sentiment profond de la personnalité « l'homme fait provenir le caractère de sa personnalité. la conscience de sa personnalité.. d'archétypes à caractère de personne». Mais c'est tout particulièrement l'archétype de l'anima qui donne à l'expérience son caractère personnel.
. l'anima fait référence à l'instinct de réflexion, que Jung associe au fondement de la conscience ; de plus, il la définit comme l'archétype de vie, la personnification qui, inconsciemment, nous intrique dans des collectifs plus vastes se réclamant à la fois du monde intérieur et du monde extérieur. Jung se réfère souvent à l'anima prise dans ce sens, c'est-à-dire comme le facteur permettant de faire des projections, comme la Shakti et la Maya qui dispense la vie aux êtres. En alchimie, l'état actif du soufre peut parfois représenter l'anima, tout comme le vert lui aussi, qui est la couleur de la nature, de l'espoir et de la vie.
Il est possible de distinguer la dépression de la dépersonnalisation, cette dernière étant moins le fait de l'inhibition des fonctions vitales avec rétrécissement de la sphère d'intérêt qu'une perte de l'implication et de l'attachement à soi-même et au monde. Il semblerait qu'ici un autre archétype soit en jeu, qui ne l'est pas dans la dépression. Comme Roth l'a très bien remarqué chez ses jeunes gens, il existe dans la dépersonnalisation une aptitude étonnante à observer sa propre condition, allant de pair avec une introspection morbide du moi en quête d'âme. II est probable qu'à un degré moindre, nous ayons tous vécu un jour l'état de dépersonnalisation et de déréalisation. Je pense, ici, à ces états d'apathie, de monotonie, de sécheresse et de résignation lasse, à ce sentiment d'indifférence et d'incapacité à croire à sa propre valeur, cette impression que rien n'a d'importance, tout est vide, à l'intérieur comme à l'extérieur. De tels états sont attribués par Jung à l'archétype de l'anima. Peut-être pourrions-nous désormais les considérer de façon différente, moins comme le fait d'une anima « négative» que comme une légère dépersonnalisation, une perte l'âme ou, comme le dit Jung, « une perte durable d'anima»
La perte de l'anima est fréquente lorsque cesse une relation amoureuse. Il s'ensuit une perte de la vitalité et du sens du réel, non seulement au regard de l'autre, de la relation, de l'amour, mais aussi vis-à-vis de soi-même et du monde dans son entier. « Les choses n'ont plus de réalité» - « je me sens mort, vide, comme un automate ». Ceci se produit aussi bien chez la femme que chez l'homme. Lorsque Koré est capturée par un pouvoir sombre et invisible, l'âme perdue de Déméter fait s'arrêter la nature tout entière.
Un passage de Jung me semble particulièrement attester l'idée de coefficient personnel manquant, évoquée par SchiIder. Parlant de J'anima, Jung dit :

« C'est un « factor » au sens propre du terme. On ne peut la faire, mais elle est toujours l'a priori des humeurs, des réactions, des impulsions et de tout ce que la spontanéité psychique peut comporter d'autre. Elle est quelque chose de vivant par soi-même, qui nous fait vivre une vie derrière la conscience qui ne peut être intégrée complètement à cette dernière, alors que cette dernière, au contraire, est plutôt issue d'elle. »

Ce point de vue corrobore la notion d'anima du latin P.173 roman où anima avait la notion de souffle de l'âme, de force génératrice située dans la tête et était associée au genius individuel (ou au daimon personnel, dans le sens grec ) Anima ne faisait pas référence aux fonctions spécifiques de la conscience (pensée, volonté, perception, sentiment, etc) ni à l'inscription des expériences (attention), fonctions et activités qui, plus tard, devinrent le moi. Anima avait un sens plus profond et fut donc un terme très semblable au terme psyché en grec ancien et à celui de ba en égyptien, qui, eux aussi, se rapportaient à l'âme hors de la vie (en relation avec la mort). Anima était la force générique plus profonde, située à l'arrière-plan des fonctions conscientes spécifiques de la vie, quelque chose de très semblable à ce qui est décrit par Jung dans le passage situé ci-dessus. Une absence d'anima aurait moins affecté les fonctions conscientes que le genius ou le daimon personnel (que nous appelons désormais du terme technique de « coefficient personnel »).
La dépersonnalisation présente une analogie frappante avec ce que l'anthropologie a appelé « la perte de l'âme ». En fait, le terme de dépersonnalisation est « aussi utilisé en référence à une philosophie de l'univers, qui ne considère plus les forces naturelles comme des manifestations d'agents ou de dieux surnaturels». La perte de l'anima signifie à la fois la perte de l'animation intérieure et de l'animisme extérieur.
. l'habitude primitive qu'a l'âme de se personnifier est à la base de l'animisme, de l'anthropomorphisme et de la personnification du langage, de la poésie et du mythe ; de même, c'est sur elle que se fondent les rêves et l'expérience que nous avons des figures divines. Notre sentiment de la personnalité, notre attachement aux êtres, nos croyances en l'immortalité personnelle et le culte que nous vouons aux relations et à l'évolution individuelles, tous ces faits reposent sur la personnification qui, d'elle-même, est un reflet de l'archétype de l'anima.
Par l'absence d'anima, nous sommes confrontés aux profondeurs infinies de l'âme, et cette caractéristique première de la psyché, selon Héraclite, nous révèle que ces profondeurs sont un monde abyssal. Non seulement le guide et la passerelle s'en sont allés, mais voici aussi que s'offre à nous la possibilité d'une liaison personnelle grâce aux représentations personnifiées. Car l'anima est l'intermédiaire qui nous permet de faire l'expérience des systèmes autonomes de la psyché sous une forme personnifiée. Sans elle, les profondeurs se transforment en vide . Ceci est dû au fait que l'anima, « qui personnifie l'inconscient collectif » .. n'est plus là pour médiatiser les profondeurs par l'intermédiaire d'images personnifiées pourvues d'intentions personneIles. Parallèlement, le monde extérieur est perçu sans aucune profondeur, comme ayant perdu son relief, et il devient alors une terre aride dépourvue d'âme.
En résumé, s'il nous est possible d'abréger l'essence de ce symptôme en le qualifiant d'absence de coefficient personnel, je crois que nous avons localisé le manque, en la personne de l'anima, mais ceci au niveau de la notion seulement. La façon dont nous pouvons le réintroduire dans la thérapie est une toute autre question. P.175
. La mise en relation de l'archétype et du symptôme nous permet d'entrevoir quel dieu il nous faut implorer, puisque, comme le dit Jung - les Dieux sont dans nos maladies -, nous donnant ainsi la possibilité de mettre notre mal en rapport avec eux. La mise en relation de l'archétype de l'anima et du symptôme de dépersonnalisation pourrait avoir lieu par la revivification des images. Lors d'une situation en beaucoup de points semblable à une expérience de dépersonnalisation où « le monde du patient était devenu froid, vide et gris », Jung se tourna vers l'imagination, car, dit-il, « la libido n'est pas appréhendable dans l'absolu ; elle n'est saisissable, constatable que sous certaines formes déterminées ; la plus fréquente de ces formes consiste en produits de l'imagination » . L'imagination est la terre d'élection de l'anima. « L 'image est âme » .
La revivification des images permet de reconstruire la croyance en soi grâce à la croyance en un monde personnifié, pourvu d'intentions personnelles et de confiance en soi, et porteur de personnalités intérieures. Ceci a été décrit par Grinnell .. comme étant un « acte de foi psychologique ». Comme il le montre dans le cas de Jung - son rêve de la petite fille et de la colombe -, la confiance en la psyché et en soi-même comme en une personnalité est un des effets spécifiques de l'anima. Cet effet de l'anima peut exister grâce aux représentations imagées, comme le montre Grinnel, dans le cas de Jung par exemple, où, après sa rupture avec Freud et la dépression qui s'ensuivit chez lui, Jung devint Jung grâce à sa rencontre avec l'imagination.
C'est la vivification des images qui le conduisit à sa croyance inébranlable en la psychologie, à son attitude personnelle vis-à-vis de celle-ci et à son sens de la personnalité. Mais, quelle que soit la méthode utilisée dans le but de restaurer un monde qui soit animé et repersonnalisé, cette méthode se doit de consteller - et cela chez le thérapeute même- le sentiment de l'absolue réalité de l'image personnifiée.

7. Intégration de l'Anima.

L'un des nombreux passages de Jung à ce sujet pourrait nous laisser croire qu'à partir d'un certain point, la personnification touche à sa fin et présente même une fin en soi.

« L'anima et l'a ni mus se situent à la limite supérieure du clair-obscur de l'être, ce qlli nous permet tout juste de discerner que le complexe autonome que chacun CO11Stitue est au fond une jonction psychologique, qui usurpe (ou pour mieux dire qui pos.çède encore) le caractère 1 'l'U/le perJ'o/l/lalité, grâce à ['iOutonomie dont elle jouit et a son manque de développemel1t psychologique. Mais nous e/llrevoYOIlS déjà la pos.ribilité de détruire sa per,fOlllZificatioll ell la tra/l.\'formant, grâce à la prise de con.rcience, en Ul1e manière de passer el le qui mène vers l'inconscient. C'est parce que nous ne les l !tilisons pas consciem ment et intentionnellement comme fonctions que l'anima et j'animus sont encore des complexes per.\ »olmifiés. Aussi longtemps qu'ils ,\'e troll vent dans cet éfiat, ils doivent être reconnu.\' et acceptés'en tant que persoflnalités piir~ë]la ;r~tivement ifldépefllIantes. Ils ne peuvent pas s'intégrer au CO1/.fcient lal,t qlle /ellrS con fenilS .\'0111 igl10rés de cellli-ci. La confron177 , 1ue lorsque le conscient aura acql.lis uniE connaissance suffisante des processus de ['inco,scienf qui s'expriment et se reflètent dans l'anima que celle-ci pourra être ressentie comme une simple fonction. )t

L'enjeu est clair : l'intégration à la conscience signifie la transformation de la personne en une fonction. Cela signifie également passer de l'image au contcnu, de J'immédiateté concrète des formes imagées à la psychologie du sens. Car J'anima se présente sous des formes imagées et non sous formes de significations. Il est ici implicite que l'anima est, . _l ?~ue fonction, supÉieure à l'anima _personnifiée.
J'autres passages nous - indiquent qu'il existe d'aut~suppOTIsà l'intégration de l'anima, qui jol.Icnt comme « rupture de personnification ». Jung parle du. « démantèlement et (de) l'effacement de l'anima) ( . ; t de « dépersonnaliser » et « soumettre l'anima :l « .
:'ctte notion d'intégration de j'anima est teintée d'héroïsme ; la formulation en est faite dans un 1 an gage de « conquête », de bataille, d'obscurité et de lumière (D . processus est décrit dans le langage moÏque de la compensation avec une légère touche de morale ( « du fait qu'en tant que fonctions, nous n'en avons pas un usage convenable, . elles restent des complexes personnifiés » ). Par conséquent, nous avons cette oppo,c ;ition qui « peut être fonnulée comme moi ( ~ ) et l'autre ( ~ ) (l'autre étant de natllre féminine), c'est-à-dire comme l'opposition du conscient et de l'inconscient (personnifié par l'anima) » (P . route la relation à l'anima se situe au scin du mythoJogème du moi héroïque aux prises avec le dragon dans un combat archétypal. C'est alors que les efforts jéploy~ pou : l'iJtégratbn, « pour ameneJ ces contenus à la lumière », se transforme11t en un désamorçage des personni. Fi cations et de leur pouvoir imaginaI, un assèchement des eaux, pour devenir le massacre de l'ange (considéré par le moi comme un dangereux démon), l'ange dont Je véritable objectif est de s'individualiser, dans une relation personnelle à l'autre. . L'image féminine que rencontre le héros est son ange gardien et non son ennemie, et c'est l'individualisation de cette image qui importe à l'âme, non pas celle du héros ou la mienne. Car c'est de l'individualisation de l'image féminine en une personnalité distincte qu'il s'agit précisément dans la constitution de l'âme. Dépersonnifjer l'anima - pour autant que cela soit véritablement possible - n'aurait pour seul aboutissement sur le plan psychologique que de garder à tout jamais le moi dans une position héroïque.
Le fait de dépersonnaliser J'anima peut altérer inutilement les relations humaines, si cette idée est prise dans son sens littéral, et conduire ainsi à une attitude de rejet brusque (présentée sous forme de noble renoncement), ce qui entraîne une « perte croissante de vitalité, de flexibilité et d'humani té J> et une série d'horreurs psychiques que Jung énumère longuement . out le problème lu choix, pris dans un sens littéral, entre esprit et corps, intérieur et extérieur, positif et négatif, trouve son origine dans la « conscience du moi », qui conserve ainsi une meilleure position, en donnant réalité à ces images, forçant l'opposition qui existe entre elles, supprimant l'une d'elles, poLIr appeler ce jeu : un choix. C'est pourquoi, l'anima représente toujours une conscience héroïque prise dans un dilemme d'ordre moral. Mais ce dilemme appartient à la nature du moi, non à celle de l'anima. P.179
. ce que signifie le mot « intégration ». « llicn que les effets de l'anima tt de l'animus peuvent être rendus conscients, ils sont eux-même.~ des facteurs qui transcendent la conscience et se situent hors d'atteinte de la perception et de la volition. De là, le fait qu'ils deneurent autonomes malgré l'intégration de leurs contenus » « . a seule chose que nous pui. »sions faire est d'avoir présente à l'esprit leur réalité spontanée qui se situe à l'arrière-plan des contenus, des projections et des affects ( :t d'accorder à ces « figures » psychiques « une autonomie relative et une réalité » (C figures» que Jung, sou vent, nous présente comme étant des Dieux et des [)éesse.l ' . « « intégration» de l'anima est aussi « connaissance. de cette structure », la reconnaissance qu'elle est un archétype 0 . . a façon de procéder se fait par la recollllais.ralice fondamentale . .. dais, qu'ya-t-il au juste à reconnaître ? La nature personnifiée et relativement autonome clc l'archétype. A partir de cela, il sembIcrait que l'intégration de l'anima veuille dire justement le contraire, de transformer la personnification en fonction, et il sembJerait aussi qu'en continuant à reconnaître l'anima comme une personne relativement indépendante, bien sûr nous accomplissions le travail d'intégration.
La réponse à cette question, telle que nous la trouvons dans j'alchimie, ne constitue plus une . »,ill)ple disjonction : figure ou fonction, personne ou processus. L'image personnelle de J'anima est nécessaire à Ja représentation de certaines fOI1ction.ç et à la constellation de certains contenus. Sans l'illJ ;lge pcrsonncll~ ~, IOUS ne serions pas conduits (séduits), ou intéressés (tentés) ; nous ne ferions pas l'expérience de certaines qualités (mertume du sel, une substan<e ersonnifiée ) ; n lOUS ne pourrions nous confronter à la libido endogamique (inceste avec la soror), nous ne trouverjons pas jélectation et illusion dans la dissolution, la coloration et le passage au blanc.
En conséquence, la « dépersonnalisation » de l'anima :gnifie peut-être le retrait des effets personnalisles et des projections de celle-ci, et non pas de l'apparence qu'elle peut donner au sentiment intérieur en tant que l1umen personn ;Jié. L ' , « intériorisation par le sacrifice » .ri semble tre la méthode que Jung emploie pour mener à bien le Chcf-d'Ou vre. N u'est l'intégration de l'anima, ne nécessite cependant pas la dissolution de cette dernière, en tant que figure personnifiée.
C'est chez Jung lui-même que j'ai pu trouver l'appui princi pal permettant d'étayer ma compréhension de l'intégration de l'anima, en tant qu'elIe représente une reconnaissance de ['a/lima comme nu men personnifié :

« Aucun argument dé/mitif ne s'appose à !'Ilypothèse qcle les figures archétypiques po.\ »séderaient a priori leur caractère de personllalité, qui ne serait par conréquent pas secondaire. Car, dan.ç la mesure où ifs ne représentent pas uniquement des relations fonctionnelles, les ,archétypes se manifestent sou.\' forme de « daimones « , d'agentia per,çonnels. C'est sous cette forme qll'on les expérime/lte d'abord. On ne les invel1te pas comme le voudrait le rationalisme ».0
« . au lieu de faire dériver ce.\' figures de no.\' coI/dirions p.\')'chique,s-, nous devollS tirer nos conditions psychiques de ces figurei » P.181
« Ce n'est pas nous qui les personnalisons, ce sont elles qui sont, dès le tout commencement, de nature personnelle. »
:: »est dans et par les images personnifiées que J'expérience de cette nature personnelle peut se faire. Laisser ces images à l'arrière-plan signifie abandonner l'archétype lui-même, puisque les archétypes sont personnifiés a priori, au départ. Ainsi, l' « intériorisation par Je sacrifice » doit vouloir dire autre chose que « dépersonnalisation ». Cela signifie-t-il le glissement de l'image de l'anima, de la personne extérieure vers la personne intérieure, c'est-à-dire le retrait des projections faites sur un être humain ?
.. étour pour considérer ces querelles J qui émergent en cours de thérapie, au sujet des projections de l'anima au sein de la relation amoureuse. .II arrive que l'on sente agir en Jung une /zorror al1imae, comn1e lorsqu'il ! dit, par exemple, que « le mariage avec J'anima» n'e ;t « possible qu'en l'absence totale de toute connaissance psyclJologique de soi-même» (F lung nous met en garde, je crois, ici, contre une manière trop littérale de . vécue. Il reste cependant encore à prouver que la relation lue nou.~ aurons avec l'âme sera plus vraie et plus authentique si nous nous passons de sa présence vivante et concrète dans l'existence. Rompre une relation représentative du complexe et prise dans des projection~ de J'anima serait ulle manière de considérer cette dernière littéralement comme une personne porteuse des projections. Toute prescription, toute proscription sur ce qu'il faut faire ou sur la façon de se Importer est une manière de systématiser. Et ceci est valable 1 autant pour les conduites du monde « intérieur» que pour celles du monde « extérieur =). L'intériorisation peut devenir 1 out aussi systématique que la mise en acte.
Chaque foi, que l'intériorisation par le sacrifice équivaut à mettre le couteau sous la gorge au caractère concret de la vie, du simple fait qu'il est concret, comme, par ex.,renoncer au « mariage avec l'anima» , à la sexualité aux fascinations palpables, en vertu du po ces sus d'individuation, aucune intériorisation véritable n'a alors eu lieu, tandis qu'un radicalisme encore plus grand s'est installé. Au lieu d'intériorisation par le sacrifice, nous avons systématisation par la suppression. Dans ce contexte, le sacrifice a lui-même été pris dans son sens littéral et transforn1é en néga\iQp', refus ou mort du caractère concret de la vie, et J'intériorisation a été placée, littéralement, à l' « intérieur» même de notre propre tête, dans notre peau. ~T . Pareillement, l'extériorité n'est pas « làbas» , dans le monde concret et extraverti. Elle fait référence à l'aspect superficiel, prima tarie, manifeste, évident, , nous intériorisons par J'imagination active, nous tombons constamment dans J'extériorité, en donnant aux figures leur valeur appparente, en écoutant leur conseil de maniêre trop littérale, ou en étant tout simplement obligé de faire de l'imagination active afin de trouver la profondeur, J'intério ri té, l'imagination et l'anima. C'est alors que le monde des images psychiques et la figure de l'anima qui yest incluse sont sous J'emprise de la magie. On est esclave de la Maîtresse Arne. Indépendamment de la manière introvertie par laque lIe cela se représente, il s'agit là d'extériorité, de mise en acte intérieure, de mot à mot, de valeur absolue . llng en donne un bon exemple en la personne du Promothée de Spitteler P.183
'~e ne sont pas des personnes que nous sacrifions, mais ce qui est de l'ordre du personnel. A présent toutes les questions que nous nous sommes posées trouvent leur aboutissement. L'intériorisation par le sacrifice n'a rien à voir avec un choix entre extérieur et intérieur - voir les choses sous cet angle est une façon de les prendre dans leur sens littéral - cela n'a rien à voir non plus avec la dépersonnalisation, quelle que soit la forme sous laquelle elle se présente : transfonnation des personnifications en fonctions et en contenus ou transmutations de j'âme, de personnes extérieures en images intérieures.
La dépersonnalisation de l'anima veut dire ce qu'elle veut dire : percevoir la nature véritable des aspects personnels de toute personnification. Ceci fait référence à cette reconnaissance d .. tconnaissance que toute subjectivité issue du sentiment personnel de ce qui est moi et de l'auto-importance est issue d'un archétype totalement impersonnel. C'est précisément cette connexion existant entre le personnel et l'archétype du personnel qui, à la fois, dépersonnalise et est sacrifice. Car, comme nous le savons Jien, mais nous empressons toujours si vite d'oublie §gili~t précisément ce type de mise en r~Ldesvénements humaIns a caractère personnel ~ec reur arrièreIllanjmpersonnel ~t divin.. C la signifie une prise en considération de l'archétype de l'anima à un niveau personnel d'existence, quel que soit le lieu où cela se joue, aussi bien au niveau des personnes incarnant l'anima dans Je monde extérieur que dans les formes que prend cette dernière dans : les images du monde intérieur. Les aspects personnels des images intérieures ont, eux aussi, besoin d'être mis à jour en tant qu'événements archétypaux relativement autonom~s. Ils sont d'ordre impersonnel et sans rapport avec « moi )= tu plan de mon importance subjective. Le dialogue avec les images intérieures de l'anima, ses agissements dans les rêves, tout cela peut fort bien faire de « moi » un possédé de l'anima, au même titre que n'importe quelle implication avec une personne du monde extérieur incarnant l'anima.
En retournant les philtres, la beauté, les séductions, les vanités à leurs origines, c'est-à-dire aux déesses, reléguant toutes les choses à l'arrière-plan qui est le leur, nous dépersonna lisons entièrement la représentation autonome et compulsive. C'est alors qu'il nous sera possible de reconnaître cette définition : « J'anima n'est autre qu.une représentation de la nature personnelle du système fragmentaire hypothétique /> (C
L'intégration de ]' anima, qui signifie devenir un tout ou ne [aire plus qu'un avec elle, ne peut avoir lieu que dans la nesure où nous gardons présent à l'esprit que nous sommes déjà en elle. Dès Je commencement, (être humain est un être-en-âme (esse in anima). L ratio !] consiste donc en D changement de point de v~i passe de elle en moi à moi en elle. « L 'homme est dans la psyché ( et non dans sa psyché) » (-) Cette reconnaissance de notre appartenance véritable et ontologique est un sacrifice de notre consciens telle que nous avons J'habitude de l'envisager , ~ consiste à intério ::.iser cette dernière au sein d'une notion plus vaste de la :mfç1lé- Ceci est également une « in tériorisation par Je sacrifice » qu'il serait plus juste d'appeler « opération qui rend relative la valeur du moi », 'utôt qu'intégration de j'anima.

8. La Médiatrice de l'inconnu.

Voyons .. trois autres définitions, très proches l'une de l'autre :
1 L'anima personnifie l'inconscient collectif . P.185
2 L'anima est la fonction de la relation avec l'inconscient .
3 L'anima est la médiatrice de l'inconnu ., elle agit comme psychopompe vers l'inconnu. ; elle se présente sous les traits d'une inconnue.

Ces définitions font référence à la phénoménologie de l' « inconnu » que nous avons relevé en cours de route : l'anima est innocente, vide, vague, blanche (ou sombre) ; la fumée, la brume et l'opacité ; son comportement insaisissable, énigmatique, indiscernable ; ses origines douteuses et obscures ou ses associations avec l'histoire ancienne ou les cultures étrangères, les images que nous connaissons d'elle, la face tournée, voilée, cachée ou prisonnière dans l'obscurité de la matière originaire. Ou bien, elle est l'inconnue, instigatrice des projections et des illusions. Il faut aussi inclure dans l'inconnu la phénoménologie des attirances et des humeurs soudaines hors d'atteinte de la volonté, qui arrivent sans crier gare et repartent de façon tout aussi inexplicable. Finalement, l'anima représente l'inconnu en tant qu'il est le mystère de la conscience en relation avec la nature et la vie.
C'est à cette inconscience fondamentale de l'archétype, absence de lumière, de moralité, de sens, de conflit, d'intention, de temps historique et d'image culturelle, que Jung fait allusion dans certains passages sur la nature « inconnue » de l'anima. . Car, « son irruption dans la conscience est souvent synonyme de psychose ». « A l'opposé d'autres contenus, elles (les personnalités archétypiques, c'est-à-dire l'anima et l'animus) demeurent toujours étrangères dans le monde conscient et sont même des intruses, mal accueillies, qui remplissent l'atmosphère d'un sentiment de prescience sinistre ou d'appréhension de la démence. »
L'animus et l'anima font incontestablement partie des matériaux qui surgissent dans la schizophrénie ». De même, il suggère : « C'est ce qui expliquerait aussi le nombre sensiblement plus élevé de suicides masculins ».
. la psyché inconsciente ne peut être connue, car c'est précisément là le sens de l'inconscient. Cela ne signifie rien d'autre qu'inconscience psychique, et c'est précisément cette inconscience que médiatise l'anima. Elle nous rend inconscient. Et comme elle représente précisément l'aspect démesuré, la folie, de la vie.., elle nous rend fou. « Avec l'archétype de l'anima, nous pénétrons dans le royaume des dieux. Tout ce qui P.187 touche à l'anima est numineux, c'est-à-dire inconditionné, dangereux, tabou, magique.»
Le côté sentimental de la pratique analytique fait oublier cet aspect « psychotique » .
. sa personnalisation, sa subjectivité et sa sensibilité sont toutes des qualités archétypales ; elles nécessitent un filtrage au travers de la fonction sentiment et il ne faut pas les prendre au pied de la lettre. Sans cela, nous en prenons possession et nous nous identifions à elles, avec la croyance qu'en devenant plus intimement personnel, plus profondément subjectif, et plus sensible, nous sommes, encore, sur la voie de l'intégration de l'anima, alors qu'en fait nous l'avons laissée s'emparer de notre sentiment, le rendant ainsi faux, car une imitation du sien. L'imitatio animae est ce que l'on fait de mieux en pseudo-subjectivité, pseudo-sensibilité et pseudo-profondeur. Du fait qu'elle est archétypale, elle augmente la dimension de ce sentiment ; il est trop riche, trop raffiné, et cela se sent. . c'est de la guimauve.
C'est par cette infiltration de sentiment due à l'anima que la pratique thérapeutique devient corrompue par l'une les duplicités subtiles de cette dernière: l'absence de sentiment humain au sein de l'archétype de l'anima est précisément ce que celle-ci recouvre par cette sentimentalité qui l'entoure.
Elle constitue elle-même son propre antidote, car son aspect froid et détraqué, la Belle Dame Sans Merci, vient apporter à sa propre sentimentalité une correction archétypale.
Aussi n'allons pas nous imaginer que l'anima ne jette des ponts et ne médiatise le monde intérieur qu'à la façon d'une bienfaitrice sibyIline, nous enseignant tout ce que nous ignorons, qu'elle est le guide féminin avec qui nous marchons main dans la main. Ceci est le voyage « aller », et il y a dans son mouvement une autre direction, car pour passer le pont de son imagination houleuse, de ses projections, de ses émotions qui rendent la conscience d'une personne inconsciente et collective, elle « déchaînerait des forces» .. qui proviennent de l'inconscient collectif. Elle fait de nous, comme de tout un chacun, un être déclamant les l1êmes clichés, en chasse les mêmes éphémères, s'agrippant aux mêmes besoil]s. En tant que n]édiatrice de l'inconnu éternel, elle constitue le pont sur la rivière qui, à la jois, permet l'accès aux arbres et nous égare dans la vase et les sables mouvants, rendant ainsi le connu encore plus inconnu. >lus nous descendons dans les profondeurs de son ontologie, plus la conscience devient opaque. Alors, à la manière des alchimistes, il nous fa ut pour la suivre déclarer que la connaissance des choses se meut de ce qui est connu vers ce qui est inconnu .. ?notutn peT ignotius. ,cs explicatioJ1S de J'anima évèlcnt l'inconsclent et nous rendent encore plus inconscient. Elle mystifie, engendre des énigmes de sphinx, préfère le 11londe souterrain et occulte où eIIe peut rester cachée ; elle net l'accent sur ce qui est incertain. En délogeant toute cho..,.e connue de son assise, chaque questionnement est ainsi précipité dans des eaux toujours plus profondes, ce qui est aUSSI une voie de la constitution de l'âme.
Plus nous la suivons en profondeur, plus la conscience prend une apparence fantastique. C'est alors que dans les rêves elle se révèle à nous sous son aspect psychotique, revenant aux yeux étranges, « internée » de mon asile nocturne. M'unir à mon anima signifie également m'unir à ma psychose, ma peur de la folie, mon suicide. Grâce au sel de P.189 l'anima, cette conjonction est épurée de sa sentimentalité sucrée, car c'est d'une conjonction avec la folie de la vie qu'il s'agit, folie qui, en même temps, est ma propre folie, médiatisée et personnalisée par elle, et qui rapporte en sa terre natale un « moi» qui, tou t à la fois, est une étrangeté, singulier, et cependant m'appartient, ce que Jung appelle le Soi.
F arrive que la psychologie analytique, en des mains moins expertes que celles de Jung, se dérobe à ces implications avec l'inconnu. Par une ruse qui est celle de la conscience lunaire u matriarcale, on nous dit que l'obscurité des états de anima n'est pas une menace réelle, qu'elle n'est pas une féritabIe obscurité, mais une lumière d'un autre type. C'est comme si la pratique analytique, vivant jusqu'au bout son fantasme dc viCllX sage, devait, vaille que vaille, se cramponner à la douce anima, car cette fille bonne-laitière est inhérente au mythologème du senex, que l'on trouve si fréquemment chez J'analyste. Celui-ci dépend de son aide et doit ainsi la considérer comme étant de nature à aider. Dans ce contexte, alors le terme de médiatrice signifie seulement Inédiation et celui d'harlll0llia exclusivement harmonie. Ces attitudes confortables sont une au tre parmi les manières qu'a j'anima d'embuer l'esprit de sa douce persuasion et de se protéger en nous empêchant de pénétrer ses profondeurs démoniaques. Après tout, Je trait d'union réconciliateur est bien aussi ce qui sert de liaison, et, Colllll1e Je fait remarquer Jung, le mariage de cousins croisés (cross ;vec mon âme me déconcerte dans mes projets, pour finalement devenir le calvaire de l'âme. Ainsi, « le choc avec l'anima et l'animus constitue donc un conflit », qui est aussi un modèle de relation à l'inconscient collectif. Rien ne médiatise mieux l'inconscient et le collectif que la confusion, la rage et la souffrance. Harmonie dans les mythes est fIlle d'Arès (la guerre) et Harmonia en philosophie est inséparable de conflit et de discorde .
Lorsque l'anima est définie comme psychopompe et médiatrice, nous nous devons alors de nous demander quel est son style précis de guidance et vers quel état elle nous conduit puisque l'âme a d'autres guides. Nous trouvons parmi les guides, le jeune enfant, le vieux sage ou mentor, Hermès le guide héroïque, de même que l'animal amical. Chaque manière de guider est différente et conduit à des conclusions différentes. .
.. nous disions que l'anima était l'archétype de la conscience psychique. Mais à présent, nous venons de dire que l'anima est l'archétype qui médiatise l'inconscient. Le rapprochement de ces deux idées signifie qu'avant toute autre chose, la conscience de l'anima veut dire avoir conscience de sa propre inconscience. Elle apporte la possibilité de réflexion en termes d'inconscient, c'est-à-dire la possibilité de connaître de quelle manière cette image, cet événement, cette personne, cette idée, ce sentiment qui est maintenant le contenu de ma réflexion, produit l'inconscient. Ceci constitue le point de vue de la psychologie des profondeurs, et c'est pourquoi l'anima (et non pas le vieux sage, la mère-nature ou le héros) est l'archétype de l'appel psychologique. C'est pourquoi, la constitution de l'âme précède l'individuation de soi. Car, avant de devenir conscient, nous devons pouvoir savoir que nous sommes J1conscients, et ceci où, quand, et jusqu'à quel point. Dans P.191 ce contexte, la constitution de l'âme .. devient .. la reconnaissance .. de l'archétype de l'anima. Il s'agit avant tout d'une « perception de la différence » parmi ses innombrables arts et artifices, et de voir où, dans ses fiIandres, nous sommes empêtrés ; c'est un déroulement de l'activité imaginaire sur les fantasmes. Pour utiliser une métaphore de l'anima, employée par Jung, la constitution de l'âme fait ici référence à la « connaissance discriminatrice », que Prakriti évoque en Puruscha, en dansant devant lui. cette discrimination ne nécessite nullement de Purusha qu'il utilise Il sabre. Simplement, il regarde.
Du fait que l'anima médiatise l'inconscient, ne nous rendant, de fait, pas plus conscient mais moins, elle abonde par conséquent où l'inconscient est à l'ouvre : complexes, illusions dans les affections de la vie, états de somnolence et humeurs, réflexion isolée, vapeurs et évanouissements hystériques, débordements de « nympholepsis » ( Chez les Anciens, signifiait un état de frénésie dont on croyait qu'il saisissait tout homme qui regardait une nymphe), toutes ces fascinations dont les causes, les traitements et les personnes qui les incarnent sont naturels, simples, innocents et obscurs.
La croyance que l'intégration des manifestations nous permet d'intégrer l'anima et de la rendre consciente nous fait perdre contact avec l'autonomie de son inconscience archétypale et avec la nôtre. La notion d'inconscient signifie autonomie, spontanéité, omniprésence, collectif ; elle nous interpelle partout et à tout moment, jaillissant à chaque instant et nous assaillant de ses effusions devant qui veut l'entendre. Tout événement provenant, au cours d'un jour, a un effet entropique de désintégration. Toute conversation, séance analytique, méditation, tout rêve, en mettant la conscience en mouvement, nous rend inconscient d'une manière nouvelle. Elle médiatise ces déplacements de l'inconscient.
Du fait que la conscience de l'âme est, à l'origine, imaginale, c'est-à-dire qu'elle est une auto-réflexion ou reconnaissance du déroulement des formes imagées qui composent la psyché, l'anima médiatise les mouvements incessants de l'intériorité. Cette intériorité ne se situe pas uniquement dans ma tête ou dans les borborygmes proprioceptifs des sensations intérieures. L'anima informe sur l'intériorité de tout attachement, qu'il se présente sous forme de couples avec d'autres personnes (ses commérages, ses doutes, ses rancunes qui reviennent) ou qu'il s'agisse des couples primordiaux - esprit, corps et monde, auxquels l'âme est attachée et dont elle est l'intériorité.
Mais ces informations ne sont pas des réponses. Demander, par le biais de l'imagination active, des réponses à l'anima, croire qu'elle apporte des conseils qui seraient autres que le sa voir du non-savoir (ambiguïté, indécision, incertitude) est une bévue analytique, qui est une folie au même titre que ce que nous avons exploré plus haut au sujet de son présupposé éros, sentiment ou de sa localisation en l'homme uniquement. Jung nous suggère que la sagesse de l'anima est en fait une identification indifférenciée au vieux sage. .. Même le savoir que la sage Sophia médiatise est pistis, la foi, une conviction dans la réalité psychique et son monde imaginaire, qui entraîne loin du savoir, en direction de l'imagination. Le monde gnostique d'où est issue Sophia est un domaine peuplé de figures imaginaIes et la sagesse qu'elle médiatise est une participation à ce domaine.
Les manifestations de l'anima nous montrent qu'elle ne possède aucune réponse. Les images qui la représentent innocente nous disent son ignorance, celles d'écho son manque d'originalité, celles de l'ondoyante sirène qu'elle est incompréhensible, de même que son incapacité à parIer ou P.193