PRELUDE EN FORME DE GLOSSAIRE

Pour la doctrine psychanalytique freudienne et néo-freudienne, hors du Père, point de salut. Quiconque ne passe point par les fourches caudines de l'entonnoir symbolique monothéiste patriarcal, phallo-androcratique est inexorablement condamné à la psychose, à la perversion ou, au mieux, à la marginalité. Aussi lien notre cas personnel que notre clinique journalière, et notamment depuis mai 1968, nous prouvent - Déesse merci ! - le contraire. C'est ce qui nous à inciter à aller chercher dans l'histoire anthropologique, d'autres systèmes symboliques susceptibles d'expliquer une psychogénèse (un développement psychologique) humaine qui ne se fonde pas sur le sacro-saint développement odipien .
Pour ceux-ci en effet, la psychogénèse de l'enfant se divise en deux grandes périodes caractéristiques, la prégénitale ou préodipienne et la génitale ou odipienne.
La période préodipienne est caractérisée par une dyade pulsionnelle mère-enfant continuant la fusion intra-utérine et que, seule, 1'intervention du père, comme un coin dans le bois, pourra faire cesser en la clivant inexorablement. C'est alors que la période odipienne commencera, marquée par le désir de meurtre de ce gêneur et la crainte, en retour, de la castration punitive. La résolution de ce conflit tragique se trouvant dans l'abandon de l'objet maternel du désir (acceptation de la castration) et l'identification à ce paradigme absolu, porteur des valeurs monothéistes patriarcales : le Père symbolique.
Nous ne réfuterons pas ce schéma - odipien - de développement, simplement nous le relativiserons. Nous le relativiserons par rapport à une culture (collective) patriarcale d'une part et, en cette culture, par rapport à une structure individuelle particulière, d'autre part. A cette structure, innée autant que congénitale et acquise, nous donnerons le nom de Fils-odipien (du père).
Mais nous montrerons qu'à côté de cette culture (structure collective, système symbolique) et souvent même à l'intérieur de celle-ci il en peut exister - et co-exister- d'autres. Et .. qu'à côté - ou même à l'intérieur - d'un système familial odipien, il peut exister - et co-exister - des structures individuelles également autres ; et notamment des individus opérant leur développement psychogénétique dans/et par la mère, sans intervention « cunéiforme » du fameux Père symbolique ; le « coin » phallique maternel (son Animus, dirons-nous avec Jung), y suffisant largement - ô combien ! trop souvent. Au Père symbolique nous adjoindrons la Mère symbolique. A ces structures individuelles particulières, innées autant que congénitales et acquises, nous donnerons le nom de Fils-Amants (de la Mère). (Fils et filles bien entendu.)
Reprenons les deux périodes freudiennes .

1. La période prégénitale ou préodipienne va de la naissance à trois ans environ et se
subdivise en phase orale suivie d'une phase anale. Pendant cette période l'enfant vit sa relation au monde - et d'abord à la mère - sur un mode fusionnel et confusionnel, c'est-à-dire indifférencié sur le plan du sujet (enfant) et de l'objet (mère), du Moi et de l'autre. Le monde psychologique primitif de l'enfant, reproduisant celui de la mentalité archaïque des sociétés tribales passées ou ethnologiques actuelles, est un animisme, c'est-à-dire une subjectivisation des objets. Le sujet investit l'objet de l'énergie (libido) propre à sa pulsion (Comme l'instinct qu'elle relaye, une pulsion se définit par une source (diencéphalique), un sens (vectoriel et sémantique), une direction (de l'intérieur vers l'extérieur), un objet interne (qui deviendra l'objet O) et un objet externe spécifique (qui deviendra l'objet 0') établissant un courant de sens inverse et éventuellement contradictoire (de l'extérieur vers intérieur) et qui devra « con joindre » avec l'objet 0 pour créer une conjonction de symbolisation 0-0' intra-corticale, probablement intranucléaire cellulaire (information in A.D.N.) Ce concept fondamental d'objet (ob-jectum ; ce qui est placé devant) va se complexifier progressivement .. Schéma 1, p. 54.) positive (d'amour) ou négative (de destruction), Dès lors l'objet (extérieur) lui apparaît soit comme bon et agréable (le Bien, plus tard) soit comme mauvais et désagréable (le Mal, plus tard), non en vertu de la qualité objective de cet objet mais en vertu de sa qualité subjective ( projective). C'est ce phénomène d'investissement subjectif des objets ( « Objets inanimés avez-vous onc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ? » - ou de haïr) qui est appelé projection, altérisation, interprétation et, un pas de plus, délire. On le retrouve aussi dans le solipisme philosophique et l'autisme psychiatrique. Il est encore à la base de systèmes philosophiques « idéalistes absolus » qui dément toute réalité objective au monde. Les phénoménologues le nommeront intrasubjectivité.
C'est ainsi que la mentalité archaïque peuple l'univers proche d'esprits, de démons, de nymphes, d'elfes, de déesses et de dieux, d'abord zoomorphes (à forme animale), ensuite zoo-anthropomorphes (monstres hybrides animaux et humains), enfin anthropomorphes (à forme strictement humaine mais généralement hyperbolique). Telle est signifiée l'évolution de l'imaginaire humain. L'on parlera alors d'un imaginaire de la pulsion orale et d'un imaginaire de la pulsion anale, propres à ces phases de la période prégénitale (ou préodipienne), au cours de laquelle l'enfant subit l'éducation de ce que l'on nomme oralité, c'est-à-dire de sa relation au monde sur le mode dévorant-dévoré (cannibalique) ; et de ce que l'on nomme analité, c'est-à-dire de sa relation au monde sur le mode saleté-propreté, souillure-pureté, accompagnée d'une volonté d'emprise sur autrui (la mère en premier lieu) qui nous fera désigner cette phase de l'épithète esclavagiste. L'on parlera aussi de sado-masochisme oral ou/et anal, étant entendu néanmoins que, pour qu'il y ait sadisme ou/et masochisme à proprement parler, il y faudra un Sujet lui en assume la responsabilité. Ce Sujet, justement, se forgera un Moi qui en sera son épreuve existentielle privilégiée et qui se développera peu à peu à partir de l'adaptation (accommodation) progressive de l'enfant à ses objets. Lorsque l'enfant P.27 commencera à distinguer un sein ( objet partiel mère) différent de sa bouche (pulsion partielle du sujet), puis un visage (objet partiel mère) différent de son visage (pulsion partiel1e du sujet), enfin une mère totale (objet total), différente de son corps propre qu'il reconnaîtra comme sien dans sa totalité (pulsion totale ), Sujet et Moi se différencieront concurremment.
Cette reconnaissance d'objets partiels (non-Moi) correspondant aux pulsions partielles (Moi) (Fondant le fétichisme. La partie prise pour le tout.), puis d'objets totaux (non-Moi) correspondant à la réunion des pulsions partielles (Moi) ( du senti, du moteur, du toucher-être-touché, du sentir-être-senti, du goûter-être-goûté, de l'entendre-être-entendu, du voir-être-vu, etc.), s'opère justement par l'objectivation (médiatisation) progressive de ces objets par rapport à la source pulsionnelle et à l'objet interne (O) de celle-ci. Les esprits, nymphes, démons, déesses, dieux, etc., qui peuplaient les bois, forêts, torrents, rivières, lacs, grottes et autres lieux sacrés vont peu à peu refluer et confluer en des lieux spécifiques privilégiés. Lieux sacrés terrestres (sanctuaires, les grottes du Paléolithique par exemple), lieux sacrés souterrains (chtoniens, enfers), lieux sacrés célestes (ouraniens, astraux). L'univers, d'animiste, se mythologise. Ainsi en est-il de l'enfant qui y acquiert, comme l'homme archaïque, une terre, un territoire profanes, en lesquels sa liberté d'être pourra s'exercer par rapport au sacré archaïque contraignant et aliénant (son champ d'investissement archétypo-pulsionnel archaïque) qui continuera, certes, à le gouverner, mais de plus loin. Il lui suffira d'accomplir certains rites propitiatoires (rendant propice) - sacrificiels, car le sacré archaïque est d'abord, on le verra, ubris (démesure, orgueil, insolence, emprise, violence, sadisme, cannibalisme, esclavagisme, possession).
Le « dressage » oral et anal de l'enfant récapitule en quelques mois - ou années - les ritualisations, cultualisations et culturalisations cannibalique et esclavagiste des trois millions d'années passées (Depuis l'Australopithèque et l'Homo habilis.) L'on dira que l'onto-psychogénèse (psychogénèse individuelle) récapitule en trois ans, la phylo-psycho-génèse (psychogénèse collective) de trois millions d'années d'hominisation (de l'Homo habilis à l'Homo sapiens-sapiens) et d'humanisation (de l'Homo sapiens-sapiens du Paléolithique supérieur à nous, soit environ trente mille ans) (Remarquons cette coïncidence du chiffre trois.)
Nous pouvons déjà, en première approximation, assimiler la phylo-psycho-génèse aux contenus archétypiques de l'inconscient collectif de Jung et l'onto-psycbo-génèse des trois premières années de la vie de l'enfant prendra place en ce que nous définrons comme une paléopsyché, c'est-à-dire une inscription archétypique (archétypo-pulsionnelle, objets O) en un individu.( Ce sont ces points d'ancrage (inscription, engrammation) du collectif en un individu que nous essaierons de définir à partir des systèmes géniques (acides désoxy-ribo-nucléiques : ADN.) des cellules nerveuses (neurones). Rappelons que l'ontogénèse est la récapitulation brève et rapide (embryologique et jusqu'à l'âge adulte) de la phylogénèse, c'est-à-dire de l'évolution biologique au cours des âges, des différents systèmes organiques.
L'onto-psycho-génèse est alors la récapitulation brève et rapide (en une vie humaine) de la phylo-psycho-génèse, c'est-à-dire de l'évolution psycho-spirituelle de l'Homo .. De plus, l'onto-psycbo-génèse tente d'anticiper l'évolution future du sapiens-sapiens. : c'est l'individuation.)
Nous voyons déjà que l'inscription de la réalité physique objective (objets 0') en les cellules nerveuses de l'enfant (empreinte ..) pour y constituer un système de réalité objective s'opposant au système de réalité subjective (projective), procède de deux courants : - l'un allant de l'intérieur vers l'extérieur (projection, animisme, interprétation, externalisation) (De ce qui deviendra l'objet O par inscription corticale.) ; - l'autre de l'extérieur vers l'intérieur (introjection, empreinte, assimilation, internalisation) (De ce qui deviendra l'objet O' par inscription corticale.) Du résultat - ou plutôt de la résultante - de ces deux courants (énergétiques, libidinaux) surgit la représentation dite objective, mais qui ne l'est, en fait, que par rapport à un système de réalité objective donné. En effet, « vérité en deçà, erreur au-delà ». Ces systèmes de réalité objective sont définis par un système symbolique, c'est-à-dire un système de règles régissant une culture - ou une société - donnée : règles de parenté, de mariage, d'échanges, d'économie, de religion, d'art, de technique, de science. . Le symbolique, s'opposant à l'imaginaire antérieurement défini (subjectif fusionnel) est donc le résultat - la résultante - de deux forces de sens opposé et éventuellement contradictoires, émanant l'une de la réalité psychique objective (archétypes-pulsions de l'inconscient collectif), P.29 l'autre de la réalité physique objective. La réalité psychique objective se définit en effet comme un non-Moi (un non-Sujet) parce qu'elle émane de ce fonds anthropologique collectif . La réalité physique objective est ce qui, de l'objet concret extérieur, résiste à mon ubris, à mon besoin, à mon désir. Ce n'est pas seulement l'objet concret mondain (banal) qui me démontre qu'il va résister à ma frêle denture de lait mais c'est aussi l'objet concret de chair et d'esprit - maternel en l'occurrence - qui m'impose la Loi du groupe en lequel je baigne, c'est-à-dire son système symbolique.