II L'anima et l'animus

 

Chez les primitifs, ce sont les « esprits du père et de la mère » qui de tous les « esprits » agissants, présentent pratiquement la plus grande importance .(cf. culte des ancêtres). Les parents sont évidemment, pour l'enfant, les êtres les plus proches et les plus influents. Mais, à l'âge adulte, cette influence devra avoir été surmontée ; l'adolescent, dans son processus d'émancipation, se posera en s'opposant ; il s'efforcera de minimiser les influences reçues, c'est-à-dire qu'il refoulera et dissociera les séquelles psychologiques de son éducation. Les  « imagines parentales » se trouveront donc encore plus, si faire se peut, niées et refoulées hors du conscient ; et elles se verront même aisément grevées, à cause des effets contraignants qui émanaient d'elles et qui souvent persistent, d'un indice péjoratif. Ces circonstances concourent à fixer les « imagines parentales » dans une extériorité psychologique où elles restent étrangères.

Pour l'homme adulte, ce qui à l'avenir va remplacer les parents en tant qu'influence de l'ambiance immédiate, c'est la femme.  Femme est la compagne :e l'homme ; elle fait partie de sa vie et lui appartient. . elle partage son existence et ses préoccupations. ElIe ne le surpasse ni en âge, ni en autorité, ni en force physique ; elle n'en constitue pas moins un facteur majeur d'influences, qui se cristallise, comme celui des parents, en une imago de nature relativement autonome ; pourtant cette imago, à l'opposé de celle des parents, ne doit pas être dissociée, mais devra être maintenue associée au conscient de l'homme.

La femme, avec sa psychologie si différente de celle de l'homme, est pour lui - et a toujours été - une source d'informations sur des chapitres a propos desquels l'homme n'a ni regard, ni discernement. Elle peut être pour lui source d'inspiration ; ses potentialités d'intuition souvent supérieures à celles de l'homme lui permettent de donner à celui-ci d'utiles avertissements, et son sentiment, qui est axé sur les particularités personnelles, peut lui indiquer des voies qui resteraient fermées au sentiment de l'homme, qui, lui, est peu orienté et attiré vers les plans personnels. .

. Le refoulement par l'homme de ses tendances et de ses traits féminins détermine naturellement l'accumulation de ces besoins et de leurs exigences dans l'inconscient. L'imago de la femme - qui figure l'âme dans l'homme - en devient tout aussi naturellement le réceptable ; et c'est pourquoi l'homme, dans le choix de la femme aimée, succombe souvent à la tentation de conquérir précisément la femme qui correspond le mieux à la nature particulière de sa propre féminité inconsciente : il aspirera ainsi à trouver une compagne qui puisse recevoir avec aussi peu d'inconvénients que possible la projection de son âme. Quoiqu'un tel choix amoureux soit le plus souvent considéré et éprouvé comme le cas idéal, il n'en résulte pas moins que l'homme, de la sorte, peut épouser l'incarnation visible de la faiblesse la plus insigne. (Là se trouve l'explication de bien des mariages disparates et surprenants.) p. 145

Donc. côté de l'influence de la femme, c'est la féminité propre de l'homme qui explique le fait de la féminité de l'ensemble complexe que l'on dénomme son âme. . La plupart des hommes possédant le moindre sens psychologique saisissent ce qu'entend Rider Haggard quand il parle de « celle-qui-doit-être-obéie » . ils connaissent aussi d'habitude quel est le P.147 genre de femme qui incarne le mieux ce côté de leur nature qui, pour être secret, n'en est que plus clairement pressenti.

. il réside à coup sûr dans cette image de l'anima féminine de l'homme  un facteur supra-individuel, qui ne doit pas une existence éphémère à quelque unicité individuelle, mais qui au contraire a quelque chose de typique plongeant des racines profondes en quelque lieu, par-delà les liens superficiels visibles . Rider Haggard dans She et Pierre Benoit dans L'Atlantide, en soulignant l'aspect historique des personnages incarnant l'anima, se sont faits, sans malentendu possible, les interprètes de cette notion intuitive.

Il n'est pas d'expérience humaine .. et aucune expérience n'est d'ailleurs possible -, sans l'adjonction d'une disponibilité subjective. Mais en quoi consiste, et où réside cette disponibilité subjective à l'expérience ? Elle consiste en dernier recours en une structure psychique innée qui est le facteur permettant à l'homme, en toute généralité, de faire et de vivre une telle expérience. Ainsi, toute la nature de l'homme présuppose la femme et sa nature, aussi bien physiquement que psychiquement. Le système vivant appelé homme est a priori adapté à la femme, axé sur la femme, de la même façon qu'il est préparé à vivre dans un certain monde où se rencontrent l'eau, la lumière, l'air, le sel, les hydrates de carbone, etc.

La forme et la nature du monde dans lequel l'être naît et grandit sont innées et préfigurées en lui sous forme d'images virtuelles. Ainsi les parents, la femme, les enfants, la naissance et la mort sont innés en lui sous forme de disponibilités psychiques préexistantes, sous forme d'images virtuelles. Ces catégories, évidemment de nature collective, sont les images des parents, de la femme et des enfants en général, par-delà la prédestination individuelle et préalable à celle-ci.

Tant que ces images, de virtuelles qu'elles étaient, ne sont pas meublées de contenus déterminés par le vécu, il faut les penser comme des cadres vides ; à cause de cela elles demeurent invisibles et inconscientes. ( Il y a là un problème humain général, à la fois irritant et captivant : irritant puisque l'individu, chemin faisant. Au cours et au rythme de la vie, devra troquer l'universalité des images virtuelles intérieures contre certains noms, certains visages, certaines têtes, certains choix. De là, en partie, les exigences d'absolu que l'on adresse à l'autre, car chacun cherche à retrouver dans l'autre l'absolu de son image virtuelle.

Problème captivant aussi puisque cette image virtuelle ne prend vie et ne devient puissance de vie que si elle est associée à un vécu concret. Ainsi donc, le dilemme demeure constamment entier, l'image virtuelle plus ample où pourraient s'engouffrer toutes les possibilités de la vie est elle-même vécue et ne devient vie qu'en s'amputant de sa virtualité et de son ampleur. 0r, tout en voulant la vie, elle ne consent pas sans d'innombrables reculs à ces auto-amputations. Cest le problème de l'adhésion et de l'engagement ; d'un seul élan, les natures harmonieuses (les sujets syntones) y souscrivent ; par contre, pour certains êtres divisés (les sujets schizoïdes), c'est un drame caractérisé par une farouche ambivalence et par de terribles déchirements. Ce faisant, les sujets syntones sous-estiment la légitimité de 1'ambivalence et ses potentialités équilibrantes. Tandis que les sujets schizoïdes sous-estiment l'importance de l'engagement et de la créativité qu'implique aussi acceptation de l'acte vécu  ). Elles n'acquièrent teneur et par conséquent influence sur le sujet, et finalement conscience, qu'en tombant en concordance avec une donnée vécue ; alors se produit, en un lieu quasi géométrique, point de recoupement de la disponibilité intérieure et du concret extérieur, comme un point d'impact : sous ce choc révélateur, la disponibilité inconsciente se trouve éveillée à la vie.

Ces images virtuelles sont comme le sédiment de toutes les expériences vécues par la lignée ancestrale ; elles en sont le résidu structurel, non les expériences elles- mêmes. ..P .149

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Dans l'inconscient de l'homme, il réside de façon héritée une image collective de la femme à l'aide de laquelle il appréhende l'essence féminine. Cette image héritée est la troisième source importante de la féminité de l'âme masculine.

. il ne s'agit nullement .. d'un concept philosophique ou religieux de l'âme, mais de l'acceptation psychologique de l'existence d'un complexe psychique demi-conscient possédant un fonctionnement partiellement autonome.

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Dans les conceptions primitives, l'âme ne va pas toujours de pair avec la qualité de l'immortalité personnelle, ni même avec celle de l'immortalité en soi. . Dans une acception psychologique, l'immortalité veut tout d'abord et tout simplement désigner une activité psychique qui transgresse les frontières du conscient. « Par-delà la tombe ou la mort » est psychologiquement synonyme de « par-delà le conscient » Cela d'ailleurs ne saurait avoir d'autre signification, puisque l'immortalité est toujours proclamée par un homme vivant, qui, précisément comme vivant, ne saurait valablement discourir de ce qui est situé dans l'« au-delà »

L'autonomie du complexe de l'âme sous-tend naturellement et renforce la représentation d'une entité invisible. Personnelle. Vivant en apparence dans un monde différent du nôtre. Dans la mesure où l'activité de l'âme est ressentie comme la vitalité d'un être indépendant, qui ne semble pas même lié à notre propre corporalité éphémère, la représentation peut facilement .. Lorsque les bouddhistes disent qu'en progressant sur la voie de la perfection, grâce à l'intériorisation et à la contemplation, il se produit une réminiscence et une remémoration d'incarnations passées, ils se rapportent sans doute à la même donnée psychologique P.151 de base, avec cette différence toutefois qu'ils attribuent la composante historique, non pas à l'âme elle-même, mais au Soi.

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Notre Soi, en tant que quintessence de tout notre système vivant, non seulement renferme la sédimentation et la somme de toute la vie vécue, mais il est aussi et la matrice, et la semence, et la source, et l'humus créateur de toute vie future, dont la prescience enrichit le sentiment tout autant que la connaissance du passé historique. C'est de ces données psychologiques de base, de ces fondements tournés à la fois vers le passé et vers l'avenir, que se dégage avec légitimité l'idée de l'immortalité.

. il existe une relation compensatoire entre la persona et l'anima.

La persona est un ensemble compliqué de relations entre la conscience individuelle et la société ; elle est, adaptée aux fins qui lui sont assignées, une espèce de masque que l'individu revêt ou dans lequel il se glisse ou qui, même à son insu, le saisit et s'empare de lui, et qui est calculé, agencé, fabriqué de telle sorte parce qu'il vise d'une part à créer une certaine impression sur P.153 les autres, et d'autre part à cacher, dissimuler, camoufler, la nature vraie de l'individu.

Qu'il soit superflu de cacher sa vraie nature, seul peut le prétendre celui qui s'identifie à sa persona à un tel degré qu'il se tient au demeurant dans une ignorance profonde de lui-même ; et, de même, peut seul imaginer inutile de faire une certaine impression sur les êtres de son entourage celui qui méconnaît la nature vraie des humains qui l'entourent. La société attend et se doit d'attendre de chaque individu qu'il assume et joue de façon aussi parfaite que possible le rôle qui lui est imparti. Ex. du pasteur . La société exige cela comme une sorte de garantie et de sécurité. Que chacun demeure à sa place se cantonne dans son domaine : celui-ci est cordonnier et cet autre, poète. Nul n'est venu d'être, à la fois, l'un et l'autre. Il ne semble d'ailleurs pas recommandable d'être les deux à la fois, car on devient vite suspect . Car un tel homme ne répond plus à la norme habituelle, il « diffère » des autres et excite la défiance.  . Ainsi, il est important, dans la pratique, qu'une personnalité se montre sous une seule étiquette ; car la société, qui ne connaît que l'homme moyen, sait que celui-ci doit déjà se concentrer sur une seule occupation pour faire quelque chose de valable et de présentable, et que s'il s'éparpille sur deux, c'est déjà, en général, trop pour lui.

Notre société est incontestablement construite à partir de tels stéréotypes. . personne ne peut satisfaire entièrement cette attente, et chacun se voit confronté inéluctablement avec la nécessité d'édifier une personnalité artificielle. Les exigences d'un conformisme non choquant et des bonnes mours apportent leur contribution à la fabrication d'un masque présentable et acceptable.

Derrière ce masque se développe ce qu'on appelle la « vie privée ». Cette séparation archiconnue du conscient en deux frères siamois différant entre eux jusqu'au ridicule représente une opération psychologique profonde, qui ne peut pas rester sans conséquences pour l'inconscient.

L'élaboration d'une persona soumise aux normes collectives auxquelles elle satisfait constitue une concession énorme au monde extérieur, un vrai sacrifie de soi-même, qui contraint directement le Moi à s'identifier avec la persona, de sorte qu'il existe réellement des individus qui croient être ce qu'ils représentent. Mais l' « absence d'âme » inhérente à une telle P.155 attitude ne peut être qu'apparente, l'inconscient ne tolérant en aucune façon semblable déplacement du centre de gravité. Quand nous examinons d'un oil critique de pareils cas, nous découvrons rapidement que l'admirable façade est en fait compensée par une « vie privée » .

Naturellement, quiconque se paie le luxe d'édifier un personnage survalorisé et trop avantageux récoltera en échange les humeurs d'une émotivité trop irritable. Bismarck avait des crises de larmes  hystériques ; la correspondance de Wagner abonde en détails sur les rubans de soie de ses robes de chambre .

Mais il survient aussi des événements plus subtils que ces faiblesses banales, que ces lapsus des grands hommes. Je fis une fois la connaissance d'un homme admirable, digne en tous points de respect - on aurait pu facilement dire de lui que c'était un saint. Nous passâmes trois jours ensemble durant lesquels je l'observai à la dérobée sans pouvoir découvrir en lui la moindre de ces insuffisances qui caractérisent le commun des mortels. A ce contact, je sentis grandir en moi, jusqu'à atteindre des dimensions menaçantes, un sentiment d'infériorité, et je commençais à penser sérieusement à la nécessité de m'améliorer, lorsque le quatrième jour sa femme manifesta le désir de me consulter. Depuis cette rencontre, je me suis trouvé de temps en temps dans des situations analogues, mais je ne me suis plus laissé prendre aux apparences de la sainteté. Car j'avais ainsi appris et compris qu'un homme qui s'identifie à sa persona peut, sans y prendre garde, laisser dégouliner et glisser sur sa femme tous les éléments de sa propre psychologie qui le gênent et qu'il voudrait rejeter ; sa femme les incarnera et les vivra sans qu'il le remarque ; souvent, sans avoir une claire conscience des causes de ce qui lui arrive, elle paiera son sacrifice d'elle-même du prix d'une lourde névrose.

Ces identifications avec le rôle social constituent d'ailleurs une source abondante de névroses ; ce n'est pas sans dégâts et sans en être cruellement puni que l'homme peut s'aliéner lui-même au profit d'une personnalité artificielle. Déjà la moindre sollicitation à l'adresse de l'homme intérieur dans ce sens et le moindre abandon de l'homme extérieur à une telle démarche déterminent, dans tous les cas banals, des réactions inconscientes, des humeurs, des affects, des peurs, des représentations obsédantes, des faiblesses ou des vices. L'homme qui dans la vie sociale se présente comme « l'homme fort », « l'homme de fer », est bien souvent dans la vie « privée », en face de ses sentiments et de ses états d'âme, comme un enfant : la discipline qu'il affiche (et qu'il exige tout particulièrement des autres) se trouve, sur Ie plan privé, honteusement et caricaturalement contredite et bafouée. Son « allant au travail », sa « disponibilité professionnelle ». son « amour du devoir », ont, dans le cadre de son foyer, un visage mélancolique ; sa morale officielle « exemplaire » a, quand on soulève le masque, bien singulière allure. Et nous nous référons ici moins aux actes qu'aux mouvements de l'imagination. D'ailleurs, les femmes de tels P.157 hommes pourraient nous en apprendre beaucoup sur leur compte ; quant à leur fameux altruisme. leurs enfants sont en général bien placés pour en connaître la valeur. 

Dans la mesure où le monde sollicite insidieusement l'individu à s'identifier avec son masque, et dans la mesure où l'individu succombe à ces séductions, celui-ci sera livré aux influences qui émanent du monde intérieur, et il en sera le plus souvent victime.

« Le haut repose sur le bas », dit Lao-Tseu. Lorsque l'individu s'identifie à son masque, la contradiction sourd de l'intérieur de lui-même et agit sur le Moi ; tout se passe comme si l'inconscient opprimait le Moi avec une puissance égale à celle avec laquelle la persona attire ce Moi, comme si la soumission aux sollicitations extérieures et aux séductions de la persona signifiait une faiblesse analogue face aux forces intérieures et aux pouvoirs de l'inconscient. Tandis que l'individu assume, dans son rapport avec le monde, le rôle d'une personnalité forte et efficace, se développe au fond de lui une faiblesse efféminée en face de toutes les influences qui émanent de l'inconscient : il est de plus en plus enclin à des caprices, des humeurs, des accès de frayeur ; il n'est pas jusqu'à sa sexualité qui ne s'effémine (ce qui peut culminer dans une impuissance.)

Ainsi donc, la persona, l'image idéale de l'homme tel qu'il devrait et voudrait être, se trouve intérieure- ment de plus en plus compensée par une faiblesse toute féminine ; et, dans la mesure où extérieurement il joue l'homme fort, intérieurement il se métamorphose en une manière d'être férninoïde, que j'ai appelé anima ; car c'est alors l'anima qui s'oppose à la persona. Or, pour la conscience extravertie, l'intériorité demeure obscure et invisible ; en outre, l'individu peut d'autant moins percevoir ses propres faiblesses qu'il s'identifie davantage à sa persona ; dès lors, on comprend que l'anima, le pôle opposé à la persona, persiste reléguée dans l'obscurité la plus totale, dans une nuit impénétrable à la conscience.

C'est pourquoi l'anima se trouvera automatiquement projetée, processus qui fera passer le héros sous la pantoufle de sa femme. Si

. C'est ce jeu reciproque, ce va-et-vient de chimères que l'on appelle bien souvent : contenu d'une vie. P.159

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Car on ne peut se différencier de quelque chose d'inconscient.

Pour ce qui est de la persooa, il est naturellement relativement simple de faire percevoir clairement à quelqu'un que sa fonction et lui sont deux choses différentes.

Pour ce qui est de l'anima, par contre, on ne parvient à se différencier d'elle qu'au prix des plus grandes difficultés et des plus grands efforts, pour la bonne raison précisément qu'elle est invisible et difficilement discernable. On a même tout d'abord le préjugé que tout ce qui monte de l'intérieur émane des fondements les plus intimes et participe au prestige de sa propre essence .

Or, les facteurs inconscients sont des données qui xercent des pouvoirs tout aussi conditionnants que les forces et les grandeurs qui régularisent la vie de la - société ; et les premiers sont aussi collectifs que les secondes.

Dès lors, de même que je puis distinguer ce que ma tonction exige et attend de moi de ce que je veux, je puis apprendre à faire la distinction entre ce que je veux et ce que mon inconscient a tendance à m'imposer.

Certes, tout d'abord on n'arrivera à appréhender que les exigences incompatibles qui émanent de la vie intérieure et de la vie extérieure, et le Moi se sentira coincé entre ces exigences incompatibles comme entre marteau et enclume. Mais, en face du Moi, plus précisément en marge de ce Moi et à côté de lui - de ce Moi qui n'est le plus souvent qu'un jouet ballotté au gré des exigences extérieures -, il existe une autre instance, difficile à déterminer et à préciser, que l'on serait tenté de nommer en invoquant la « conscience morale ». P.161

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vaut lieux se représenter ce jeu et cette opposition tragiques les contraires existant entre l'intérieur et l'extérieur (ce le le Livre de Job et Faust évoquent et décrivent sous l forme d'un pari diviIl 2) en se disant qu'il s'agit au nd de l'énergétisme même inhérent à tout processus tal, et que cette opposition des contraires est inélucta- Ile pour l'autorégulation.

iuSsi diverses que soient ces puissances contraires, ans ]eur apparence comme dans leur rlnalité, elles en veulent pas moins tout de même au fond la vie de individu ; elles oscillent à partir d'un centre, la faisant 8ciljer avec elles3.

Récisément parce que ces tendances contraires sont ecrètement et souterrainement en rapport les unes vec les autres, elles sont susceptibles de trouver leur ccord dans une certaine moyenne, dans un cert3in mpromis, qui, en quelque sorte nécessairement, )urd volontairement ou involontairement de l'indi- idu lui-même, ce dont ce dernier ne peut pas ne pas voir llne certaine prescience intllitive. Chacun a un !ntiment de ce qui devrait être, de ce qui pourrait être, ce qu'il devrait être. Ne pas tenir compte de cette )tuition, s'en écarter et s'en éloigner, c'est faire fausse )ute, c'est s'engager dans la voie de l'erreur et, à plus u moins long terme, déboucher dans la maladie. (, lien sec' 'ret et souterrain e .Init les contraires en'des ires opposées ; sans lui, il n'y aurait dans l'individu qùun conglomé- ,t de forces écartelantes occasionnelles. Anarchiqlles. Cest ce lién qui 'n't ces forces et les structures en des couples de fncteurs opposés, ,artelants certes toujours, mais formatifs et équilibrants aussi.

'e la qualité de ce lien entre les forces contraires qui habitent un !v~~~, d~e~~~~~~ I~ :~~ »~~~t~~ ~ : ~t~~o~~~~ad :~a~Ité~~~t~Ud~sd~o~ :i : plus que de nature, l'être mental se dissocie'a en éléments dès lors sans apport les uns avec les autres ; c'est l'incohérence. la folie. Et le monde , la schizophrénie. Si ce lien est trop étroit, manquant de souplesse et l'élasticité, il déterminera rigidité psychologique, raideur du comporte- ment et de la pens~e, morbidité de la p~trification, qui déboucheront :isémem dans les parages de lbbsessionnel.

Insi donc, l'équilibre de l'étre nous semble dépendre pour une onne part de la qllalité de ce lie » qlli llnit les contraires : s'il est suffisant, l'être mental s'effondre comme un château de cartes ; s'il est ,le présente et l'évolution de la pemonnalité. Si, par contre, il est en iie présente et l'évolution de la personnalité. Si. Par contre. Il est en uste quantité et de qualité, il assurera un équilibre souple, une démar- he aisée entre les pOles contraires, telle une bille de bel ivoire qui, ballottée entre les bandes opposées du billard, reste néanmoins sembla- e à elle-même.

.. ; a partlr de cette notion du lien en est le vecteur vivant et créateur, révèle que le processus d'indivi- en est le vecteur vivant et créateur, révèle que le processus d'indivi- duation est le devenir normal de la nature contrapunctique de l'hu- nain vivant.) P.163

. je m'identif11e à ma persona, j'auFai dès lors deux person- alités, celle de mon Moi et celle de ma persona .lisque ;ssi bien tout complexe autonome, et ne fût-il même ue relativement 3uéonGme, présente 13 particularité de rgiï soüs forme d'une personnalité 1, c'est-à-dire de lrgir, sur !'écran du fond mental, personniFlé.

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La tendance des complexes relativement autonomes à surgir en se personnifiant est aussi le motif pour lequel la persona apparaît tellement personniïlée que le Moi se met facilement à douter et à se demander, s'abusant aisément, quelle est sa « vraie » personnalité. 1 P.165

Tout ce que nous venons de dire des complexes autonomes en général et de la persona en particulier s' appIique égaIement à l'anima : elle aussi est une personnalité, et c'est pourquoi elle est si aisément projetée sur une femme ; plus précisément, il faut dire de l'anima qu'elle est toujours projetée tant qu'elle est inconsciente, car tout ce qui est inconscient est projeté.

Le premier réceptacle de l'image de l'âme pour l'homme est pratiquement toujours la mère (Ou ses substituts quand celle-ci vient à manquer, substituts dont la fonction vitale est de recréer le réceptacle possible de l'image maternelle) ; plus tard, les réceptacles qui apporteront à l'homme un reflet vivant de son anima seront les femmes qui font vibrer les sentiments de l'homme, que ce soit, d'ailleurs, indifféremment dans un sens négatif ou positif. C'est parce que la mère est le premier réceptacle de l'image de l'âme que l'émancipation du fils et la séparation d'avec la mère représentent un tournant évolutif tout aussi important que délicat, et de la plus haute portée éducative. C'est pourquoi nous trouvons déjà chez les primitifs un grand nombre de rites qui organisent les modalités de cette séparation. L' arrivée à l'âge adulte et la séparation extérieure d'avec la mère ne suffisent pas ; il faut encore toutes sortes d'initiations masculines décisives très particulières, des cérémonies opérant une renaissance, pour parfaire efficacement la séparation de l'individu d'avec sa mère et, par voie de conséquence, d'avec son enfance.

Alors que le père, en protégeant l'enfant contre les dangers de la vie extérieure, devient de la sorte pour le fils un modèle de la persona, la mère constitue pour lui une sauvegarde contre les dangers qui peuvent surgir des mondes obscurs de l'âme. ..

L'adolescent qui grandit dans la civilisation actuelle se voit privé - en dépit de toute la primitivité qui demeure en lui - de ces mesures éducatives qui étaient au fond très remarquables. P.167

Il s'ensuit que l' anima,(une anima en jachère est une anima avec laquelle aucun commerce n'est possible, soit qu'il n'ait jamais été instauré, soit que tout mode relationnel avec elle ait été interrompu et suspendu.

Le commerce avec l'anima, qui semble naître à travers les premiers labillages adressés à la mère et reçus d'elle, peut, par la suite, revêtir ,imé, adhésion de l'être à un d,ogme que le sujet Tessent et vit, à une imé. Adhésion de l'être à un do~me aue le sujet ressent et vit. A une né, adhés~on de l'ëtre a un dogme que le sujet ressent et vil, à une lature fort variées, etc.

r~~O ~~t u2~e , ~~r~~~~I~~ t ~~ m~~ ~~ n ~ : ~ : !~~d : ~ : e ~U Dd ~ i ~1~ é~  oderoe actuelle, surboums désordonnées, vamps et pin-up girls éle- !es .au rang d'une institution nationale, etc., peuvent être, dans une :ertalne mesure, comprlses comme des tentatives de retrouver, par et Ll-dela d'un contact plus ou moins projectif, le contact et le commerce 'amma )n an'ma.

!~~ : : ;eusement, l'incompréhension du vrai problème de base blo- ue cette recherche, en son essence spirituelle et psychologique, à une acerbe et débouche sur des absurdités promues à la dignité d'une lilosophie, dans laquelle la jeunesse actuelle recherche vainement !~IOSopn.le, .( !~ns laquelle la jeunesse acLuelle recherche va~nement Ine autojustification. Ce àfaire) en jachère sous forme de l'imago de la mère, va être projetée en bloc sur la femme, ce qui va avoir pour conséquence que l'homme, dès qu'il contracte mariage, devient enfantin, sentimental, dépendant et servile, ou, dans le cas contraire, rebelle, tyrannique, susceptible, perpétuellement préoccupé du prestige de sa prétendue supériorité virile 1. P.169

. L'homme moderne n'a rien trouvé qui remplace la protection contre l'inconscient que la mère apportait, que la mère signifiait ; c'est pourquoi il modèle inconsciemment son idéal du mariage de telle sorte que sa femme soit amenée si possible à pouvoir assumer le rôle magique de la mère. Sous le couvert protecteur du mariage idéal, exclusif, il cherche au plus profond de lui-même protection auprès d'une mère, tendant dangereusement la perche à l'instinct possessif de la femme. (Ainsi le mariage dans sa forme occidentale reconnaîtra entre autres ses deux racines psychologiques fondamentales : d'une part, l'instinct de possession et de nidification de la femme et son besoin de foyer ; d'autre part chez l'homme la recherche d'une protection maternelle ; cette recherche, quoique constituée par une survivance infantile inconsciente, précisément parce qu'inconsciente détient un potentiel dynamique considérable. .) Sa crainte et son angoisse, en face des obscurités insondables et les forces imprévisibles de l'inconscient, confèrent à la femme une puissance illégitime et soudent le ménage en une « communauté si intime » que, à force de tensions intérieures, il menace en permanence d'éclater. A moins que l'homme, par protestation, ne prenne, en face de cette surpuissance de la femme, une attitude de contre-pied, ce qui entraînera d'ailleurs les mêmes conséquences.

Mon avis est qu'il existe pour certains êtres d'aujourd'hui la nécessité de se différencier de leur persona et aussi de leur anima, et de percevoir clairement la différence entre leur Moi, leur persona et leur anima.

Comme notre conscient - conformément au style occidental - est pour l'essentiel orienté vers le monde extérieur et seulement réceptif à ce qui en vient, les éléments du monde intérieur gisent dans l'obscurité et demeurent dans 1'ombre. Cette difficulté serait aisément surmontable si nous essayions d'observer et d'élaborer, avec un effort soutenu et un esprit critique, les matériaux psychiques qui apparaissent, non pas dans la vie officielle, mais dans la vie privée. Cependant, omme nous avons l'habitude de taire avec une pudeur inflexible cet autre côté de nous-même (nous tremblons même souvent devant notre propre épouse à l'idée qu'elle pourrait nous trahir), et comme, si nos « faiblesses » viennent à être découvertes, nous avons plus que la possibilité de les avouer et de nous repentir, la seule solution et la seule méthode éducative en honneur de nos jours consistent à opprimer et à refouler nos faiblesses autant que faire se peut, ou, à tout le moins, à les dérober aux yeux du public. Ce faisant, nous demeurons Gros-Jean comme devant. P.170

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Quand l'anima se met, avec une insistance inquiétante, à la traverse des intentions les meilleures du conscient, suscitant une vie privée qui contraste de la façon la plus pénible avec le clinquant et les dorures le la persona, les choses se passent comme si, toutes proportions gardées, un homme naïf qui n'aurait pas la moindre idée de la persona et des nécessités de la vie sociale commettait dans le monde les impairs les plus malencontreux.

En fait, il existe aussi des êtres qui ne possèdent qu'une persona sous-développée ou même, pour ainsi dire, pas de persona du tout - .. ils sont comme des ours mal léchés qui d'une gaffe passent à la balourdise, totalement innocents de l'une comme de l'autre .(si s'agit de femmes, ce seront des créatures Que leur manQue de tact fera crain- dre, qui mettent les « pieds dans le plat » et jouent les Cassandre, éternelles incomprises qui ne savent pas ce u'elles fQnt, présupposant toujours qu'il leur sera par- lonné ; des créatures qui s'exilent en ne voyant pas le monde et en lui substjtuant leurs rêves. C sontlà des as qui peuvent nous montrer les conséquences qu'en- .aine une persona négligée et qui nous permettent de ,oir ce qu'il importerait de faire pour remédier à de lelles carences. Car en effet, de tels êtres ne pourront éviter les déceptions et les souffrances de toutes sortes, les scènes et les brutalités dont ils risquent d'être victimes, qu'en apprenant à s'adapter au monde et comment il y a lieu de se comporter dans le monde. Ils  doivent se rendre compte de ce qu'ils font et de ce que leurs actes signifient pour autrui, etc. ..

Pour celui dont la vie se limite aux plans de la persona en s'identifiant avec elle, la perspective de l'existence de réalités intérieures semble naturellement totalement inconcevable ; il se montre imperméable et impénétrable à cette dimension de la réflexion, tout autant que l'être doté d'une forte anima l'est à la réalité du monde. P.173

L'acceptation sans réserves des données que constituent les réalités intérieures est naturellement condition sine qua non, le préalable indispensable de toute prise en considération sérieuse du problème de l'anima.

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Si, par contre, je fais mien le point de vue que le monde est à l'extérieur, et à l'intérieur, que la dignité du réel appartient tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, je suis bien contraint de concevoir, si je veux rester conséquent avec moi-même, les incompatibilités qui sourdent et les perturbations qui émergent de mon monde intérieur comme les symptômes d'une adaptation insuffisante aux conditions de ce monde intérieur.

De même que l'oubli et que le refoulement moral ne suffisent pas à guérir les rebuffades et les coups que l'être exagérément naïf a reçus dans le monde, de même il ne suffit pas de comptabiliser avec résignation ses « faiblesses » pour en supprimer les conséquences. Car chaque faiblesse a ses causes, ses motifs, ses intentions, ses suites, au sein desquels la volonté et la compréhension peuvent intervenir. Prenons l'exemple de cet homme, honorablement connu et sans tache et qui a la réputation d'être un bienfaiteur, mais en face duquel sa femme et ses enfants vivent dans la crainte à cause de ses humeurs capricieuses imprévisibles et de ses explosions de colère. Quel rôle joue 1'anima dans un cas de cette sorte ?

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Manifestement l'anima essaye d'imposer une séparation entre cet homme et sa famille. Naturellement, cette tendance à la séparation n'est dans l'intérêt des partenaires. L'anima s'insinue entre cet homme et sa famille  comme une amante jalouse qui veut détourner cet homme de sa cellule familiale. Certes, une fonction sociale exigeante ou quelque position honorifique avantageuse peut avoir le même effet ; en ce cas, alors, nous comprenons où réside la puissance de séduction. P.175

Mais quand c'est l' anima qui est l'instigatrice de ces crises, où puise-t-elle donc sa puissance attractive et fascinante ? .

On serait par exemple tout près de supposer que 1'« homme sans défauts » est attiré par quelque autre femme. Cela, d'ailleurs, peut être le cas et peut même être utilisé par l'anima, qui trouve là un moyen on ne peut plus puissant de parvenir à son but. . Ce qui ne changerait strictement rien au problème fondamental : ce dernier, qu'il traîne avec lui et en lui, aurait simplement changé de cadre.

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Il semble nécessaire et tout indiqué de rechercher les motifs cachés qui peuvent être à l'origine de la tendance séparatrice de l'anima. 

Le premier pas de cette recherche consiste en ce que je désire appeler l'objectivation de l'anima, à savoir l'interdiction catégorique de voir dans la tendance à la séparation l'expression d'une faiblesse personnelle du Moi. Ce n'est que lorsque cela est établi que l'on peut en quelque sorte adresser à l'anima la question : « Pourquoi recherches-tu cette séparation ? » Poser la question sur ce mode personnel a un gros avantage : ainsi, en effet, la personnalité de l'anima se trouve reconnue et acceptée et une relation entre le Moi et l'anima devient possible. Plus cette relation se fait intime et personnelle, mieux cela vaut.

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Or, un être qui n'en possède pas (personna) est à cet égard en tous points comparable à un primitif qui, on le sait, n'a qu'un pied dans ce que nous appelons couramment le monde des réalités ; alors que l'autre est dans le monde des esprits, lequel comporte pour lui une absolue réalité. ..P.177

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Il faut élever ce dialogue avec l'anima à la hauteur d'une véritable technique. Chacun, on le sait, a la parti- cularité et aussi l'aptitude de pouvoir converser avec lui-même.

La psyché n'étant en rien une unité, mais étant faite d'un assemblage de complexes contradictoires, nous n'avons guère de peine à réaliser la dissociation nécessaire à la confrontation dialectique avec l'anima. Tout l'art de ce dialogue intime consiste à laisser parler, à laisser accéder à la « verbalisation » le partenaire invisible, à mettre en quelque sorte à sa disposition momentanément les mécanismes de l'expression, sans nous laisser accabler par le dégoût que l'on ressent naturellement vis-à-vis de soi-même au ce cours de cette procédure qui semble un jeu d'une absurdité sans limite, et sans non plus succomber aux doutes qui nous assaillent à propos de 1'« authenticité » des paroles de l'interlocuteur intérieur.

Précisément, ce dernier point est techniquement important : nous sommes en effet tellement habitués à nous identifier à la pensée qui sourd en nous que nous supposons toujours implicitement que nous l'avons fabriquée.  . Si nous avions davantage conscience des lois universelles et rigides auxquelles sont soumis tout aussi bien les fantasmes les plus échevelés et les plus extravagants, nous serions mieux en mesure de considérer ces contenus mentaux comme des décours objectifs, un peu comme des rêves, dont on ne prétend tout de même pas qu'ils sont des trouvailles volontaires et intentionnelles. Certes, il faut faire preuve d'une objectivité et d'une absence de préjugés peu communes pour tenter de donner à « l'autre côté en soi-même » l'occasion d'une activité psychique perceptible.

Etant donné la tendance habituelle qui pousse le conscient au refoulement, « l'autre côté » en était réduit, avant l'avènement de l'ère analytique, aux seules extériorisations et aux seules manifestations indirectes et symptomatiques, la plupatt du temps de nature émotionnelle. P.179

Ce n'était que dans les moments où un affect prenait le dessus que des bribes des contenus idéatifs ou imagés de l'inconscient faisaient surface. ..  Il faut naturellement tenir compte de ces mécanismes de dévaluations et de négations si on aspire à une attitude objective.

L'habitude qu'a le conscient d'interrompre le cheminement des éléments intérieurs, de les corriger, de les critiquer et de les remanier est déjà traditionnellement très forte. Or , en règle générale, elle sera encore renforcée par la peur  .  peur de découvertes dangereuses pour notre paresse et notre inertie, de constatations désagréables, .

Nous sommes partis de la constatation que, au cours d'un affect, on livre souvent involontairement les vérirtés de « l'autre côté » ; c'est pourquoi il est indiqué d'utiliser ces moments d'émotion pour donner à « l'autre côté » l'occasion de s'exprimer. C'est pourquoi l'on pourrait dire qu'il faut se cultiver dans l'art de se parler à soi-même, au sein de l'affect, et d'utiliser celui-ci, en tant que cadre de dialogue, comme si l'affect était précisément un interlocuteur qu'il faut laisser se manifester, en faisant abstraction de tout esprit critique. Mais, ceci une fois accompli, l'émotion ayant en quelque sorte jeté son venin, il faut alors consciencieusement soupeser ses dires comme s'il s'agissait d' affirmations énoncées par un être qui nous est proche et cher. Il ne faut d'ailleurs pas s'arrêter en cours de route, les thèses et les antithèses devant être confrontées les unes avec les autres jusqu'à ce que la discussion ait engendré la lumière et acheminé le sujet vers une solution satisfaisante. Pour ce qui est de cette dernière, seul le sentiment subjectif pourra en décider. Naturellement, en pareil débat, biaiser avec soi-même et chercher des faux-fuyants ne nous serviraient de rien. Cette technique de l'éducation de l' anima présuppose une honnêteté et une loyauté pointilleuses à l'adresse de soi-même, et un refus de s'abandonner de façon prématurée à des hypothèses concernant les desiderata ou les expressions à attendre de « l' autre côté » .

I1 nous faut nous arrêter encore à cette crainte que nous les Occidentaux entretenons à l'égard de « l'autre côté ». P.181

Nous n'avons aucune difficulté à comprendre la peur de l'enfant ou du primitif devant les mystères du vaste monde. Or, c'est la même peur que nous éprouvons sur le versant intérieur de notre être.. Ainsi, cette angoisse de « l'autre côté », nous l'éprouvons comme une émotion, comme un affect, sans nous douter qu'elle est la peur d'un monde, monde qui nous demeure invisible. Envers ce dernier, nous avons tout au plus ou de simples préjugés théoriques ou des représentations superstitieuses. Il faut bien avouer que la peur de « l'autre côté » est fondée dans la nesure où notre conception rationnelle des choses, avec ses sécurités morales et scientifiques, auxquelles on s'accroche avec tant de passion (précisément parce qu'elles sont douteuses), se trouve ébranlée par les données qui proviennent de « l' autre côté ».

Ceci m'amène à souligner expressément que je ne recommmande à personne de s'adonner à la technique que je viens de décrire, comme si celle-ci était utile, voire nécessaire. Je ne puis la recommander qu'aux personnes qui sont contraintes de l'employer sous l'emprise de la dure nécessité, c'est-à-dire qui en ont réellement besoin. Les degrés de conscience et de maturité, on le sait, sont innombrables. Il y a des vérités qui ne seront vraies qu'après-demain, d'autres qui l'étaient hier encore ; enfin, il y en a d'autres qui ne le seront jamais.

. P.183

 

Le lecteur se demandera étonné : « Mais à quoi faut-il donc s'attendre avec l'anima pour que l'affronter nécessite de tels efforts d'assurance et de réassurances ? »  Je voudrais recommander à mon lecteur d'étudier une histoire comparée des religions en animant les récits qu'on y trouve et qui sont comme morts pour le lecteur habituel, en les remplissant de cette vie émotionnelle que devaient éprouver les croyants qui vivaient leur religion. De la sorte, par ce truchement le lecteur éprouvera une impression approximative de ce qui vit et de ce qui se trouve « de l'autre côté ». Car les religions anciennes avec leurs symboles cruels ou bons, ridicules ou solennels, ne sont pas nées dans un ciel serein, mais ont été créées. Par et dans cette âme humaine, telle qu'elle fut depuis toujours et telle qu'elle vit en ce moment en chacun de nous.

Toutes ces choses, par leurs structures de base, par leurs formes archétypiques, vivent en nous et peuvent à tout moment fondre sur nous avec la puissance destructrice d'une avalanche, à savoir sous forme de suggestion de masse contre laquelle l'individu isolé est sans défense. Nos dieux terrifiants ne se sont prêtés qu'à un changement de nom et leurs nouvelles appellations riment en  « isme ». . De même que, extérieurement, nous vivons dans un monde où à tout moment un continent peut s'effondrer, un pôle se déplacer, une nouvelle épidémie éclater, de même intérieurement nous vivons dans un monde où un cataclysme comparable peut survenir, certes uniquement sous forme d'idéologie, avec pour point de départ une idée, mais cette forme n'en est pas molns dangereuse et imprévisible. La non-adaptation à notre cosmos intérieur est une lacune susceptible d'avoir des conséquences tout aussi néfastes que l'ignorance et l'incapacité dans le monde exténeur. .

Les éléments du monde intérieur nous influencent subjectivement de façon d'autant plus puissante qu'ils sont inconscients ; aussi, pour quiconque est désireux d'accomplir un progrès dans sa propre culture.. il est indispensable d'objectiver en lui les efficacités de l'anima, afin de tenter de découvrir quels sont les contenus psychiques à l'origine des efficiences mystérieuses de l'âme. De la sorte, le sujet acquerra adaptation et protection contre les puissances invisibles qui vivent en lui.

Cette adaptation naturellement ne saurait se faire sans concessions aux nécessités et aux conditions des deux mondes intérieur et extérieur. P.185

C'est en tenant compte des exigences des mondes interne et externe, et, pour mieux dire, en assumant leur conflit, que s'esquisseront les profils du possible et du nécessaire. Malheureusement, notre esprit occidental.. n'a même pas encore trouvé une notion et encore moins une dénomination pour exprimer l'union des contraires à mi-chemin, cette cheville ouvrière fondamentale de l'expérience intérieure, telle que l'exprime par exemple le

« Tao » des Chinois. Une telle union des contraires constitue à la fois le fait le plus individuel et l'accomplissement le plus rigoureux, le plus universel de la vie en nous et de son sens.

 

.L'anima est féminine ; elle est uniquement une formation de la psyché masculine et elle est une figure qui compense le conscient masculin.

Chez la femme, à l'inverse, l'élément de compensation revêt un caractère masculin .

Le fait qu'un homme attribue naïvement à son Moi les réactions de son anima, sans même être effleuré par l'idée qu'il est impossible pour quiconque de s'identifier valablement à un complexe autonome, ce fait qui est un malentendu se retrouve dans la psychologie féminine. C'est cette identification avec un complexe autonome qui rend compte pour l'essentiel de la difficulté qu'il y a à comprendre et à décrire ce problème de l'anima et de l'animus. Nous procédons toujours de l'idée simpliste que nous sommes le seul maitre dans notre propre maison. Notre compréhension doit d'abord se familiariser avec la pensée que, même dans la vie la plus intime de notre âme, tout se passe comme si nous vivions dans une espèce de demeure qui, pour le moins, présente des portes et des fenêtres qui ouvrent sur un monde dont les objets et les présences agissent sur nous, sans que nous puissions dire pour cela que nous les possédons. .

.. il faut tenir compte du fait que notre psychologie consciente individuelle a émergé d'un état originel d'inconscience, et par conséquent de non-différenciation, état que Lévy-Bruhl a désigné sous le nom de « participation mystique ». Il s'ensuit que la conscience des différences est une acquisition relativement tardive de l'humanité et qu'elle ne concerne probablement qu'un fragment relativement petit prélevé sur une masse beaucoup plus considérable, dont on ne saurait préciser l'étendue d'identité primitive, La différenciation constitue l'essence même de la condition sine qua non du conscient. C'est pourquoi tout ce qui est inconscient reste indifférencié et tout ce qui se déroule inconsciemment procède d'une indifférenciation : l'appartenance ou la non-appartenance au Soi des éléments en cause demeure totalement indétermimée.P.187

On ne saurait préciser a priori s'ils résident en moi, s'ils procèdent de l'être du partenaire, s'ils gisent seulement chez l'un des deux, ou chez les deux. Le sentiment, en cette matière, est lui aussi un principe insuffisant d'orientation.

. leur conscient (des femmes) est seulement différent du conscient masculin. En règle générale, les rapports personnels présentent à ses yeux plus d'intérêt et d'importance que les données ou les rapports objectifs..

.. l'anima est la source d'humeurs et de caprices, l'animus, lui, est la source d'opinions ; et de même que les sautes d'humeur de l'homme procèdent d'arrière-plans obscurs, les opinions acerbes et magistrales de la femme reposent tout autant sur des préjugés inconscients et des a priori. Les opinions de l'animus ont très souvent le caractère de convictions solides, qui ne sont pas faciles à ébranler, ou de principes d'allure intouchable, de valeur apparemment infaillible. . ces opinions ne sont ni motivées, ni le fruit d'un acte de pensée ; elles existent toutes faites, comme préfabriquées et prêtes à la consommation ; elles sont présentes dans l'être mental de la femme, qui les formule et les répète parce qu'elles ont dans son esprit un tel caractère de réalité et une telle force de conviction immédiate qu'elle n'est même pas effleurée par l'idée de les soumettre à la possibilité d'un simple doute.

. si chez l'homme, l' anima apparaît sous les traits d'une femme, d'une personne, chez la femme l'animus s'exprime et apparaît sous les traits d'une pluralité.

Dans Le Père de Christine-Alberte, de . G. Wells, l'héroïne est soumise dans tous ses actes, et jusqu'aux plus insignifiants, à une instance morale supérieure qui lui dicte de façon sèche et précise, avec une dureté implacable et un manque absolu d'imagination, ce qu'elle doit faire et pourquoi elle doit le faire P.189

Cette assemblée de plusieurs juges en exercice, cette espèce de « Sacré Collège » moral qui profère décrets et jugements, voilà ce qui correspond à une personnification de l'animus.

L'animus est quelque chose comme une assemblée de pères ou d'autres porteurs de l'autorité, qui tiennent des conciliabules et qui émettent ex cathedra des jugements « raisonnables » inattaquables. Mais, à y regarder de plus près, ces jugements prétentieux sont pour l'essentiel un amoncellement de mots et d'opinions qui se sont accumulés dans l'esprit de la petite fille, puis de l'adolescente depuis l'enfance, et qui, recueillis, choisis et collectionnés peut-être inconsciemment, finissent par former un canon, une espèce de code de vérités banales,  de raisons et de choses « comme il faut ». Ces codification du raisonnable correspond donc à une réserve de préjugés ; et dès qu'un jugement conscient, compétent et valable manque (ce qui, dans les complications de la vie, est souvent le cas), il y est fait appel comme à un arsenal inépuisable d'opinions disparates où l'on trouvera celle qui semblera convenir à la situation donnée. Ces opinions apparaîtront, tantôt sous forme de ce qu'il est convenu d'appeler le bon sens, tantôt sous forme de principes, emblèmes de 1'éducation reçue. Et la femme dira par exemple : « C'est ainsi que cela s'est fait depuis toujours », ou encore : « Mais tout le monde dit que. »

Naturellement, l'animus sera tout aussi fréquemment projeté que l'anima. .. Les hommes sur qui l'animus est le plus susceptible de se projeter, les plus aptes par suite à servir de réceptacle à la projection de l'animus, devront être d'un genre tel que la femme en mal de projection puisse y voir une réédition vivante du Bon Dieu, des hommes qui savent tout, qui comprennent tout ; ou bien il s'agira de novateurs méconnus, disposant de grands charmes rhétoriques où l'humain trop humain ne s'entrelacera que trop fréquemment avec une terminologie pompeuse, du genre « du vécu créateur ». Car ce serait en effet caractériser insuffisamment l'animus que de n'y voir qu'une manière de conscience collective conservatrice : l'animus est aussi un novateur qui, tout à l'opposé de ses opinions codifiées par l'usage, témoigne d'une incroyable faiblesse pour les termes inconnus et difficilement compréhensibles, pour « les grands mots », qui suppléent, de la façon la plus séduisante, à ce que la femme ressent être particulièrement odieux, à savoir la réflexion. ( Il semble qu'il faille faire une exception pour les femmes dont la fonction principale est la pensée.)

A l'instar de l'anima, l'animus est un amant jaloux à même de substituer à un être réel l'opinion qu'il se fait de lui, opinion dont les bases absolument critiquables ne seront jamais soumises à la moindre critique. Les opinions de l'animus sont toujours de nature collective ; en tant que telles, elles sont aux antipodes de la dimension de l'individu et de la dimension que requiert son appréciation individuelle ; elles forment, de la femme à l'homme, un écran en tout point comparable à celui qu'avec ses anticipations et ses projections de sentiment l'anima glisse de l'homme à la femme. P.191

Dans la mesure où la femme est jolie, les opinions de son animus ont pour l'homme quelque chose d'enfantin et de touchant qui l'incite à une attitude bienveillante de guide et d'éducateur paternel ; mais, dans la mesure où le côté sentimental de l'homme ne se sent pas concerné par le charme de la femme en question, dans la mesure où le charme féminin ne constelle pas la disponibilité sentimentale chez l'homme, celui-ci escompte chez la femme compétence et aide valable et non plus incapacité touchante et bêtise solennelle ; dès lors les opinions toutes faites de l'animus de la femme ont, aux yeux de l'homme, quelque chose de suprêmement irritant, surtout à cause de leur manque de fondement : dans la bouche de la femme, l'homme perçoit trop d'opinions pour l'amour de l'opinion, opinions trop souvent formulées seulement pour avoir dit quelque chose. En général, quand les choses en sont arrivées là, les hommes deviennent virulents, car c'est une constatation inébranlable que l'animus détermine l'intervention, l'entrée en jeu de l'anima (et vice versa aussi naturellement), ce qui rend sans espoir toute continuation de la discussion.

Chez les femmes intellectuelles, l'animus suscite des arguments et des raisonnements qui voudraient être logiques et critiques, mais qui, pour l'essentiel, se bornent la plupart du temps à ceci : un point faible qui est secondaire sera transformé, au prix d'un contresens, en la thèse essentielle. Ou encore une discussion, claire en soi, se verra compliquée à l'extrême par l'adjonction de nouveaux points de vue, qui, à l'occasion, n'ont rien à faire avec la discussion en cours. A leur insu, de telles femmes ne poursuivent qu'un seul but : irriter l'homme et le faire sortir de ses gonds, le but inconscient de la manoeuvre étant qu'à travers la discussion, voire l'éclat, elles n'en seront que d'autant plus rejetées psychologiquement vers leur animus et soumises à sa toute-puissance.

« Malheureusement, j'ai toujours raison », m'avoua une fois une femme de ce type.

Ces diverses manifestations, aussi fréquentes que désagréables, ont pour seule et unique cause l'extraversion de l'animus, Le rôle de l'animus est de rendre possible la relation entre le Moi féminin et l'inconscient, et il ne devrait pas être mêlé aux fonctions conscientes de relation. ( Ceci vaut aussi pour l'anima, qui doit présider aux relations entre le Moi masculin et l'inconscient, et qui ne devrait jamais s'immiscer dans les relations concrêtes. Oui, mais voilà, cette formule « ne devrait pas » suppose, soit l'inactivité de l'anima et de l'animus, soit que le sujet possède un degré élevé de conscience à leur adresse. Car, sans cela, comme tout ce qui demeure inconscient et actif est projeté, l'anima et l'animus viendront tisser leurs fantasmagories au coeur même des relations les plus vécues de la vie concrète. Cela est si vrai que c'est dans ces situations que les auteurs puisent la matière de presque toutes les pièces de théâtre. . l'homme cherche la rencontre, la réalisation, l'incarnation de son anima vue dans et à travers les femmes, car l'anima déborde de toutes ; alors que la femme cherche à l'inverse la rencontre, la réalisation et l'incarnation de son animus, en  «focalisant »  sa pluralité sur un seul homme.

En bref, bien des malheurs viennent de ce que l'homme cherche la Femme dans toutes les femmes et que la femme cherche à retrouver tous les hommes en un seul homme. La femme voudrait que l'homme aimé incarne tous les aspects de l'homme : l'homme intelligent, l'homme sportif, l'homme sensible, l'homme artiste, l'homme compréhensif, l'homme héros, l'homme travailleur et aussi l'homme rêveur, l'homme altruiste, entreprenant et bon, l'homme sociable. L'homme spirituel, tendre, aimant, protecteur, etc, Elle doit bien s'avouer un jour que l'être précédemment idéalisé qui vit à ses côtés et dans lequel elle voyait une incarnation bien vivante et polyvalente de l'Anthropos offre de nombreuses lacunes.

L'homme, de son côté, qui la plupart du temps aura fait collection d'expériences féminines et aura ainsi vécu avec chacune de ses partenaires un secteur féminin correspondant à sa projection du moment, retrouve dans chaque femme un peu de Celle qu'il voudrait trouver alors qu'aucune n'est tout à fait « Celle qu'on attend toujours ». D'ailleurs si on croit l'avoir trouvée et si l'on croit être arrivé au bout de sa quête, cela ne correspond trop souvent qu'à un ajustement réciproque par identification. Car, en définitive, le problème pour l'homme et pour la femme semble bien être voisin : il se ramène, pour l'un comme pour l'autre, à une sensation d'insuffisance, d'inachevé, à la constatation d'un manque qui entrainent un sentiment dit d'« incomplétude ».

Dès lors comment comprendre les réactions si différentes de l'un et de l'autre en face d'une situation qui semble superficiellement la même ? Représentons-nous l'homme, dans son sentiment d'incomplétude, dans son sentiment d'insatisfaction, dans la tension entre son anima rêvée, parée de mille charmes de l'imagination et de l'imaginaire, et une compagne souvent médiocre, rassie, volontiers tracassière, bobonne, qui n'a su garder aucun des potentiels du rêve, qui a sombré dans le matériel et le concret ; dans cette situation, l'homme aura inconsciemment tendance à aller voir plus loin et à tenter une nouvelle fois sa chance. .. je veux dire par là que ce n'est pas par une démarche délibérée et par un propos volontaire et conscient que l'homme, par exemple, trompera sa femme, mais que c'est la plupart du temps à son insu que se constituera, alors qu'il s'efforce de demeurer dans la tiédeur bourgeoise et la tradition conventionnelle, que se constituera, dis-je, un brûlot projectif qui 1'imbriquera dans de nouvelles interrelations humaines et qui le poussera sur la route d'une nouvelle conquête.

La femme, dans une situation identique d'incomplétude, pourra certes avoir la tentation d'un comportement analogue et elle n'y manquera pas à l'occasion ; mais quand cela est le cas, elle y figure rarement comme le primum movens ; le plus souvent, c'est que son incomplétude a rencontré celle d'un homme qui était dans la situation que nous venons à l'instant de décrire et que le destin féminin s'est imbriqué avec l'incomplétude masculine en mal de projection. Longtemps avant de se laisser entrainer, la réaction de la femme aura été d'essayer de surmonter ses reproches en disant en disant  «évidemment, il n'est pas ceci ou cela, mais par contre. »

Faut-il nous extasier sur la vertu de nos compagnes et dire qu'elles sont plus douées que l'homme pour la vie à deux durable et stable ? Rien ne serait plus faux.

 En effet , ces comportements si différents et complémentaires de l'homme et de la femme ne répondent point à des vertus particulières, mais sont l'expression de structures et de textures : l'anima unitaire de l'homme donne par compensation des dynamismes pluralistes au conscient masculin. Alors que l'animus, qui est chez la femme un pluriel, imprime aussi par compensation, et comme pour sauvegarder, outre les plans physiologiques, une unité de la personnalité et une cohésion du conscient féminin, une quête monoandre. .)P.193

En face d'une situation extérieure donnée, au lieu de s'abandonner à des opinions toutes faites qui vous viennent à l'esprit, armées de pied en cap, il y a lieu de faire appel à l'effort conscient de réflexion.

C'est en face des situations intérieures que l'animus, fonction inspiratrice de l'esprit féminin, doit avoir ol :son terrain d'élection, laissant émerger les contenus de l'inconscient.

La technique de la confrontation entre le Moi conscient et l'animus est, dans son principe, la même que dans le cas de l'anima, avec cette différence toutefois que ce ne sont plus des fantasmes et des caprices, mais les opinions que la femme doit considérer d'un oeil critique, non certes, pour les refouler, mais pour étudier leurs origines afin de pénétrer dans leurs arrière- plans obscurs, arrière-plans où elle rencontrera leurs images originelles, de façon tout à fait parallèle à ce qui se passe chez l'homme dans sa confrontation avec l'anima.

L'animus est une manière de condensation de toutes les expériences accumulées par la lignée ancestrale féminine au contact de l'homme ; mais pas seulement cela : l'animus est aussi un être créateur, une matrice, non pas dans le sens de la créativité masculine, mais dans le sens qu'il crée quelque chose que l'on pourrait appeler un Logos spermatikos - un verbe fécondant. De même que l'homme laisse sourdre son oeuvre, telle une créature dans sa totalité, à partir de son monde intérieur féminin, de même le monde intérieur masculin de la femme apporte des germes créateurs qui sont en état de faire fructifier le côté féminin de l'homme. C'est là l'origine de la « femme inspiratrice » qui, si elle est malformée, recèle aussi en elle la possibilité de devenir la pire des viragos . P.195

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Une femme possédée par son animus est toujours en danger de perdre sa féminité, son personnage féminin adapté .

De telles transformations, de telles inversions psychologiques du sexe d'un être proviennent uniquement de ce qu'une fonction, dont la vocation est d'être intérieure, se trouve déroutée vers l'extérieur. Naturellement, le motif de ce renversement réside dans une connaissance insuffïsante, voire dans la non-reconnaissance, du monde intérieur qui fait contrepoids de façon autonome au monde extérieur et qui pose, pour ce qui est de l'adaptation, des exigences aussi considérables que ce dernier.

En ce qui concerne la pluralité de l'animus, qui s'oppose ainsi à la personnalité une de l'anima .. semble devoir être compris en corrélation avec l'attitude consciente. L'attitude consciente de la femme est, en général, bien plus personnellement exclusive que celle de l'homme.

Le monde des femmes se compose de pères et de mères, de frères et de soeurs, de maris et d'enfants ; hors de leur cercle à elles, le reste du monde leur semble se composer de familles analogues qui se côtoient .. mais qui au demeurant et pour l'essentiel ne s'intéressent qu'à elles-mêmes. Le monde de l'homme au contraire, c'est le peuple,  « l'Etat », les affaires et les entrecroisements d'intérêts, etc. Pour lui, la famille est simplement un chaînon de la chaîne, un moyen vers un but, un des fondements de l'Etat, et sa femme n'est pas nécessairement la femme (en tout cas pas la femme dans le sens qu'elle exprime en disant  « mon mari »). Pour l'homme, le général est plus proche que le personnel ; c'est pourquoi son monde se compose d'une multiplicité, de facteurs coordonnés alors que la femme, dès qu'elle regarde par-delà son mari, sent sa vision du monde se heurter à une espèce de brouillard cosmique où elle se perd.

C'est en raison de ces circonstances que, par compensation, l'anima de l'homme est marquée au coin d'un exclusivisme passionné, et que l'animus de la femme s'exprime par une pluralité indéterminée. Tandis que l'homme voit, à travers son imagination, f1otter devant ses yeux la silhouette pleine de signification et finement découpée d'une Circé ou d'une Calypso, l'animus de la femme sera au contraire exprimé par un personnage comme le Hollandais Volant, ou autre spectre voguant par les mers du globe, et qui est à la fois insaisissable et protéiforme. De telles images de l'animus apparaissent en particulier dans les rêves, alors que dans la réalité concrète l'animus pourra être incarné par un chanteur de charme, un champion de boxe ou tout autre grand homme habitant de préférence dans les villes lointaines.

Ces deux figures, l'anima et l'animus, personnages de pénombre et de clair-obscur, qui sont comme les sentinelles des sombres arrière-plans .. ont des aspects presque inépuisables. P.197

Leurs complications et leurs enchevêtrements sont riches comme le monde et s'étendent sur le monde tout entier, à l'instar de leur corollaire conscient, la persona, ..

L'anima et l'animus se situent à la limite supérieure du clair-obscur de l'être, ce qui nous permet tout juste de discerner que le complexe autonome que chacun constitue est au fond une fonction psychologique, qui usurpe (ou pour mieux dire qui possède encore) le caractère d'une personnalité, grâce à l'autonomie dont elle jouit et à son manque de développement psychologique. Mais nous entrevoyons déjà la possibilité de détruire sa personnification en la transformant, grâce à la prise de conscience, en une manière de passerelle qui mène vers l'inconscient. C'est parce que nous ne les utilisons pas consciemment et intentionnellement comme fonctions que l'anima et l'animus sont encore des complexes personnifiés. Aussi longtemps qu'ils se trouvent dans cet état, ils doivent être reconnus et acceptés en tant que personnalités parcellaires relativement indépendantes. Ils ne peuvent pas s'intégrer au conscient tant que leurs contenus sont ignorés de celui-ci. La confrontation doit amener leurs contenus au grand jour, et ce n'est que lorsque ce travail aura suffisamment progressé, ce n'est que lorsque le conscient aura acquis une connaissance suffisante des processus de l'inconscient qui s'expriment et se reflètent dans l'anima que celle-ci pourra être ressentie comme une simple fonction.

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On découvre toujours tout d'abord des faits et non des théories. Celles-ci naissent toujours de la discussion entre des esprits compétents. P.199