INTRODUCTION : L'ARC RÉACTIF, LES INSTlNCTS ET LES CONDUITES


PREMIÈRE PARTIE : DE L'ACTION AU RÊVE

I.La suggestion, introduction à l'étude de l'inconscient.
II.Psychanalyse et résistance
III.Le rêve : un révélateur

. démonstrations d'optique, .. qui mettent en évidence les lois des miroirs .
Le rêve nous apparaît comme un tel écran révélateur. . Selon la comparaison que nous venons de proposer, l'arc réactif tronqué, l'action en marche interrompue dans son cours, se projette en image sur l'écran du rêve ; dans la mesure où la marcbe de cette action n'était pas entièrement saisissable au regard de la conscience, (elle comportait des subactions) le rêve devient proprement un révélateur de l'inconscient.

.. Freud, selon qui le rêve figure « la réalisation d'un désir » .. se trouve être instructif dans la mesure où il met au jour « des désirs inconscients ». Formule certes trop simple, que nous aurons à nuancer et à corriger par la suite, mais dont il faut d'abord comprendre la considérable portée.
.. moins neuve.. qu'il pourrait sembler.Cf. le dialogue de Socrate et d'Adimante dans la République de Platon . P.43
. L'originalité de Freud n'est donc pas d'avoir formulé la théorie du rêve-désir, mais de l'avoir érigée systématiquement en une hypothèse de travail, qui lui a permis .. une méthode cohérente d'investigation et de traitement ..
On peut suivre la pensée de Freud en partant de certains rêves élémentaires où le caractère de désir est manifeste : ceux, où le rêveur satisfait un besoin physiologique (l'affamé qui rêve de ripailles ), ceux de jeunes enfants qui s'accordent naïvement en songe un plaisir refusé le soir. On peut - rapprochant la rêverie éveillée du rêve nocturne - placer en continuité .. ces châteaux en Espagne ou ces fantaisies de grandeur, par lesquels, si nous laissons aller la folle du logis, nous satisfaisons à bon compte nos convoitises et nos ambitions. .
Mais pour appliquer cette idée directrice à la multiplicité des rêves complexes et à leur apparente incohérence, force lui était de la soumettre à diverses élaborations. En possession déjà de la notion de refoulement, il était en droit de penser que le rêve pouvait exprimer des désirs refoulés, inconscients, et les exprimer alors d'une manière imparfaite et détournée. Il put mettre en évidence ces mécanismes, aujourd'hui classiques, par lesquels la pensée du rêve se déforme et nous déroute : la condensation, qui fond plusieurs images en une seule, le déplacement, qui substitue à une image importante une image accessoire associée, la symbolisation, dont on peut rendre compte par le jeu combiné des deux mécanismes précédents, la dramatisation, qu'on peut tenir pour une forme particulière de symbolisation, et qui est comme une mise en scène concrète des mouvements abstraits. Ces divers mécanismes convergent dans un effet qu'on peut appeler sommairement.. : le symbolisme du rêve. .
. Freud, intéressé au premier chef par les refoulements et leur dépistage, a sans doute trop subordonné au refoulement, ou à la « censure » qui le représente dans le rêve, le symbolisme que son génie a scruté .. : il a parlé comme si ce dernier était essentienement au service d'une fonction de déguisement, permettant au refoulé de se faire jour en dépistant la censure.
. Il semble que le rêve affectionne l'expression symbolique, même quand il n'a rien à déguiser. .. l'état de sommeil étant caractérisé par une inhibition de la pensée conceptuelle et rationnelle, remet à jour les couches profondes de la pensée symbolique plus primitive et qui, à l'état de veille, est recouverte par elle. Ce serait secondairement, mais non essentiellement, que le symbolisme servirait le déguisement.
.. Jung .. déclare qu'il « prend le rêve pour ce qu'il est », se refuse à le considérer comme un camouflage, ou une « façade », oppose à Freud la sentence du Talmud, qui dit que « tout rêve constitue sa propre interprétation » . . si les hiéroglyphes du rêve nous déroutent, ce n'est pas qu'ils veuillent malignement nous dérouter, c'est que notre ignorance ne sait pas les déchiffrer ; mais ce sont bien des hiéroglyphes. P.45
.. Jung, .. garde explicitement la distinction freudienne fondamentale du contenu manifeste et du contenu latent du rêve. « Évidemment, l'opportunité du songe et de ses images n'éclate pas aux yeux à première vue ; l'analyse du contenu manifeste du rêve est nécessaire pour dégager les éléments. de son contenu latent. »
La méthode préconisée à cette fin par les deux maîtres consiste .. à prospecter les associations d'idées du sujet - même si Jung parle aujourd'hui plus volontiers d' « amplification ». Il faut, cependant, noter entre leurs procédés, une différence d'une certaine importance : Freud n'a pas instauré la méthode des associations en vue d'analyser le rêve. Il a dès l'abord pratiqué les « associations libres », demandant au sujet de dire, sans réticences, tout ce qui lui passait par la tête ; puis il s'est aperçu que le sujet, au cours de ce bavardage, racontait volontiers des rêves ; il s'est alors intéressé au rêve et a remarqué que celui-ci s'éclairait par le contexte associatif et l'éclairait à son tour ; mais ce n'est pas le rêve, en technique freudienne, qui est l'objet d'étude ; c'est la « séance » - rêve et associations - qui forme une unité et c'est la recherche des thèmes involontaires traités par le sujet, tant dans le rêve que dans les associations, c'est le retour non préconçu de ces Leitmotive qui retient l'attention de l'analyste : le rêve se trouve analysé par surcroît. (Et si rnême il ne l'était pas et si même toute la théorie de l'interprétation des rêves était erronée, l'analyse des thèmes dominants de la séance garderait toute sa valeur.) Tandis que Jung, partant .. de l'importance su rêve, le prend davantage comme objet d'étude ; (Il remarque : « Les associations libres, naturellement, révéIeront tous mes complexes, mais je n'ai pour se faire nul besoin du rêve .. Les associations libres « donneront » mes complexes, mais n'achemineront qu'exceptionnellement vers le sens du rêve. Pour comprendre celui-ci, je dois m'en tenir aussi étroitement que possible à ses images » (L'Homme à le découverte de son âme, p. 296). (Jung) intervient davantage par l'Interrogation, et c'est pour ramener le sujet au rêve, c'est pour lui demander de repartir de chaque élément du rêve, de grouper autour de chacun d'eux, mais sans se perdre à l'infini, tous ses tenants et aboutissants, et d'élargir ainsi leur signification par des « amplifications » concentriques. C'est ce qu'il appelle « établir le contexte ». .
. Jung .. insiste avec force et avec humour sur l'impossibilité de « déchiffrer certains signes figurant des contenus codifiés correspondants »), ce pour quoi il suffirait de « connaître par cour des règles sémiotiques. l'âme se montre de prime-abord réfractaire à toute méthode qui cherche et se borne à la saisir sous l'un de ses aspects, à l'exclusion de tous les autres. » (Ibidem p.249)

C'est à propos de la théorie du rêve-désir que .. P.47 .. l'accord paraît le plus difficile à obtenir.
Freud, en possession de cette hypothèse de travail, ..l'a portée aussi loin que possible, .. : « Il faut, écrit-il, que l'analyse dévoile le sens caché de chaque rêve et en quoi il est la réalisation d'un désir. » .
Il est des rêves qui réalisent manifestement une crainte, et une crainte qui est vraiment présente dans la psychologie du sujet. Oui, dira Freud .. mais songez à l'ambivalence ; une crainte manifeste cache souvent un désir latent. Cette mère rêve que son enfant meurt, et il est bien vrai qu'elle est poursuivie, dans la vie réelle, par une crainte, même obsessionnelle, du mal qui pourrait arriver à son enfant. Analysons : et nous -verrons apparaître un désir violemment refoulé de suppression de l'enfant, lequel se trouve être l'obstacle à un divorce, par exemple, ou a une vocation artistique ; cette analyse se trouve même toucher un point important : elle délivre cette mère de son obsession, de sa sollicitude morbide, qui n'était que surcompensation.
On objectera aussi le rêve d'angoisse, le cauchemar. Oui, dira encore Freud .. Mais . Le noyau du cauchemar, ce n'est pas un désir, mais bien deux désirs, qui sont en conflit et dont le brusque heurt place le sujet dans une impasse. Le rêve de la mort de l'enfant, pour y revenir, pourra prendre la forme du cauchemar : c'est que le désir refoulé d'être délivré de cet obstacle que représente l'enfant se sera heurté, dès son émergence, au désir inverse fortement installé dans la conscience, et qui exprime un amour matemel très réel. ( Voilà des cas où l'analyste doit agir avec tact. Il serait faux, et dangereux de révéler à cette mère son désir meurtrier comme son « vrai désir ». Il faut le situer à sa juste place. ..)
Dans d'autres cas, le rêve où le sujet s'inflige diverses souffrances et tortures devra être interprété en fonction d'un désir masochiste ou d'un désir d'auto-punition, procédant de cette culpabilité inconsciente .
. Dans les rêves ambivalents que nous venons d'évoquer, la crainte dissimulait bien un vrai désir portant sur le même objet. Dans d'autres rêves où la crainte ne découvre nulle ambivalence, on pourra s'en tirer en disant que cette crainte - mais au même titre que toute crainte - est la contre-partie d'un désir inverse ; il est clair qu'on ne craint la mort que dans la mesure où l'on tient à la vie, ou la prison, que par amour de la liberté. .. la dialectique de Spinoza, .. montre .. que toutes les « affections» - crainte, espoir, amour, haine - sont exprimables en termes de désir. . Du désir constaté, nous serons passé au désir induit .
Bref, il arrive un moment où la féconde hypothèse de travail posée par Freud paraît avoir épuisé sa vertu. C'est le moment de revenir à un regard plus naïf sur le rêve, et de repartir autrement ; c'est à quoi nous invite C. G. Jung. Devant un rêve énigmatique, « il serait naturel, dit-il, que le médecin renonçât chaque fois à tout préjugé théorique, comme mû par le désir de découvrir une théorie onirique toute nouvelle... Il ne faut jamais, en cours de ces travaux, perdre de vue que l'on se meut sur des sables mouvants où l'insécurité est la seule certitude ». P.49
. La théorie du désir montrait le rêve tendant à des satisfactions refusées par la vie réelle ; plus largement Jung parle d'une fonction compensatrice du rêve, qui corrige toute attitude trop unilatérale de la conscience par un rappel à l'ordre ; il peut de la sorte, dès qu'on y prend garde, constituer un avertissement fort appréciable. - Ainsi le rêve typique où Nabuchodonosor, .. a la vision du grand arbre qui « s'élevait jusqu'aux cieux » et qu'on « voyait des extrémités de toute la terre ». Mais « un de ceux qui veillent et qui sont saints. cria avec force et parla ainsi : abattez l'arbre» qui d'ailleurs a « un cour d'homme ». .
.. comprendre comment on passe de la fonction compensatrice du rêve à sa fonction prospective. Celle-ci nous conduit son tour à considérer les intuitions du rêve, les communications qu'il établit entre les êtres (télépathie). Enfin Jung résumera ses vues en considérant le rêve .., comme « une auto présentation, spontanée et symbolique, de la situation actuelle de l'inconscient » . Tertullien .. distingue, à côté des rêves divins et démoniaques, une espèce de rêve « qui résulte du retour de l'âme sur soi-même par l'examen de sa situation ».
Jung, soucieux ici encore de marquer ses distances par rapport Freud, oppose ses théories à celles de ce dernier comme un point de vue final à un point de vue causal. (Dans la théorie du rêve, comme ailleurs, Alfred Adler constitue un passage de Freud à Jung. Adler, plutôt que de désir, parle de but et de plan. Il estime que le rêve consiste en tâtonnements plus ou moins judicieux ou fantaisistes, en vue de combiner des moyens pour atteindre le but, pour résoudre le problème). Cela ne nous paraît pas tout à fait exact ; car il ne faut pas oublier que chez Freud, c'est le désir qui est cause, et dans la notion de désir, celles d'orientation et de fin ne sont-elles pas implicitement contenues ? .. Jung se place plus explicitement et délibérément au point de vue de la psychologie fonctionnelle, .. : « Posons le problème de façon toute simple et demandons-nous : à quoi sert, à quoi rime le songe, que doit-il susciter ? Cette question n'est pas arbitraire puisqu'on la pose pour toute activité psychique. » Le praticien, dans sa déformation professionnelle, aurait peut-être la tendance de penser que le rêve lui sert de source d'information, de moyen de diagnostic et que cette réponse est suffisante ; il est clair qu'il n'en est rien . La question « à quoi sert », en psychologie fonctionnelle, sous-entend de toute évidence que l'utilité concerne le vivant qui est le siège du phénomène. .
Un autre apport précieux de Jung est son conseil d'analyser le rêve d'une part sur le plan de l'objet, d'autre part sur le plan du sujet. Ici encore, Jung se réfère à une notion freudienne, celle de projection, mais il en élargit l'application. Il pense que nous ne cessons de projeter, peu ou prou, les contenus de notre inconscient sur les êtres qui nous entourent. Libre à nous de voir dans ce mécanisme - qui culmine dans les délires de persécution - une survivance de la « participation » des primitifs. Toujours est il que, la projection étant donnée, un être « représente pour nous d'une part ce qu'il est en tant qu'objet », d'autre part les éléments subjectifs que nous avons projetés sur lui, et qui revivent dans le rêve. Un fils rêve de son père, c'est sans doute bien du père qu'il rêve, mais peut-être aussi du rôle paternel qu'il désire ou craint d'assumer à ce moment ; une femme rêve qu'elle met un enfant au monde ; c'est sans doute son instinct maternel qui parle, mais peut-être aussi l'éveil en elle d'une nouvelle vie, l'enfant spirituel .. Nous rêvons d'un être cruel qui nous menace ; c'est peut-être bien de cet P.51

IV.L'image en action

V.Poésie et vérité. Passage à l'esthétique


DEUXIÈME PARTIE : DE L'INSTINCT A L'INTELLIGENCE

VI.Les tendances et leur génétique


VII. A la recherche du temps perdu. Régression, mémoire, tranfert d'analyse

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La paranoïa - avec laquelle nous passons d'ailleurs des névroses aux psychoses - nous présente un des cas où le parallélisme supposé par Freud se vérifie le mieux. Le paranoïaque, avec ses délires d'interprétation, de persécution, de grandeur, se révèle assez facilement à l'analyse comme un homosexuel latent et fortement refoulé. Cette psychose et cette perversion ont l'une et l'autre des attaches dans le stade sadique-anal. Le mécanisme de projection, par lequel le persécuté renverse les rôles, en attribuant à autrui ses propres sentiments inconscients est en somme une forme de réversion, dont on peut concevoir les P.109 rapports avec l'inversion. .. schéma proposé d'une double réversion.. : « 1. Moi homme, j'aime cet homme (homosexualité) 2. Je ne l'aime pas. 3. Je le hais (réversion amour-haine) 4. Parce qu'il me hait (réversion sujet-objet : persécution. » Faut-il toujours passer par ce schéma, selon lequel le persécuteur ne saurait être, à l'origine, que l'objet du désir homosexuel ? Il nous semble qu'un cheminement non moins significatif passe par le thème « je suis exclu » et peut se subdiviser ainsi :
1. J'ai des sentiments contre-nature, je ne suis pas comme les autres, cela m'exclut de la société des autres. 2. Ce sont eux qui m'excluent, parlent de moi entre eux, me soupçonnent (persécution) 3. A moins qu'ils ne me jalousent, parce que je vaux plus qu'eux (grandeur).
.. études d'Abraham sur une autre psychose, la mélancolie, ont pu rattacher celle-ci à une introjection de l'objet sur le mode buccal, ce qui cadre avec certains symptômes typiques de cette psychose (refus des aliments et de la parole) et qui tend à l'interpréter par des traumatismes du tout premier âge. .. Mélanie Klein insiste sur la distinction qui lui est familière, de l'objet « bon » et de l'objet « mauvais» - distinction que l'on conçoit sans peine comme caractéristique de la psychologie du petit enfant, incurable manichéen. L'objet bon, l'objet mauvais, peuvent être introjectés. L'enfant les imagine alors au-dedans de lui, et il résulte de là toutes sortes de fantaisies, bien propres à déconcerter la pensée logique, mais qui ne sauraient être tenues pour invraisemblables, une fois admise la parenté de la mentalité infantile et de la mentalité primitive. L'objet bon doit être conservé au-dedans, en sécurité. L'objet bon intériorisé de la sorte a des exigences ; s'il est conçu comme parfait, l'enfant se sent facilement coupable à son égard, et nous aurions là une des origines de ces sentiments écrasants de culpabilité qui atteignent leur paroxysme dans le délire mélancolique. Il y a des observations bien curieuses à faire sur les premiers stades de la conscience morale et leurs survivances ultérieures. Un enfant, à dix ans, imaginait encore avoir, dans l'estomac, un petit homme, qui le commandait à la manière de son père ; plus tard, ce sujet fit de l'hypocondrie, marquée par une préoccupation de vers intestinaux, qui n'était pas sans rapport avec ses fantaisies infantiles du « petit homme.»
Les mécanismes en question sont, .., déjà en activité chez le nourrisson. . les seins de la mère ou de la nourrice sont des personnages fantastiques, tantôt bons, tantôt mauvais. C'est quand l'enfant « projette » sur eux son « sadisme » (envie de mordre) qu'ils deviennent particulièrement redoutables ; d'où, par réversion, le phantasme des vampires, - l'une des expressions les plus primitives du talion. ( Et ajouterons-nous, celui du « Vagin denté » .) Or, ces stades primitifs auraient une grande importance dans la genèse des différentes psychoses ; celles-ci pourraient être considérées comme des régressions à la mentalité correspondante à ces stades ; la schizophrénie consisterait dans une recherche du refuge (contre le monde extérieur) auprès de l'objet bon introjecté. ..le suicide un acte hostile dirigé contre un objet mauvais introjecté. Mélanie Klein ajoute que cet acte procède d'un phantasme, selon lequel il s'agirait de préserver l'objet bon des atteintes de cet objet mauvais.
Robert Waelder, .. reconnaît .. satisfaisant pour l'esprit, après avoir ramené les névroses à des régressions aux phases situées de deux à six ans environ, d'expliquer les psychoses par des régressions aux phases des deux premières années de la vie. II faut se défier cependant, de trop belles simplifications, et se souvenir qu'entre la mentalité du petit enfant et celle du fou, il n 'y a tout de même pas identité.
Franz Alexander .. indique qu'entre la période intra-utérine, où le développement n'est exprimable qu'en termes physiologiques et la vie même de l'individu indépendant, qu'étudie la psychologie, les toutes premières phase du développement de l'enfant forment une transition ; aussi contiennent-elles sans doute le secret d'une synthèse, et méritent P.111 elles de ce fait, d'être scrutées avec attention ; il estime en outre que cette psychologie des premières phases se réduit probablement à des attitudes calquées sur la vie végétative, et notamment sur les processus physiologiques d'incorporation, d'élimination, de rétention.

Quoiqu'il en soit de la genèse des psychoses, la pratique des analyses approfondies et prolongées nous met constamment en présence, chez les sujets les plus divers - nerveux ou normaux - de traumatismes de la toute petite enfance, dont on ne saurait douter, et auxquels il faut se référer si l'on entend analyser et modifier non seulement des symptômes, mais le caractère. Ces traumatismes remontent peu à peu, à travers l'exploration conjuguée des souvenirs, des fantaisies et des rêves, - tout comme sont accoutumé de le faire ceux d'une enfance plus tardive : tantôt ils reviennent avec un sentiment de confuse réminiscence, tantôt, plus rarement, ils se présentent comme de vrais souvenirs, ou bien ils se dissimulent d'abord derrière des souvenirs-écrans ou « de couverture », c'est-à-dire des souvenirs analogues appartenant à une couche plus consciente, (.. fillette qui se souvenait de ses perplexités sur la différence du m et du n lorsquelIe apprenait à lire, et qui dissimulait derrière cet écran ses perplexités sur la différence anatomique des sexes. C'est le propre du souvenir-écran d'être contaminé par la tonalité affective de l'autre scène qu'il dissimule ; il en reçoit souvent un éclairement d'étrangeté, de mystère, comme si l'on sentait qu'il contient plus qu'il ne dit. En fixant l' attention sur cette tonalité affective, on peut retrouver le chemin du souvenir perdu.) tantôt enfin, ils n'émergent qu'à titre d'images non reconnues, mais à travers lesquelles il est permis de les induire ; et parfois, il est possible d'en obtenir la vérification objective, par exemple en interrogeant la mère ou la nourrice. .
L'importance des traumatismes du sevrage est aujourd'hui couramment reconnue. Ils laissent des traces profondes dans les symptômes de l'adulte et dans son caractère, et si les premiers peuvent être écartés par une analyse moins poussée, il faut descendre jusqu'à ces chocs pour modifier le second. . C. D. était un jeune marié qui, depuis son mariage, souffrait de pollutions nocturnes fréquentes et débilitantes : c'est ce symptôme qui l'amena à l'analyse ; il avoue en outre un caractère hésitant, qui le laissait trop souvent en suspens entre deux choses et paralysait son activité. Invité à prêter attention aux rêves qui précédaient les pollutions, il découvrit qu'il s'y trouvait en rapports intimes avec la sour de sa femme. Il raconta alors qu'il avait longtemps, avant le mariage, hésité entre les deux sours et avait eu peine à se déclarer : ainsi l'on découvrait le point où le symptôme se greffait sur le caractère. En réalité il eût voulu épouser les deux sours, et ayant dû renoncer à l'une d'elles, il se dédommageait en rêve. Il apparut, à cet égard, que l'hésitation était de l'ordre de l'avidité ; il avait peine à choisir entre deux choses, parce qu'il voulait l'une et l'autre ; or, l'avidité est un signe typique, qui oriente aussitôt l'attention de l'analyste vers le stade buccal et le sevrage . Conduite, en langage courant, d'enfant gâté. Tout se passait, chez notre C. D., comme si le choix, par le renoncement qu'il comporte, répétait le sevrage. Mais le rêve le plus explicite fut celui où il vit, sur deux collines, séparées par une vallée avec un pont, deux pensions de famille où l'on « buvait, fumait, bavardait, papotait » (toutes images buccales) ; lui-même se voyait quittant l'une pour l'autre, rencontrant diverses mésaventures et errant avec le bâton du pèlerin. Les associations des deux collines avec la femme et la belle-sour, avec les termes déjà connus de l'hésitation, furent assez explicites, mais en outre les images de ce rêve parurent comporter une émergence de couches beaucoup plus profondes : il était difficile de ne pas reconnaître dans ces deux collines nourricières les deux seins de la mère, et dans le comportement à leur égard une réédition de cette forme particulière d'avidité que les nourrices connaissent bien : l'avidité de l'enfant qui, lorsqu'un sein commence a être épuisé, se jette sur l'autre, revient au premier, avec une mimique de colère, comme dans l'inquiétude de laisser échapper quelque chose et la rage de ne pouvoir tout tenir à la fois. Cette analogie proposée au sujet à titre d 'hypothèse souriante et cum grano salis, eut tous les effets d'une interprétation pertinente : elle provoqua en lui une curieuse émotion qui parut illuminer son visage, P.113 et la scène invoquée se présenta à lui avec les caractères d'une confuse réminiscence. Tout se passa comme si le noud eût été atteint.
. un enfant de deux ans et demi, dont le développement avait été arrêté au point que tous les rapports avaeent cessé avec l'entourage. Les fonctions étaient retenues (constipation) et les personnes n'étaient abordées que par des regards obliques, qui se rapprochaient concentriquement et prudemment. Il avait en outre une véritable phobie des lampes. On put reconstituer le choc, qui remontait aux premières semaines de la vie, et qui donnait la clé de tous les éléments du complexe : l'enfant, à l'hôpital, avait été soigné pour une diarrhée et avait été tourmenté par des lampes spéciales, qui arrivaient obliquement sur lui et à l'aide desquelles on examinait ses selles. Dans ce cas, le jeu a été employé dans un sens cathartique : un certain jeu avec les lampes eut une valeur curative.
. pas répéter les railleries faciles de Voltaire tournant en dérision les savants qui commençaient à voir, dans l'existence de coquillages sur les montagnes, le témoignage d'une antique présence de la mer en ces lieux ? Ces sortes de coquilles se découvrent dans la mémoire de l'individu comme dans celle des continents. . Le traumatisme de la naissance, prototype de toute angoisse, est à l'origine de l'ambivalence fondamentale entre la progression et la régression, l'activité et la retraite, l'extraversion et l'introversion - laquelle répéterait un « regret» de la vie intra-utérine. . ces premiers traumatismes, lorsqu'ils semblent vouloir affleurer au cours d'une analyse, le font selon les mêmes démarches, avec le même protocole, que les souvenirs d'une enfance plus tardive : seule la reconnaissance explicite fait défaut (mais elle fait défaut aussi dans bien des souvenirs plus tardifs). ( Rank parle de situations infantiles qui ne peuvent être rappelées comme telles pour la simple raison qu'elles n'ont jamais été conscientes.)
On peut certes discuter quant à savoir si cette mémoire première est consciente ou inconsciente, psychologique déjà ou toute physiologique encore ( et ne recevant que lors de rappels ultérieurs une signification psychologique rétrospective). . intime continuité du physiologique et du psychologique dans ces premières phases de la vie.
. un jeune homme d'une vingtaine d'années qui souffrait d'une anormale impatience de toute espèce de liens. S'intéressait-il à une jeune fille, cela durait quelques semaines, et dès qu'elle faisait mine de le retenir dans ses rêts, il se dérobait. Essayait-il d'un métier, cela ne durait guère davantage. Dès qu'il sentait son ombrageuse liberté menacée, il s'évadait ; il pratiquait volontiers la fugue. On pouvait déceler à cette conduite bien des motifs intelligibles, d'ordre courant, et sur lesquels nous n'insisterons pas. Mais un jour, le jeune homme m'apporta un rêve, où il se voyait gêné par une corde, et qui par son allure et son contexte P.115 me parut ressembler fort à certains rêves de naissance .. il était d'autre part intimement lié au comportement fondamental de ce garçon ; les associations évoquaient des thèmes proches de celui de la fable de la Fontaine, Le Loup et le Chien :

 

 


VllI.De la génétique à la psychologie complexe

lX.Le nombre et la personne. Techniques et méthodes

X.Relativité de l'intelligence. Passage à la logique


TROISIÈME PARTIE : DU CONFLIT A L' ACCORD

XI. Les complexes autonomes. Confrontation des méthodes de Freud et de Jung

XII. Les constantes de l'imagination : les archétypes

Il est naturel que les objets les plus intimement mêlés, depuis toujours, à la vie de l'homme, fournissent au rêve et à l'imagination spontanée des symboles d'une signification assez constante bien que richement nuancée : constante, dans la mesure où elle est définie par la fonction même de l'objet ; nuancée cependant, du fait qu'un objet toujours présent est appelé à nouer des associations avec des circonstances fort diverses. Cependant cette diversité n'est pas chaotique ; elle s'ordonne à partir de la signification de base. Ainsi, il ne peut y avoir de « clé des songes », permettant de traduire mécaniquement un symbole. Celui-ci donne une direction à l'esprit, mais il est spécifié par tout le contexte psychologique, par le climat et le niveau où se meut le rêveur .
. un exemple d'un des symboles les plus lisibles et les plus riches, celui de la maison : « On ne peut pas écrire l'histoire de l'inconscient humain sans écrire une histoire de la maison.» (Bachelard)
L'investigation freudienne n'a pas eu de peine à déceler, d'abord, dans la maison une représentation du corps humain. N'est-elle pas à l'origine, comme un renforcement, un redoublement de celui-ci ? « L'escargot porte sa maison» ; c'est une coquille ; l'homme se construit une coquille ; c'est sa maison. Dès qu'elle se différencie dans ses parties, dans ses pièces, celles-ci ( cuisine, chambre à coucher, etc.) correspondent assez fidèlement à quelques fonctions essentielles de l'organisme, pour faire figure d'organes. L'imagination, engagée dans cette voie, continue assez naturellement P.191 : les fenêtres ne sont elles pas des yeux, les longs corridors des intestins ? Les orifices semblent retenir particulièrement l'attention, surtout celle de l'enfant. Tel sujet, dominé par un complexe anal, .. modifie le plan de la maison, en mettant l'entrée à la place des toilettes. . cette petite fille, préoccupée à ce moment par les mystères physiologiques de la naissance, et qui était très inquiète de savoir si l'ange qui avait apporté la petite sour était entré dans la maison par devant ou par derrière. .. Psychanalyse de Victor Hugo .. les Travailleurs de la mer, les spéculations des trois garçons sur cette fantastique « maison visionnée », avec ses deux façades, ses fenêtres tantôt allumées tantôt éteintes, transposent des préoccupations du même ordre, aggravées d'une angoisse devant ce mystère premier. .. symbolisme .. coutumes du folklore, comme celles de ces noces berrichonnes, que nous a contées George Sand : la mariée avec ses demoiselles d'honneur retranchée dans la maison barricadée, que le marié, avec les garçons, doivent soumettre à un siège en règle.
« Coquille » disions-nous. Cette image nous plaçait d'emblée au cour du symbole. Car la maison, c'est d'abord l'abri, le refuge. Si l'on combine ces images avec celle du corps humain, que nous avons d'abord dégagée, on arrive très vite à la représentation du corps maternel, et plus largement à celle de la mère, considérée comme le refuge par excellence. La maison a ici un point d'insertion dans un des « systèmes symboliques » les plus connus, celui du « sein maternel », où elle se rencontre avec d'autres images familières comme la niche, la toison, et précisément la coquille, et aussi avec des idées plus abstraites comme celles de solitude ou de vie intérieure. (Le rapport entre mère ou maman et maison est, en français, rendu plus étroit encore par le début « mai » de ce dernier mot.)
Certains sujets, anormalement sédentaires et calfeutrés, doivent se comportement à une nostalgie inconsciente de la mère, et peuvent le corriger par une prise de conscience du symbole.
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Dans la mesure où le sujet prend conscience de son moi, c'est encore la maison qu'il trouve sous sa main comme une des figurations les plus simples de cette notion. Faut-il s'en étonner ? La notion du moi ne surgit pas ex abrupto, mais elle se dégage peu à peu des deux précédentes : celle de la mère, avec laquelle l'enfant s'est senti longtemps exister dans une sorte de symbiose progressivement plus lâche, et celle du corps propre, duquel l'être demeuré fruste ne consent pas à s'abstraire : « Oui, mon corps est moi-même. » dit le bonhomme Chrysale.
Cependant le moi est chose plus complexe, et l'homme qui commence à réfléchir sur lui-même en prend conscience. . Le sujet sent que la personnalité est une chose qui se construit, s'aménage, et il exprime volontiers cela dans ses rêves par des images de maison « en réparation, en reconstruction, - comme d'autres fois par des images de vêtements qu'il achète, qu'il fait réparer, qu 'il essaie. Toutefois, il est probable qu'il choisira plutôt ces dernières images s'il est préoccupé surtout de son personnage social, - la persona dans le langage de C. G. Jung - de l'aspect qu'il entend revêtir aux yeux des autres, tandis qu'il préférera parler de maison et de construction dans les moments où il s'attache plutôt à son être intime qu'à son paraître.
Il se souviendra aussi que son être, comme la maison, se compose d'étages ; il essaiera, à travers des tâtonnements, de se situer à la juste hauteur. Tantôt il se verra juché inconfortablement dans les étages supérieurs, parfois en éprouvera du vertige, et sentira cette nécessité, bien décrite par Adler, de « descendre de sa hauteur », cette hauteur en vérité illusoire qui était un autre nom de sa névrose, ou de son « angélisme », de son évasion des humbles et substantielles vérités, avec lesquelles il lui importe de se réconcilier. . Tantôt au contraire, il figurera par la montée d'étage en étage un juste souci d'ascension morale.
Les régions inhabitées ou obscures de la maison - les caves, les greniers, les réduits - sont une figuration fréquente de cet « inconscient » redoutable dont l'homme, dès l'enfance, sent confusément la présence et la menace. P.193
C'est dans « notre maison » c'est en nous, et pourtant ce n'est plus nous ; c'est envahi par l'inconnu, par les ténèbres, par les fantômes. Au cours de l'analyse, les rêves expriment volontiers par des incursions dans ces régions mystérieuses l'investigation même à travers l'inconscient, dont il importe d'explorer les secrets et les enfantines et primitives terreurs. .
Si nous nous attachons enfin à cette recherche .. de l'unité personnelle qu'on peut appeler la réalisation spirituelle - et dont Jung désigne l'objet par le terme du soi opposé au moi empirique - nous voyons que la maison encore et sa construction, fournissent à cette quête certains de ses symboles.
. une femme qui, arrivée à la « seconde partie de la vie » se trouve au moment de vivre l'expérience spirituelle de détachement à l'égard de son individu périssable et de transporter le centre de gravité de son être dans une région plus sûre : elle rêve que sa maison brûle ; puis, en approchant, elle voit que c'est une maison qui n'est pas la sienne, et, à la fin du rêve : « ce n'est la maison de personne qui a brûlé.
L'Évangile parle de la maison construite sur le sable et de la maison construite sur le roc. II parle aussi de la pierre dédaignée, qui est appelée à devenir la pierre angulaire de la construction. Et celle-ci n'est pas sans rapports avec la pierre philosophale des alchimistes .
La maison se trouve ainsi exprimer, sur tous les plans, une idée fondamentale, qu'on peut traduire approximativement par les mots d'intimité, d'intériorité, mais qui en diverses hauteurs, rend des harmoniques aussi fort diverses, bien qu'intelligiblement liées entre elles.
II est bon à l'homme de vivre parmi ses propres images, parmi « la forêt de symboles » dont parle Baudelaire. Cet accord de l'objet sensible avec l'idée, l'un reflétant l'autre, crée une harmonie dont le bienfait est apparenté à celui des arts et dont l'effet est de conserver une saveur à la vie. Aussi est-il bon à l'homme d'avoir une maison et qui fasse valoir ses significations symboliques. Pour cela, il faut une maison à la « taille de l'homme ». C'est l'occasion de se demander si l'habitation qui lui est trop souvent proposée ou imposée par le monde moderne satisfait à ces conditions. Il est permis d'en douter, et de douter aussi que la technique pure puisse obvier au désaccord. Bien plus, elle peut l'aggraver, si elle méconnaît les exigences de la psychologie. Celle-ci aspire à un « confort » tout autre que celui auquel on a prostitué ce nom, et autrement essentiel. .
Il paraît que les vaches deviennent neurasthéniques dans certaines étables modernes . et je ne vois pas pourquoi l'homme ne le deviendrait pas dans certaines habitations qu'on lui fabrique. Aussi bien, il les fuit dès qu'il peut, et il fait du camping .

La démonstration .. pourrait être reprise à propos d'autres grands symboles. . celui du serpent.
La signification phallique du serpent, dégagée par Freud, retrouvée dans d'innombrables rêves et dans certaines phobies du serpent, apparaît aujourd'hui presque évidente et banale. Mais il serait aussi erroné de réduire le serpent à cette signification : l'organe viril, que de restreindre l'image de la maison à la représentation du corps ; il suffit déjà d'un regard sur la mythologie comparée, où le serpent joue un tel rôle, et tant de rôles, pour éveiller notre circonspection. Jung place l'image dans une juste perspective lorsqu'il écrit : « Le serpent. est un animal à sang froid, un vertébré qui incarne la psyché inférieure, (Il dit volontiers, en d'autres passages : l'animal spinal, le psychisme spinal.), le psychisme obscur, l'inconscient, ce qui est rare, incompréhensible, monstrueux, ce qui peut se dresser en nous, ennemi de nous-mêmes, capable de nous rendre par exemple mortellement malades. Le serpent a des yeux qui scintillent comme des pierres précieuses, ce qui constitua de toute antiquité un attribut du serpent magique. Le dragon, symbole de l'âme instinctive et inférieure, est, en Occident, un animal considéré comme néfaste, alors qu'il passe en Orient pour être un animal propice. » (L'Homme à la découverte de son âme) P.195
Cette ambivalence .. aperçue dans certains symboles, est très marquée en effet dans les plus importants d'entre eux, et notamment dans celui du serpent. .. Après avoir rappelé l'incarnation de Satan Iui-même dans le serpent, puis la collusion de ce dernier avec le Scorpion du Zodiaque, elle aboutit aux aspects bénéfiques du serpent : « Toute l'ambivalence du symbole s'éclaire pour nous. Il ne s'agit plus du serpent qui séduisit Eve, mais de la felix culpa et du serpent d'airain. Il ne s'agit plus de la noire Nysoumba, fille du Roi des serpents, ennemi du pur et lumineux Krishna, mais de la Kundalini. Kundalini signifie en sanscrit serpent lové. Or nous retrouvons ces mêmes nuances impliquées par les racines dans l'hébraïque livyathan qui est aussi un serpent lové qu'on réveille. Mais la Kundalini chez les Indiens est, elle aussi, comme les langues d'Ésope et la libido de Freud. Elle ouvre la porte sur tous les possibles. La force kundalinienne n'est., d'après les yogis, ni bassement sexuelle, ni hautement divine. Elle peut devenir l'un ou l'autre. En réalité le serpent est un symbole ambivalent parce qu'il est le symbole de la sublimation elle-même. » (Maryse Choisy)
La Kundalini, qui, dans la tradition indienne, est un serpent, lové d'abord au niveau du sacrum, puis se déroulant par degrés (les 7 chakras) le long de la colonne vertébrale, est bien apparentée en effet à l' « animal spinal » de Jung, mais envisagé dans ses possibilités d'élévation, de sublimation.

. élargir notre notion de système symbolique .. une même idée .. s'exprime par diverses images, selon les jeux du déplacement et du transfert : ainsi la virilité s'exprimant aussi bien par le serpent que par les armes ou le nom propre ; ainsi encore le sein maternel s'exprimant par la maison tout comme par l'eau profonde ou par la nature. Si nous rangeons horizontalement ces diverses images correspondant à une même idée, nous voyons à présent qu'il importe aussi .. de suivre, disons verticalement, la série des idées diverses qu'elle est susceptible d'exprimer. Celles-ci, pour diverses qu'elles soient, n'en sont d'ailleurs pas moins définies, cohérentes et organisées entre elles.
. à propos des images du vieux sage, de la quaternité ou de l'ombre. C'est à ces sortes de symboles fixes, profondément ancrés dans l'inconscient collectif, que Jung réserve le nom d'archétypes. .. cette fixité n'est pas celle d'un point, mais plutôt celle d'une direction. Un archétype évoque diverses idées, est susceptible de divers développements. .. il importe de souligner tout de suite qu'il doit être entendu comme une réalité dynamique.
La notion, et le mot, d'archétype, ont éveillé bien des résistances :
1.D'abord le mot, qui fait songer à Platon, a pu laisser penser une intrusion intempestive de la métaphysique dans la psychologie : les définitions que Jung donne de son archétype sont cependant bien propres à écarter ce malentendu .
2. Mais il est une objection implicite .. contre le fait même de ces constantes de l'imagination que sont les archétypes. Il est très curieux d'observer combien on résiste à priori à l'idée que l'imagination ait des constantes. S'il s'agit du corps humain, personne ne s'étonne de ce que nous ayons tous deux yeux ou dix doigts ; s'il s'agit de la raison humaine, personne ne trouve mauvais qu'elle obéisse partout et toujours aux mêmes principes et catégories et use du même syllogisme, des mêmes mathématiques. Mais quant à l'imagination, chacun est persuadé que c'est ici le règne d'une fantaisie capricieuse et qui échappe à toutes les lois ; c'est surtout en vertu de ce préjugé qu'on regimbe contre l'idée de rencontrer, ici aussi, des constantes ; pourtant, .., elles ne sont pas plus extraordinaires en ce lieu que dans les autres régions de la vie : disons que les archétypes sont simplement, si l'on veut, les catégories de la pensée symbolique. Mais la résistance est telle que devant l'identité constatée P.197
de certains produits de l'imagination d'un sujet à l'autre ( ou, en mythologie, d'un peuple à l'autre) on a tendance à préférer n'importe quelle explication, .., par la transmission, la migration ou l'imitation, et à la trouver plus naturelle que le recours à une identité de structure.
3. Enfin, dans une époque où la biologie paraissait se détourner .
Etudiant la psychose collective du nazisme, sous l'angle du réveil d'un antique archétype - celui de Wotan, « force qui va », jeu de la tempête, de la migration, de la dévastation - Jung écrit : « Les archétypes sont. comme des lits de rivières, que l'onde a délaissés, mais qu'elle peut irriguer à nouveau après des délais d'une durée indéterminée. Un archétype est quelque chose de semblable à une vieille gorge encaissée dans laquelle les flots de la vie ont toujours coulé. » .
« L'archétype. désigne une image originelle existant dans l'inconscient. L'archétype est aussi une manière de complexe ; mais à l'opposé de ceux que nous avons étudiés jusqu'ici, il n'est plus le fruit de l'expérience personnelle : c'est un complexe inné. L'archétype est un centre chargé d'énergie.»
. l'archétype pourrait être défini avec simplicité comme un inducteur provoquant chez les différents sujets les mêmes associations d'idées. Ex. le taï-ghi-tou . une expérience qui va dans le même sens : Clémence Ramnoux, professeur de philosophie dans un lycée parisien, a conté à ses élèves une légende celtique, qu'elles devaient reproduire librement. A d'autres élèves elle a lu cette nouvelle version sur laquelle à leur tour elles devaient broder, et ainsi de suite. C. R. a pu suivre, de texte en texte, les dégradations subies par le mythe originel. Trois périodes ont particulièrement attiré son attention. D'abord un essai d'actualisation. rendre l'histoire plus vraisemblable. Puis vint une tentative de moraliser les données païennes amorales. A ce stade tout se décomposa. la troisième génération dut refaire un conte cohérent avec les éléments qui restaient. Alors ces lycéennes, sans connaître le mythe primitif, en retrouvèrent spontanément tous les fils conducteurs.»
En parlant de dynamisme, de direction, d'inducteurs, de fils conducteurs, comme en écoutant Jung nous parler d'un « centre chargé d'énergie » et nous présenter l'archétype comme « une gorge où les flots de la vie ont toujours coulé », nous parons à l'erreur que pourrait éveiller le mot « image » : celle de voir l'archétype comme une pure représentation. .. « les symboles, on a trop tendance à les juger P.199 du point de vue des formes», et « que l'image littéraire est plus vive que tout dessin. Elle transcende la forme. Elle est même mouvement sans matière.» En quoi l' « image littéraire » entre bien dans le jeu des archétypes, lesquels comportent « non seulement des associations d'idées mais des associations de forces. » Bachelard ajoute .. que l' archétype, plutôt qu'une image, est « une série d'images résumant l'expérience ancestrale de l'homme devant une situation typique.» Derrière les images, il faut toujours penser à ce substrat d'activité, à ces tendances et complexes, à cette énergie en marche, dont elles ne sont que la projection sur l'écran du rêve ou de la rêverie.
. « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. » . ayant plusieurs sens pour recueillir les stimuli du monde extérieur, nous n'avons par contre pour répondre à ces sollicitations diverses qu'une seule et même motricité : on conçoit dès lors que des sensations provenant de divers sens soient éprouvées comme analogues lorsqu'elles éveillent au fond de nous l'amorce d'une réponse motrice analogue, lorsqu'elles nous dictent une semblable attitude intérieure.
De même, si l'on est en droit de parler d'une hérédité des archétypes, c'est bien encore au schème moteur de ceux-ci qu'il faut songer, plutôt qu'à l'image même. On conçoit alors que les images puissent se moderniser, que des images neuves, empruntées à une technique récente, puissent enrichir les systèmes symboliques traditionnels. Ainsi Kurt .. fait d'une auto fermée où il se calfeutre, un symbole du sein maternel. Ainsi le dirigeable, l'obus, sont devenus des symboles phalliques des plus courants. .. l'animus .. s'incarne volontiers .. dans le personnage de l'aviateur, .. du skieur. .la panne d'électricité, (ou du cinéma brusquement éteint) .. brusque faille de la surveillance consciente : à la faveur de quoi c'étaient des éléments très refoulés ou refusés qui surgissaient immédiatement. Exemple : une jeune fille aime un jeune homme de condition modeste ; son père ambitionne pour elle une situation plus élevée, inconsciemment elle se révolte avec indignation .. refuse de participer à un bal select où son père songeait à lui faire faire des connaissances. Mais est-elle aussi insensible qu'elle veut le croire au prestige des hautes sphères ? De fait, elle rêve du bal, et au cours de celui-ci, à la faveur d'une panne d'électricité, elle est enlevée par un prince d'Orient. (.. l'humour offrirait ici un parallèle au rêve : Sept conseillers municipaux dont l'un était un paysan que l'on prétendait tenir pour mal dégrossi .. sont à dîner. On leur sert huit pigeons ; chacun prend le sien ; il en reste un. Ils se l'offrent mutuellement et le reusent tous, avec une politesse exquise. Soudain, panne d'électricité. Un cri de douleur. L'électricité se rallume et que voit-on ? La main du conseiller paysan posée sur le pigeon, et les six fourchettes des autres convives piquées dans cette main.) Allons-nous faire de la panne d'électricité un archétype ? Pas plus certes que du dirigeable ou du skieur. Ce qui importe plus que l'image, c'est la fonction de l'image, c'est le dynamisme qui la porte, c'est la situation dont elle est le résumé ou le signal.

.. nous voyons nos sujets reproduire, de leur propre fonds, les images des mythes antiques et archaïques avec une fidélité impressionnante, et l'on s'aperçoit alors que ces mythes et ces images, dans leur constance comme dans leurs variations et transitions, constituent un langage singulièrement précis et nuancé, bien propre à caractériser les moments d'une réalité psychologique en devenir. Il arrive alors que le mythe éclaire le cas par son lumineux symbolisme, mais aussi que le cas nous aide à saisir certains traits de la psychologie du mythe.
Voici une jeune fille affectée d'un fort complexe de Diane. La féminité sous toutes ses formes a été d'abord refusée. Les règles sont à peu près inexistantes. Vers la puberté, cette jeune fille a subi le prestige de la blouse blanche de l'infirmière, surtout parce qu'on la distinguait à peine de celle du médecin. En outre, dans son imagination, ce blanc asexué s'opposait au P.201 rouge des règles et signifiait virginité. Elle s'enferma symboliquement dans la blouse blanche, et entreprit des études de médecine. Au moment de l'analyse, un mariage est en vue ; la situation complexuelle commence à se modifier, et la tâche de l'analyse est d'aider cette évolution. Les études sont spontanément abandonnées, les règles commencent à se manifester plus normalement, la féminité et la maternité à être acceptées. Alors apparaît un rêve où un personnage pratique d'abord une circoncision rituelle, à la manière juive ; puis il touche la jeune tille, à la suite de quoi elle voit qu'il lui a poussé de nombreux seins ; toute la partie « frontale» de son corps en est couverte. Le début du rêve paraît rappeler, .., la fantaisie de castration (circoncision) qui était à la base de la revendication de virilité caractéristique du complexe de Diane ; la fin imaginait, dans une sur-maternité, dans une sur-fécondité, une nouvelle compensation plus conforme à la vocation féminine. Or dans cette image en Iaquelle elle s'incorporait, la jeune fille réinventait la Diane d'Éphèse aux nombreuses mamelles.
.. aux yeux des mythologues, la Diane d'Éphèse n'est pas une véritable Artémis, mais bien plutôt une variante de Déméter, la Grande Mère. . La jeune fille, qui ne sait rien de ces discussions, sait peut-être, à sa manière et implicitement .. on dirait du moins qu'elle retrouve la transition psychologique du complexe de Diane à la Grande Mère. (Il arrive qu'une Diane, acceptant le mariage, entre dans le rôle maternel avec une fougue agressive et se plaise à arborer une progéniture nombreuse, comme une sorte de défi.)
.. une intelIectuelle, plus âgée .., plus fortement installée dans le célibat et dans le refus de la féminité, du corps, des servitudes naturelles. Au moment où ce refus commence à se détendre paraît un rêve où elle se promène avec sa sour cadette (qui dans plusieurs rêves figurait nettement son corps). Elles parcourent des montagnes, des forets, un paysage un peu fantastique, inquiétant, où il y a des bêtes parmi les arbres, notamment un grand ours noir. Elles fuient toutes deux. Alors elles font une rencontre saisissante ..: c'est un attelage de tigres qui s'avance. Ces tigres ont d'ailleurs quelque chose d'humain. Ils tendent à la sour cadette une gourde pour qu'elle se réconforte. La sour aînée lui dit : « Attention ! N'en prends pas trop ! » Les hommes-tigres disent : « En effet, c'est de l'alcool », car si les hommes ordinaires boivent du vin, les hommes-tigres s'abreuvent d'alcool.
Ce curieux attelage, sans commune mesure avec aucune expérience vécue, sort directement du mythe . Les associations de cette séance traitent avec insistance de la nature, que cette personne cultivée, qui lit les poètes, avoue, un peu à sa confusion, ne pas aimer ; plus exactement, elle en a peur ; . elle dit « j'ai une âme citadine» ; . dans la campagne, dès que la nuit tombe, elle est saisie d'un sentiment inconfortable. Tout le contexte associatif tourne autour de cette peur de la nature et de ses grandes forces obscures et inquiétantes. (Dans des cas semblables, l'analyse freudienne met volontiers en évidence des traumatismes infantiles tels que la rencontre d'un exhibitionniste dans des parages broussailleux, au crépuscule. Le traumatisme peut être l'occasion du réveil du mythe ; mais il serait absurde de réduire celui-ci à celui-là.) Il apparaît bientôt que cette peur est un autre nom de la peur du corps, de l'instinct. . cette peur se détendant, la personne se confrontait avec une image mythique significative de la Nature. Mais ce terme est trop abstrait ; le mythe est certainement plus concret, plus précis. Seulement on peut hésiter entre deux figures mythiques. Est-ce .. une rencontre de la Grande Mère, de cette Cybèle-Déméter, qui hantait précisément les forets et les montagnes, - qui avait certains de ses temples dans les forêts, - qui était escortée par les bêtes sauvages et dont le char était traîné par un attelage de lions ? Ou ne s'agit-il pas plutôt d'un autre cortège sauvage, celui de Dionysos-Bacchus, comme les allusions explicites au vin et à l'alcool le laisseraient penser ? Cette hésitation peut sembler un instant décevante. Mais le plus curieux est qu'elle est inscrite dans l'histoire même des mythes ; les deux cultes de Cybèle et de Dionysos sont apparentés - comme le pain et le vin ! - même se contaminent l'un l'autre. Cybèle avait son cortège de corybantes qui pratiquaient la flagellation et l'orgie, et ressemblaient fort aux bacchants et bacchantes. Dans les grandes Eleusinies, fêtes de Déméter, était portée en tête du cortège une statue d'Iacchos, nom mystique de Dionysos ; enfin on a été jusqu'à penser que Sémélé, la mère de Dionysos, est une variante de Zémélo, la Terre-mère phrygienne. La rêveuse P.203 .. n'avait-elle pas, de son propre fonds, recréé cette synthèse des deux grands mythes de la fécondité enivrante ?
. elle n'entendait pas s'abandonner sans réserve à tant de forces redoutables, « Attention ! n'en prends pas trop ! » Son « âme citadine » prétendait à un accord, à une synthèse entre les lois : la cité et les exigences de la Grande Mère. En quoi d'ailleurs elle rejoignait encore le mythe, qui représente Déméter avec la couronne crénelée, symbole de la cité ; et peut-être cette séance d'analyse nous aiderait-elle à comprendre en profondeur ce détail d'une image où l'humanité antique paraît avoir inscrit son souci d'équilibre : nature et culture.
Jung et ses élèves nous ont donné de nombreux exemples de ces interventions des figures mythologiques dans les rêves de l'individu. . En 1906, il rencontre un dément précoce qui prétend voir un tuyau partant du soleil et qui explique par là l'origine du vent ; or c'est en 1910 seulement que les savants exhumèrent un texte grec, relatif à la liturgie de Mithra, et qui rend compte de la production du vent par le phallus solaire. . Il analyse longuement des cas où l' « animal spinal » prend la ressemblance du dragon et comporte des allusions diverses au thème mythique du héros entrant en lutte avec le dragon. Il s'agit d'un mythe fondamental, celui du héros, dont Ranck a étudié un aspect important (l'engloutissement et la nouvelle naissance du héros), dont nous avons démontré la présence dans la substructure des grandes épopées de tous les temps et où Freud, du premier coup d'oil, avait cru reconnaître le mythe par excellence, celui à partir duquel tous les autres irradient.
. cette situation privilégiée d'un mythe qui est étroitement apparenté au complexe de la naissance, pourrait rendre compte des succès de la méthode de Rank qui .. recommande de commencer l'analyse par le « traumatisme de la naissance ». Faut-il dire traumatisme ou faut-il dire complexe ? . elle commence par le plus ancien, mais par le plus central . il faut un ordre dans l'analyse, mais .. plusieurs ordres sont possibles : l'important .. est de relier chaque exploration nouvelle au matériel précédemment acquis ; or cette liaison ne saurait avoir lieu que selon un tracé conforme à la carte des complexes. .. si l'on s'installe d'emblée dans un complexe central, qui entretient les rapports multiples avec tous les autres, on se place dans des conditions favorables pour établir, de toutes parts, cette liaison. .. importance thérapeutique de ce thème naissance-héros . voies modernes . démarche des antiques thérapies cultuelles si unanimes à mettre en ouvre ce thème dans leurs grands et petits mystères.
Il faut bien voir enfin que l'identification du sujet à un personnage mythique ne se produit pas seulement dans le rêve ; elle commande des conduites ; nous avons parlé alors d'incarnation des mythes. . complexes d'Odipe .. de Diane. Et la mythologie a été maintes fois appelée au parrainage de complexes plus particuliers. .. des sujets vivent le mythe du héros solaire à leur manière - celle, mutatis mutandis, des grands conquérants - et d'une manière parfois catastrophique (« Où la vertu d'humilité reprend ses droits »). Car si le mythe peut être salutaire à sa place, il peut aussi intervenir à contre-temps et entraîner tous les dangers d'une confusion entre l'ordre du symbole et celui de la réalité : d'où la nécessité d'une psychagogie du mythe.
Les psychanalystes, qui manient bon gré mal gré les archétypes et les mythes, doivent être, plus que d'autres, avertis des propriétés de ces substances dangereuses. Ils n'ont communément pas encore assez remarqué que l' « inconscient » lui-même est la dénomination moderne d'un archétype redoutable, le même qui apparut à travers les âges sous les diverses figures du « mystère» P.205 de l' « au-delà », de l' « occulte » et qu'il éveille spontanément toute une conduite associée à ces figures : la conduite précisément des « mystères » antiques, éleusiniens, ou autres, celle ..des ésotérismes. Il faut, croyons-nous, descendre que-là pour rendre compte de ces intolérances, de ces façons d'initiés, de cette facilité à jouer de l'excommunication . livrés surtout à un archétype qu'ils n'avaient pas reconnu, et qui déployait à travers eux, sans contrôle, les conduites qui lui sont propres ?


XIII. Le moi et ses partenaires. Le primitif (Es) et le surmoi ; la persona, l'ombre et le soi ; l'automate

.
l'automate. . en face du soi, qui est « plus moi que moi », ne conviendrait-il pas de placer, symétriquement aussi par rapport au moi, un certain pôle de pure objectivité ? Inversement au mouvement par lequel le moi s'approfondit dans le soi ( « processus d'individuation » de Jung ) ne peut-on pas concevoir un mouvement par lequel le moi fuit devant lui-même dans l'objet, ne se voit plus lui-même que comme une chose, se désintègre, pourrait-on dire, dans la chose ? .
. un jeune homme d'une vingtaine d'années qui commençait des études techniques, mais dont la personnalité se trouvait singulièrement inhibée, en partie, semblait-il, par suite d'une éducation d'enfant unique à qui, à force de sollicitude, on se trouvait avoir interdit toute affirmation de soi. Il assurait ne rêver jamais et n'avoir jamais rêvé. ( Je pus lui dire : « Tu n'oses pas. » ) Si je lui demandais de rêver éveillé, il discutait. Si je l'engageais à écrire une composition française de son invention, il disait : « Je consulterai quelques livres et je mettrai bout à bout les pages que j'y trouverai à mon goût. » Si je l'invitais enfin à imaginer une histoire et l'y engageais en ces termes ; « Il y avait une fois. » il regardait autour de lui et répondait : « Non, il n'y avait pas. Il y a un bouquet de roses sur cette table. » La faculté d'observation était d'ailleurs développée à un degré rare, mais le refus de la subjectivité était total ; la subjectivité était même inconcevable. Notons que l'intelligence, qui, d'après les tests, aurait dû être fort bonne, se trouvait elle-même paralysée dans son rendement par cette interdiction de toute invention. Après quelques séances peu fructueuses, le jeune homme se réfugia un moment dans la tuberculose ( Faut-il suggérer que ce détour par le corps était nécessaire, dans l'impasse où ce sujet était placé par son « objectivité » pour réveiller sa personnalité ?), d'où cet enfant sage sortit au bout de quelques mois en faisant une crise de révolte violente contre ses parents : il commençait à s'affirmer.
Nous pouvons dire qu'un tel sujet était fixé au pôle de l' « objectif ». Sous une forme moins accusée, n'est-ce pas là une disposition que nous rencontrons, à divers degrés, chez les hommes P.225 dits « positifs » et que la mentalité occidentale actuelle favorise singulièrement ? . C'est l'homme qui, s'il a le malheur de vouloir devenir psychologue, sera un behavioriste forcené ; en sociologie, il considérera « comme des choses » non seulement les faits sociaux, mais les hommes mêmes et pratiquera cette « démission de la personne » . Enfin, dans la vie pratique, il tendra dangereusement au « robot ». Bernanos a montré .. comment il est dans la logique de la civilisation objective des « techniques » de transformer l'homme en « robot».
Nous pouvons saisir, en clinique psychologique, des situations où ce passage de l'objectif à l'automatique s'accuse. Une patiente, dominée par des tendances auto-destructrices qui s'expriment aussi bien chez elle par la culture intentionnelle de la maladie (tuberculose), par l'idée consciente du suicide, et par des fantaisies d'avilissement, se voit dans un rêve sous la forme d'une lampe de chevet qui peu à peu s'anime et se transforme en une femme-robot aux gestes mécaniques ; dans un rêve de la même période, apparenté au précédent, elle se voit sous les traits d'une femme décapitée, pas tout à fait morte, dont le corps tient encore à la tête par un fil ; ce qui établit une relation entre la décision désespérée de s'automatiser et la mutilation classique .. l'être décapité fait songer à ces animaux d'expérience, non point morts mais décervelés et qui continuent une existence d'automates. .. Héra, dans le Printemps Olympien de Spitteler : Lorsqu'elle a reçu le choc mutilant que lui fut la rencontre de la Mort et de son couteau, elle perd le goût de la vie et lasse de vains remèdes, ne sait plus que répéter obstinément : Ich will zum Automat. ..elle se met en route, par un paysage apocaIyptique hanté de néant, à la recherche de l'Automate.
Recueillant des souvenirs d'enfance .. j'ai rencontré des images où l'enfant est saisi par un sentiment de la répétition qu'il imagine indéfinie de certains actes : le monsieur qui tousse toujours, la dame qui pleure toujours, le cordonnier qui, dans son sous-sol, fait éternellement les mêmes souliers : ce qui d'une part a tout l'air de rejoindre un substrat mythique, celui des supplices infernaux - rocher de Sisyphe ou tonneau des Danaïdes - et ce qui, d'autre part, se trouve curieusement associé à tel souvenir explicite d'automate : une certaine sourde qui, en guise sonnette, avait chez elle des pantins qui gesticulaient dès qu'on tirait le cordon.
Aussi sommes-nous tenté de garder le terme d'automate (« Nous sommes automate autant qu'esprit. » PASCAL) pour désigner ce personnage qui hante les rêveries de l'humanité, qui s'incorpore dans l'image des divers « robots » - pain-bénit de la technique moderne - mais qui rejoint aussi des mythes millénaires : car il s'agit d'une partie de l'homme que l'homme connaît bien : celle où il démissionne (« Beaucoup d'hommes cherchent dans leur profession et dans leurs affaires non pas un moyen de parfaire leur tâche d'homme, mais un refuge contre les remous de la vie affective. Leur réussite, si grande soit-elle, garde alors quelque chose de sec et de stérile ; elle fait songer au rendement théorique d'un excellent moteur qui n'embrayerait jamais avec rien. Au milieu de ses occupations, l'homme qui a éliminé l'amour de son cour est particulièrement exposé au danger d'oublier ce qui fait la valeur d'une existence personnelle ; il risque de se transformer lui-même en machine. Dr André BERGE), où il cesse d'être homme, et où l'immuable déterminisme reprend les rênes. C'est en cette région que s'enracine le principe de répétition reconnu par Freud, tandis que le principe de plaisir est l'expression des pulsions du primitif'. Elle touche d'un coté au primitif même (au es de Freud) de l'autre à la persona de Jung (car le masque lui aussi impose des automatismes et des tics). En bref, elle participe du biologique et du social, mais se trouve aux antipodes de toute vie intérieure créatrice. Karen Horney .. traite de la « peur de la liberté », .. parIe d'un « conformisme d'automate ».

Ainsi le sujet, devenu exclusivement « objectif » nous fournit le type d'un homme positif, sceptique, à l'imagination raidie et P.227 comme calcifiée ; à la limite il tend à devenir un automate désenchanté (type 1). .. on peut concevoir qu'en déplaçant son centre de gravité vers telle ou telle autre des « instances » , le sujet s'oriente vers certains types humains assez définis et c'est le primitif (es) qui reçoit l'accent, on voit fort bien se dessiner le type d'un jouisseur, d'un brutal, d'un fougueux (type 2) ; si c'est la persona, s'agira d'un personnage qui joue avant tout son rôle dans le monde, se montre sociable, se fait valoir, use de fards divers, tient à plaire (type 3) ; si c'est le surmoi, ce sera un homme d'ordre et de principes, conservateur et autoritaire, susceptible de devenir un chef (type 6) ( Le « chef », selon le Dr Henri ARTHUS, serait celui qui s'identifie à l'image du père, source de toute autorité.) ; si c'est le soi, l'orientation sera celle d'une réalisation en plénitude, soit dans le sens olympien d'un Gothe, soit dans le sens des mystiques (type 7). S'il s'agit de l'ombre, moins définie par nature, le problème se complique. L'ombre étant ce que le sujet a refusé d'être, on ne voit pas très bien : que cela peut sIgnifier de dire que le sujet porte l'accent sur l'ombre, ou s'identifie à elle : n'est-ce pas même une contradiction ? Mais aussi bien dans le monde affectif, la contradiction a cours, elle se nomme ambivalence. Le sujet pour qui l'ombre prend une importance dominante semble devoir être alors essentiellement ambivalent. Dans la mesure où l'angoisse est liée à l'ambivalence, ce pourra être un anxieux. Ce sera l'homme qui demeure fasciné par ce qu'il refoule, et comme visité de son propre fantôme (type 5). Il présentera l'ambiguïté de celui qui plonge dans ses propres bas-fonds avec le souci d'en dégager la valeur qu'avec raison il y sent incluse : ainsi il oscillera du primitif au soi. .. le Baudelaire des Fleurs du Mal, hanté par la « beauté noire », par cette mulâtresse, Jeanne Duval, en laquelle il personnifie son ombre ou son « anima » obscure ? Rappelons .. David, avec ses deux rêves de la bête noire et du professeur nègre, correspondant aux deux aspects de l'ombre et sa projection de celle-ci sur les femmes du type Joséphine Baker. (Michel FORDHAM rappelle que la sorcière, c'est le côté sombre de la mère ; mais il observe que ce n'est pas un personnage purement négatif ; elle a bien plutôt l'ambivalence de tout ce qui appartient à l'ombre ; derrière son aspect médiéval, on découvre, dans l'antiquité, son caractère de « porteuse des vieux rites de fécondité » qui sont liés à la lune et à la divinité lunaire ; elle-même ambivalente - claire Diane et sombre Hécate.) Quant au sujet enfin qui réussirait à maintenir l'accent sur le moi, à égale distance de tous les partenaires, ne nous donnerait-il pas l'exemple de l'homme intelligent et habile, bien adapté, aux énergies disponibles, mais peut-être aussi peu exposé à la sublimité qu'à la chute (type 4) ?
. toutes les « coupes » que nous avons envisagées touchent des réalités, qui ne se recouvrent pas. .. susceptibles de nous orienter dans la complexité de l'humain, et d'autant mieux que nous les aurons situées elles-mêmes les unes par rapport aux autres, selon leur voisinage et leurs empiétements. .
. nous croyons en outre pouvoir préciser la signification de chaque instance en lui faisant correspondre un principe de comportement (dans le sens où Freud a parlé des principes de plaisir, de réalité et de répétition). Par là, nous indiquons .. comment les mêmes faits peuvent être traduits dans les deux registres de l'introspection et de la conduite ; ici comme partout ailleurs, nous pensons qu'il n'y a pas lieu de substituer l'un des registres à l'autre, mais que leur confrontation est toujours enrichissante.

Tripartition de Pascal (Stocker) Instances Principes de comportement

COUR 7. Soi ( de Jung) Autonomie
6. Surmoi (de Freud) Autorité
5. Ombre ( de Jung) (Double de Rank) Ambivalence
ESPRIT 4. Moi (de Freud et de Jung) Réalité
3. Persona ( de Jung) Adaptation
CORPS 2. Primitif (Es de Freud) Plaisir
1. Automate Répétition P.229


XIV. Les personnages et les types. Contribution à la caractérologie

.
Lorsque la psychanalyse étudie le caractère - dans le double souci d'ailleurs de le connaître et de le modifier - il est naturel qu'elle l'aborde à travers l'examen des complexes et qu'elle tende à définir les types de caractère en termes de complexes dominants. . un des premiers types ainsi définis fut le caractère « sadique-anal » . cette idée paradoxale et profonde, que le caractère, loin d'être synonyme de la nature, est aux antipodes de celle-ci, qu'il est bien plutôt une « cuirasse» contre la nature : le sujet timide ou pudique combat des tendances à l'exhibition ; l'obséquieux est un insolent qui s'ignore, et Freud n'avait-il pas déjà observé que certains des plus farouches « protecteurs d'animaux» ont été des enfants sadiques ? Il ne faut pas pousser trop loin cet instructif paradoxe ; mais il ne faut pas l'oublier. Qu'il suffise en rattachant les caractères aux complexes, de se souvenir que ceux-ci sont « des nouds d'impulsions et d'inhibitions » et que les dernières n'y sont pas moins importantes à considérer que les premières. Aussi avons-nous suggéré de fonder sur un même complexe deux types de caractère opposés - positif et négatif- selon que domine l'impulsion ou l'inhibition, la pulsion ou la formation réactionnelle ; ainsi, en face du type sadique-anal positif (en extraversion ?): malpropre, grossier et cruel, se situe son négatif : méticuleux, scrupuleux, ami de l'ordre et de la propreté (Etant bien entendu que les extrêmes se touchent et peuvent se combiner. Par exemple, une « manie » d'ordre et de propreté se montrera nettement agressive et dissimulera mal le besoin sadique de tourmenter et d'exaspérer l'entourage.) ; en face du type spectaculaire positif, adonné aux diverses formes de l'exhibition, le type spectaculaire négatif, qui se distingue par sa timidité ou sa réserve ; en face du type sevrage positif, qui se reconnaît à l'exigence et l'avidité, le type sevrage négatif, qui boude les biens de ce monde, et pratique la restriction des désirs (Lucrèce).
. au delà des complexes freudiens, les complexes autonomes de Jung, ces noyaux qui se manifestent dans les « personnages oniriques, ces archétypes que le mythe personnifie, et enfin les grandes synergies ,.. nommées les « partenaires du moi ». Sur la dominance des uns ou des autres, sur les « incarnations » de tel ou tel mythe, ne pourrons-nous pas voir se construire divers caractères aux physionomies accusées ? .
Une telle caractérologie qui dessinerait, si l'on ose dire, ses types d'après les archétypes, qui fonderait sur le mythe, aurait .. l'avantage de ne pas procéder de vues abstraites de l'esprit, indéfiniment modifiables et révocables, mais de tabler sur du concret psychique, sur des données immédiates. . aux yeux de Jung, l'archétype est précisément « un cas particulier du pattern of behaviour familier au biologiste.»
.. les schémas intellectuels eux-mêmes, par lesquels le psychologue aventuré dans ces régions essaie de résumer son expérience, risquent d'être nourris, qu'il le sache ou non, de cette matière « archétypique » qu'il ne peut pas manquer d'avoir touché . P.231
. les « instances» freudiennes .. distinguent des « personnages » de Jung par leur caractère de notions abstraites. Et cependant ? Envisageons le surmoi. Freud, en le nommant, put croire qu'il ne faisait que formuler une notion, et avec toute la part de convention que cet acte intellectuel comporte ; en réalité, il a bel et bien touché un archétype, que les sujets, et même les moins prévenus du système, rencontrent comme une réalité massive et surplombante de leur monde onirique. David .. le rencontre sous la forme suivante : Lors d'un petit


XV. L'accord avec le groupe. Psychanalyse et sociologie. Passage à l'éthique sociale

XVI. L'accord intérieur. Passage à l'éthique personnelle

Le schéma de la contrainte sociale agissant à travers le surmoi ne saurait rendre compte de toute la vie éthique.
On découvre chez certains sujets une culpabilité inconsciente d'autant plus profonde qu'elle ne peut se formuler en désobéissance à des consignes définies, mais qu'elle paraît frapper l'acte même d'exister. Elle se présente notamment chez des personnes qui savent avoir, en naissant, coûté la vie à leur mère, ou qui savent que leur venue au monde n'avait pas été désirée par leurs parents. On dirait parfois que ces dernières, notamment, n'osent pas prendre leur place dans la vie ; on a même cru observer que cette attitude s'exprime physiquement dans certains cas par une singulière maigreur, résistant à toutes les cures, et qui ne commencerait à céder qu'après une psychanalyse. On peut parler, ici encore, d'un surmoi, mais troublé du fait que les relations avec le « toi» des parents ont été elles-mêmes perturbées. Certains signes laissent cependant penser que ces cas ne font que présenter, sous une forme exacerbée et exceptionnelle, une situation beaucoup plus commune. On dirait qu'il y a vraiment, chez l'individu, une sourde culpabilité à s'affirmer comme être indépendant, et cela se conçoit mieux si l'on observe les sociétés primitives dont les membres ont un « nous », pourrait-on dire, avant d'avoir un « moi » et chez qui le groupe n'autorise guère l'affirmation individuelle. On dirait que celle-ci doit être rachetée par des engagements envers le groupe, par un « dévouement ». Mais à une certaine profondeur, le phénomène paraît avoir, au-delà de sa signification sociale, une signification biologique ou, si l'on veut, cosmique. .. iI semblerait qu'on va rejoindre cette culpabilité fondamentale d'exister que Schopenhauer postulait, et identifiait d'ailleurs au péché originel de la théologie. . c'est comme si l'être se sentait tenu de restituer son être à ce monde dont il le tient. . La conviction intime que trop de bonheur, trop de chance, trop de puissance, doit nécessairement se payer, car les dieux jaloux réclament, procède aussi de cette source. (C'est le complexe de Polycrate .) Le même sentiment s'exprime d'ailleurs par le devoir de « croître et de multiplier» mais conçu plutôt Comme celui de donner sa propre substance aux enfants qui sortent de vous et d'accomplir de cette manière la restitution. On dirait que c'est l'instinct lui-même qui devient ici instance morale, comme si la culpabilité résultait alors non plus d'une tension entre le moi et le surmoi, mais plutôt d'une tension entre le moi et le primitif. .
.. l'instinct « génital » - sexuel ou maternel - comporte une part de « générosité» naturelle, modèle des générosités spirituelles. Il est le premier à commander, chez l'animal même, un sacrifice de l'individu à l'espèce ; prototype de tout autre P.269 sacrifice. Ainsi l'on dirait que la culpabilité atteint le moi, toutes les fois qu'il outrepasse ses limites, dans un sens ou dans l'autre. Il pèche lorsqu'il s'élève contre le surmoi, mais aussi lorsqu'il se retranche contre la « générosité » primitive ; dans un cas, il, se rend coupable envers la société, dans l'autre envers la nature. .

.. la culpabilité qui peut frapper le moi ne se laisse pas définir en fonction du seul surmoi. A vrai dire il nous semble que le moi peut se sentir coupable, de quelque manière, à l'égard de chacune des autres instances psychiques, de chacun de ses « partenaires ».
1. Nous venons de voir en quel sens il peut être coupable envers le primitif.
2. En ce qui concerne la persona, la situation est claire. Il ya les sujets dont la sensibilité morale est surtout une sensibilité à l'opinion publique, à l'effet qu'ils produisent sur autrui, à une certaine fidélité à leur propre personnage. Morale superficielle certes mais morale quand même. Les infractions qui lui sont faites laissent des sentiments de gêne, de honte, d'humiliation qui sont bien de l'ordre de la culpabilité. Et il ya dans ce souci d'adaptation, dans ce désir de plaire, un élément d'amabilité, de sociabilité, qui n'est pas sans valeur. La psychologie de la mode et celle du snobisme rentrent dans ce chapitre. Cette morale de la persona comporte même son héroïsme propre .
3. Il est plus étrange de parler d'une culpabilité du moi envers l'ombre. Mais nous avons déjà vu qu'un regret pour le non-vécu peut se teinter de remords.

On sent du gouffre avec reproche remonter
Tout ce qui pouvait être et qui n'a pas été.

. Hugo, le thème du frère sacrifié. Mais .. ce thème, issu des rivalités infantiles réelles entre frères, pourrait être repris « au point de vue du sujet », selon la terminologie de Jung. On reconnaîtrait alors que le frère sacrifié, le Masque de Fer des Jumeaux, .. est aussi une figure de l'ombre, du double, sur le sacrifice duquel le moi a construit sa réussite fragile et sourdement minée.
C. G. Jung a observé avec profondeur que nous avons une tendance à projeter notre ombre sur notre prochain, de sorte que toute conduite envers le prochain se double nolens volens d'une conduite envers l'ombre ; il ose conclure que le précepte évangélique de « se réconcilier d'abord avec son frère » comporte, comme un revers psychologique inévitable, une incitation à nous réconcilier avec notre frère intérieur, avec notre ombre.
4. Il n'est pas jusqu'à l'automate lui-même qui n'élève envers le moi des exigences et qui n'entende être obéi.

L 'habitude est une étrangère
Qui supplante en nous la raison.

Le « principe de répétition » se présente dans bien des cas avec P.271 un caractère d'obligation. N'est-il pas le prototype de toute règle ? .. rituels stéréotypés de la névrose obsessionnelle, auquel le malade ne peut désobéir sans une véritable angoisse de culpabilité. II inspire l'horreur du nouveau ; il confère un carace indiscutable à toute tradition, fût-elle ménagère, de sorte que chaque innovation sera ressentie comme sacrilège. Ces contraintes, pour pathologiques ou ridicules qu'elles soient, n'en ont pas moins, si l'on veut bien réfléchir, une parenté avec celles d'une morale proprement dite, pour autant qu'elle entend émettre des principes intangibles. .
5. Quant au Soi sa qualité d'instance éthique ne saurait être mise en doute . cette notion d'une « personne » plus authentique, qui aspire à se réaliser en nous, paraît bien être la source de la morale la plus haute. .. certains auteurs .. limitent le terme de surmoi à un sens péjoratif, .. la morale du surmoi freudien est bien une morale véritable, mais elle ne correspond jamais qu'à la « morale close » de Bergson. Quand Freud parle d' « idéal du moi », la clôture s'entrouvre et nous nous rapprochons de l' « appel du héros » ; mais la notion d'idéal du moi n'est chez Freud qu'épisodique et tend à se résorber dans celle de surmoi. C'est seulement avec le soi que nous rencontrons une réalité psychologique correspondant franchement à la « morale ouverte », celle de l'aspiration pure. Nous avons en outre rappelé cette définition qui fut donnée de la vocation : la voix du soi se faisant entendre au moi. C'est dire que le soi élève à l'égard du moi une exigence essentielle. II suffit de se souvenir de l'histoire des grandes vocations pour voir combien le moi se sent ici obligé, combien il se sent - à tort ou à raison - malheureux et coupable d'obéir mal aux « voix » - propres ou figurées - qui l'appellent à son destin. Quelles que soient les questions philosophiques posées par les rapports du moi et du soi, ces rapports ont en effet une phénoménologie que nous retrouverons bientôt - et qui se présente bien comme le cheminement d'une réalisation le la personne.
Résumons-nous : le moi peut se sentir coupable à l'égard de chacun de ses « partenaires », de chacune des instances qui ont leur partie à jouer dans l'orchestration de la personnalité. Qu'est-ce à dire, sinon que le moi, qui a une naturelle propension - prométhéenne ou luciférienne - à s'affirmer, est capable d'empiéter de toutes parts, mais est averti de ses empiétements par ce sentiment particulier qu'est la culpabilité ? La fonction de celle-ci apparaîtrait aussitôt comme une régulation, un appel à l'ordre, à l'équilibre, à l'accord. A. Stocker nous dirait, .., qu'il y a culpabilité quand l'ordre du « composé humain» est troublé, et que l' « esprit », aussi bien que par une méconnaissance du « cour » peut pécher par une méconnaissance du « corps» (ce serait alors le péché d' « angélisme » ).
Nous sommes ainsi menés à envisager, au-delà d'une éthique sociale fondée sur l'accord avec autrui, une éthique personnelle fondée sur l'accord avec soi. Ne sommes-nous pas là sur le chemin de cette éthique de la « volonté d'harmonie » que Han Ryner a signée de son grand nom ? « Éthique de la sagesse et non du devoir . elle me libère du dehors et des servitudes. Elle m'épargne la douleur du chaos intellectuel. Elle m'arrache enfin à l'odieuse inharmonie entre ma pensée et ma vie. Elle appelle vertu mon effort pour réaliser de mieux en mieux mon harmonie personnelle ; elle appelle bonheur cette harmonie réalisée ; elle appelle joie le sentiment, dit Spinoza, du passage d'une perfection moins grande à une perfection plus grande. »

Nous avons déjà rencontré ce point de vue de la totalité, de synthèse. Avant même qu'il reçoive une qualification éthique, nous lui avons vu attribuer une signification thérapeutique .. Nunberg et Alexander .. assignent proprement au moi cette fonction de synthèse - d'où l'on pourrait déjà conclure le moi manque à sa tâche lorsqu'il se dérobe peu ou prou à cette fonction. La santé de l'esprit est dans son unité, la maladie psychique dans la dissociation Mais dans la maladie et la dissociation mêmes, observe Alexander, la fonction de synthèse est à l'ouvre et rend compte de certaines formations pathologiques, qui sont à interpréter comme des synthèses manquées ou partielles : ainsi la paranoïa, dont le caractère systématique .. P. 273 offre une construction cohérente en soi, mais désadaptée à l'égard du réel. .. Jung nous a dit de la tendance de tous les groupes psychiques dissociés à « s'arrondir en personnalité » secondaire. .. au cours du traitement, les éléments arrachés au refoulement doivent être au fur et à mesure incorporés dans une nouvelle synthèse, assimilés au moi, et que cette assimilation doit être dosée en fonction de la « force du moi ». ( Entre sa signification thérapeutique, ou de santé, et sa signification éthique, il faudrait envisager la signification de culture, ou de civilisation, qui peut être imputable plus largement à la synthèse . Nous comparions la mentalité allemande et la mentalité française, telles te les deux langues nous les révèlent. La première, à certains égards, est plus primitive, s'accommode mieux de la dissociation ; la seconde, par son souci de cohérence, propose un idéal de synthèse et de civilisation plus exigeant. Mais il faut voir aussi la contre-partie : cet idéal plus exigeant peut être plus difficile à réaliser vraiment, et un certain esprit cartésien ne subsiste qu'au prix d'un refoulement de l'irrationnel : c'est alors une façade de synthèse. Une synthèse-persona qui est obtenue, tandis que l'ombre se charge de l'irrationnel qui a été refusé au lieu d'être intégré. . Un plus haut état de civilisation humaine reconnaîtrait les puissances de l'inconscient comme les premiers mais les intégrerait dans une architecture aussi harmonieuse que celle que le second a su édifier en les refusant.)
Pour autant que la synthèse prend une signification éthique, nous pouvons mieux comprendre la curieuse relation, qui est un fait d'expérience, entre la culpabilité et la mutilation. Il est connu que le châtiment s'exprime, avec prédilection, dans l'inconscient, en termes de séparation, et surtout de castration. . on peut penser que culpabilité et mutilation sont liées psychologiquement dans leur nature intime. Avant même que la mutilation ne réponde à la culpabilité comme un châtiment et une conséquence, elle s'y trouve impliquée comme un attribut. Etre coupable, c'est ne pas se sentir entier, un avec soi. « Je sens deux hommes en moi. » Et l'on peut se demander si la mutilation objective du châtiment effectif n'agit pas ici comme une sorte d'abcès de fixation, en localisant et extériorisant la mutilation diffuse, ce qui expliquerait le caractère de soulagement qui visiblement, se trouve être souvent celui du châtiment. Et par cette voie, nous rejoindrions la psychologie du sacrifice.
Mais une difficulté nouvelle est soulevée, du fait que la même notion de synthèse nous a paru rendre compte de la santé psychologique et du bien moral

 

CONCLUSION ET PERSPECTIVE PHILOSOPHIQUE