Aux premières lueurs du monde derrière un énorme bouleau d'un blanc immaculé, naquit, sur un nid de brindilles, nue comme un verre, Mademoiselle K. Dufongdeyboa. Fille de l'Oïzo Blu Dufongdeyboa et d'une riche et jolie Corneille de la fameuse famille Corneille.

Dame Nature, sa tante, reine du ciel et de la terre était une grande magicienne. C'est ainsi qu'elle fît don à Mademoiselle K. d'un petit corps humain aussi agile et léger qu'une souris et aussi solide que le bec du pic-vert. Sa peau délicate rappelait la douceur du moineau.

Elle déposa dans le creux de son ventre un camélia rouge au cour d'émeraude. Cette fleur précieuse avait le pouvoir de transformer la rage en partage et la douleur en bonheur chez toute personne ayant l'âme suffisamment pure pour la caresser d'un baiser.

Il faut vous dire que lors de la création du monde, Dame Nature qui était la patience même travaillait de concert avec le grand Mac Toy son faux jumeau totalement immature et impatient. Là, où elle distribua méticuleusement aux hommes et à toute forme de vivant de la terre et de l'eau pour vivre, le souffle pour être et la chaleur pour aimer, lui, suscita l'envie d'un coup de tête en jetant une pluie de billets de Lotto à travers les nuages.
Très rapidement la terre, l'eau, le vent et le feu s'achetèrent comme les hommes entre eux. Certains plus envieux que d'autres, formèrent la tribu des grands Chtons sans cesse à la recherche d'objets monnayables.

Pour son grand malheur, un jour où ses parents étaient très très très distraits par leur amour et l'avait laissée barboter dans son nid, l'un d'entre eux flaira le camélia rouge et voulut s'en faire un butin. Il s'approcha de l'enfant et vint lui faire risette. Inquiète de voir un étranger, elle se tint en boule au fond de sa couche. Mais lorsqu'il fit tinter au dessus de son nez ses groseilles d'or et de nacre, elle ouvrit grand les bras pour s'en emparer. Alors, la bouche grande ouverte, le Chton arracha de son ventre la précieuse fleur avec les dents et disparut à jamais. Ne resta au creux de son ventre qu'un pétale rouge et heureusement un morceau de son cour d'émeraude. La petite poussa un cri de douleur si terrible qu'il déclencha un tremblement de terre. Et elle s'enfuit affolée jusqu'à ce qu'elle se perde au fond de la forêt.
Elle grandit aux côtés d'un vieil ermite, n'ayant pour seul bien que quelques groseilles d'or et de nacres et les quelques brindilles qui formaient sa couche, modeste souvenir de ses parents. Et elle garda pour témoin de sa rage intarissable, une voix tonitruante, bien pire encore que celle du tigre affamé. Mais la voix de l'ermite était douce et son enseignement bénéfique. Mademoiselle K. Dufongdeyboa apprit à parler comme la Corneille, à créer comme l'Oïzo Blu et rebondir comme le tigre. Avant de fermer les yeux à jamais, son guide lui offrit son vêtement et trois de ses cheveux blancs aussi longs que lui-même.

Et de son dernier souffle, au creux du ventre de Mademoiselle K., il posa un baiser sur ce qu'il restait du Camélia rouge qui repoussa aussitôt, bien qu'en une fleur un peu plus petite. Mademoiselle K. couvrit l'ermite de terre, fît de ses trois cheveux blancs un corsage et enfila les habits de son maître. Elle s'apprêtait à nouer son ceinturon lorsqu'elle sentit une sorte de gène. A l'endroit précis où se trouvait le camélia rouge, elle ressentit comme une boule de feu qui devint lourde, encombrante. Puis elle eut la nausée. Une nausée telle qu'avec violence, elle arracha de ses propres mains le camélia rouge, se ceintura et noua la fleur à son corsage sur son sein gauche. Pour la première fois, vêtue, elle quitta la forêt pour rejoindre le monde des Chtons afin d'insuffler avec l'agilité et la légèreté de la souris, la solidité du bec du pic-vert, la voix, la souplesse du tigre et la douceur du moineau le partage et le bonheur de Dame Nature, un camélia rouge à la boutonnière.


L'aube pointait son nez pointu lorsque Mademoiselle K. atteignit l'orée du bois. La forêt avait beau regorger de couleurs de soleil en cet automne naissant, miss K.eut mal aux yeux de tant de lumière en même temps dans un espace si grand. De la flaque de boue dans laquelle pataugeaient ses pieds, à la fumée filant des maisons gigantesques jusqu'au ciel sans bornes, tout absolument tout était plongé dans la lumière. Et Mademoiselle K., pour la première fois, quittait la forêt pour rejoindre le monde des Chtons afin d' insuffler avec l'agilité et la légèreté de la souris, la solidité du bec du pic-vert, la voix, la souplesse du tigre et la douceur du moineau le partage et le bonheur de Dame Nature, un camélia rouge à la boutonnière. Et à première vue, mis à part le chemin de terre qui menait à ce nouveau monde, rien, absolument rien ne correspondait à ce qu'elle avait connu. Un caillou gris tout plat et sans bornes recouvrait le sol. Les Chtons étaient-ils plus nombreux que les termites pour habiter autant de maisons faites de cette même sorte de caillou et s'élevant plus haut que les plus vieux sapins? Mademoiselle K. était très inquiète. Pour se rassurer, elle se mit à courir vers ce monde inconnu de plus en plus vite en faisant des bons de plus en plus grands. N'était-ce pas comme cela qu'elle avait fuit le jour où elle avait vécu la peur de sa vie et sa plus grande douleur? Souvent, les jours d'hiver, elle se sentait propulsée vers l'avant par l'envie de fendre le froid cassant. Elle devenait alors le vent même et ne le sentait plus jusqu'à ce qu'elle rentre chez elle. Alors, devant le feu, elle retrouvait la sensation de ses joues, de son nez, son cou, ses bras, son ventre ses jambes et, bien après ses mains et ses pieds. Et puis surtout, l'ermite lui racontait des histoires de sa voix lente et grave qui lui faisait fondre le cour et les oreilles.
Mais à cet instant précis, filant vers l'inconnu, elle avait froid au cour et l'ermite était loin. Plus elle avançait, plus elle se sentait envahie par un bruit sourd. Des abeilles? Une nuée de perruches? Des éléphants? Un troupeau de buffles en panique? Qu'est-ce qui pouvait faire autant de bouquant? Et puis la peur, le froid, le froid, le doute, le doute, le bruit, sa tête et son cour qui se vidait et qui battait comme cymbale et qui résonnait comme coups de mortier sans grains. Le chemin de terre débouchait sur un chemin recouvert du grand caillou gris et plat. Il était entouré d'un rang serré de ces maisons géantes qu'elle avait vues de loin. Elles étaient plus hautes et larges que jamais. Elle s'arrêta net et laissa glisser son regard écarquillé de bas en haut et de haut en bas. L'ermite était loin mais pas son enseignement. Il savait qu'elle devrait le quitter un jour, lui et la vie dans les bois. Il lui avait donc appris le langage des Chtons. Elle pu lire sur une petite plaque de fer bleu « Piétonnier de la source » et plus bas, « Cité du Clairmont ». La nuit tombait. Elle fût surprise de voir apparaître, comme par magie, des trous de lumière au travers desquels des ombres d'animaux s'agitaient. Etaient-ce eux les grands bruyants? En y regardant de plus près, elle constata que leurs ombres ressemblaient à la sienne. Mais bizarrement, certaines ombres portaient un pantalon avec deux morceaux de tissu pour chaque jambe comme elle et d'autres deux pièces de tissu seulement pour les deux jambes à la fois. « Mais comment font-ils pour courir ces animaux là? » se demanda-t-elle. Elle se rapprocha des fenêtres pour les regarder de plus près. Lorsqu'elle vit briller au cou de l'un d'eux de petites boules d'or et de nacre elle sentit, à nouveau, son ventre se déchirer. Elle comprit dans l'instant qu'elle était en présence des Chtons. Ils étaient partout. Elle courût comme jamais jusqu'à ce qu'elle tombe devant une petite fontaine dans laquelle elle plongea son visage.

Lorsqu'elle releva la tête, elle découvrit trois jeunes filles rayonnantes taillées dans la pierre. L'une était accroupie, la seconde était assise et la troisième étalée de tout son long. Chantante, l'eau sortait d'une vasque en jet continu. Elle coulait dans les mains de la première qui semblait murmurer « Assieds-toi ma douce. Tends les mains. Rafraichis-toi. Notre eau est la tienne, la source de vie. » Mademoiselle K., apaisée s'assit et tendit les doigts. Elle sentit une tiédeur délicate parcourir ses doigt, ses mains, ses bras, ses épaules et tout le reste de son corps jusqu'aux orteils comme un sang neuf. L'eau coulait dans la nuque de la seconde qui lui souffla à l'oreille: « Penche la tête, ma douce. Ferme les yeux. Détends-toi. Notre eau est la tienne, la source de vie. » Et elle sentit dans le creux de son cou une chaleur presque brulante qui se diffusa comme une caresse sur toute sa peau le long de ses épaules, de sa nuque, de son dos, de ses fesses, ses jambes jusqu'au coup de pied comme un sang neuf. L'eau coulait avec force dans la bouche de la troisième. Haletante et faisant claquer sa langue, celle-ci glouglouta: « Couche-toi ma belle. Ouvre large ta bouche et abreuve-toi jusqu'à plus soif. Notre eau est la tienne, la source de vie. » L'eau fraîche tinta sur ses dents et lui fît claquer la langue de plaisir. Elle coula à flot et la remplit d'aise de la gorge au creux de son ventre. Elle sentit battre son sang à travers toute sa chaire et bien au delà. Alors, les trois jeunes filles d'une voix claire lui glissèrent au cour : «Ouvre les yeux Mademoiselle K. Lève-toi et marche droit. Tu es source de vie. Notre eau est en toi. » Mademoiselle K. eut beaucoup de mal à quitter ses nouvelles muses. Mais elle se sentait forte et prête à suivre leur conseil.

Elle décida d'aller vers sa destinée: aller à la rencontre des Chtons pour partager avec eux le bonheur de Dame Nature. Elle marchait, confiante, quant elle rencontra un monstre de fer qui faillit l'écraser et s'arrêta net. Il en sortit un Chton qui lui rugit à la figure avec des noms inconnus. « Putain, l'extra-terrestre, t'es conne ou quoi? Les trottoirs, c'est pas pour les chiens! » Il désigna sauvagement le bord de la rue, rentra dans le monstre de fer et s'en fût aussi vite qu'il était venu. Putain...? Conne...? Extra-terrestre? Mademoiselle K. ne comprenait rien et ne voulait plus jamais qu'on l'appelle comme ça. Confuse, elle continua sa route...sur le « trottoir ». Devant elle, roulait sur un monstre de fer silencieux un tout petit Chton. Il était plutôt chétif et dégageait un parfum familier de lait de vache. Elle prit son courage à deux mains et accéléra le pas pour le saluer. « Bonjour » articula-t-elle. Le petit se retourna, ouvrit de grands yeux dubitatifs. Il hésita avant de s'arrêter. « Euh...? Bonjour Madame. » « N'aie pas peur. Je m'appelle Mademoiselle K. Et toi? » « Humm. Christophe. Pourquoi?» « Pour rien, c'est juste pour qu'on fasse connaissance. » « Ben... J'peux pas parler avec des inconnus. » « Mais on se connaît maintenant et puis je vais pas te manger. » « Mouais. Je sais ce qu'elles font les dames qui portent des vêtements où on voit tout à travers. » Il désignait son corsage de fils blancs qui laissait voir tout son buste. Mademoiselle K. ne comprenait de nouveau rien. « Je l'ai vu à la télé. Et mon grand-frère m'a dit que c'était pas de mon âge. » « Ecoute, je ne sais pas de quel animal carnivore tu parles mais je n'en suis pas un.» Le petit Chton restait sur le qui vive mais il se laissa convaincre. « Si t'es pas une p....prostituée, tu viens d'où? D'une fête costumée?» « Je viens du bois, là-bas. » « Ah? Mais t'habite où vraiment? » « Ben dans les bois ! » « Dans une cabane? » ...Le petit Chton commençait à trouver Mademoiselle K. tout à fait passionnante. Ils se mirent naturellement en route. « Voilà un Chton que Dame Nature aurait bien aimé. » se dit-elle.

Ils marchent. Elle a faim. Il veut bien l'emmener manger un bout dans un resto qu'il connaît bien (Mac Toy). Mais il ne veut l'emmener qu'à condition qu'elle enfile quelque chose. Dans son sac, il a un tablier vert de sa mère. Ce tablier emmènera Mademoiselle à être embauchée au pied levé. Elle fait l'expérience du boulot. Elle dira souvent « Mais je ne sais pas moi. »
Les grands Jeunic et Jeuniac.

La sorcière oui mais non.

Clown au nez rouge (Mac do ou Mac Toy)qui rappelle le temps avec un clin d'oeil. Clin d'oeil également au camélia rouge. Ce qui intrigue Mademoiselle K et l'amuse.

Le tablier vert et lutte avec le désir d'aller vers la fontaine aux trois jeunes filles sous le grand et gros marronnier. Le gouffre qui bouffe.
Se laver les pieds;

Son regard glisse sur l'eau presque dans l'eau

 

 

Ping et Pong sur la rivière splatch

Pô Li: épouse de Pah, pêcheuse pour les flotdamoureux
Pah Li: époux de Pô et responsable de la propreté de la rivière.
Ping: fille des Li
Pong: fils des Li.

Au Sud Est de la Belgique, un joli coin de verdure appelé « Flodamour ». Situé au milieu de la forêt, c'est un petit village concentrique de 56 habitants sans le curé. La rivière splatch le traverse en son centre. Sur ses bords habite la famille Li. Le couple s'est installé en Belgique en 2010. A cette époque, l'Europe avait connu une période de glaciation telle que les habitants frileux et riches avaient migré vers l'Afrique. Quand à la Chine, elle avait débordé d'habitants, débordés par un travail abrutissant qui excluait la vie de famille. Nostalgique d'une époque babacool qu'ils n'avaient jamais connue, ils se sont parachuté dans une clairière, rapidement suivi par 10 autres couples et leurs parents. Le curé du village voisin mis à la retraite forcée dûe à la disparition quasi totale de paroissiens est devenu leur guide attitré. La famille Li est chargée de l'assainissement de la rivière et de l'approvisionnement en poisson. Le 1 septembre 2013, Pô donne naissance à Ping, une minuscule petite fille. Mais quelle ne fût pas sa surprise lorsqu'accroupie en train de pêcher, trois jours plus tard, elle accoucha d'un deuxième enfant: un garçon cette fois. Pong était aussi grand et gros que Ping était menue mais il avait exactement les mêmes traits qu'elle.

Pô: Hein!?Hooo!Aï!AAAAh. Houff. Eéh. Qu'est-ce que tu fais là? ( surprise et amusée) Et ben t'aurais pu tomber sur Ping...( elle réfléchit) ...Pong. Oh mais tu es le portrait craché de ta sour. (au public) Ton papa

L'homme qui lisait dans les arbres

Dans le sud d'encore plus loin que le sud, là où s'achève la mouvance de sable du Grand Erg, il y avait une palmeraie gigantesque, faite de milliers de palmiers. Au plus haut, près du ciel, les dattiers aux doigts de lumière, qui enfantaient leurs fruits mous et dorés. Plus bas, les grands bananiers aux grandes feuilles vert tendre, qui se protégeaient à l'ombre des premiers des ardeurs du haut ciel et protégeaient eux-mêmes les légumes qui poussaient à leurs pieds dans les parcs où les jardiniers réglaient le cours de l'eau, de jour comme de nuit. Comme dans toutes les palmeraies, toutes les oasis, les gens travaillaient la terre et l'eau, le soleil faisant son oeuvre au plus haut ou plus bas, en traversant tous les étages de feuilles.
Dans l'oasis naquit un enfant de père et de mère inconnus. Un maraîcher l'avait trouvé vagissant au pied d'un arbre. Pris de pitié, il le prit dans ses bras et le confia à sa tante, aveugle, qui lui donna le nom de Bassir, qui veut dire « clairvoyant ». Comme tous les enfants, Bassir grandit en âge et en sagesse, mais sa tante refusa toujours qu'il apprît un métier. Elle lui disait:
- Tes yeux sont mes yeux et cela peut nous suffire. Et parfois elle ajoutait:
- Patiente encore un peu: dans quelques années, tes yeux seront les outils de ton métier.
Mais comme, en attendant, Bassir ne faisait rien de ses dix doigts, les gens de la palmeraie se mirent à le mépriser et lui donnèrent le surnom de Bkhîl, qui veut dire « paresseux ». Bassir restait des heures et des heures, étendu à terre, tantôt sous un dattier, tantôt sous un olivier. Les jardiniers qui revenaient de leur ouvrage le moquaient méchamment:
- Alors, Bkhîl? Pas trop fatigué? Ta journée a été rude?
-Oh, oui! répondait-il. Très rude. Il est long et difficile d'apprendre à lire.
-Ah, ah! Apprendre à lire? Et tu n'as même pas un livre ou un abécédaire près de toi! Qui donc t'apprendrait à lire? Paresseux!
-Cela me regarde, répondait Bassir. Et c'est cela que je regarde.
-Cela? Et quoi donc?
-Tu le saurs plus tard. Quand j'aurai appris à lire.
Et sur ce, il refermait ses paupières comme on referme un livre.

Le temps passa et petit à petit plus personne ne s'occupa de Bassir: on avait pris l'habitude de le voir rêvasser sous les arbres, allongé sur sa natte et la nuque posée sur son burnous replié. Mais un jour, peu après la cueillette des dattes, sa tante, Khala Leïla, agonisa. Tout le monde de la palmeraie vint à son chevet pour lui parler et l'aider à passer le grand gué. Khala Leïla leur dit:
-Mes yeux sont fermés depuis longtemps, mais moi je sais que les vôtres vont bientôt s'ouvrir grâce à ceux de Bassir, qui sait lire dans les feuilles des arbres. Et elle mourut.
Par le suite, plus personne n'osa aller moquer Bassir. Plus personne n'osa lui parler ni l'appeler Bkhîl. Sauf une jeune femme qui se désolait de n'avoir pas d'enfant. Elle s'approcha de Bassir qui lisait dans un figuier.
- Oh toi, qui te nommes le Clairvoyant, peux-tu me dire si j'aurai bientôt un enfant?
- Oui, dit Bassir. A la prochaine lune, tu seras enceinte d'un garçon.
Ce qu'il advint.
A partir de ce temps, tout le monde vint consulter Bassir.
Pour l'un, il s'agissait de savoir si son fils guérirait. Pour l'autre, de connaître le jour le plus favorable pour planter. Pour le troisième, de trouver l'endroit où creuser un puits. Et Bassir ne se trompait jamais.
Chose étrange, il ne livrait jamais que de bonnes nouvelles. Tout ce qu'il lisait dans les arbres ne révélait jamais que du bien. Aussi, les gens de la palmeraie l'estimaient et le respectaient de plus en plus. Mais un jour de tempête de sable, Bassir s'en revint de la palmeraie triste et abattu, le visage blanc comme craie. Les gens du lieu prirent peur:
-O Bassir! Qu'as-tu donc lu aujourd'hui?
-Quelque chose de terrible. Dans quelques temps, des hommes venus de très loin vont nous faire la guerre pour nous mettre en esclavage. Ils tenteront de tuer certains d'entre nous, de brûler nos maisons, de piller nos biens, de prendre nos femmes.
-Mais nous n'avons pas d'armes! Et nous sommes peu nombreux!
-Et bien, faites-vous des armes!
Ce qu'ils firent. Mais au fûr et à mesure que le temps passait, ils avaient de plus en plus peur et leurs jambes tremblaient quand ils pensaient à l'avenir. Ils disaient à Bassir:
- Nous avons maintenant des armes, mais nous ne savons même pas nous en servir!
- Eh bien, apprenez!
Ce qu'ils firent.
Mais le peur demeurait: à l'idée de devoir combattre, leurs ventres se nouaient et leurs coeurs se serraient.
Quelques temps après, Bassir leur dit:
-O gens d'ici! J'ai une grande nouvelle à vous annoncer. Ce matin, j'ai lu dans le grand dattier que nos ennemis seront ici dans trois jours. J'y ai lu aussi que vous remporterai la victoire et que pas un seul d'entre nous ne périra.
A ces mots, les coeurs des hommes et des femmes se raffermirent. Et leurs têtes, leurs jambes et leurs bras. On forgea encore plus d'armes, on multiplia les pièges, les remparts d'argile et les postes de guet. On inventa des cris de guerre.
Le troisième jours, quand les ennemis apparurent sur la crête de la grande dune, ils furent accueillis à grands jets de lances, de javelots, de sagaies, de pierres et de cris horribles. Les tambours de guerre tonnaient de partout. Les femmes poussaient leurs youyous, les enfants faisaient tournoyer leurs frondes et les vieillards leur apportaient les munitions. Devant cet orage, les ennemis firent demi-tour et s'en retournèrent au plus profond du désert.
Les gens de la palmeraie firent la fête comme jamais et dirent à Bassir:
- O Bassir! Toi, le clairvoyant, comment as-tu pu lire tout cela dans le grand palmier?
Et Bassir leur répondit:
-Cette fois-ci, je n'ai rien lu dans l'arbre. Je n'ai lu que dans votre peur. Alla raleb!

Quand l'instant de la fin du monde sera à nos portes, si l'un de vous tient un plan de palmier et qu'il peut le planter avant que ne survienne l'instant de la fin du monde, qu'il le fasse.
Hadith

(« Contes des Sages du désert », Paul André, Ed. Seuil, 2007)