CHAPITRE V SUITE DU CONTE : «LES TROIS PLUMES »

. d'une part les plumes représentent des pensées ou des phantasmes et remplacent, pars pro toto, les oiseaux et que, d'autre part, le vent est un symbole bien connu de l'inspiration spirituelle émanant de l'inconscient. La plume soufflée au vent correspond donc à l'attitude consistant à laisser l'imagination ou la pensée aller à sa guise, de façon à permettre aux inspirations nées de l'inconscient de se manifester. . Au lieu de prendre une décision fondée sur des considérations du moi, on attendra une inclination, une suggestion de l'inconscient, lui laissant, en quelque sorte, la possibilité de donner son avis. L'insistance du conte sur ce point semble indiquer une Compensation de la situation collective dominante. Si un individu ou une culture tout entière a perdu le contact avec l'élément féminin et l'irrationnel, cela implique que l'attitude consciente est rationnelle, ordonnée et organisée à l'excès. Le féminin est, en effet, en relation avec le sentiment, l'irrationnel et l'imaginaire. P.91
. La plume du Nigaud tombe à terre droit devant lui. Il découvre à cet endroit une trappe donnant sur des marches conduisant dans les entrailles de la Terre Mère. Dans la version hessoise, la princesse-grenouille ordonne à la fin au héros de plonger avec elle dans les profondeurs. L'accent est donc constamment mis sur le mouvement vers le bas.
Cette trappe et cet escalier menant à une salle souterraine ont une tout autre signification que ne l'aurait une simple cavité naturelle. Ici, des êtres humains ont laissé des traces. .. une construction . On interprète souvent de façon trop superficielle la descente de personnages oniriques sous terre ou dans l'eau comme un descensus ad inferos, une descente dans le monde inférieur, dans les abîmes de l'inconscient. Encore faut-il distinguer s'il s'agit d'une descente dans une nature vierge encore inexplorée ou si, au contraire, on y découvre des restes de cultures disparues. Dans le dernier cas, on se trouve en présence d'éléments qui, après avoir été conscients, ont sombré à nouveau dans l'inconscient, exactement comme un château peut tomber en ruines alors que subsistent ses souterrains, témoins d'un mode de vie révolu.
Du point de vue psychologique, cela signifie que l'inconscient n'est pas seulement porteur de notre nature animale instinctive, mais aussi des traditions du passé, et qu'il en est partiellement formé. C'est pourquoi réapparaissent fréquemment, au cours d'une analyse, des éléments appartenant à des civilisations antérieures. . On a souvent cru, de façon tout à fait erronée, que Jung avait tendance à inciter les gens à retourner à leurs racines. Il aurait, par exemple, insisté pour que les Juifs déterrent leur symbolisme orthodoxe ou que les Hindous se remettent à prier Shiva ! Il est évident qu'il n'en est rien. Ce n'est pas une question de « on doit » ou de « il faut », mais de voir si de tels éléments montent de l'inconscient du sujet et exigent ou non d'être reconnus.
On peut se demander comment il se fait que, dans cette histoire, l'élément féminin, jadis conscient, soit redevenu inconscient. Les religions païennes originelles des peuplades germaniques et celtiques connaissaient plusieurs cultes de la Terre-Mère, ainsi que d'autres déesses de la nature, mais l'unilatéralité patriarcale des superstructures propres à la civilisation chrétienne réprima progressivement ces éléments. C'est pourquoi, lorsqu'il est question, comme dans notre conte, de laisser resurgir le principe féminin et de l'intégrer, on rencontre tout naturellement .. des traces d'une civilisation passée dans laquelle ce principe était beaucoup plus conscient. Même au Moyen Age, avec le culte de la Vierge Marie et l'amour courtois des troubadours, la conscience de l'anima était beaucoup plus vive . répression progressive, en particulier dans notre partie du monde, de l'élément féminin et de l'éros. .. la situation initiale (du conte) est révélatrice de conditions de vie dans lesquelles le féminin n'est pas reconnu, bien qu'il soit évident qu'il l'a été à une époque antérieure, ce qui explique qu'il soit relativement facile à retrouver. Le Nigaud a, en effet, la possibilité de descendre dans la terre marche par marche ; il n'y tombe pas la tête la première et ne se perd pas non plus dans l'obscurité. P.93
La version hessoise précise que la trappe a un couvercle rond, au milieu duquel est fixé un anneau . Il y a donc une allusion, non seulement au symbole de l'anima, mais à celui du Soi.
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Comme, dans beaucoup d'autres versions, il(le crapaud) est remplacé par la grenouille, nous considérerons les deux à la fois. Dans la mythologie, la grenouille est généralement un animal masculin tandis que le crapaud est féminin. Le personnage du « Prince Grenouille » .. se rencontre aussi bien en Europe qu'en Afrique ou en Malaisie. En Chine, un crapaud à trois pattes habite la lune. D'après la tradition taoïste il a été tiré du « puits de vérité » et, en tant qu'esprit protecteur, il collabore avec le lièvre à la production des pilules d' « élixir de longue vie », qui guérissent et prolongent l'existence. (..intéressantes légendes sur le crapaud en particulier, sur ses rapports avec la Pierre et l'Or alchimiques.)
Dans notre civilisation, le crapaud a toujours été associé à la terre-mère, dont une des fonctions était d'aider aux accouchements. On voyait dans cet animal .. la représentation de l'utérus . aux lieux de pèlerinages, quand une partie du corps était guérie par un saint, on faisait faire une image de cire de l'organe ou du membre qui avait été malade et on la suspendait en ex-voto dans l'église où l'on avait recouvré la santé.. lorsqu'une femme souffrait d'une maladie de l'utérus, on remplaçait l'image de cet organe par celle d'un crapaud .. on peut voir dans bien des chapelles de Bavière, la statue de la Vierge entourée de crapauds de cire. La Vierge Mère a hérité, ici, de la fonction de la déesse grecque Artémis Eileithyia, qui aide les femmes à porter leur enfant et à lui donner naissance sans accident. Cette analogie entre le crapaud et l'utérus nous fait voir combien le crapaud, dans les circonstances de notre conte, compense exactement ce qui manque dans la famille royale : le sein maternel. La grosse femelle-crapaud, qui se tient au centre des autres . est bien une figure maternelle. C'est auprès d'elle qu'il obtient son anima, car .. l'anima, dans la psychologie masculine, dérive de l'image de la mère. .. sous cette forme animale, la déesse Terre-Mère occupe le centre du conte.
. comprendre le rôle de la comptine par laquelle le Nigaud est invité à pénétrer dans la salle souterraine. L'adjectif « rabougri » ou « racorni », est assez déroutant. Le mot allemand est toujours associé au grand âge, à l'ancienneté, P.95 à quelque chose qui a duré très longtemps. Ce pourrait être une allusion au fait que la déesse-mère, exclue de la sphère consciente et négligée, s'est racornie dans la cave comme une vieille pomme.
. Crapauds et grenouilles sont très utilisés en sorcellerie et en magie dans la préparation de philtres et de potions aphrodisiaques. . un crapaud, si on le touche, urine et exsude un liquide qui, sans être réellement dangereux pour l'homme, peut causer une irritation urticante, une inflammation de la peau. Ce venin peut même tuer de petits animaux. Le folklore a beaucoup exagéré ce trait : le crapaud y est considéré comme un animal sorcière ; sa peau et ses pattes, pulvérisées, sont utilisées comme ingrédients de base dans pratiquement toutes les recettes magiques.
.. le crapaud est une déesse de la terre qui a pouvoir de vie et de mort : il peut empoisonner ou donner la vie, et il est en rapport avec le principe de l'amour. De plus il est brun-verdâtre, couleur de la végétation et de la nature.
Le troisième vers de la comptine parle .. de patte ou d'os desséché de petit chien, de chiot. Nous sommes donc en présence d'une étrange association d'idées . si l'on consulte la collection des contes parallèles de Bolte-Polivka, .. la princesse rachetée n'est pas un crapaud, mais un petit chien. De plus, la forme de la patte de grenouille rappelle celle du chien. .. nous avons affaire ici à un transfert ou à une interférence de thèmes : il s'agit tantôt d'une petite chienne blanche, tantôt d'une chatte, d'une souris ou d'un crapaud. Lorsque la princesse à sauver est transformée par un sort en petit chien, elle est évidemment bien plus proche du niveau humain que sous sa forme de grenouille : ayant été négligée, elle a certes régressé à un niveau inconscient, mais moins bas et moins loin que si elle avait été refoulée au niveau des batraciens. Le Nigaud retrouve donc l'élément féminin disparu sous une forme non-humaine qui, suivant les cas, est, comme ici, un animal à sang froid, soit, comme lorsque c'est une chienne, un animal à sang chaud, un mammifère.
La position même de la grosse femelle-crapaud, entourée de l'anneau de petits crapauds, montre que non seulement le symbole du féminin, mais aussi celui de la totalité, sont constellés.
.. le symbolisme du tapis. Dans les cultures européennes, on ne le connaissait pas jusqu'à l'entrée en contact avec l'Orient. .. nécessaire continuité de leur terre, qu'ils (nomades) emportent, en quelque sorte, avec eux. Où qu'ils aillent, ils commencent par étendre un de ces beaux tapis aux dessins généralement sacrés, et montent leur tente par-dessus : c'est la base sur laquelle ils se sentent chez eux, comme nous le faisons sur notre terre ou dans notre maison. En outre, le tapis les protège des influences néfastes d'un sol étranger. P.97
Tous les animaux, y compris nous-mêmes - ont un fort attachement pour leur propre territoire La plupart des espèces possèdent un instinct concernant la possession et la défense d'un territoire et y retournent envers et contre tout. Ex. exil des souris .. Ce n'est que lorsque la chance de survie d'une souris est nulle qu'elle y renonce et s'efforce de conquérir un nouveau territoire en combattant et en chassant une de ses congénères. Une des raisons de ce comportement vient de ce que, sur son propre territoire, un animal possède une connaissance intime et immédiate de l'ensemble de la situation .. tandis que sur un sol étranger, s'il aperçoit, par exemple, l'ombre d'un faucon, il devra chercher autour de lui où se dissimuler, au risque de perdre la seconde nécessaire à sa fuite. .. l'instinct territorial dérive de l'attachement à la mère. D'après lui(Hediger), le territoire originel de tout jeune animal est le corps de sa mère ; le jeune croît dans le corps maternel et en vit, l'exemple le plus frappant étant, bien entendu, celui du kangourou. Bien des jeunes animaux, au lieu de rester au gîte, sont véhiculés par leur mère à laquelle ils s'accrochent, soit sur son dos, soit, comme le petit singe, à la fourrure du ventre maternel ; ils ne la quittent que progressivement, sans s'éloigner, et y reviennent jusqu'à ce qu'ils soient capables de se nourrir et de se défendre par eux-mêmes. Cet instinct qui rattache le petit à sa mère est ensuite transféré au territoire. On sait que lorsque des animaux sont capturés et transférés, ils font leur cage un territoire . c'est un sein, un gîte de qualité maternelle, d'où le sentiment peut n'être que peu à peu transféré a un nouveau lieu.
Nous sommes exactement semblables. Lorsque l'on coupe des personnes âgées de leurs racines et qu'on les enlève de chez elles, il est fréquent qu'elles en meurent. . Si l'on observe ses propres rêves durant un déménagement, on verra quels bouleversements psychologiques cela entraîne. Les femmes souffrent tout particulièrement de la perte de leur territoire . Les hommes, ayant un penchant pour l'errance, supportent beaucoup mieux ce genre de choses . Pour nous aussi, le territoire remplace la mère, et, pour certaines tribus nomades d'Afrique du Nord, le tapis est cela : la continuité de la terre maternelle. Ne la possédant pas extérieurement, et dormant presque chaque nuit sur un bout de sable différent, il leur faut emporter avec eux leur territoire symbolique.
De même que les Juifs, les musulmans ne doivent pas faire d'images de leur Dieu, aussi les motifs de leurs tapis sont-ils, pour la plupart, outre des versets du Coran, des dessins abstraits, à la signification symbolique. .. stylisations de la gazelle, du chameau, de l'Arbre du Paradis, de la lampe du sanctuaire, etc. ramenés à des formes purement géométriques. .. La plupart des éléments des tapis orientaux se réfèrent à des notions religieuses : la lampe renvoie à l'illumination par la Sagesse d'Allah, et la gazelle à l'âme humaine qui aspire à la divinité. Un tapis n'est donc pas seulement pour eux une image de la Terre-Mère, il P.99 représente aussi les bases intérieures de leur vie tout entière.
On voit souvent apparaître le tapis dans ce sens dans les rêves des contemporains. . les paroles que l'esprit adresse, tout au début, à Faust :

Ainsi je travaille au bruissant métier à tisser du temps
Et façonne le vêtement vivant de la divinité.

Ce thème fut probablement inspiré à Gothe par le mythe de la création de Phérécyde, qui décrit la terre comme une immense pièce de lin dans laquelle des motifs sont tissés, et qui est étendue sur le chêne du monde.
Ces diverses amplifications montrent que la tapisserie ou le tapis et ses « dessins » sont souvent utilisés pour présenter les « desseins » symboliques complexes de la vie, les « projets » du destin. Le tapis figure donc le schéma le plus large de notre existence, que nous ignorons généralement tant que nous sommes en train de le vivre. Nous essayons constamment de nous conduire coups de décisions du moi et ce n'est souvent qu'à un âge avancé que nous comprenons, en regardant en arrière le chemin parcouru, que cela correspondait à une sorte de plan. Certains êtres, plus portés à l'introspection que les autres, en ont une certaine conscience avant la fin de leur existence et ont la secrète conviction que les événements suivent un certain ordre ; ils se sentent guidés et savent qu'un dessein caché sert en quelque sorte de trame aux actions éphémères et aux décisions humaines. Si nous nous tournons vers nos rêves et l'inconscient, c'est pour mieux comprendre notre modèle de vie afin de ne pas tomber dans un certain nombre d'erreurs et d'éviter de donner des coups de couteau dans notre propre tapis intérieur, de manière à accomplir nos destinées au lieu d'y résister. Cette finalité du modèle de vie qui nous donne le sentiment du sens est très souvent symbolisé par le tapis. Ceux d'Orient, en particulier, ont des dessins aux entrelacs ou arabesques compliqués, pareils à ceux que l'on suit lorsqu'on se laisse aller au labyrinthe d'une humeur rêveuse et que l'on sent que la vie monte et descend, s'étire et se transforme. Ce n'est qu'avec du recul et une certaine distance objective que l'on se rend compte que le déroulement de la vie con tient en elle-même un modèle de totalité.
Ce n'est donc pas un hasard si, à la cour du roi, le principe féminin étant oublié, on est, du même coup, privé de tapis de valeur : on a perdu le sens de la vie, et il est urgent de le retrouver.
C'est ainsi que l'histoire nous dit que la subtilité des inventions de l'inconscient et les desseins secrets qui s'entrelacent pour former une vie humaine sont beaucoup plus intelligents et subtils que ce que le moi conscient pourrait inventer, et lui sont bien supérieures. . génie de ce facteur inconnu et mystérieux qui, dans notre psyché, est l'inventeur de nos rêves. Ceux-ci empruntent certains éléments aux impressions diurnes, quelque chose que le sujet a lu la veille au soir dans le journal ou qu'il a vu à la télévision, un souvenir d'enfance, un événement récent, et en font un gentil « pot-pourri ». Ce n'est que lorsque l'on en a interprété le sens que l'on découvre la richesse et le génie de composition de chaque rêve. Chaque nuit, le mystérieux tisserand est à l'ouvre en nous, y nouant de merveilleux motifs ; ceux-ci sont si subtils que, pour notre malheur, il nous arrive souvent, après une heure d'efforts pour les interpréter , de devoir y renoncer. En fait, nous sommes simplement trop maladroits et trop bornés pour pouvoir suivre le génie de cet esprit inconnu qui, dans l'inconscient crée les songes. Cette incapacité nous amène en tout cas à comprendre, P.101 que ce tapis est tissé avec une finesse infiniment supérieure à tout ce qu'un être humain pourrait accomplir.
. seconde épreuve. .. trouver l'anneau le plus beau. Ici encore, le roi se fie au rite des trois plumes. Les fils aînés, trop paresseux pour chercher mieux, rapportent de vulgaires cercles de roues de charrettes en fer, après en avoir simplement retiré les clous, alors que le Nigaud est à nouveau descendu auprès de la femelle-crapaud. Il obtient d'elle une magnifique bague en or, étincelante de diamants et de pierres précieuses.
L'anneau en tant qu'objet circulaire, est de toute évidence un des nombreux symboles de la totalité, du Soi. Mais il existe une si grande variété de symboles du Soi dans les contes de fées qu'il nous faut découvrir quelle fonction spécifique du Soi est mise en relief dans ce symbole particulier. Nous savons en outre que le Soi, étant un facteur régulateur central de la psyché, présente un très grand nombre d'aspects fonctionnels différents. Il veille au bon équilibre psychique et, comme nous l'avons vu précédemment à propos du symbole du héros, il induit une attitude du moi compatible avec les exigences du Soi et qui entretient avec lui une relation juste. Parmi ces symboles du Soi, la balle serait plutôt la capacité qu'a le Soi d'agir par lui-même. Pour le primitif, la balle est évidemment cet objet qui a une tendance étonnante à se mouvoir de son plein gré. Il oublie ce facteur qu'est la nécessité d'une légère poussée initiale, car pour lui la balle devient cette chose qui continue à se déplacer sans poussée extérieure, de façon autonome. Elle semble posséder sa propre impulsion intérieure de vie, se mouvoir et continuer à avancer en dépit des vicissitudes, des frictions et des difficultés du monde matériel. Elle représente une caractéristique de la psyché inconsciente que Jung a reconnue et décrite : celle qui consiste à créer un mouvement à partir d'elle-même. Ce facteur psychique n'est pas un système qui ne fait que réagir à des facteurs extérieurs déjà existants ; il est capable, de par lui-même, sans impulsion causale décelable, de produire quelque chose de nouveau. Il a la capacité de se mouvoir spontanément, ce qui, dans de nombreux systèmes philosophiques et religieux, est un des attributs de la seule divinité, en tant que « premier agent ».
Nous constatons par expérience la présence d'un facteur psychique de cet ordre lorsque, par exemple, nous analysons les rêves d'un sujet pendant une longue période. Ceux-ci semblent se préoccuper de certains problèmes de vie évidents en voie de résolution, et la personne se sent bien. Et puis soudain un rêve « tombe des nues » et met en route quelque chose de totalement nouveau. Une idée créatrice imprévisible autant qu'inexplicable causalement est apparue, comme si la psyché avait décidé tout à coup de proposer quelque chose de différent. Ce sont là des événements intérieurs importants, significatifs et propres à entraîner la guérison. Tel est le sens symbolique de la sphère ou de la balle et c'est pourquoi .. souvent le héros doive suivre une pomme ou une sphère qui roule vers quelque but mystérieux. Ce faisant, il suit simplement l'impulsion autonome et spontanée de sa propre psyché, qui le guide vers une secrète réalisation. Je n'ai amplifié le symbole de la balle que pour faire ressortir sa différence par rapport à celle de l'anneau, et montrer qu'il faut toujours se demander quel rôle spécifique joue chaque symbole en particulier.
L'anneau en plus de la forme circulaire qui en fait une image du Soi a deux autres caractéristiques : il symbolise soit la relation, soit le lien. Ainsi, l'alliance de mariage peut représenter l'alliance avec le ou la partenaire, mais aussi être enchaîné .. Il dépend donc du sentiment que nous avons à l'égard du partenaire qu'il figure un enchaînement ou une relation pleine de sens. Lorsqu'un homme offre une bague à une femme, il exprime, qu'il le sache ou non, P.103 son intention d'être relié à elle, non par une liaison éphémère, mais sur un plan supra-personnel ; ce don signifie : « c'est pour toujours, c'est éternel ». En d'autres termes, il s'agit d'une relation établie au niveau du Soi, et non de simples humeurs égotiques. Pour les catholiques, le mariage est un sacrement : cela implique que la relation n'est pas uniquement celle de deux « moi » qui s'entendent pour fonder, suivant les termes le Jung, « une petite société financière dans le but l'élever des enfants ». Quand, pour deux êtres, le mariage est plus que cela, c'est qu'ils y reconnaissent la présence d'un élément supra-personnel ou, en termes religieux, divin. Ainsi conçu, ce lien est destiné à durer « pour toujours » et il prend un sens tout différent d'un simple désir amoureux ou du rapprochement de personnes qui associent leurs intérêts. L'anneau est donc le signe d'un lien éternel dans le Soi.
.des rêves indiquant que l'engagement du mariage s'accomplit pour l'amour de l'individuation. Cela permet d'avoir une attitude de base profondément différente envers les difficultés de tous les jours qui peuvent se produire. On sait qu'à travers le meilleur et le pire, c'est un destin par lequel on est amené à ouvrer à la forma lion une conscience plus vaste. Il n'est pas possible de jeter tout simplement son mariage la première fois que quelque chose ne va pas : c'est ce qu'exprime l'alliance, qui symbolise une relation dans le Soi.
L'anneau en général signifie n'importe quelle sorte de relation ; il offre donc parfois un aspect tout à fait différent de ce que nous venons de voir. Avant d'accomplir la p1upart des rites re1igieux, on doit retirer ses bagues. . pour entrer en relation avec la divinité, il est nécessaire de mettre de côté tout autre lien et de s'arracher à tout autre engament, de façon à n'être ouvert qu'à la seule influence divine. L'anneau peut donc aussi être l'image, très souvent négative en mythologie, d'un lien qui ne devrait pas exister, tel que l'esclavage sous la coupe d'un facteur négatif quelconque, par exemple d'un démon. En langage psychologique, cela correspond à un état de fascination et de soumission à un complexe inconscient fortement chargé d'émotion.
En amplifiant le symbolisme de l'anneau, nous pourrions parler non seulement de l'anneau que l'on porte au doigt, mais aussi de tous les autres : ceux des sorcières, le cercle magique dans lequel on entre ou le cerceau que l'on porte. Au sens large, le cercle a le sens d'un téménos, espace sacré protégé, délimité par circumambulation, construit, ou tracé sur le sol. Il peut être également dessiné (mandala). . En Grèce, un téménos était simplement un lieu sacré dans les bois ou sur une colline, dans lequel on ne devait pas pénétrer sans certaines précautions et où il était interdit de tuer. Un fugitif qui avait cherché refuge dans un téménos ne pouvait être ni capturé ni abattu tant qu'il y demeurait. Comme autrefois nos églises, c'était un asylum, un asile et, dans son enceinte, on est asylos. En tant que lieu de culte, il appartient à la divinité. Les cercles des sorcières ont une signification analogue. Un cercle magique est une parcelle de terrain déterminée, une place ronde réservée à un usage numineux, archétypique. Un tel endroit remplit une double fonction : celle de protection et de concentration de ce qui se trouve à l'intérieur, et d'exclusion de ce qui est à l'extérieur. C'est le sens général de ce qu'on rencontre sous des formes variées. Le mot téménos vient de temno : couper ; P.105 quelque chose est retranché de la vie profane et superficielle ; une part de vie est séparée, isolée dans un but particulier. .
C'est une bague en or. L'or, par sa couleur et en tant que métal très précieux, a toujours été attribué, dans le système symbolique planétaire, au soleil ; il est généralement associé à l'incorruptibilité et à l'immortalité. Il est inaltérable : dans les temps anciens, c'était le seul métal connu qui ne s'oxydait pas en noircissant ou en verdissant et qui résistait à tous les éléments corrosifs. . Il fait donc figure d'immortel : c'est un élément transcendant, car il survit à l'existence éphémère. Il est éternel et divin, précieux par excellence et un objet formé de ce métal est considéré comme possédant ces qualités. C'est pourquoi l'anneau de mariage est traditionnellement en or : il est fait pour durer toujours et n'être corrompu par aucune influence terrestre négative. Les pierres précieuses renforcent ce sens ; elles représentent, en général, des valeurs psychologiques indestructibles.
. troisième épreuve.. le royaume appartiendra à celui qui ramènera la plus belle épouse. Le Nigaud descend chez la mère-crapaud et, cette fois, celle-ci est moins spontanément disposée à l'aider. . Il semble .. que.. ce soit un peu plus compliqué. Elle lui remet une carotte jaune creusée et attelée de six souris. Sur son ordre, il prend l'une des petites femelles-crapauds et l'y installe, et, lorsqu'ils se mettent en route, elle se transforme en belle princesse, dans un beau carrosse. Donc, pour ramener la plus jolie des femmes, il ne suffit pas de la recevoir toute prête, comme pour le tapis et l'anneau : un véhicule spécial est nécessaire. On nous précise que la demoiselle-crapaud ne se métamorphose que lorsqu'elle est placée dans le véhicule fait d'une carotte, et seulement quand celui-ci l'emmène vers le palais du roi.
. dans d'autres versions, la belle jeune fille existe dès le début de l'histoire. .. dans le parallèle du pays de Hesse, le Nigaud découvre dans le souterrain une ravissante jeune fille en train de filer. Ce n'est que lorsqu'il la ramène au jour qu'elle apparaît sous la forme d'une grenouille. . l'anima se présente sous terre sous 1a forme d'un crapaud et d'une grenouille et ne se métamorphose en jeune fille qu'en remontant vers le monde humain, et tantôt elle est sous terre une belle jeune fille et se transforme en grenouille en émergeant à la surface dans le monde ordinaire. Dans ce deuxième cas, il faut que le Nigaud saute avec elle dans une mare pour qu'elle retrouve sa forme humaine.
Qu'elle soit déjà femme sous terre, mais apparaisse comme grenouille, crapaud ou chienne dans la sphère supérieure, est un thème assez fréquent. Il nous faut donc en approfondir le sens. De ce qu'il existait sous terre des marches et une construction faite de main d'homme, nous avons tiré la conclusion que le culte de la mère, ou la relation avec le principe maternel, avait dû, autrefois, être intégré dans le domaine conscient, avant de régresser sous terre ; le sujet de ce conte étant de retrouver des éléments qui avaient été vécus dans le passé au niveau humain. .
L'anima - qui est aussi pour l'homme le domaine de l'imaginaire et incarne son mode de relation à l'inconscient - fut, jadis, davantage intégrée au champ conscient et avait atteint, de ce fait, un stade humain. Plus tard, des circonstances culturelles défavorables l'ont P.107 réprimée et rejetée dans l'inconscient : c'est pourquoi la belle princesse est désormais en bas dans la cave, attendant le héros qui la délivrera. Cela explique aussi pourquoi, sur terre, on la considère ou elle apparaît comme une grenouille : à la cour du roi règne une mentalité qui n'a pas plus de considération pour l'anima qu'elle n'en aurait pour une grenouille ! Cela signifie qu'au niveau conscient prévaut une attitude de mépris envers tout ce qui paraît irrationnel. Ce mépris s'exprime, par exemple, dans des jugements péjoratifs vis-à-vis de l'éros, par des « rien que » réducteurs. Dans ces conditions, l'anima apparaît aux yeux des courtisans du roi comme une grenouille. On trouve un exemple moderne de cette attitude dans la théorie freudienne, pour laquelle le phénomène d'éros se réduit pratiquement aux fonctions biologiques du sexe. De ce point de vue, une cathédrale gothique pourrait n'être considérée que comme la compensation morbide de la sexualité non vécue, ce que prouve bien la forme phallique de ses tours ! Si l'on adopte ce point de vue, la sphère de l'anima est niée. . les préjugés moraux contre l'éros ou la répression du principe d'éros pour des raisons religieuses, politiques ou autres jouent un rôle analogue. Cette attitude réduit l'anima à l'état de grenouille, de pou ou de tout autre forme au niveau auquel elle a été refoulée : c'est-à-dire que l'anima de l'homme régresse à un stade aussi peu développé que la fonction érotique de la grenouille. Cependant cet animal n'est pas tout à fait incapable de relation ; on peut l'apprivoiser et l'habituer à prendre la nourriture qu'on lui offre ; les hommes qui ont une anima-grenouille se comporteront comme cet animal. On comprend donc pourquoi, dans la version hessoise, une opération supplémentaire est nécessaire pour que l'anima retrouve sa nature humaine. Mais dans notre conte, l'anima apparaît d'abord comme crapaud et un véhicule est nécessaire (la carotte) pour la faire remonter à la surface et lui permettre de redevenir une femme.
Dans une version russe .. le Nigaud doit présenter son épouse aquatique à la cour du Tsar. Le héros s'imagine avec horreur la confusion qu'il éprouvera à la voir arriver en bondissant, mais la grenouille lui demande de lui faire confiance. .Elle s'est métamorphosée à la faveur de l'orage.
Le Nigaud russe a donc simplement à faire confiance à son anima et à ne pas avoir honte d'elle, même si elle est de prime abord sous une forme ridicule et inhumaine. Dans d'autres contes, il y a contamination avec des thèmes qui font habituellement partie de celui du « Prince-Grenouille ». Comme ce fameux prince, elle demande au héros de la laisser manger dans son assiette et partager son lit et sa vie privée à la façon d'un être humain. Malgré toutes les bizarreries et les répulsions que cela impose au prince. Ce n'est qu'à ce prix qu'elle se transforme en être humain. On peut donc en conclure qu'elle est métamorphosée par la confiance et l'acceptation de ce qu'elle est, autrement dit par l'amour sous toutes ses formes. Dans notre histoire, il n'est pas question de lui faire confiance, mais de lui fournir un véhicule : la carotte. . la carotte a un sens phallique. . P.109 . la carotte est la nourriture du pauvre ; aussi faut-il en les jetant, se montrer très généreux et prononcer ces paroles : « Je sème ces carottes, non seulement pour moi, mais aussi pour mes voisins » ; alors, on en récoltera beaucoup. . Les carottes contiennent beaucoup d'eau, et sont appelées, en dialecte, pissenlit.
On voit que la carotte, de même que la plupart des légumes, a une signification sexuelle, et plus particulièrement phallique. On peut en déduire que le véhicule qui permet à l'anima de remonter au conscient est fait de sexualité. Dans le monde masculin, c'est en effet très souvent la façon dont le domaine de l'éros se manifeste à la conscience ; il est d'abord porté, pour ainsi dire, par les phantasmes sexuels.
Les souris ont une signification quelque peu semblable. En Grèce, elles appartenaient (de même que les rats) au dieu solaire Apollon dans sa phase boréale et hivernale et symbolisaient l'aspect sombre du principe solaire. Dans nos régions, la souris est l'animal du diable ; il règne sur elles, de même que sur les rats. (cf. Faust) .. les souris sont considérées comme des « animaux-esprits ». En langage psychologique, cela signifie qu'elles représentent généralement la partie inconsciente de l'être humain. .. l'âme peut quitter le corps sous forme d'oiseau, mais parfois aussi sous celle de souris. Dans certains poèmes et rites il est dit de ne pas blesser ou insulter ces animaux parce que de pauvres âmes peuvent y habiter. .. poème chinois :

Un rat dans mon cerveau,
Je ne puis dormir.
Tu me ronges et m'ôtes la vie,
Je me défais lentement.
O rat dans mon cerveau.
O ma mauvaise conscience,
Me laisseras-tu jamais à nouveau la paix ?

Le rat et la souris n'étant pas seulement liés à la mauvaise conscience, ces vers peuvent s'appliquer à n'importe quelle pensée pénible qui ronge et mine continuellement et secrètement, de façon autonome, notre attitude habituelle. Tout le monde connaît ces nuits sans sommeil pendant lesquelles chaque petit souci se transforme en une montagne de difficultés . Cela fait effectivement penser à l'action des rongeurs : ces damnées créatures grattent et grignotent toute la nuit . analogie qu'il y a entre elles et une pensée obsédante ou un complexe qui ne laisse jamais en paix. La souris représente donc une de ces pensées nocturnes qui vous mordent chaque fois que vous vous endormez. Mais elle a aussi un aspect érotique : qu'on pense aux images représentant une femme debout sur une table et relevant ses jupes, terrorisée par le trottinement d'une souris ! C'est pourquoi les freudiens interprètent généralement ces animaux comme phantasmes sexuels ; c'est exact, mais, en réalité, elles peuvent représenter n'importe qu'elle sorte d'obsession qui ronge notre esprit conscient. La carotte, liée à la sexualité, et les souris se réfèrent à des obsessions nocturnes et à des phantasmes autonomes, qui s'unissent pour amener l'anima au jour ; elles sont, en quelque sorte, les substructures de l'anima.
Lorsque le Nigaud ramène de sous terre la jeune P.111 femelle crapaud et le carrosse, nous savons que la première se transforme en une belle jeune femme. Dans la pratique, cela signifie que si un homme a le courage et la patience d'amener au jour ses phantasmes sexuels et nocturnes, d'examiner ce qu'ils convoient et de laisser continuer à se développer, puis de les écrire ( ce qui permet de les amplifier plus tard), son anima tout entière viendra à la lumière. Ou encore si, lorsqu'il se met à faire machinalement des dessins, il se demande : « Que suis-je en train d'exprimer ? » et qu'il laisse se développer le phantasme sexuel qu'il aura d'abord tracé sur le papier, tout le problème de l'anima se découvrira peu à peu. Au fur et à mesure qu'il en prendra conscience et qu'il essayera de l'intégrer à sa vie, celle-ci deviendra moins inhumaine, moins semblable à un animal à sang froid. Le principe féminin refoulé vient ainsi au jour, mais Ce.qui a déclenché le processus est le plus souvent un phantasme sexuel ou une obsession d'un ordre quelconque : le besoin de regarder sans cesse les courbes dès femmes dans la rue ou d'aller voir du strip-tease. Si un homme laisse monter en lui des pensées de ce genre avec tout ce qui les accompagne, il découvrira peu à peu son anima, ou la redécouvrira si, pendant une période, il l'avait refoulée. Mais quand un homme néglige cette relation, elle régresse aussitôt ; dès que l'anima devient inconsciente, elle se fait obsessionnelle et phantasme gênant : elle se transforme, pourrait-on dire, en souris.
Mais la troisième épreuve ne convainc pas encore le roi et ses deux fils aînés. . le nombre trois joue un grand rôle dans les contes de fées, mais quand je compte, cela donne généralement quatre! Ici, par exemple, il est vrai qu'il y a trois épreuves : le tapis, l'anneau et la demoiselle ; mais ensuite vient le saut à travers le cerceau qui termine le tout. De quelque façon que l'on envisage les choses, on s'aperçoit que c'est là un mythe typique : ainsi, une jeune fille perd celui qu'elle aime et, pour le retrouver, doit aller au bout du monde ; elle va d'abord voir le soleil, qui lui indique le chemin pour aller chez la lune, qui à son tour lui montre comment se rendre chez le vent nocturne ; ce n'est que dans une quatrième étape qu'elle rejoint son partenaire. Dans d'autres cas, le héros se rend chez trois ermites, trois géants, ou doit surmonter trois obstacles. Les trois premières épreuves correspondent toujours clairement à des unités : 1,2,3 et se répètent dans une certaine mesure ; c'est pourquoi le quatre, étant à part, est si souvent ignoré. Le quatrième terme en effet, ne correspond pas simplement à l'addition d'une unité supplémentaire, il n'est pas du même ordre . Les stades l, 2 et 3 conduisent à un véritable dénouement, représenté par le 4. Le quatre se réfère généralement à un état statique ; alors que le trois contient l'idée d'un mouvement dynamique, le quatre indique que quelque chose se stabilise.
Dans le symbolisme des nombres, le 3, de même que tous les chiffres impairs, est considéré comme masculin. En réalité, il est le premier de la série, du fait que le 1 n'est pas considéré à proprement parler comme un nombre : c'est l'unité, qui sert à compter. . le 3 est généralement en rapport avec le cours du mouvement et donc avec le temps, puisque l'un ne peut exister sans l'autre. Il y a, par exemple, les trois Nornes (Parques), qui représentent le passé, le présent et l'avenir ; la plupart des figures démoniaques du temps vont par triades. Le trois est toujours en rapport avec le temps parce que, pour qu'il y ait mouvement, il faut l'existence de deux pôles entre lesquels circulent l'énergie, comme le courant électrique P.113 passe entre les pôles positif et négatif, tendant à égaliser la tension.
On voit souvent dans la mythologie une figure entourée de deux acolytes ou compagnons : Mithra et les dadophares (porteurs de torches), le Christ entre les deux larrons.. Pareilles formations représentent l'unité et ses polarités. L'élément isolé apparaît entre les deux autres et joue le rôle de centre unificateur entre les pôles opposés. Dans ce cas, une certaine différence apparaît entre les trois éléments de même nature, puisque celui du milieu est en réalité la totalité et que les deux autres sont, en quelque sorte, l'illustration de ce que contient cette totalité. Il s'agit donc d'une dualité et d'un troisième terme qui l'unit.
. on garde à l'esprit que le 3 est en relation avec le mouvement et le temps, et en particulier avec le mouvement irréversible et inexorable de la vie. C'est pourquoi dans les contes de fées, l'histoire, ou la péripétie, est souvent divisée en trois phases, après quoi vient une quatrième qui les récapitule et qui amène soit une solution heureuse, soit une catastrophe. Le 4 conduit à une nouvelle dimension qui n'est pas comparable aux trois premiers stades.


CHAPITRE VI SUITE ET FIN DU CONTE : « LES TROIS PLUMES »

. quatrième épreuve. Un cerceau est suspendu alors au plafond de la salle et on demande aux trois épouses de sauter à travers. .
Nous avions rencontré l'anneau .. en tant que symbole d'union, et vu que, sous son aspect positif, il est le signe d'une obligation consciemment acceptée envers quelque puissance divine, c'est-à-dire envers le Soi ; sous son aspect négatif, au contraire, il représente la fascination exercée par un contenu inconscient, comme lorsque, captif d'un complexe ou de ses propres émotions, on se sent pris dans un « cercle vicieux ». P.115
Nous nous trouvons à présent devant un aspect différent de ce thème : le saut à travers l'anneau. Cette épreuve comporte deux actions simultanées, du fait que cela exige non seulement de bondir en hauteur, mais aussi de viser le centre du cercle afin de passer dedans. .. anciennes fêtes de printemps au cours desquelles les jeunes gens à cheval devaient frapper le centre d'une cible de leur épée. C'était un rite de fertilité en même temps qu'une compétition sportive pour les jeunes cavaliers.
L'idée est la même que dans le conte, puisqu'il s'agit de se défier à qui saura atteindre le centre d'un cercle. Cela permet d'approcher du sens de cette épreuve. .. un certain parallélisme entre cette coutume et l'art du tir à l'arc dans le Bouddhisme Zen. ..l'idée n'est pas de viser le centre de la cible à la façon extravertie des occidentaux (c'est-à-dire par adresse physique et concentration d'esprit volontaire), mais au moyen d'une forme de profonde méditation qui permet à l'archer de se placer intérieurement dans son propre centre (que nous nommons le Soi) d'où, de façon toute naturelle, il frappera le but extérieur. C'est ainsi que .. les archers zen parvenus au sommet de leur maîtrise, atteignent le but sans viser et même les yeux fermés. Cette discipline fournit un support technique à la découverte de la voie menant au centre intérieur de soi-même, tout en écartant les pensées, ambitions et impulsions du moi.
.. le saut à travers un cerceau ne se pratique plus qu'au cirque. . des tigres ou d'autres fauves sont forcés de sauter à travers des anneaux généralement enflammés. Plus l'animal est sauvage, plus la performance est excitante pour le public. .
Viser de façon juste le centre d'un cercle n'est guère difficile à interpréter. Sous la forme d'une action symbolique concrète et extérieure, cela correspond au secret qui consiste à savoir atteindre le centre intérieur de notre personnalité. Le but est, on le voit, tout à fait analogue à celui du tir à l'arc zen. Mais la personne qui saute à travers le cercle ne fait pas que viser le centre ; elle affronte une seconde difficulté, celle de quitter elle-même le sol - la réalité concrète - pour s'élever en l'air : elle est elle-même projectile. De plus l'anima-princesse, pour pouvoir passer au centre du cerceau, doit bondir à la hauteur juste. Il est souligné qu'elle y réussit excellemment. Les jeunes paysannes, cependant, sont si lourdes et si maladroites, dit le texte, qu'elles ne peuvent le faire sans choir et se rompre les membres : l'attraction terrestre est trop forte pour elles.
Ceci fait allusion à un problème très subtil que l'on rencontre au cours du processus de la réalisation de l'anima. Les hommes qui ignorent tout de la psychologie des profondeurs ont tendance tout simplement à projeter leur anima sur une femme réelle et à n'en avoir que l'expérience extérieure. Or, par introspection, un homme peut être amené à prendre conscience de ce que l'attraction exercée sur lui par la femme ne vient pas seulement d'un facteur extérieur, mais aussi d'un facteur interne qu'il porte en lui : l'image d'un être féminin idéal qui est aussi le guide de l'âme. Il arrive alors que le moi soulève un nouveau problème, sous forme d'un pseudoconf1it entre le domaine intérieur et le domaine extérieur, disant : « J'ignore si ce que je sens correspond à mon anima intérieure ou si cela concerne la femme concrète et réelle. Dois-je suivre la fascination de l'anima dans le monde extérieur ou l'introjecter et la comprendre comme étant d'ordre purement symbolique ? » .. révélateur d'une certaine tendance souterraine, sceptique et réductrice du genre : « Ce n'est rien que purement symbolique. » La forte propension à ne pas croire à la réalité de la psyché, qui fait partie de P.117 notre mentalité collective, fait ajouter généralement : « Faut-il que je ne la réalise qu'à l'intérieur ? Ne puis-je avoir aussi quelque chose d'extérieur et de concret ? » On voit là combien la conscience, avec son tour extraverti, se laisse prendre à une fausse proposition entre le « concret-extérieur » et le « symbolique-intérieur » séparant ainsi faussement en deux le phénomène de l'anima.
Ceci ne se produit que si un homme ne peut « soulever de terre » son anima ; celle-ci, semblable à une paysanne stupide, est alors incapable de sauter à la manière de dame grenouille. Se laisser piéger dans cette difficulté est le signe d'un sentiment peu évolué. Ce conflit typique n'est en effet pas suscité par la fonction sentiment, mais par la pensée qui crée une contradiction artificielle entre l'intérieur et l'extérieur. Entre le sujet et l'objet. En réalité, la réponse à ce dilemme est qu'il ne s'agit que d'un faux problème, car cela concerne la réalité de la psyché qui n'est ni extérieure ni intérieure : elle est aussi bien les deux que ni l'un ni l'autre. L'anima demande à être prise comme une réalité per se : si « elle », l'anima, aime à venir de l'extérieur, il faut la rencontrer là. Si elle préfère se présenter de l'intérieur, c'est là qu'il faut l'accepter. La tâche ne consiste pas à établir une différence antinaturelle et maladroite entre les deux ordres : l'anima est un phénomène unique, le phénomène de la vie. Elle représente le flot de vie psychique dont l'homme doit suivre les voies tortueuses, qui évoluent de façon très typique entre les deux rives de l'« extérieur » et de l'« intérieur ».
Un autre aspect de ce pseudo-conflit se traduit par une réflexion de ce genre : « Dois-je penser à mon anima avec dévotion spirituelle ? Dois-je, par exemple, prier la Vierge au lieu de regarder les jambes des jolies femmes et les désirer sexuellement ? » Il n'y a pas tellement de différence entre les deux ! Le haut et le bas sont un, et, comme tous les contenus de l'inconscient, ils possèdent tout un répertoire de ce que nous appellerions des manifestations spirituelles et instinctuelles. A la base, lors de leur apparition archétypique, il y a unité de ces deux acteurs. Et seule la conscience en sépare les aspects. Si un homme a réellement appris à entrer en relation avec son anima, le problème s'évanouit tout entier, car, dans ce cas, l'anima se manifestera à lui de façon immédiate, il demeurera concentré sur sa réalité et se détournera des pseudo-conflits qu'elle a pour habitude de soulever autour d'elle. En termes très ordinaires et très simples, disons qu'il essayera de suivre constamment son sentiment, son éros, sans considérer aucun des autres éléments, s'avançant ainsi à travers des mondes apparemment incompatibles, comme sur le fil d'un rasoir. Savoir se maintenir dans ce que Jung nomme la réalité de la psyché est comparable à un test d'équilibre acrobatique, à cause de la tendance naturelle de notre conscience à se laisser entraîner à des interprétations unilatérales, cherchant un programme ou une recette au lieu d'apprendre à se maintenir simplement entre les opposés, dans le flot de la vie. Il n'existe qu'une seule fidélité et une seule constance : la loyauté envers la réalité profonde de l'âme. Ceci est magnifiquement exprimé par le saut à travers le cercle : l'anima, à mi-chemin en l'air (ni trop haut, ni trop bas), qui traverse l'obstacle en passant exactement au centre.
Un autre conflit typique, suscité par l'inconscient au sujet de l'anima pour obliger un homme à différencier son éros, est la situation triangulaire dans le mariage. . « Si je repousse l'autre femme, je trahis mon propre sentiment pour des raisons conventionnelles. Si, par contre, je quitte ma femme et mes enfants pour aller avec celle sur laquelle est tombée la projection de mon anima, j'agis de façon irresponsable et je suis une humeur qui, peut-être bien, ne durera pas. Je ne puis P.119 faire les deux, pas plus que je ne puis prolonger indéfiniment une situation impossible. »
Si l'anima cherche à s'imposer à la conscience d'un homme, elle fait souvent apparaître un tel conflit. L'animus de sa femme dit : « Il faut te décider!» Et l'animus de l'amie s'excite, se fâche et dit : « Je ne puis continuer à m'accrocher ainsi!». Tout le monde et tous les événements le poussent vers des décisions fausses.
Là encore, la loyauté envers la réalité de la psyché est la seule solution possible ; l'anima tend généralement à manouvrer de telle sorte que l'homme se trouve placé dans une situation qui est censée être sans issue.
Jung avait coutume de dire que se trouver prisonnier d'une situation dont on ne peut sortir ou d'un conflit sans solution, est le point de départ classique d'un processus d'individuation. Le fait que ce soit une situation sans issue est intentionnel : l'inconscient veut le conflit sans espoir afin de mettre la conscience égotique au pied du mur, et d'obliger l'homme en question à prendre conscience de ce que, quoi qu'il fasse, ce sera erroné, et de ce que, quelque décision qu'il prenne, elle sera fausse. Le but est d'abattre la supériorité du moi qui agit toujours avec l'illusion qu'il a la responsabilité de la décision. . s'il a assez de sens éthique pour souffrir jusqu'au cour de sa personnalité, alors, généralement, en raison même du caractère insoluble de la situation consciente, le Soi se manifeste. En langage religieux, on pourrait dire que la situation sans issue est destinée à obliger l'homme à s'en remettre à un acte de Dieu. En langage psychologique la situation sans issue que l'anima sait créer avec tant d'habileté dans la vie masculine est destinée à le conduire dans une impasse, de telle sorte qu'il devienne intérieurement ouvert à l'intervention du tertium quod non datur - le troisième terme qui n'est pas donné- l'élément inconnu ; autrement dit, à l'expérience du Soi. C'est ainsi que l'anima est le guide vers la réalisation du Soi, bien que souvent de façon très douloureuse. Quand on imagine l'anima dans ce rôle de guide de l'âme, on a tendance à évoquer Béatrice conduisant Dante au Paradis, mais nous ne devrions pas oublier qu'il ne fit cette expérience qu'après avoir traversé l'Enfer et le Purgatoire. L'anima n'a pas pour habitude de prendre l'homme par la main pour le conduire directement au Paradis : elle le met d'abord dans un chaudron brûlant où elle le laisse gentiment rôtir pendant un certain temps.
Dans notre histoire, l'anima-crapaud vise le centre, tandis que les paysannes incarnent une attitude maladroite, engluée dans des idées de réalisation concrète, trop primitive et indifférenciée du point de vue du sentiment : c'est pourquoi elles échouent.
. « La vie symbolique » Jung 1939 . Il y déclare que nous nous trouvons actuellement tous prisonniers du rationalisme et que notre façon « raisonnable » d'envisager la vie en exclut tout symbolisme. .. combien plus riche est la vie pour les êtres qui demeurent encore au sein du symbolisme vivant de leurs formes religieuses traditionnelles. Ainsi que le découvrit Jung en lui-même, il est possible de rouvrir une voie vers un symbolisme vivant ; .. de la fonction toujours vivante qui en est la source. Nous atteignons celle-ci en demeurant attentifs à l'inconscient et à nos rêves. Lorsqu'il prête attention à ses propres rêves durant une longue P.121 période et qu'il les prend réellement en considération, l'homme moderne voit l'inconscient reconstruire en lui une vie symbolique. Mais cela présuppose que l'on n'interprète pas ses rêves de façon purement intellectuelle et qu'on les incorpore réellement à son existence. Il se produira alors une restauration de la fonction symbolique, qui se fera jour non plus dans le cadre d'une forme rituelle collective, mais avec un style et une coloration individuels. Cela implique qu'on ne se repose plus principalement sur le rationalisme du moi et ses décisions, mais qu'au contraire le moi se confie au flot psychique de la vie qui s'exprime dans le symbole et réclame de nous des actions de même ordre. Il nous faut observer la forme que notre propre fonction symbolique se propose de prendre. A ce propos, Jung insistait souvent sur une discipline à laquelle il se soumettait lui-même : lorsqu'une image onirique archétypique surgit avec force, il faudrait prendre la peine de la reproduire en dessin, même si on ne sait pas dessiner ou de la tailler dans la pierre, même si on ne sait pas sculpter, ou, par tout autre moyen, de se mettre en relation avec elle de façon concrète. Il ne faudrait pas sortir de l'heure analytique en oubliant tout ce dont il a été question et en laissant le moi organiser le reste de la journée. Il serait, au contraire bénéfique de demeurer toute la journée au contact des symboles de ses rêves et d'essayer de voir de quelle façon ils cherchent à pénétrer dans notre vie. C'est ce que Jung entend par vivre la réalité symbolique.
L'anima est le guide, et même l'essence de cette réalisation de la vie symbolique. Un homme qui n'a pas compris et assimilé le problème de l'anima est incapable de vivre ce rythme intérieur ; son conscient égotique et son intellect seuls ne peuvent le lui communiquer.
Dans la variante germanique . elle apparaît dans le monde supérieur sous la forme de grenouille. Tandis que dans le monde inférieur elle était une belle demoiselle. .. test final : « embrasse-moi et plonge. » .. action d'abaisser quelque chose en le plongeant dans l'eau ou dans la terre. Mais cela signifie aussi entrer en profonde méditation. Cette expression est utilisée dans le langage mystique et dépeint évidemment l'action de descendre dans notre propre eau ou terre ou intérieure - ou notre abîme-, de plonger dans nos profondeurs.
. ils ressortent sous la forme d'un couple humain. . le Nigaud doit la suivre dans son royaume, acceptant sa façon de vivre. Elle est un batracien, c'est-à-dire un animal semi-aquatique et à métamorphoses, dont toute la première partie de la vie se passe dans l'eau sous une forme proche de celle du poisson . Comme le crapaud .. la grenouille incarne ce moment de l'évolution où la vie, sortant des eaux-mères, commence à devenir terrestre, tout en demeurant liée au monde aquatique. Symboliquement, ce serait le moment où la conscience humaine sort de l'inconscient.
. En l'enlaçant pour plonger avec elle, le prince partage sa vie aquatique. L'époux suit donc son épouse dans son domaine au lieu que ce soit l'inverse. C'est parce qu'elle est acceptée pour ce qu'elle est qu'elle se transforme en être humain. Se fier à la grenouille et à son mode de vie signifie psychologiquement l'immersion dans le monde intérieur, dans la réalité intérieure. On aboutit donc à la même conclusion : à savoir que l'intention de l'anima est de convertir la conscience rationnelle de façon qu'elle P.123 accueille la vie symbolique et plonge en elle sans aucun dessein, ni aucune critique, ni objection rationnelle, mais dans un mouvement d'acceptation généreuse, disant : « Au nom de Dieu, quoiqu'il advienne, je saute dans la situation et je la vis ! » Cela nécessite du courage et de l'ingénuité, et le sacrifice de l'attitude intellectuelle rationnelle, ce qui est difficile aux femmes, mais encore plus aux hommes et en particulier aux Occidentaux, parce que cela va contre leurs tendances conscientes.
L'anima devient humaine lorsque se produit une rencontre des opposés : du fait que le prince va vers elle, elle monte vers lui. On constate toujours que la tension est extrême entre la situation consciente et le niveau trop bas des contenus inconscients, toute démarche d'un des côtés fait progresser simultanément l'autre. Ainsi, il arrive souvent qu'un homme rêve, par exemple, de l'anima sous la forme d'une prostituée ou d'une figure équivalente. Il prétendra probablement qu'elle est trop abjecte et qu'il ne peut aller jusque-là . Si quelqu'un surmonte pourtant la rigidité de ses préjugés et tente un geste généreux envers la partie inférieure de sa personnalité et de ses impulsions, il se produira le plus souvent un changement soudain : l'anima se manifestera à un niveau plus élevé. Cependant, il n'est pas bon de le dire à une personne qui se trouve confrontée avec ce problème, car cela diminuerait la valeur du sacrifice qu'elle doit accomplir courageusement, résolument et sans calcul. Si l'on fait preuve de cette fermeté de caractère et de cette honnêteté, il se produit généralement une sorte de miracle : cette partie soi-disant inférieure de la personnalité (qui n'en est arrivée à ce stade que par la faute de l'attitude hautaine du conscient), accède à nouveau à un plan humain.
Une troisième version (russe) de cette histoire .. présente une forme différente de rédemption de la dame-grenouille .

LA FILLE-GRENOUILLE DU TSAR

Bien des choses, dans ce récit, diffèrent des autres contes .. vus : il existe une influence féminine à la cour, si bien que le roi n'est pas du tout hostile au mariage de son plus jeune fils avec une grenouille. Il n'existe pas de forte tension entre les pôles masculin et féminin, pas plus qu'il n'y en a entre l'acceptation ou la non-acceptation de la vie selon le mode grenouille. . P.125
. la figure d'anima exécute ces fantastiques tours de magie à l'aide de la nourriture qu'elle cache dans ses manches et qui se transforme, lorsqu'elle secoue la main droite, en jardin où le chat chante et récite des contes en une sorte de paradis terrestre lorsqu'elle secoue la main gauche. Il apparaît clairement que l'anima est la créatrice de la vie symbolique, puisqu'elle transforme la nature ordinaire du corps en nourriture spirituelle de l'âme.. ; elle restaure le paradis, le monde archétypique de l'imaginaire. Le matou est une figuration de l'esprit de nature qui est le créateur des chansons populaires et des contes de fées. C'est donc une allusion il l'étroite relation qui existe entre l'anima (l'inspiratrice, la muse), et la capacité qu'a l'homme de s'adonner à un travail artistique et d'entrer en relation avec le monde de l'imaginaire. Un homme qui réprime son anima réprime par là même son imagination créatrice.
Créer une sorte de Fata morgana, de monde fantasmatique par la danse est un thème parallèle à celui de sauter dans le cercle. C'est un autre aspect de la création du monde symbolique, que l'on peut vivre en suivant ses rêves et ses phantasmes diurnes et les impulsions venues de l'inconscient, car le phantasme donne à la vie un rayonnement et une coloration qu'une vue trop rationnelle détruit. L'imaginaire n'est pas que non-sens égotique et caprice, il jaillit réellement des profondeurs et constelle des situations symboliques qui donnent à la vie sa signification et sa réalité profonde. Les deux autres femmes comprennent les choses trop concrètement. ..celles-ci mettent la nourriture dans leurs manches pour de mauvaises raisons, telles que l'ambition. C'est pourquoi cela tourne mal.
. Ivan fait une erreur en brûlant la peau de grenouille de sa femme. C'est là un thème très répandu.. L'anima apparaît pour commencer dans la peau d'un animal, soit un poisson ou une sirène, soit, plus fréquemment, un oiseau, puis elle se transforme en être humain. Habituellement, son époux conserve l'ancienne peau d'animal. Ils ont des enfants et tout semble aller pour le mieux, mais malheureusement, un jour, le mari insulte sa femme en la traitant de sirène, l'oie ou de toute autre figure qu'elle était primitivement. Elle se précipite alors sur son ancienne dépouille, la revêt à nouveau et disparaît. Quant au mari, il devra entreprendre une longue quête pour la retrouver, à moins qu'elle n'ait disparu pour toujours et qu'il ne meure. Dans ces versions, on peut penser qu'il aurait été préférable que l'homme ait détruit la peau, pour empêcher sa femme de la retrouver, et l'ayant mise, de disparaître P.129 .cependant, cela aussi est une erreur. Dans « Hans, mon hérisson » (Grimm), la peau d'animal est également brûlée : un prince a été victime d'un sort et se trouve transformé en hérisson ; la servante de sa femme jette la peau de hérisson dans le foyer, ce qui le délivre et il l'en remercie. Détruire la peau d'animal par le feu n'est donc pas négatif en soi : cela dépend uniquement du contexte.
Dans notre histoire, on ne nous apprend pas pour quelles raisons la combustion de la peau provoque la fuite de la femme. On peut imaginer que, par suite de la malédiction de son père, elle doit demeurer encore dans la nuit et l'obscurité en punition de ses fautes, et que le fait que ce processus soit interrompu rend l'épreuve plus sévère. Mais.. l'histoire ne donne aucune explication. Les contes de fées dans lesquels la peau animale est brûlée avec succès s'apparentent aux nombreux rituels de métamorphose par le feu. Dans la plupart des récits mythologiques, le feu a une qualité purificatrice et transformante, c'est pourquoi est il est utilisé dans beaucoup de rites religieux. En alchimie, le feu sert.. à brûler ce qui est superflu corps, de sorte que quelque chose d'indestructible demeure. ..les alchimistes commencent par calciner la plupart des substances qu'ils utilisent, détruisant ce qui peut être détruit. Ce qui résiste au feu, le résidu solide qui survit à la calcination, était considéré comme un symbole d'immortalité. Le feu est, par conséquent, le grand agent de transformation. Dans certains textes gnostiques, il est aussi appelé le Grand Juge parce qu'il départage, pour ainsi dire, ce qui est digne de survivre de ce qui ne l'est pas.
Pris dans un sens psychologique, où le feu équivaut généralement à la chaleur des réactions émotives et des affects, tout ce qui précède peut également s'appliquer à notre sujet. Sans le feu des émotions il n'est pas d'évolution possible et l'on ne peut développer la conscience. .. « Parce que tu es tiède et que tu n'es ni chaud ni froid, je te vomirai de ma bouche.»
( Apocalypse, III, 16.) Si quelqu'un au cours d'un processus analytique, se montre sans passion par rapport à ce travail et ne souffre pas, s'il n'y a en lui ni le feu du désespoir, ni haine, ni conflit ; s'il n'éprouve ni fureur ni ennui ni rien de cet ordre, on peut être à peu près sûr qu'il ne se constellera pas grand-chose en lui et que cela se réduira à une « analyse à bavardage ».. Le feu donc, même s'il est destructeur comme le sont les conflits jalousie ou tout autre affect de ce genre, accélère le processus de maturation ; il est réellement un « juge » et clarifie une situation. Les gens qui ont du feu se précipitent dans les difficultés et tombent dans des désespoirs, mais au moins, ils tentent quelque chose! Plus il y a de feu, plus on peut craindre les effets destructeurs des tours et des diableries, mais en même temps c'est ce qui entretient le processus. Si le feu s'éteint, tout est perdu.. L'ouvrier paresseux qui le laisse s'éteindre est perdu : c'est celui qui se contente de se mordiller le traitement analytique, mais ne s'y engage jamais de tout son cour. Il n'a pas de feu, aussi rien ne se produit. Le feu est donc bien le grand juge qui fait la discrimination entre le corruptible et l'incorruptible, entre ce qui est valable et ce qui ne l'est pas.. le feu a une qualité sacrée et transformante. Dans de nombreux mythes toutefois, le feu est le grand fléau ; certains décrivent la fin du monde dans les flammes. Les rêves dans lesquels une ville entière ou la maison du sujet est incendiée indiquent généralement qu'un affect déjà existant échappe à tout contrôle. P.131
Chaque fois qu'une émotion submerge le contrôle de soi, on voit apparaître le thème du feu destructeur. Avez-vous, dans un affect, accompli des actes horribles et irrémédiables ? . Il vous est peut-être arrivé d'agir par émotion de façon dévastatrice, anéantissant quelque chose ou rendant à tout jamais impossible la relation avec quelqu'un. ..évoquons les déclarations de guerre qui, généralement faites dans un état d'affect, mènent effectivement à une conflagration mondiale. Les phénomènes de masse montrent que les notions destructrices sont extrêmement contagieuses. Celui qui lâche les rênes et se laisse aller à de telles émotions a en général le pouvoir d'y entraîner les autres, alors se produisent, par exemple, ces terrifiantes explosions au cours desquelles quelqu'un est lynché ou abattu d'une balle, ce qui est uniquement dû au feu d'un affect subitement laissé en liberté. On constate à l'évidence, dans ce cas, le caractère terrifiant de l'émotion brûlante. On la rencontre aussi dans les constellations psychotiques lorsque, sous une rigidité de surface, des émotions énormes se sont accumulées. Ces explosions émotionnelles sont souvent représentées par une immense conflagration dans laquelle tout est détruit. II peut arriver alors que le sujet entre dans un tel état d'excitation qu'il devienne dangereux pour lui-même et pour les autres..
La calcination de la peau de grenouille se réfère donc à l'aspect négatif du feu, mais, dans le cas présent, il nous faut prendre en considération le fait que la grenouille est un animal à sang froid et aquatique, l'eau étant l'élément opposé au feu. Cet animal a l'humide pour habitat. C'est probablement une des raisons pour lesquelles l'application du feu à sa peau est particulièrement nocive : elle retire à la princesse sa qualité aquatique. Que signifierait le fait qu'un homme applique le feu destructeur à son anima humide ? ..l'anima, dans ce contexte comme dans la vie pratique, figure le don de l'imagination poétique, la possibilité de créer les formes symboliques de vie. Appliquer du feu à cette peau humide signifierait soumettre le phantasme créateur à un esprit soit trop analytique, soit trop impulsif et passionné. Beaucoup de gens, tuent leur vie intérieure secrète en s'emparant de leurs phantasmes et en les tirant à la lumière de la conscience avec trop d'avidité, les manipulant ou les interprétant sur-le-champ, et avec une intensité qui les ravage.
La créativité nécessite parfois la protection de l'ombre, et exige de demeurer ignorée. Ceci apparaît à l'évidence dans la tendance naturelle qu'ont beaucoup d'artistes ou écrivains à ne pas montrer leur tableau ou leur écrit avant de les avoir terminés. Ils ne peuvent même pas supporter une réaction positive.. (elle) peut détruire le clair-obscur, le travail de tissage caché et mystique de l'imaginaire dont l'artiste a besoin. Ce n'est que lorsqu'il a terminé son ouvre qu'il lui est permis de l'exposer à la lumière de la conscience et aux réactions émotives des autres. De même, lorsque vous remarquez qu'un phantasme monte en vous de l'inconscient, il est sage de ne pas l'interpréter aussitôt. Ne dites pas que vous savez ce dont il s'agit, le forçant ainsi à devenir conscient. Contentez-vous de le laisser vivre en vous dans la pénombre, portez-le intérieurement en vous contentant de rester attentif et devoir vers quoi il va et vers quel but il tend. Bien après, regardant en arrière, vous vous demanderez ce que vous faisiez pendant tout le temps que vous preniez soin d'un phantasme étrange qui menait à quelque but inattendu. P.133 Si, par exemple, vous êtes en train de peindre et que l'idée vous vienne d'ajouter ceci ou cela, ne pensez pas : « Je sais ce que cela signifie. » Si cela vous arrive, poussez cette idée et plongez-vous de plus en plus dans votre travail, de sorte que le tissu complet de symboles ait temps de se déployer dans toutes ses ramifications avant que vous n'en tiriez la signification essentielle. ..imagination active.. Ce n'est qu'à la demande expresse du sujet, et seulement dans le cas où les phantasmes sont trop envahissants et nécessitent d'être un peu rabattus, ou dans celui où ils ont déjà atteint un certain aboutissement, qu'on peut les analyser comme un rêve. Il vaut beaucoup mieux ne pas le faire tant que le phantasme se prolonge, Sinon le sujet devient conscient de lui-même et sait de quoi il peut être question, ce qui inhibe la suite du développement imaginaire.
Si un phantasme ou tout autre contenu inconscient est particulièrement chaud et lourdement chargé d'affect, il trouvera de toutes manières son chemin vers la conscience. Mais d'autres phantasmes sont davantage du type « grenouille » : c'est-à-dire qu'ils montent durant le jour sous la forme d'une pensée qui, en quelque sorte, se joue ; dans un moment d'inactivité, vous allumez une cigarette et il vous vient une étrange rêverie, peu chargée en énergie. Si vous bondissez avec trop de fougue sur de telles pensées, vous les détruisez. Pas plus que les petits êtres tels que les nains, il ne faut les regarder ; laissez-les simplement vivre autour de vous et ne dérangez pas leur travail secret ! Notre femme-grenouille appartient davantage à cette dernière catégorie car nous voyons que son esprit (le chat), chante des chansons.. ; c'est un esprit artiste qui laisse jouer son inspiration, ce qu'un tour d'esprit trop sérieux ou trop émotif pourrait détruire. Voilà probablement pourquoi Ivan fit une si grave erreur en brûlant la peau de grenouille ; en agissant ainsi, il retarda la rédemption définitive de l'anima.
Le fait de la retrouver à l'extrémité du monde est un thème qui revient fréquemment dans les contes de fées : un homme rencontre l'épouse qui lui est destinée et, par sa propre faute, la perd et doit faire un voyage interminable à travers le monde souterrain ou les sept cieux, pour la retrouver. Le premier temps de ce double rythme correspond, entre autres choses, à ce que l'on pourrait appeler le premier épanouissement qui souvent apparaît au début d'une analyse. Cela arrive souvent à des personnes qui se sont longtemps raidies dans une attitude consciente névrotique et qui ont par conséquent perdu le contact avec le flot de la vie, en abandonnant l'espoir d'échapper à leurs difficultés morbides. Entrant en analyse et recevant, d'une part la chaude attention d'un autre être humain et, d'autre part, retrouvant brusquement le contact avec les possibilités irrationnelles de l'inconscient, (si, par exemple, un rêve prospectif leur montre qu'en dépit de l'aspect apparemment désespéré de leur vie consciente il existe une possibilité irrationnelle positive dans l'inconscient), il arrive souvent qu'après quelques séances d'analyse se produise un épanouissement remarquable. Les symptômes disparaissent et le sujet fait l'expérience d'une guérison miraculeuse. Ne vous y trompez pas, cela ne dure que dans environ 50 % des cas. Dans tous les autres, après quelque temps, le flot de misères recouvre tout à nouveau et les symptômes réapparaissent. Pareil épanouissement initial se produit généralement quand l'attitude névrotique en cause est très éloignée des tendances de la vie inconsciente. De sorte qu'il est impossible de rapprocher les bords de la faille. Dans un premier temps, une relation s'établit entre les opposés et tout semble aller bien, puis P.135 la situation se raidit à nouveau et le progrès se défait. La guérison n'est réelle que lorsqu'un mode stable de relation s'est instauré entre conscient et inconscient et non pas lorsque, grâce à un transfert, une étincelle a traversé faille. Une condition constante de relation suivie doit s'établir avec « l'autre côté ». Construire cela prend généralement beaucoup de temps, mais c'est seulement à ce moment que l'on peut dire que la cure a obtenu un résultat vraiment durable, à l'abri des rechutes. Ce premier épanouissement est pourtant un événement archétypique.
..pourquoi l'inconscient ou la nature (quel que soit le nom que nous lui donnions) jouait un tour assez cruel pour, après avoir semblé guérir les gens, les laisser retomber dans leurs difficultés. . il y avait là un sens profond et probablement une finalité. Si certaines personnes n'avaient pas fait une brève expérience de bien-être et entrevu ce que cela pouvait être quand les choses vont normalement, elles ne supporteraient jamais de traverser les misères inhérentes au processus analytique. Seul le souvenir de ce paradis entr'aperçu peut les amener à persévérer au cours du voyage dans la nuit. C'est probablement la raison pour laquelle au début d'une analyse, l'inconscient présente parfois une possibilité merveilleuse de guérison et montre la façon juste de vivre et d'être heureux, puis la retire. C'est comme si l'on disait : « Voilà ce que tu auras plus tard. Mais il faut d'abord réaliser ceci et cela, et d'autres choses encore, avant d'y parvenir. ». Cela donne le courage de tenir bon, même si on se trouve dans une situation désespérée. Pour en revenir à notre conte, si Ivan n'avait pas contemplé son épouse dans sa beauté et s'il n'avait pas eu cette relation avec elle, il n'aurait certes pas marché jusqu'au Treizième Royaume du Tsar, au bout du monde, pour la rejoindre !
Cette histoire contient un autre thème intéressant. La dame-grenouille, nous dit-on, a été maudite par son père à cause d'une faute qu'elle a commise. On ne nous dit même pas si c'était réellement un péché ; ce n'en était peut-être un qu'aux yeux de son père ! Elle a fait quelque chose qui l'a irrité, si bien qu'en l'ayant maudite, il l'a obligée à vivre sous l'apparence d'une grenouille et l'a livrée à un dragon ; c'est de cela qu'Ivan doit la sauver.
Voilà qui est complexe, envisagé d'un point de vue psychologique, car dans notre histoire principale, « Les Trois Plumes », nous avions admis que l'anima se trouvait sous la forme peu évoluée de crapaud par suite de la mauvaise relation que la conscience entretenait avec le principe féminin. La situation consciente comportait seulement un roi et ses trois fils, et pas de femmes : le domaine féminin, tout entier réprimé, survivait sous une forme dégénérée. Ici, l'équilibre de l'histoire est tout à fait différent puisqu'on nous dit dès le début que le Tsar à une épouse. Il existe un principe maternel ; le féminin n'est pas absent de la structure consciente ; nous ne pouvons donc nous contenter comme explication de la répression de l'anima. Une autre difficulté vient de ce que la dame-grenouille a encouru la colère de son père, dont nous ne savons presque rien. . P.137
Au niveau conscient, nous avons cinq personnages, au lieu des quatre du conte des « Trois Plumes » ; la situation est donc complètement différente. ..une famille normalement équilibrée, où les hommes sont plus nombreux, mais ou rien de vital ne manque. Au-dessous du seuil de la conscience sont la dame-grenouille et son père.
Le père du monde d'en-dessous.. jette un sort à sa fille, ce qui la détourne de la conscience et la plonge dans les abîmes de l'inconscient. Son père lui barre donc la voie, l'empêchant de venir au jour et d'être intégrée, ce qui correspondrait au processus normal de la vie. ..ce qui paraît sûr, c'est qu'il ne veut pas que sa fille se marie à un niveau humain. ..pour une raison quelconque, il veut l'empêcher de devenir consciente. Peut-être désire-t-il la garder pour lui, comme cela est fréquent chez les pères, mais ..il ne sert à rien de spéculer sur de pareils troubles familiaux dans l'inconscient. L'existence de ces conflits souterrains est, quand on y réfléchit, quelque chose de terrible. Traduit en termes psychologiques, cela signifie qu'un complexe archétypique y combat un autre complexe archétypique. D'après ma propre expérience, un tel conflit est en général l'effet « par ricochet » d'un dérèglement de la relation entre ces deux mondes que sont la sphère du conscient et celle de l'inconscient. ..d'autres exemples où cela apparaît avec clarté, que le père du monde inférieur est en situation de tension conflictuelle avec le Tsar du monde supérieur. Ces deux pères se combattent, mais au lieu d'attaquer directement le Tsar, le père de l'anima retire sa fille du monde d'en-haut.
Qui est le père de cette princesse-grenouille ? Qui est le père de l'anima ? Dans bien des histoires européennes influencées par le christianisme, le père de l'anima a pour nom le diable. Dans les pays d'Europe où l'influence chrétienne s'est moins fait sentir, le père de l'anima est caractérisé comme étant une figure plus ancienne de Dieu. Ainsi, dans les pays germaniques, le père de l'anima apparaît sous la forme d'un vieillard possédant des traits propres à Wotan. Dans les légendes juives, c'est un ancien dieu du désert ou un démon. Dans certains contes islamiques, le père de l'anima est un grand djinn, ce qui renvoie aux démons païens des temps préislamiques. C'est pourquoi l'on peut dire de façon générale que le père de la princesse-grenouille incarne une image de Dieu plus ancienne qui, étant en contraste avec la nouvelle image dominante de la divinité, est réprimée par elle. La dominante nouvelle du conscient règne habituellement en se superposant à l'image plus ancienne de même ordre, mais il demeure souvent une secrète tension entre ces deux facteurs. C'est ce qui amène la malédiction de l'anima et la force à s'enfuir de la sorte.
Ce point est également important dans la vie pratique. Nous observons souvent, par exemple, que l'anima d'un homme est un être « vieux jeu » . Elle est souvent liée au passé historique, ce qui explique par exemple qu'un homme qui, au niveau conscient, est un courageux innovateur, prêt aux changements et aux réformes, puisse se révéler conservateur dès qu'il tombe dans une humeur d'anima ; il pourra devenir alors extraordinairement sentimental : un homme d'affaires peu enclin à la pitié, qui n'aura aucun scrupule à ruiner des gens, chantera des cantiques enfantins sous l'arbre de Noël, comme s'il était incapable de faire du mal à une mouche ! Son anima est demeurée dans le monde traditionnel de l'enfance. On peut constater le même genre de choses dans le domaine de l'éros, en ce qui concerne la foi dans les institutions que professent certains hommes. C'est, là aussi, un effet de l'anima. Ces convictions les rendent prisonniers du passé. Les femmes, que l'on considère comme plus conservatrices dans leur vie P.139 consciente (d'où le dicton suivant lequel elles tourneraient encore la soupe avec un bâton si l'homme n'avait as inventé la cuillère) ..ont souvent un animus avec un oil ouvert sur le futur, et un talent pour effectuer des changements. . Déjà, dans la Grèce ancienne, le culte dionysiaque fut, en grande partie, recueilli d'abord par les femmes et développé par elles. Les premières communautés chrétiennes furent également entraînées davantage par l'enthousiasme des femmes que par celui des hommes.
Lorsque l'ancienne image de Dieu garde l'anima dans le passé, une lutte se déclenche évidemment entre la nouvelle attitude de conscience et l'ancien ordre d'où l'anima est issue. . la princesse-grenouille est la conteuse, la musicienne, celle qui ne parvient pas tout à fait à trouver sa place dans le monde rationnel du Tsar. La véritable tension est entre les deux figures paternelles. C'est une chose que l'on rencontre souvent lorsqu'il y a un conflit dans l'inconscient : un contenu inconscient en heurte un autre qui, au lieu de le lui rendre, en heurte un troisième ; entraînant un effet indirect. C'est une réaction en chaîne qu'illustre bien l'histoire classique de la dame qui se fâche contre la cuisinière, laquelle vilipende la fille de cuisine, qui donne un coup de pied au chien, qui mord le chat et ainsi de suite. Le conflit semble calmé, et le voilà qui réapparaît en un point complètement différent, et on se demande où il se situe véritablement. .

CHAPITRE VII L'HOMME ET SON OMBRE

Bien qu'en dernière analyse presque tous les contes de fées tournent autour d'un symbole du Soi ou se trouvent « ordonnés » par lui, on y rencontre souvent aussi des motifs qui renvoient aux concepts junguiens d'ombre, d'animus et d'anima. . on devra se garder présent à l'esprit que l'on a affaire à des substructures objectives et impersonnelles de la psyché humaine et non à ses aspects individuels.
Envisagée en elle-même, l'ombre procède à la fois de l'inconscient personnel et de l'inconscient collectif. Dans les contes de fées, seul l'aspect collectif peut se manifester, comme c'est le cas, par exemple, pour la figure représentant l'ombre du héros. Celle-ci apparaît comme un héros sombre, plus primitif et plus instinctif que le héros proprement dit, sans nécessairement lui être pour autant moralement inférieur. Dans quelques contes, le héros (ou l'héroïne) n'a pas de compagnon sombre, mais il réunit en lui-même des traits positifs et négatifs, et même parfois démoniaques. Aussi peut-on se demander quelles sont les circonstances psychologiques qui amènent l'image du héros à se scinder en une figure lumineuse et son compagnon obscur. Une division de cette sorte se produit souvent dans les rêves au moment où une P.141 figure inconnue apparaît pour la première fois et cette scission indique que le contenu en train de se rapprocher du moi n'est que partiellement acceptable pour la conscience. Devenir conscient de quelque chose présuppose un choix de la part de l'ego. En général, un seul aspect du contenu inconscient peut être retenus à la fois, les autres étant rejetés : l'ombre du héros est donc cet aspect archétypique qui a été rejeté par le conscient collectif.
Bien que cette figure, dans les contes de fées, soit archétypique, son comportement caractéristique peut nous apprendre bien des choses sur l'assimilation de l'ombre au niveau personnel. . Ce conte en étant collectif, offre des analogies avec le problème individuel de l'intégration de l'ombre et montre bien quels aspects de ce processus sont typiques et généraux.

LE PRINCE RING

De nombreux contes de fées mettent en scène les membres d'une famille royale ; dans les autres, les héros sont des gens ordinaires tels que pauvres paysans, meuniers, déserteurs, et ainsi de suite. Dans cette histoire, le personnage principal est donc un futur roi, c'est-à-dire un élément encore inconscient, mais susceptible de devenir une dominante collective nouvelle qui permette une compréhension plus profonde du Soi.
Le prince poursuit la biche qui porte un anneau d'or.. Le parallèle grec de ce thème est la biche aux bois d'or du mont Cérynie, consacrée à Artémis, qu'Hercule poursuivit une année entière sans qu'il lui fut permis de la tuer. Dans l'une des versions du mythe, il la rejoint finalement sous les pommiers des Hespérides qui procurent l'éternelle jeunesse. Artémis, la chasseresse, se transforme souvent en biche, ce qui souligne la secrète identité qui relie le chasseur et la proie. P.145
La biche montre fréquemment le chemin ou trouve l'endroit propice pour traverser à gué une rivière ; mais il lui arrive, par contre, de séduire le héros pour le conduire à la catastrophe ou même à la mort, en le guidant jusque dans un précipice, la mer ou un marécage. Parfois aussi elle allaite un orphelin ou un enfant abandonné. Le cerf, lui, porte souvent un anneau ou une croix précieuse entre les bois, ou encore il possède une ramure d'or. En décrivant une biche avec des bois, ce conte indique que c'est une femelle (une image d'anima) et en lui assignant les attributs masculins que sont les cors, il signifie, de façon implicite, que c'est un être hermaphrodite en qui s'unissent des éléments d'anima et d'ombre. Un texte médiéval raconte que lorsque le cerf se sent vieillir, il mange d'abord un serpent, puis avale assez d'eau pour noyer ce dernier ; le serpent l'ayant simultanément mordu, le cerf doit perdre ses bois pour se débarrasser du poison. Après quoi, il peut se laisser pousser de nouveaux cors. « C'est pourquoi.. le cerf connaît le secret du renouvellement de soi-même : il laisse tomber ses bois ; ainsi devrions-nous apprendre à laisser tomber notre orgueil. » Le renouvellement de sa ramure est probablement la base naturelle des pouvoirs de transformation que la mythologie attribue au cerf. La médecine médiévale estimait que « l'os du cour du cerf » guérit les maladies cardiaques.
Pour nous résumer, nous dirons que le cerf symbolise un facteur inconscient et indique le chemin conduisant un événement crucial : soit au rajeunissement, à la transformation de la personnalité ou à la rencontre de la bien-aimée, soit à l'Au-delà (les Hespérides), soit même à la mort. De plus, le cerf est porteur lumière ou de symboles en forme de mandalas, cercle ou Croix. Tel Mercure ou Hermès, il apparaît comme un psychopompe type, un guide vers l'inconscient. Jouant le rôle de pont conduisant aux couches les plus profondes de la psyché, ce contenu de l'inconscient attire le conscient et le mène vers une connaissance nouvelle et des découvertes inattendues. En tant que sagesse instinctive résidant au sein de la nature humaine, il exerce une forte fascination et représente le facteur psychique inconnu qui, par exemple confère du sens au rêve. Son aspect de mort se manifeste lorsque la conscience a vis-à-vis de lui une attitude négative forçant l'inconscient à jouer un rôle destructeur.
Dans ce conte, la biche porte un anneau entre les cors. Or, le fils de roi se nomme Ring (Anneau), ce qui montre que le cerf possède une composante essentielle de la propre nature du prince et plus précisément son aspect non domestiqué et instinctif. A eux deux, ils représentent les faces complémentaires de l'entité psychique dont le prince est l'aspect anthropomorphique. Il est, pour commencer, un chasseur bredouille, car il n'a pas encore découvert les moyens de parvenir à sa réalisation individuelle. Bien qu'incomplet, il incarne la possibilité de devenir conscient, c'est pourquoi il lui faut d'abord trouver son propre opposé. De même, le cerf de l'allégorie doit avaler et intégrer son opposé sous la forme d'un serpent ou, dans certaines versions, d'un crapaud. On comprend dès lors que le cerf possède le secret du renouvellement et de la complétude du prince, symbolisés par l'anneau d'or.
Le prince s'en va chasser dans les bois, autrement dit dans le monde de l'inconscient, et se perd dans le brouillard, si bien que sa vue est assombrie et que tous les points de repère sont estompés. La perte de ses camarades est l'équivalent de l'isolement et du sentiment de solitude typique du voyage dans l'inconscient. Son centre d'intérêt s'est transféré du monde extérieur vers le monde intérieur, mais ce domaine intérieur lui est encore totalement inintelligible. A ce stade, l'inconscient apparaît comme absurde et déroutant.
La biche conduit le prince sur une plage où une méchante femme se tient penchée sur une barrique. L'anneau, objet de sa fascination, a dû apparemment être jeté dedans par la biche. L'anneau, symbole du Soi, représente en particulier le facteur qui crée la relation P.147 et la totalité de l'être intérieur essentiel. Poursuivant l'anneau d'or, attiré et conduit par la biche, le prince tombe entre les mains d'une sorcière qui, nous apprendrons plus tard, est la belle-mère de Snati-Snati. Dans la psychologie masculine, la belle-mère symbolise l'inconscient dans son rôle destructeur, dérangeant et dévorant.
. Cette apparente mésaventure se révèlera bénéfique, car il sera jeté sur une île où il trouvera Snati-Snati, son double magique et son compagnon dévoué. La vieille femme présente donc un caractère ambigu ; d'une main elle détruit, de l'autre elle mène à la réussite. Etant la mère terrifiante, elle figure la résistance naturelle qui s'oppose au développement d'une conscience plus haute mais qui, par ailleurs, fait appel aux qualités exceptionnelles du héros. En d'autres termes, en le persécutant, elle lui rend, service. Etant la seconde épouse du roi, la belle-mère est, en un sens, une fausse épouse ; du fait qu'elle appartient à l'ancien ordre que le roi représente, il lui faut s'en tenir à l'inconscience terne et pesante qui accompagne les institutions sociales ancestrales et s'opposer à la tendance au développement vers un nouvel état de conscience. Cette inconscience résolument négative maintient le prince en esclavage.
..le fût, devient le vaisseau qui le soutient à la surface des eaux, et, envisagé de ce point de vue, il est maternel et protecteur ; de plus, il permet aux courants marins de le porter à l'endroit qu'il faut. Envisagé négativement, cependant, il signifie une régression dans le sein maternel et c'est une prison qui l'isole. Le sentiment de confusion, d'égarement et d'incapacité à trouver une issue, déjà suggérée par le thème du brouillard, s'intensifie ici. Sur le plan de la réalité psychologique, on peut l'interpréter comme un stade de possession par un archétype qui est, dans le cas présent, celui de la mère. En d'autres termes, le prince Ring est maintenant sous la malédiction d'une image maternelle négative qui cherche à l'isoler de la vie et à l'absorber.
Le baril correspond à la baleine de l'histoire de Jonas, .., exemple typique du « voyage nocturne sous la mer ». C'est un stade de transition, dans lequel le héros est enclos dans l'image maternelle comme dans un vaisseau. Cependant, le fût ne fait pas qu'emprisonner le héros, il l'empêche également de se noyer. On peut comparer ceci à la névrose qui, par sa tendance même à isoler l'individu, le protège. La situation de solitude névrotique est positive lorsqu'elle protège la croissance d'une nouvelle possibilité de vie. Cela peut être une phase d'incubation qui tend à la formation d'une personnalité consciente plus vraie et de contours mieux définis. C'est le rôle que joue la futaille pour Ring.
De même que le tonneau, l'île est un symbole d'isolement. C'est généralement une zone magique hantée par des personnages d'un autre monde, et sur cette île vivent des géants. Les îles accueillent les projections de la sphère psychique inconsciente : ainsi y a-t-il des îles des morts, et, dans l'Odyssée, la nymphe captatrice Calypso, « celle qui est voilée », et la sorcière Circé vivent toutes deux dans des îles, et sont en un sens des déesses de la mort. Dans ce conte, l'île n'est pas le but du héros, mais seulement une autre étape transitoire. Dans l'océan de l'inconscient, l'île est une portion de psyché consciente dissociée (nous savons que, sous la mer, les îles sont généralement reliées au continent) ; aussi représente-t-elle un complexe autonome, presque entièrement détaché de l'ego, qui possède une sorte d'intelligence propre. C'est un morceau de conscient, fascinant et imprécis, qui peut avoir sur l'individu un effet subtil et insidieux.
Les gens peu évolués psychiquement ont fréquemment des complexes bizarres et tout à fait isolés qui coexistent bien qu'ils se contredisent presque complètement l'un P.149 l'autre.. Le complexe élabore son propre champ de « conscience », à part du champ originel où l'ancien point de vue prévaut ; c'est comme si chacun était une île indépendante avec ses ports et son trafic propres.
. Les géants.. sont en relation étroite avec les phénomènes naturels. . Mythologiquement, ils sont souvent les « anciens » de la création dont la race est éteinte. . Certaines cosmogonies les décrivent comme des prédécesseurs des êtres humains, inaptes à survivre. Ainsi l'Edda montre le géant Sutr séparant à l'épée les pôles opposés, feu et glace, et continue en racontant la création du géant Ymir partir du mélange entre ces opposés. Ensuite Ymir fut abattu, et des nains émergèrent de ses entrailles comme des vers. Chez les Grecs, les Titans s'étant rebellés contre Zeus, celui-ci lança sur eux sa foudre et les extermina ; suivant la tradition orphique, les hommes naquirent de la fumée qui s'éleva de la combustion de leurs corps. Ou encore, les géants, s'étant enivrés d'orgueil, furent détruits par les dieux, et les hommes héritèrent de leur terre, Les géants sont donc une race surnaturelle, très ancienne, et seulement à demi-humaine. Ils représentent des facteurs émotionnels, des énergies brutes, qui n'ont pas encore complètement émergé au niveau de la conscience humaine. Ils possèdent une force énorme et sont connus pour leur stupidité. Aisés à tromper, ils sont la proie de leurs propres affects, donc incapables de mener à bien leurs projets. Les puissantes pulsions émotionnelles qu'ils représentent sont encore enracinées dans un sous-sol archétypique. Or, lorsqu'on devient victime d'impulsions aussi illimitées, on est submergé par elles, hors de soi-même : on devient sauvage et aussi stupide qu'un géant ; on est capable de déployer une force « gigantesque » pour s'effondrer aussitôt après. Dans un contexte plus positif, on sera inspiré, transporté, comme dans les histoires de saints que des géants aidèrent à construire une église en une seule nuit : c'est là l'aspect positif de ces émotions semi-conscientes et non domestiquées. A de pareils moments, comme chauffé à blanc, l'homme peut accomplir une grande tâche.
Un couple de géants mariés vit sur cette île. Au début de l'histoire, il n'est pas fait mention des parents du prince : les images parentales manquent, ce qui est une lacune inhabituelle dans les contes. Les géants sont donc probablement l'équivalent énergétique et la forme archaïque des parents. ..on peut conclure qu'il n'y a plus de principe régulateur de la conscience, et que celle-ci a régressé dans une forme archaïque. Il existe toujours une force dominante de quelque nature et si le principe régulateur et guide fléchit, il se produit un recul vers des comportements passés. . des géants - des forces collectives et émotionnelles incon trôlées - gouvernent la terre. La société P.151 est dirigée inconsciemment par un principe primitif et archaïque.
. Historiquement, la cuisine est le centre de la maison ; c'est la place des cultes domestiques. On plaçait les « dieux du foyer » sur le fourneau de la cuisine, et, aux temps préhistoriques, on enterrait les morts en dessous. Etant le 1ieu où la nourriture est transformée, la cuisine est aussi analogue à l'estomac. Dans son aspect desséchant et consumant aussi bien que dans sa fonction d'illumination et de chauffage, elle est le centre de l'émotion, ce qui montre que la lumière de la sagesse ne peut venir que de la chaleur de1a passion. Si le chien se trouve dans la cuisine, cela signifie qu'il représente un complexe dont l'activité se révèle tout spécialement dans la sphère émotive.
Snati-Snati est gardé par les géants à la fois comme une sorte de mystère et une sorte de fils. Le thème de la chambre défendue et de son effrayant secret est très répandu. Quelque chose d'étrange et de très important y est habituellement gardé, ce qui représente à nouveau un complexe entièrement réprimé et isolé, incompatible avec l'attitude consciente. C'est pourquoi l'on répugne à approcher de la chambre interdite, en même temps qu'on est fasciné par elle et que l'on désire y pénétrer.
L'être dans la chambre défendue entre souvent en rage quand quelqu'un tente d'y entrer ; cela signifie que le omp1exe refoulé s'oppose aussi à l'ouverture de la porte. Les deux aspects incompatibles résistent au fait d'être rendus conscients avec, pour résultat qu'ils se repoussent l'un l'autre comme deux particules d'électricité négative : on peut donc dire que la répression est un processus énergétique réciproque. Beaucoup de phénomènes psychologiques s'expliquent mieux si l'on prend pour hypothèse que la vie psychique a des caractéristiques analogues à celles des sciences physiques. .
Ici le chien répond immédiatement à l'avance de Ring. Il n'est ni monstre ni dieu et maintient une bonne relation avec l'homme, si ce n'est qu'il se tient anormalement éloigné du héros. Le fait que les géants n'aient pas d'objection à ce que Ring emmène le chien montre qu'il n'y a pas de résistance de la part de l'inconscient ni de grande tension entre la conscience humaine et le monde des instincts ; autrement dit, l'assimilation des contenus figurés par celui-ci est relativement facile. .
Le héros et le chien regagnent le continent et se rendent au palais d'un roi.. On remarquera que ce roi, qui n'est pas le père de Ring, est celui de l'anima, et qu'il n'y a pas de reine : son absence peut être mise en relation avec le fait que Ring et le chien sont tous deux sous l'influence d'une image de mère négative. De plus, de précieux trésors appartenant à ce roi ne sont plus en sa possession mais sont conservés par une terrible mère-géante qui vit avec sa famille sur une montagne.
L'intendant Rauter, (souvent aussi appelé Rot.. « Rouge » ou « Chapeau rouge », ce qui fait allusion à la violence de ses émotions) est un personnage que l'on rencontre souvent dans les contes de fées nordiques, comme, par exemple, dans « Fernand le Loyal et Fernand le Déloyal » , où la figure d'ombre conseille aussi au roi ce que le héros, son double, P.153 doit faire. Cet assassin à la cour du roi est un aspect destructeur de l'ombre du héros, une fonction discordante qui sème l'inimitié et le désordre. Parce que le prince est trop passif et trop bon, Rauter doit incarner ses pulsions et ses émotions sombres encore inassimilées, telles que jalousie, haine et passion meurtrière. Mais ce cruel ministre remplit une fonction essentielle, car il crée les tâches dans lesquelles Ring sera capable de se distinguer ; .. c'est ainsi que l'ombre mauvaise a une valeur positive et une qualité luciférienne de porteuse de lumière. C'est une force stimulante de l'inconscient qui n'est mauvaise qu'aussi longtemps que sa fonction est incomprise et qui s'efface dès que le héros a gagné la jeune fille et le royaume. Que la figure sombre perde son pouvoir aussitôt que le héros a triomphé est un dénouement typique ; ce rôle s'avèrerait inutile si le héros avait assez d'énergie et était capable d'accomplir ses tâches par lui-même. Tel Méphisto pour Faust, Rauter est pour Ring un instrument involontaire de développement.
.. problème du mal tel qu'il est appréhendé du point de vue de la nature. ..les incitations au mal nous procurent des occasions d'accroissement de conscience. Il semble que la nature adopte cette façon de voir.. Lorsque nous parvenons à nous rendre compte de notre avidité, de notre jalousie, de notre dépit, de notre haine et ainsi de suite, ceux-ci peuvent être tournés en gain, car beaucoup de vie est accumulée dans des émotions aussi destructives, et lorsque nous disposons de cette énergie, celle-ci peut être dirigée vers des buts positifs.
Le caractère dominant de cet intendant.. est l'envie ; or, l'envie est une impulsion qui tend à réaliser quelque chose en nous-mêmes, que nous avons négligé et qui n'est pas compris. Elle naît de la conscience diffuse d'une déficience de notre propre caractère à laquelle il faudrait remédier : elle indique un manque qui doit être comblé. L'objet de l'envie figure ce que l'aurait pu soi-même créer ou réaliser, aussi est-ce un défaut auquel il est possible de remédier.
...Rauter incarne la cruauté et la ruse, aspects d'ombre dont le héros pourrait et devrait être conscient. Ces éléments auraient dû être contenus et fusionner dans l'archétype même du héros. . dans quelle mesure des facteurs aussi négatifs consolident-ils la position du roi ? Ils sont parfois incarnés dans la personne du roi, lorsque celui-ci impose lui-même au héros les tâches impossibles, parce que le nouvel ordre (personnifié par le héros) doit démontrer qu'il est plus fort et meilleur que l'ancien ; en d'autres termes, qu'il créera un meilleur état de santé psychique collective et procurera une vie culturelle plus riche. . Les nouveaux chrétiens se sentaient davantage de bien-être, ils avaient plus de vitalité, un enthousiasme neuf, une attitude pleine d'espérance et ils étaient socialement actifs, tandis que les païens étaient désabusés et que leur élan spirituel s'était usé. . Les peuples guettent les signes de vitalité et se joignent au mouvement qui paraît capable de leur apporter le bien-être intérieur et extérieur. C'est ainsi qu'un nouveau système de conscience démontre sa supériorité et gagne l'anima (la fille du roi) ou, en d'autres termes, les âmes des hommes.
Le service à la cour d'un roi étranger est un motif fréquent, et le héros qui l'entreprend devient presque toujours l'héritier du trône. Ce thème apparaît lorsque le principe qui gouverne le conscient collectif devient opprimant et que le temps est venu pour lui d'abdiquer.
..les tâches du héros, ..sont, en général, des ouvres civilisatrices . P.155 . La première des tâches, .. est l'abattage d'arbres, c'est-à-dire la formation d'une clairière où la lumière de la conscience puisse pénétrer dans l'inconscient collectif et en maîtriser une partie. Un bois est une région où la visibilité est limitée, où l'on peut perdre son chemin, où des animaux sauvages et des dangers inattendus peuvent se présenter ; aussi, comme la mer, c'est un symbole de l'inconscient. ..la formation d'une clairière marquait une étape culturelle.
L'inconscient est une nature sauvage qui a tendance à ravaler toute tentative humaine vers le progrès, comme la forêt contre laquelle l'homme primitif est obligé de demeurer éternellement vigilant.
Outre cela, la forêt, monde végétal, est une forme organique qui tire sa vie directement de la terre et transforme le sol. Grâce aux plantes, la matière inorganique devient vivante. Du fait que les végétaux puisent une partie de leur nourriture dans les contenus minéraux de la terre, ils représentent une forme de vie étroitement reliée à la matière inorganique, ce qui peut être mis en parallèle avec la vie du corps dans ses rapports intimes avec l'inconscient.
Afin de pouvoir accomplir les difficiles tâches, Prince Ring a besoin de l'aide de son autre aspect d'ombre, le chien.. Tous deux deviennent de solides alliés et le héros réussit, aidé de ses instincts qui apparaissent sous cette forme d'ombre positive. D'autre part la relation avec son instinct procure au héros le sens de la réalité dont il manque et l'enracine en ce monde.
..vaincre les taureaux sauvages. L'égorgement du taureau était un rite d'importance capitale dans les mystères mithriaques ; ..vestiges .. en Espagne.. au Mexique. Tuer le taureau est l'affirmation et la preuve de l'ascendant de la conscience humaine sur les forces animales émotives et sauvages. De nos jours le taureau n'est pas dominant dans la psyché inconsciente ; notre difficulté consiste, à l'inverse, à retrouver le chemin vers notre vie instinctuelle et animale. Mais, dans cette histoire, le héros doit assurer son contrôle sur lui-même et développer ses qualités viriles avant que le chien puisse être racheté.
..reprendre les trésors volés ; le fait que l'action se déroule sur une montagne est d'importance. Dans les religions indiennes, la montagne est reliée à la déesse-mère. Etant proche des cieux, c'est souvent le lieu de la révélation.. Dans bien des mythes de création elle prend le sens de repère d'orientation, comme ..dans l'apparition initiale de quatre montagnes aux points cardinaux. Certains Pères de l'Eglise identifièrent les apôtres et chefs spirituels de l'Eglise à des montagnes. Richard de St Victor interprète la montagne sur laquelle se tient le Christ comme un symbole de la connaissance de soi conduisant au royaume de l'inspiration et de la prophétie. La montagne est souvent le but d'une longue quête et le lieu de la transition vers l'éternité. Le thème de la montagne est donc aussi en rapport avec le Soi.
.. la montagne a ici affaire avec la grande déesse, en la personne de la mère-géante. La montagne situe aussi la place - l'étape de la vie - où le héros, après des efforts ardus (l'escalade), commençant à s'orienter, acquiert fermeté et connaissance de soi. Ces qualités se développent dans l'effort pour devenir conscient, au cours du processus d'individuation. En l'occurrence, l'aspect que présente la géante est principalement en relation avec le problème de la mère ; aussi le héros doit-il livrer un terrible combat dans lequel il lui faut pouvoir compter sur son instinct ; c'est pourquoi Ring laisse son chien le guider. P.157
La connaissance de soi est symbolisée par les précieux objets d'or que le prince trouve sur la montagne, et par le sel que Ring jette dans le gruau. Le sel issu de la mer, en a l'amertume. L'idée d'amertume est associée également à celle des larmes et donc de tristesse, de déception et de perte. En latin, sal signifie aussi « esprit » et « plaisanterie ». Le sel en alchimie est appelé « le sel de la sagesse » parce qu'il donne un pouvoir spirituel pénétrant et qu'il est un des principes mystiques du monde, comme le soufre et le mercure (vif-argent). Donc la sagesse, ainsi qu'une tournure d'esprit sceptique, le chagrin poignant ou l'ironie peuvent tous être symbolisés par le sel. Certains alchimistes le prescrivent comme seul moyen de combattre le démon. D'autre part, ..on le vénère en tant que principe d'Eros et on en parle comme de « Celui qui ouvre et unit ». On peut en conclure que le sel symbolise la sagesse Eros, avec son amertume aussi bien que son pouvoir de donneur de vie, sagesse acquise à travers les expériences de sentiment.
.. le principe d'Eros guide le héros dans sa quête, et le sel est utilisé pour isoler les géants et les rendre vulnérables. Le héros fait preuve d'une certaine attitude spirituelle qui a davantage de ressources que l'esprit lent des géants.
.. les aspects d'ombre tels qu'ils apparaissent .. se présentent sous la forme de deux personnages : le chien et Rauter ; un des doubles est animal et bienveillant, l'autre humain et malveillant, l'un positif, l'autre négatif. Le chien est intimement lié au héros, tandis que Rauter peut être séparé de lui et n'est que transitoire. Tous deux n'ont achevé de jouer leurs rôles respectifs que lorsque le chien est uni à l'anima.
Bien que l'on ne puisse négliger le fait que le chien figure une partie inconnue de la psyché humaine exprimée au mieux par l'image de cet animal - car, comme tout symbole, il est sa meilleure expression -, on peut tenter d'en circonscrire davantage le sens. .. dans l'antiquité, le, chien était considéré comme le garant de la vie éternelle, tel Cerbère, le gardien de l'Hadès ou les représentations de chiens sur les tombes romaines. Dans la mythologie égyptienne, le dieu Anubis à tête de chacal est le guide vers le monde souterrain et il est dit qu'il réunit les membres épars du cadavre démembré d'Osiris. . En Grèce, le chien est relié au dieu guérisseur Esculape, qui sait se soigner lui-même en absorbant des herbes. Le chien a généralement une relation très positive avec l'être humain : il est un ami, un gardien et un guide. Mais, en tant que porteur de folie (rage), il était aussi, dans les temps anciens, extrêmement craint et l'on prétendait qu'il apportait la maladie et la peste. De tous les animaux, le chien est celui qui est le mieux adapté à l'homme, répond davantage à ses humeurs, l'imite, et comprend ce qu'on attend de lui. Il est l'essence de la capacité de relation.
Snati-Snati, cependant, n'est pas vraiment un chien, . il représente une poussée instinctive qui se transformera plus tard en qualité humaine. ..cette pulsion animale qui a besoin d'être intégrée et le demande contient une qualité inhérente et cachée du héros. Le chien est son aspect instinctif complémentaire, dont l'assimilation place la réalisation de lui-même dans une vie à trois dimensions.
Le personnage de Rauter est quelquefois remplacé, .. par deux frères ennemis du héros ; ceux-ci représentent des tendances vers un développement soit trop « spirituel », soit trop « instinctif ». Rauter a une nature jalouse, ce qui entraîne un dangereux penchant à l'unilatéralité. Il symbolise la possessivité passionnée ; cependant il remplit, .. P.159 une fonction positive en imposant des épreuves impossibles au héros. Mais dès que se manifeste l'anima, il doit disparaître.
En désespoir de cause, il essaye d'assassiner le héros et se fait attaquer par le chien, c'est-à-dire par une réaction instinctive qui l'empêche d'accomplir son forfait. . L'endurance a une grande importance quand on est en présence de forces mauvaises. Celui qui est capable de se contrôler sans se mettre en colère sera le vainqueur. Certains contes dépeignent même un pari entre le héros et l'esprit mauvais qui consiste en ce que le premier qui donne libre cours à ses émotions perd la vie. Se mettre en colère correspond toujours à un abaissement de conscience, sorte de saut dans des réactions primitives ou même animales.
.. sa (à Rauter) passion animale pour la pure destructivité effaça ce qu'il pouvait y avoir de bon en lui, c'est pourquoi il fut vaincu par l'animal. Il représente au sein de la psyché une portion de mal inassimilable, qui résiste à la sublimation et qui doit être rejetée. Un alchimiste remarquait qu'il existe dans la prima materia une certaine quantité intraitable de terra damnata - de terre damnée - qui défie tout effort de transformation et qu'il faut éjecter. Toutes les pulsions obscures ne se prêtent pas à la rédemption. Certaines, saturées de mal, ne peuvent être laissées libres d'agir et doivent être sévèrement réprimées. Ce qui est contre nature et s'oppose aux instincts doit être arrêté de force et déraciné. L'expression « assimilation de l'ombre » s'applique aux aspects infantiles, primitifs et sous-développés de notre nature, tels que les dépeignent les images de l'enfant, du chien, ou de l'étranger. Mais il existe des germes mortels qui peuvent détruire l'être humain et auxquels il est nécessaire de résister ; il faut, de temps à autre, agir durement et ne pas accepter tout ce qui monte de l'inconscient.
Snati-Snati se révèle être un prince, et l'on peut se demander pourquoi il avait été transformé en chien. Ceci est en relation avec la double nature de ce phénomène ambigu qu'est l'instinct. Les biologistes le considèrent comme un mode de comportement significatif mais non réfléchi, une structure innée que seuls les animaux supérieurs sont capables de modifier. Ce schéma de comportement se compose de deux facteurs : d'une part une activité physique et d'autre part une représentation ou une image de cette activité. Cette dernière étant nécessaire à l'actualisation de la première. L'image joue le rôle de catalyseur dans les phénomènes physiques en même temps qu'elle révèle le sens de l'action. Normalement, ces deux facteurs coexistent et agissent de concert, mais ils peuvent se trouver séparés. Si une autre image est substituée à l'originelle, le comportement peut s'attacher à la nouvelle image. Ainsi, des bécasses écloses dans une couveuse artificielle adressent leur parade amoureuse aux simulacres en bois que leur présentent les assistants humains, car ceux-ci sont investis de l' « imprégnation » de l'image maternelle. Ces images ou figurations sont ce que nous appelons des images archétypiques.
Snati-Snali est donc la représentation d'une structure psychique dans laquelle la réalisation de soi-même apparaît d'abord sous la forme d'instinct, puis sous la forme complémentaire humaine qui y était contenue. La métamorphose purement canine de cette pulsion est le résultat d'une fausse conception de l'individuation, entretenue par la conscience, et qui correspond à la malédiction de la belle-mère.
Chaque époque entretient des conceptions collectives largement répandues sur ce qui constitue la voie de l'individuation. Ainsi, au Moyen Age, l'idée que l'on devait modeler sa vie entière et sa conduite intérieure sur celles du Christ .. La notion courante à notre époque est, par contre, que l'on est guéri, épanoui et rendu complet lorsque les instincts physiques, et tout particulièrement l'instinct sexuel, sont « normaux ». Si l'on en P.161 croit l'école freudienne, la racine de tout mal est la répression sexuelle ; si les fonctions érotiques prennent leur cours naturel, tout est en ordre et les problèmes sont résolus. Les dévots de cette foi tendent toute leur énergie vers ce but, mais sont amenés souvent à se rendre compte qu'ils ne peuvent pas se débarrasser de leurs inhibitions de cette façon. Justement parce qu'il est surestimé, l'acte spontané ne peut s'accomplir naturellement. On charge l'instinct d'aspirations psychiques et l'on place une idée mystique de rédemption dans un acte biologique. Quelque chose qui n'appartient pas à la sphère animale y a été projetée. D'autres exemples de mélanges de cette sorte se retrouvent, par exemple, dans la conviction que la pleine signification de la vie sera atteinte quand le communisme ou un quelconque autre ordre social se sera établi.. réalisant leurs désirs les plus élevés. Le même mélange se rencontre dans l'idéal du guerrier de certaines cultures, tel que l'ont revécu les nazis. Ils avaient mis leur aspiration vers l'individuation dans leur programme politique, si bien que de fausses interprétations collectives le pervertirent, lui retirant toute âme. A cause de cette confusion avec l'individuation, la jeunesse du pays consacra à cet idéal dévotion, émotion et désir de sacrifice, qualités admirables en elles-mêmes, mais auxquelles il avait été donné une fausse direction. Parce que le millenium (Le royaume de mille ans) est, à l'origine, un symble du Soi, il prit possession de leur imagination. Prenez, par exemple, l'idée incroyable des femmes ayant des enfants pour le Führer : la notion sous-jacente est que la fécondité féminine devrait être subordonnée à la conduite d'un principe spirituel, c'est-à-dire que les femmes ne devraient pas produire des enfants à la façon des animaux, mais sous le contrôle d'un principe régulateur de vie. La projection sur un individu concret et l'erreur intellectuelle qui fit mettre l'accent sur l'aspect matérialiste de la chose faussa tout et poussa les femmes à se dégrader.
Lorsque des facteurs symboliques sont réprimés, ils encombrent les instincts, c'est pourquoi il est nécessaire de les distinguer les uns des autres de façon que les instincts authentiques puissent fonctionner sans être surchargés d'éléments qui ne leur appartiennent pas. .. si l'on surévalue la sexualité, on place quelque chose dans la sphère animale qui n'en fait pas partie ; un véritable effort d'intégration de l'ombre est nécessaire pour permettre à l'instinct de fonctionner d'une façon harmonieuse.
.. le voyage du prince, sa route se révèle circulaire -en forme d'anneau - car la quatrième étape est secrètement analogue à la première. Toutes deux étant gouvernées par la belle-mère sorcière.
.
Le héros retourne finalement là d'où il est parti, mais son circuit lui a attaché le chien(Ring 2), la princesse et le royaume. Le processus est celui d'une augmentation continue, d'une totalité croissante, ordonnée comme un mandala, ce qui est une structure typique des contes de fées.
Le déroulement de ces quatre stades mène de plus en plus profond dans l'inconscient. Dans les étapes 2 et 3 P.163 c'est le héros qui montre le chemin, mais dans 3 et 4 le chien guide le héros. A la 4ème phase, tous les éléments mauvais disparaissent : le couple de géants sur l'île meurt de vieillesse, les autres, y compris la grande sorcière, sont tués, et Rauter est pendu. Les stades 1 et 4 ont une secrète identité parce qu'ils concernent tous deux le même complexe psychique à différents niveaux. La biche, la sorcière au bord de la mer et la géante sont en réalité une seule et même figure - celle de la mère négative qui persécute aussi bien Ring 1er que Ring 2.
Le quatrième état accomplit ce qui était latent.. : le mariage avec l'anima et l'émancipation de l'ombre sous la forme du chien (après qu'il a d'abord été libéré de la cuisine interdite). Ce n'est qu'en atteignant la relation avec le Soi que l'ombre et l'anima sont réellement intégrées, parce qu'alors seulement la situation se stabilise. Cette dernière structure apparaît fréquemment dans les contes qui mettent en scène des personnages royaux, et se terminent généralement sur un groupe de quatre personnes.
Ce conte .. représente un processus énergétique de transformation à l'intérieur du Soi, comparable aux transformations qui prennent place à l'intérieur de l'atome ou de son noyau.

CHAPITRE VIII LE DEFI DE L'ANIMA

LA PRINCESSE ENSORCELEE

Une variante.. : l'homme dont le héros paye l'enterrement avait été un trafiquant de vin qui avait eu pour habitude de vendre son vin dilué d'eau. L'esprit de la montagne est un troll, un démon, vers qui la princesse vole chaque nuit sur un bouc. Au lieu de simplement deviner, le héros doit fournir les objets auxquels elle pense, qui sont : une paire de ciseaux, une bobine d'or et la tête du troll. Avant d'atteindre le domaine de la princesse, les deux compagnons doivent combattre trois sorcières et franchir une rivière. Le compagnon-fantôme rend possible la traversée en lançant la bobine d'or sur la rive opposée : la bobine revient d'elle-même, dévidant son fil d'or dans les deux sens jusqu'à former un pont P.167 .. Finalement, près avoir conquis la princesse, le héros doit la baigner dans du lait et la battre jusqu'à ce qu'elle perde sa peau le troll, sinon c'est elle qui l'assassinerait. En paiement de son aide, le héros a accepté de céder à son compagnon la moitié de ce qu'il gagnerait. Au bout de cinq ans, celui-ci vient réclamer son dû et demande au prince de partager son fils en deux et de lui en donner la moitié, mais lorsqu'il voit que le père est sur le point de réaliser le sacrifice, il le délivre de sa promesse ; il lui confie que lui-même peut à présent rejoindre le paradis, ayant remboursé sa propre dette au héros. Dans différentes versions parallèles, le cadavre que découvre le héros est généralement celui d'un pauvre hère endetté, d'un criminel ou d'un suicidé ; l'ombre est un être humain ou spirituel, et n'apparaît pas sous une forme animale comme dans l'histoire du « Prince Ring » .
Dans la version principale.. l'ombre est un personnage moralement inférieur, un tricheur qui diluait le vin qu'il vendait. Il manque d'argent - d'énergie vitale - et, épuisé, a besoin de retrouver des forces. Il incarne une partie non vécue de personnalité du héros, des qualités potentielles qui n'ont pu être intégrées ni intérieurement, ni dans ses actes. Les complexes autonomes se développent souvent sans même que le moi en soupçonne l'existence ; un jour ou l'autre, ils se constellent et apparaissent le plus souvent, au moins au début, sous une forme peu plaisante.
A la place de Pierre, nous aurions probablement prétendu que nous n'avions rien à voir avec ce cadavre ; mais quand il s'agit de celui de sa propre ombre, ce n'est pas vrai. Seule une attitude consciente et responsable est capable de transformer l'ombre en force amicale. Donner tout ce qu'on possède pour inhumer le corps signifie qu'on se sent concerné par le problème et qu'on y consacre son énergie ; à ceux qui s'y refusent, l'ombre est traîtresse. Elle vit d'expédients : elle mélange de l'eau au vin. La nature de cette ombre est donc malhonnête ; . elle cherche à gagner le maximum avec le minimum d'effort. Le crime de cet homme consiste en ce qu'il se dérobe devant l'effort.
Dans l'antiquité, boire du vin non dilué était considéré comme de l'ivrognerie. Au cours des mystères dionysiaques , par contre, le vin pur était utilisé pour atteindre l'exaltation spirituelle, mais cette pratique était rituelle et donc exceptionnelle et ne s'étendait pas aux habitudes de la vie quotidienne. Dans le symbolisme chrétien de la messe, le vin est le sang du Christ, et, plus exactement, sa nature divine, tandis que le pain est son corps et que l'eau représente sa nature humaine. Traditionnellement, le vin était donc considéré comme spirituel et l'eau comme étant de nature plus commune.
La faute de ce personnage est qu'il confond, dans la vie quotidienne, le divin et l'humain, mélangeant ce qui devrait rester distinct. Mêlé serait encore excusasable, mais sa malhonnêteté tient à ce qu'il fait passer ce vin pour naturel et inaltéré. Ceux qui se laissent mener par leur ombre se trompent eux-mêmes en se persuadant que leurs motivations sont hautement morales, alors qu'en réalité elles dissimulent des désirs de puissance à l'état brut. L'ombre a tendance à mêler les choses de façon malpropre, comme, par exemple, les faits et les opinions. C'est ainsi que certains se jouent la comédie en prenant leurs phantasmes sexuels pour des expériences mystiques. .. ne pas prétendre d'un élément physique qu'il est spirituel : si l'on unit de l'eau au vin, il faut le faire consciemment et non de façon hypocrite. Il arrive souvent que l'ombre s'empare d'une idée bonne en elle-même et la concrétise à un niveau archaïque et faux. Si l'on est ignorant de son ombre, elle falsifie la personnalité.
Chercher à obtenir un gain sans en payer le prix a encore d'autres implications psychologiques, comme d'éviter la voie individuelle à cause de sa difficulté. Les hommes conservent fréquemment en eux-mêmes un P.169 recoin réservé et sombre où ils peuvent conclure des marchés de la façon qui les arrange, et les femmes amoureuses ou jalouses savent faire des scènes pour obtenir ce qu'elles veulent. Cette façon d'agir correspond à une faiblesse humaine commune, car l'ombre est généralement un être veule : si elle peut obtenir ce qu'elle veut sans effort pénible, elle ne saura pas s'attacher au travail. Etre capable de ne pas choisir le plus facile est un signe de grande discipline de soi et de niveau culturel élevé.
Un manque d'énergie psychique tel que le révèle la situation initiale.. crée une avidité qui conduit souvent les gens à tricher. Celui qui est vraiment attiré par la vie intérieure n'a ni temps ni énergie à perdre en calculs délibérés et en manouvres frauduleuses. Mais, tant que l'anima n'est pas délivrée, la vie ne s'écoule pas et l'énergie se trouve emprisonnée dans des comportements mauvais et dévorants.
L'ombre étant une part incomprise et repoussée de la psyché, se tue. Si l'on pousse trop loin la répression de l'ombre ou que l'on soit trop intransigeant et sévère envers soi-même et pendant trop longtemps, le complexe non vécu meurt : c'est le but de l'ascétisme. Lorsque notre héros confie le cadavre à la terre - à la réalité concrête- l'ombre se transforme : elle disparaît en tant que cadavre et réapparaît à un niveau spirituel, sous orme de spectre. Le problème de l'ombre existe toujours, mais il est vécu à un stade plus évolué.
La nature du héros peut nous éclairer sur celle de cette ombre. Pierre n'est pas un fils de roi, mais un garçon ordinaire.. (ce type de héros n'a souvent même pas de nom.) Il représente l'homme moyen, qui est aussi un aspect du Soi : c'est l'Anthropos , l'être humain dans sa forme commune et cependant éternelle. (Ainsi le Christ était désigné ouvent comme c serviteur» ou c esclave ».) La figure d'ombre a donc une fonction compensatrice et complémentaire par rapport au héros : elle aide Pierre, homme quelconque, dans la voie qui le mène de l'état ordinaire à l'état royal .
La réalisation du Soi est exposée .. à l'aide de héros aussi différents que des princes ou des valets d'écurie. De même voyons-nous souvent des adolescents s'identifier à un « prince » imaginaire ou à une créature surnaturelle. Par contre, nombreux sont ceux qui désirent avant tout être des gens ordinaires vivant comme tout le monde. Chacune de ces figures extrêmes aspire secrètement à rejoindre l'autre, car ce sont en réalité les deux faces complémentaires de l'Anthropos, « L'Homme primordial ». L'inconscient insiste autant sur l'un et l'autre aspects parce que, paradoxalement, l'individuation signifie aussi bien devenir plus individuel, que plus généralement humain.
Le héros apparaît souvent aussi sous les traits d'un déserteur : il a quitté l'ordre collectif et se trouve livré à sa destinée personnelle. Dans notre conte, l'ombre s'est transformée en être spirituel .. C'est un compagnon-serviteur, qui soutient et compense là naïveté infantile du héros par son habileté et son savoir. Le héros étant ici placé trop bas, son ombre est spirituelle ; à l'inverse, Ring, étant prince, est placé trop haut, aussi son ombre est-elle animale et instinctive.
Le héros donne tout son héritage pour payer les funérailles de l'inconnu. Cet acte dépasse de beaucoup la coutume et les possibilités normales : c'est, typiquement, un acte héroïque. L'ombre étant enterrée cesse d'intervenir négativement dans la vie humaine .
Assumer l'inhumation de cet homme présente un double aspect ; d'une part le héros donne tout son argent (son énergie) pour se délivrer des interférences de l'ombre ; d'autre part, il reconnaît son droit à l'existence, c'est-à-dire qu'il se prépare à lui accorder une certaine place dans sa vie. Ainsi, il laisse dans ce conte l'ombre poursuivre ses propres desseins, lui permettant de se P.171 spiritualiser. Lorsque l'ombre n'est qu'à demi consciente, elle est indifférenciée et gênante.. Cette spiritualisation s'accomplit parce que le compagnon-ombre que le héros s'est attaché se révèle efficace dans l'accomplissement des tâches imposées : ce faisant, il contribue à l'accomplissement du destin. . On n'est réel que si l'on projette une ombre. Elle plonge l'être humain dans l'immédiat des situations, l'ici et maintenant, créant ainsi sa véritable biographie. L'homme est toujours enclin à penser qu'il n'est que ce qu'il croit être, alors que c'est l'histoire créée par l'ombre qui compte réellement.
Ce n'est que plus tard, lorsque l'ombre sera partiellement intégrée, que le moi pourra contribuer lui-même à l'accomplissement de son destin. Mais, à ce moment, un autre facteur présent dans l'inconscient, le Soi, assumera la plus grande partie de cette fonction ; c'est pourquoi, à la fin du conte, le compagnon-ombre disparaît.
Pierre, notre héros, n'a ni projets ni buts. Il n'a pas d'attaches chez lui, ni de destination particulière. C'est là une bonne condition préalable à l'action héroïque.. Il s'ennuie chez lui, prend son maigre héritage et se met en route. Toutes ces circonstances prouvent que son énergie, sa libido, a déjà quitté la conscience et renforce l'inconscient. Le mystère de l'inconscient dans sa réalité, ne se dévoile qu'à ceux qui le cherchent avec une naïve curiosité, et non à ceux qui veulent s'approprier son pouvoir en vue de réussir quelque dessein conscient.
Dès que les premiers pas sont accomplis vers une prise en considération de l'ombre, l'anima se trouve activée. .. elle possède une peau de troll ; cela signifie qu'elle participe d'un ordre de vie plus ancien, plus archaïque, d'où elle tient son caractère instable. .
. histoire d'un homme que son refus d'avoir quoi que ce soit à faire avec son anima païenne rend infirme :

L'EGLISE MYSTERIEUSE P.173

Le conte montre que si l'on réprime l'anima pour des raisons conventionnelles, il en résulte une véritable mutilation psychique. Par ailleurs, si on s'en tient à un niveau trop élevé, trop intellectuel (sur le toit), on risque de perdre le contact avec la terre (la jambe).
La figure d'anima est, ici aussi, un démon païen qui demande à être reconnu.
Voici deux autres contes qui illustrent les conséquences néfastes que peut avoir une façon inappropriée d'aborder ce problème.

LA FEMME DES BOIS

Ce conte met en relief le charme magique redoutable que l'anima peut exercer sur un homme dont le moi et la volonté sont faibles. Tomber en son pouvoir entraîne la perte de tout contact humain et fait régresser jusqu'à la sauvagerie ; la réprimer, par contre, entraîne une perte d'esprit et d'énergie. Le même type d'anima dangereuse apparaît dans l'histoire suivante .

L'ETOILE P.175

Une histoire de ce type permettait à ces Indiens de se rendre compte du terrible danger de fascination que peuvent présenter les images archétypiques issues de l'inconscient collectif, car elles ont le pouvoir de vous faire perdre le contact avec la réalité. .
L'anima est décrite ici comme étant en même temps un esprit miraculeux et un animal féroce. Elle apparaît souvent sous une forme terrifiante et quand cela arrive, il importe de garder une certaine distance par rapport à l'inconscient ; c'est pourquoi, à titre d'avertissement, celui-ci se manifeste comme un danger mortel. . Le héros doit alors se garder de s'exposer à des contenus inconscients empoisonnés et à tout ce qui exerce sur lui une étrange fascination, que ce soient des phantasmes intérieurs ou de dangereuses entreprises extérieures. Il est donc parfois nécessaire de réprimer, de réduire ou de circonscrire le pouvoir de l'anima, tout particulièrement à des époques de culture encore jeunes. Cela correspond à la répression et à la dévaluation d'un complexe. Ici, l'anima prend l'apparence d'un animal maléfique aux yeux luisants ; cette réaction est provoquée par l'attitude consciente du héros, mais la nuit, elle reprend sa forme divine.
L'Eglise catholique elle-même utilise le concept de « vase » où enfermer l'anima, afin d'en limiter et d'en retenir les forces explosives ; c'est le culte de la Vierge Marie qui est, pour l'homme, le « vaisseau » destiné à contenir les images de la mère et de l'anima. Mais si ce contrôle conscient s'avère parfois nécessaire, il y aurait danger à le prolonger au-delà de ce qui est utile. C'est une question de sentiment et de moment, car il faut s'arrêter avant que l'inconscient ne devienne trop distant et que ne s'y accumule une énergie trop forte.
.. le héros doit surmonter certaines épreuves avant d'atteindre l'anima, alors que dans d'autres versions du même conte, le héros et son compagnon sont poursuivis par trois sorcières. Celles-ci sont souvent des manifestations initiales de l'anima à la ressemblance de l'image maternelle.
.. la bobine de fil d'or .. pour tisser le pont.. Le fil d'or a un lien secret avec la possibilité de sens que recèle l'inconscient. C'est le lien invisible qui relie entre eux les évènements d'une vie, le fil de la destinée qui est filé par nos projections inconscientes.
Le compagnon est un guide psychique supra-personnel qui aide à la réalisation de la destinée, c'est pourquoi il possède le fil d'or et le lance.
La bobine qui va et vient en bondissant comme la navette du métier à tisser correspond au stade périlleux du balancement entre le présent incertain et le futur immédiat dure jusqu'à ce qu'un pont vers ce qui doit venir soit devenu suffisamment sûr. On peut, de la sorte, « lancer » des projections qui rendront possible de surmonter le manque de rapport entre les deux. Il se produit souvent une oscillation entre les opposés jusqu'à ce qu'une stabilité s'instaure qui permette de traverser, c'est-à-dire de changer d'attitude consciente.
. la princesse est captive d'un charme . P.177 L'anima est envoûtée et prisonnière parce qu'un processus de l'inconscient n'est pas compris, aussi pose-t-elle des énigmes qui doivent, avant tout, être résolues. L'anima ne se comprend pas elle-même et n'a pas encore sa juste place dans le système psychique total. En fait, elle ne peut pas résoudre ce problème seule et a besoin de l'aide du conscient. Mais le héros, de son côté, se trouve dans la même situation, parce que lui non plus n'a pas trouvé sa place et ne se connaît pas lui-même. L'énigme les concerne donc tous les deux et c'est ensemble qu'ils doivent la résoudre : c'est celle de la relation juste. On pense ici au sphinx qui est mi-animal comme la jeune fille à la peau de troll.. La question classique que pose le sphinx, dans le mythe d'Odipe, concerne l'être de l'homme, mystère profond que nous sommes toujours incapables de connaître.
Quand le problème de l'anima n'est pas compris, celle-ci devient comme la princesse, une créature qui se laisse aller à ses humeurs, soit qu'elle devienne maussade, muette et boudeuse, soit qu'elle se montre coléreuse et hystérique. L'anima pose donc un problème moral, bien qu'en elle-même elle soit amorale. On peut compter sur elle pour provoquer les problèmes les plus confus et les plus complexes ! Mais elle se trouve libérée lorsque le héros se comporte comme tel, et, à partir de là, elle peut le guider vers un état de conscience supérieur.
Le compagnon (l'ombre) donne des ailes au héros, de sorte qu'il puisse prendre son vol vers le monde de l'anima. Cela signifie une nouvelle attitude consciente, comportant une certaine spiritualisation, car les ailes appartiennent à l'être imaginaire et non à l'être terrestre.. Cette capacité de pénétrer dans le domaine de l'imaginaire est essentielle, dans la recherche de l'anima : il faut être suffisamment libéré des choses de ce monde pour pouvoir s'essayer au phantasme, et il faut aussi du détachement et garder les yeux ouverts pour observer ce qui se produira avec objectivité, sans interférer ni juger.
Le compagnon a également équipé le héros de verges, autrement dit d'un sens critique capable de maîtriser l'effet puissant de l'anima, et de l'implacabilité nécessaire pour punir l'anima de son comportement meurtrier et démoniaque. Le héros doit la suivre, rester avec elle, et cependant critiquer son aspect négatif. .
La princesse, comme l'inconscient, ne fait qu'un avec la nature, c'est pourquoi il n'y a pas en elle de discrimination. La conscience la surpasse pour ce qui est de s'adapter à une situation, parce que la conscience est normalement plus calme, a davantage de ressources, est capable de patience et sait apprécier les distinctions. En tant que fragment de nature, l'inconscient est sans limites, turbulent et puissant à un niveau élémentaire. Aussi les pulsions non encore humaines de l'inconscient, les éruptions d'énergie instinctives apparaissent-elles souvent comme des géants. Malgré leur force, ils se laissent facilement tromper, c'est pourquoi la sagesse est nécessaire pour diriger leur énergie.
La montagne vers laquelle Pierre et sa compagne volent représente la connaissance de soi et l'effort nécessaire pour y pénétrer. C'est là que le héros peut apprendre les secrets de l'anima.
L'Esprit de la montagne dépend de l'archétype du vieux sage ; il a souvent une pseudo-fille qu'il maintient en servitude et avec qui il entretient une relation quelque peu incestueuse. L'autel suggère qu'il est une sorte de prêtre de cérémonies religieuses secrètes ; en même temps, il a un aspect chtonien et appartient au monde souterrain. II est l'analogue du dragon dans le parallèle du conte russe : un dieu sombre, païen. Il impose souvent des tâches insurmontables au héros qui désire conquérir sa « fille » ; ici l'anima propose des devinettes qu'il a lui-même choisies. Cet esprit, qui se trouve à l'arrière plan de l'anima, représente le dessein ou l'intention secrète, chargée de sens, qui la dirige. Le « père » de l'anima est cette sagesse suprême qui est en rapport avec P.179 les lois de l'inconscient. Que l'Esprit de la montagne soit une force supra-personnelle est indiqué par l'autel et le poisson qu'on y adore. Il révèle un aspect de l'esprit et de la sagesse qui ont été négligés dans le développement de la civilisation. Dans la version norvégienne, cet esprit est personnifié par un troll amoureux de la princesse, et ce troll possède un bouc, une des formes thériomorphique du démon. Le troll craint le héros, car il n'est qu'un esprit de la nature.
La notion d' « esprit », de spectre, est, originellement, proche de l'idée que l'âme erre après la mort. Celle d'âme varie entre ses aspects subjectifs et objectifs. Les primitifs considèrent l'expérience spirituelle comme un événement entièrement « autre » et purement objectif, alors que nous tendons aujourd'hui à penser qu'une expérience spirituelle est subjective. Mais l'esprit était à l'origine, et il l'est encore dans une grande mesure, un facteur archétypique autonome.
.. le vieil homme est habituellement un personnage bienveillant qui apparaît quand le héros en difficulté a besoin d'aide et de conseils. II symbolise la concentration de la puissance mentale et de la réflexion dirigée ; plus important encore, il introduit une pensée spontanément objective. Le symbole de l' »esprit » peut donc avoir un aspect neutre, positif ou négatif. Si le vieillard d'un conte n'est que positif ou négatif, il ne représente que la moitié de la nature du vieil homme archétypique tel qu'il apparaît, par exemple, dans l'aspect double de Merlin. Dans cette histoire, il est, en quelque sorte, l'animus de l'anima et signifie qu'un esprit objectif de la nature se lient à l'arrière plan de celle-ci.
Ce type de personnage en relation avec la montagne se retrouve dans tout le folklore ; ainsi en est-il de Barberousse ou, en alchimie, de Mercure qui tantôt jeune et tantôt sous les traits d'un vieillard et qui peut apporter aussi bien la destruction que l'inspiration : son attitude dépend de celle de l'adepte. Dans les récits alchimiques, l'étudiant doit fréquemment aller chercher la vérité dans les entrailles de la montagne et y rencontrer un vieillard, une figure du type Hermès-Mercure. Cet Esprit est en même temps le but et l'inspiration qui mène à ce but. II est nommé « l'ami de Dieu », possède la clef ou le Livre ; il est le gardien des secrets. .. cette figure mercurielle (est en relation) avec le reflet chtonien de l'image divine (du Dieu chrétien).
Un édifice construit de main d'homme, tel que ce temple, et situé à l'intérieur d'une montagne .. révèle l'existence d'une forme structurée au sein de l'inconscient, c'est-à-dire d'une forme culturelle qui se trouva brusquement déracinée et abandonnée sans avoir eu la possibilité d'évoluer vers le courant principal de civilisation et de s'y intégrer. Ce fut le cas, entre autres, de l'alchimie et de sa vision qualitative de la nature ; elle fut interrompue soudain, au XVIIème siècle au bénéfice d'une approche purement quantitative ; le précédent développement survécut en son entier, mais il régressa jusqu'à n'être plus qu'un élément de tradition dont le sens fut désormais perdu.
Non seulement notre conscience moderne ne donne pas assez de place ni de possibilités de vie à l'âme, mais elle a même tendance à l'exclure. C'est pourquoi l'âme - l'anima - s'attache à l'Esprit de la montagne : elle P.181 sent qu'il possède le secret et la promesse pour elle d'un plus grand épanouissement. Ceci est en relation avec le fait que c'est un esprit païen et que la vision du monde païenne offrait à l'homme une plus grande chance de laisser vivre son anima.
. Les contes de fées, de même que les rêves archétypiques, reflètent de lents et profonds processus qui ont lieu au sein de l'inconscient collectif. Leur sens demande beaucoup de temps pour émerger et pénétrer la conscience.. Ce conte doit avoir une origine assez récente, vers le commencement du temps des « Lumières », lorsqu'on chercha à appliquer les principes chrétiens au monde naturel. Ainsi, pour Képler, les trois dimensions de l'espace correspondent à l'image de 1a Trinité, la divinité étant une sphère dont le Père est le centre, le Fils la surface et le Saint-Esprit les rayons ; de plus, toute créature aspire à devenir sphère, à l'image de Dieu. Toute philosophie de cette époque peut se résumer dans cette forme de pensée trinitaire ; or, ce point de vue est incomplet, puisqu'il exclut le problème du mal ainsi que les éléments irrationnels de la nature. . De par son éloignement de l'irrationnel et de l'âme, ce nouveau mode de pensée était, et demeure à l'heure actuelle, tout aussi unilatéral que le précédent. . Peu à peu, les deux façons de voir établirent des camps séparés, ce qui fit qu'aucune des deux n'était plus capable de compenser les distorsions de l'autre.
Le premier sujet de réflexion.. est le cheval blanc appartenant au père de l'anima. Ainsi deux nouveaux éléments, le cheval et le roi, vrai père de la princesse, sont introduits dans le récit. ..le vieux roi symbolise généralement un ordre spirituel et terrestre moribond. Suivant toute probabilité.. la philosophie chrétienne usée ; l'Esprit renégat de la montagne, qui joue par rapport à elle un rôle parallèle de père serait son opposé. Ce dernier figure une montée tumultueuse, noyau « excité » de libido dans l'inconscient ; c'est un archétype vivant, devenu menaçant parce que réprimé. Le héros doit être sur ses gardes vis-à-vis des opposés que représentent ces deux personnages royaux qui, comme tous les extrêmes, sont mystérieusement unis. Le cheval blanc du roi, instinct domestiqué et spiritualisé, est le symbole de forces inconscientes intégrées, désormais à la disposition du conscient.
Le deuxième objet.. est l'épée, image de justice, d'autorité, de discrimination et de décision .. tant dans le domaine de l'intelligence que dans celui de la volonté. .. en alchimie : ..le dragon est tué et démembré à l'aide de l'épée, ce qui correspond à une différenciation des instincts, de sorte que des contenus inconscients s'ordonnent davantage. Il faut, dit-on, couper la materia prima « avec sa propre épée », ce qui signifie qu'une décision consciente est nécessaire pour pouvoir assimiler la libido libre venue de l'inconscient. P.183
En d'autres termes, la décision concernant la route à suivre appartient à la personnalité consciente ; c'est la condition préalable et essentielle du développement de l'inconscient. « Prends l'épée, pourfends le dragon ! » C'est à partir de cet acte que quelque chose naîtra. .. l'épée symbolise le logos, .. la Parole décisive de Dieu, qui juge le monde. (Apocalypse de St Jean (1, 16) : « De sa bouche sortait une épée aiguë à deux tranchants ». .. Epitre aux Hébreux ( IV, 12) : «La parole de Dieu est vivante et efficace, plus tranchante qu'une épée quelconque à deux tranchants, pénétrant jusqu'à partager l'âme et l'esprit, les jointures et les moëlles») L'épée de feu qui interdit l'entrée du jardin d'Eden est interprétée dans les textes alchimiques comme étant la colère du Dieu.. Dans le système gnostique de Simon le Mage. L'épée de feu est comprise comme symbole de la passion qui sépare la terre du paradis. .. l'épée peut aussi avoir un sens négatif, être destructrice et supprimer les possibilités vitales. Comme le cheval blanc, elle représente une certaine quantité d'énergie psychique, de libido, issue de l'inconscient, dont le conscient peut disposer. Le cheval et l'épée sont donc liés, à la différence près que l'épée est un instrument fabriqué par l'homme tandis que le cheval est du domaine de l'instinct.
Le troisième objet est la tête de l'Esprit de la montagne . Les alchimistes grecs déclaraient que le grand secret réside dans cerveau. Platon, dans le Timée, fait remarquer que la tête reproduit l'image sphérique de l'univers et de Dieu. Elle con tient donc les secrets divins de l'homme. C'est probablement l'une des raisons du culte fréquent que les primitifs rendent aux crânes. .. les Sabéens plongeaient un homme « à tête d'or » (blond) dans l'huile, puis lui coupaient la tête et s'en servaient comme tête oraculaire. Les alchimistes .. se nommaient eux-mêmes « Les enfants de la tête d'or » et Zosime enseignait qu'en l'oméga réside le grand secret. La tête est aussi un symbole du Soi. C'est avec l'aide de notre « tête » que nous trouvons la clef des problèmes intérieurs. On l'interpréta plus tard comme essence et sens. .. « personne ne pouvait y penser », signifiant par là qu'il est au-delà des capacités humaines d'en sonder le mystère caché. Dans ce conte, c'est la tête qui choisit les énigmes et qui est par conséquent à la base de toutes celles que propose l'anima. S'emparer de la tête est la solution du problème du héros, puisque la posséder le rend capable de comprendre ses propres processus psychiques internes.
Les trois objets de réflexion : le cheval, l'épée et la tête expriment le fait que l'ancien système conscient possède encore une certaine dose d'autorité et d'énergie, bien que son dynamisme et sa signification soient retournés dans l'inconscient. Une faille s'est produite entre l'énergie consciente et le sens devenu inconscient, ce qui est bien un des problèmes majeurs de notre temps.
Considérons .. les objets rencontrés dans le temple de l'Esprit de la montagne. Lors de sa première visite le héros trouve une pièce sombre et un autel nu, et ne voit que des étoiles. Ces étoiles dispersées au hasard sont des germes latents et non définis de conscience.
A son second passage, il voit la lune briller et, sur l'autel, un poisson hérissé de piquants. La lune, symbole du principe féminin, suggère une attitude féminine envers le monde extérieur aussi bien qu'intérieur, attitude faite d'acceptation et de réceptivité vis-à-vis de ce qui se présente. Dans certains poèmes chinois, la lune apporte l'apaisement et le repos après le combat.
Anaximandre pensait que l'homme descendait d'un poisson épineux. Le poisson est un symbole chrétien bien connu. .. le Christ fit de ses apôtres des « pêcheurs P.185 d'hommes » et lui-même est symbolisé par le poisson (ichthys) .. Le Christ, comme le poisson, est un symbole du Soi. En concentrant ce symbole sur sa personne, le Christ le tira hors de la nature et soulagea celle-ci de son poids. .. en astrologie c'est le signe zodiacal qui gouverne les deux premiers millénaires de l'ère chrétienne ; cependant, ce signe est formé de deux poissons de direction opposée, l'un ayant été traditionnellement assimilé au Christ, l'autre à 1'Antéchrist. Le poisson de ce conte semble, par les épines, plutôt faire allusion à l'Antéchrist. C'est un aspect d'un contenu inconscient central, mais diabolique, piquant et glissant, dangereux et difficile à approcher.
Au Moyen Age, on voyait dans le poisson un symbole des plaisirs terrestres « à cause de son avidité », et peut-être aussi parce qu'on représentait Léviathan comme un monstre en forme de poisson. Une tradition juive assure qu'au Jour du Jugement, les hommes pieux pourront consommer Léviathan à la façon d'un repas eucharistique. On remarquera l'ambivalence à l'égard du poison : il est pure nourriture, ce qui signifie qu'il procure l'immortalité, et cependant il est aussi lascivité et bas instincts. Aux Indes également, le poisson est relié au symbole du salut. Le dieu Manou se transforma en poison pour sauver les livres saints du déluge. En alchimie, il est souvent fait allusion à « un poisson rond au sein de la mer », sans arêtes et merveilleusement gras, qu'on assimilera plus tard à un poisson luminescent dont le contact donne la fièvre. Sa brûlure urticante - le feu dans la mer - était interprétée par les alchimistes comme un symbole de l'amour divin ou du feu infernal. Ces aspects variés se trouvent généralement combinés dans le symbolisme alchimique. Alors que le christianisme ne permet aucun mariage entre le ciel et les enfers, l'alchimie se consacre à la pensée paradoxale.
Psychologiquement, le poisson figure un contenu lointain et peu accessible, une certaine quantité d'énergie chargée de potentialité confuse. C'est un symbole de libido, d'énergie psychique relativement non caractérisée et non spécifique et dont la direction de développement n'est pas encore tracée. Son ambivalence vient de ce qu'il vit sous l'eau, c'est-à-dire que ce qu'il incarne est encore au-dessous du seuil de la conscience.
A son troisième voyage, la salle est brillamment éclairée par les rayons d'un soleil. La graduation de ces objets fait allusion au processus d'illumination de l'inconscient vers un discernement clair. Ce soleil nocturne situé à l'intérieur de la montagne rappelle le soleil de minuit venant des profondeurs du royaume des morts que vit Apulée-Lucius au cours de son initiation. Le moi n'est pas seu1 à posséder de la lumière : il existe une « conscience latente » dans l'inconscient même. Ce soleil nocturne correspond probablement à une forme originelle de conscience, plus collective qu'individuelle. Les primitifs et les enfants ont l'expérience de « ce qui est connu » et non de « ce que je connais ».
La lumière venant de l'inconscient commence par être non focalisée et diffuse. Les mythes de création racontent souvent son apparition en deux étapes : dans un premier temps, la lumière en général, et dans un deuxième temps, le soleil. Dans la Genèse, par exemple, Dieu crée la lumière dès le premier jour, alors qu'il ne crée le soleil et la lune que le quatrième jour.
Sur l'autel repose une roue flamboyante. En Inde, la roue signifie puissance et victoire, elle guide vers la P.187 force et la voie. ; c'est la roue de la rédemption, qui se meut dans la bonne direction en suivant le principe juste. Elle représente une intensification graduelle de la conscience religieuse. A des époques plus récentes, elle prit l'aspect plus sinistre de roue des renaissances, répétition circulaire absurde des processus vitaux à laquelle on doit tenter d'échapper. Dans ces divers cas, la roue symbolise l'action autonome de l'inconscient, autrement dit du Soi. L'Indien cherche à agir en harmonie de rythme avec le mouvement de la psyché : il désire rester en relation avec le courant de vie qui vient du Soi. Mais le Soi peut se transformer en facteur négatif et torturant si ses intentions ne sont pas comprises : les énigmes demeurent alors sans réponse. Chez les Babyloniens, l'horoscope ou roue astrologique de naissance marquait l'apparition du cercle fatal qui piège chaque homme dans le déroulement de sa propre destinée. On accueillit le Christ comme étant le seul être capable de détruire la roue des naissances en offrant à ses fidèles une renaissance spirituelle. La Fortune, au Moyen Age, eut aussi comme attribut la roue, sorte de jeu de roulette qui symbolise l'action indifférente du destin aveugle chez ceux qui se contentent d'être prisonniers de leur propre inconscience. Les alchimistes, eux, concevaient souvent leur ouvre comme un processus circulaire de purification continue. Le mouvement de la roue alchimique produit l'union des opposés : le ciel devient terrestre et la terre céleste. (« Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. ») Les alchimistes parlaient de cette roue cosmique, symbole positif, comme de « la rotation du monde ». Dieu même fut parfois représenté ainsi . Dans un conte caucasien, Dieu tue un héros rendu fou en lançant contre lui une roue de feu qui l'écrase et le brûle : la roue est ici la face menaçante et vengeresse de la divinité. Dans toutes les régions agricoles germaniques, au cours des fêtes de la mi-été, on lance des roues enflammées le long des pentes des montagnes .. survivance d'un rite destiné à soutenir la force du soleil, mais on peu t aussi la mettre en relation avec cet astre en tant que symbole d'une source de conscience dans l'inconscient. . les âmes non délivrées errent de-ci de-là comme les roues enflammées.
La roue de feu figure donc le mouvement spontané de la psyché tel qu'il se manifeste dans la passion et les pulsions émotionnelles ; c'est une éruption spontanée de l'inconscient qui nous enflamme. .. « cette idée n'a cessé de me tourner dans la tête comme une roue. » En ce sens, la rotation de la roue est l'image du mouvement circulaire dépourvu de signification du conscient névrotique. Cela se produit quand l'être humain, ayant perdu sa relation avec le monde intérieur, se trouve coupé du sens individuel de sa vie.
Dans notre conte, par sa rotondité, la roue est analogue à la tête de l'Esprit de la montagne ; c'est, sous son aspect sombre un symbole du Soi. Une histoire indienne d'Amérique du Sud illustre l'idée que la tête peut avoir un aspect tout à fait destructeur : un crâne se met à rouler d'une façon inquiétante, il lui pousse des ailes et des griffes et il devient un être démoniaque et meurtrier qui se nourrit de chair humaine et dévore tout ce qu'il rencontre. Ceci est la conséquence de la séparation de la tête d'avec le reste du corps et de l'autonomie de la pensée non reliée, non intégrée à l'ensemble de la personnalité. Cette coupure brutale de la tête et du corps s'avère psychologiquement fatale. P.189
Il arrive souvent que le roi, dans les contes de fées, manque d'« eau de vie » ; cela signifie que la vie a perdu sa saveur. Mais ici, c'est l'anima qui a perdu le sens de la vie, ainsi que, à un degré encore plus grand, l'Esprit désespéré de la montagne. La conduite déséquilibrée de l'anima montre que la relation entre le conscient et l'inconscient est fausse.
Comme les vampires, l'anima et l'Esprit de la montagne sont avides du sang de leurs victimes. Ce thème est répandu dans le monde entier. Ce sont les esprits des morts auxquels Ulysse doit d'abord faire un sacrifice de sang. Leur soif de sang traduit l'aspiration ou la pulsion des contenus inconscients vers la conscience : si on les refoule, ils se mettent à drainer l'énergie hors de la conscience, laissant l'individu dans un état de fatigue et d'apathie. Le conte décrit donc une tentative des contenus inconscients pour attirer sur eux l'attention consciente et obtenir d'être reconnus dans leur réalité et leurs besoins, afin de pouvoir à leur tour transmettre au conscient ce dont ils sont porteurs.
En s'appropriant la tête, le héros intègre le savoir et la sagesse de celle-ci et brise l'enchantement dont est victime la princesse. Cependant, bien que délivrée, elle n'est pas encore transformée, parce que la tête symbolique a été conquise sous une forme négative. Couper cette tête signifie séparer le contenu particulier qu'elle représente de son arrière-plan d'inconscient collectif, en reconnaissant intuitivement son caractère spécifique.
Le Héros, tout en ayant partiellement intégré son sens, n'a pas encore entièrement compris sa nature ni sa relation avec l'inconscient collectif. En d'autres termes, alors qu'il a su distinguer et séparer le facteur essentiel de troubles qui se dissimulait derrière l'anima, mettant ainsi fin à ceux-ci, il n'a pas encore compris entièrement quelles en étaient les racines. Il n'a probablement jamais soupçonné la présence du dieu des anciens : Wotan. L'aspect positif de la tête, (l'approfondissement d'intelligence qu'elle apporte), ne peut devenir manifeste qu'à travers un processus de transformation tel qu'on le voit ici se dérouler dans l'anima.
. L'unilatéralité de la spiritualité chrétienne avait entraîné dans certains milieux une distanciation par rapport aux instincts. . nous sommes christianisés aux niveaux supérieurs de la psyché, tandis que, dans les profondeurs, nous demeurons encore complètement païens. Si la plupart des contes de fées sont uniquement païens, certains et tout spécialement les plus tardifs, contiennent des symboles que l'on ne peut comprendre .. que comme une tentative de l'inconscient pour unifier la tradition païenne refoulée et le champ de conscience chrétien.
Une des principales divergences entre les textes alchimiques et les contes de fées réside en ce que les alchimistes ne se contentaient pas de produire des images symboliques par projection de leurs phantasmes inconscients sur les matériaux physiques qu'ils manipulaient, mais élaboraient la théorie de ce qu'ils y découvraient. Leurs écrits abondent, non seulement en symboles, mais en nombreuses associations semi-psychologiques . C'est pourquoi on peut user des images alchimiques comme de jalons intermédiaires entre les symboles lointains des contes de fées et notre mode actuel de conscience. P.191
En alchimie, certains des stades de développement habituellement décrits comme correspondant au raffinement de la prima materia crue en or sont : la nigredo, .. indiquant la noirceur de l'objet calciné ; l'albedo, substance blanche qui, lavée, donne l'argent, et la rubedo, la matière rouge qui, après d'autres cuissons, devient l'or.
L'albedo, la blancheur, correspond à la première conscience que l'individu a de l'inconscient ; c'est aussi l'attitude objective et l'abaissement de niveau mental qui l'accompagnent et que nécessite l'entrée en contact avec les contenus inconscients. L'albedo est un stade calme de détachement au cours duquel les choses semblent lointaines, vagues et comme baignées de clarté lunaire. C'est une attitude réceptive vis-à-vis de l'inconsient. « Laver » est l'opération qui consiste à entrer en relation avec l'ombre : tandis que le stade précédent, la nigredo, marquait la terrible et torturante confrontation avec celle-ci, il s'agit à présent d'un travail de différenciation de la partie non développée de la psyché. Les alchimistes le qualifient de « travail difficile ». Le progrès qui accompagne l'albedo soulage l'individu du plus lourd de sa charge. Un simple chauffage transforme ensuite l'albedo en rubedo, stade gouverné par le soleil et correspondant à un état de conscience nouveau. Le soleil et la lune, l'« Esclave rouge » et la « Femme blanche », opposés qui souvent se marient, figurent l'union de la conscience objective et de l'anima, du logos masculin et du principe intérieur féminin. Grâce à cette union, une énergie de plus en plus considérable se déverse progressivement dans le conscient, ce qui a pour conséquence qu'une relation positive s'établit avec le monde, avec la capacité d'aimer et de s'adonner à une activité créatrice.
L'image de l'Esprit de la montagne évoque Saturne qui symbolise en alchimie l'opposition confuse, peu visible et non encore réfléchie qu'il faut faire monter à la conscience (couper et prendre sa tête). Saturne est décrit comme « Tête », « Objet rond » ou « Eau destructrice ». . Ce dynamique Esprit de la montagne n'apparaît pas en tant que dieu, mais comme prêtre ou acolyte d'un dieu. Il a un lien avec la roue. A l'arrière-plan de cette figure doit se trouver une image anthropomorphe du Soi. Le culte du temple à l'intérieur de la montagne est dangereux, parce que soumis à l'inconscient collectif.
. dans les contrées nordiques on identifiait partiellement Mercure à Wotan.. La suppression de l'alchimie et le déclin du folklore porta atteinte à la relation avec les dieux païens dans l'inconscient. Avant .. ces dieux avaient, dans l'alchimie, le folklore ou l'astrologie, des aires où ils pouvaient encore vivre. Ce fut leur dernier bastion.
Dans notre conte, seule l'anima est sauvée, mais non l'Esprit de la montagne. Le problème le plus profond demeura donc non résolu : .. la survivance de Wotan dans l'inconscient.
Le danger n'est donc pas encore surmonté. La nuit de leurs noces, le héros doit plonger la princesse dans l'eau à trois reprises, jusqu'à ce qu'elle retrouve sa personnalité d'origine. Dans la version norvégienne, elle doit se défaire de sa peau de troll dans du lait. Dans les mystères antiques, celui-ci jouait le rôle important de nourriture des initiés « nouveaux-nés ». Au cours des orgies dionysiaques dans la montagne, les ménades buvaient le lait et le miel qui jaillissaient librement du sol. Ce fut aussi dans le christianisme, la nourriture des nouveaux baptisés. Un psaume de David parle du miel comme étant le signe de l'amitié et de la bonté divines. P.193 Saint Pierre, lui, compare les nouveaux chrétiens à des enfants qui boivent le lait de la nouvelle doctrine. Le lait figure le début de la renaissance divine en l'homme. Dans la Grèce antique, des sacrifices de lait étaient offerts aux dieux chtoniens ainsi qu'aux morts récents. Le miel, en ce cas, est cathartique. En rapport avec cela, existe de nombreuses superstitions germaniques concernant des démons négatifs qui jettent des sorts sur le lait et le font tourner, et les précautions à prendre contre eux. Laver l'anima dans du lait signifie qu'il faut la purger des éléments démoniaques qu'elle contient encore, ainsi que de son lien avec la mort.
Etre dans la peau d'un troll ou d'un animal est la preuve d'une nature non rachetée. (.. dans le sens « rédemption ») Parfois l'anima porte seulement des vêtements souillés ; en langage alchimique, elle est « la colombe cachée dans le plomb ». Souvent le lavage ou le curage n'est pas exécuté au bon moment. Cela signifie que des contenus psychiques insuffisamment développés lors du « lavage » réapparaissent sous des formes déplaisantes, telles que celle d'un animus négatif. En ce cas, non seulement les impulsions positives des contenus inconscients ne sont pas amenées au jour et demeurent masquées, mais elles polluent les instincts et se concrétisent en pulsions déplaisantes. Les aspirations spirituelles de l'individu s'expriment, par exemple, dans un penchant pour la boisson. En fait, la plupart des symptômes névrotiques sont des « peaux de troll » et recouvrent d'importants contenus inconscients positifs.
.. l'anima émerge de son premier plongeon sous la forme d'un corbeau et, du second, d'une colombe. Elle a donc un caractère volatil. Parce qu'elle représente un élément incontrôlable, capricieux et fuyant, elle apparaît souvent dans les contes sous une forme d'oiseau.
Dans le monde chrétien, le corbeau a souvent représenté le pécheur ou le diable. Mais dans l'antiquité, c'était l'oiseau du dieu solaire Apollon, et en alchimie il symbolise la nigredo (le noir), la dépression et les pensées mélancoliques. Le vieillard de la montagne avec son corbeau est un thème fréquent dans les contes germaniques : c'est Wotan, le dieu païen du passé.
La colombe, elle appartenait à Vénus. Dans l'évangile de Saint Jean elle représente le Saint-Esprit, et en alchimie, l'albedo. Il est nécessaire de faire la distinction entre les deux aspects de l'anima : d'une part, sa nature volatile en relation avec l'autre monde et d'autre part sa nature de femme en relation avec le monde terrestre. Sa nature fuyante doit être séparée et libérée par le bain. On peut rapprocher ceci de la demande qui sera faite au héros de couper en deux son propre enfant, c'est-à-dire d'accepter de différencier le conscient de l'inconscient.
Le bain est une sorte de baptême, une transformation par l'intermédiaire de l'inconscient. Cela se produit en P.195 fait lorsque le héros rejette à nouveau l'anima négative dans l'inconscient, ce qui signifie qu'il a une attitude critique vis-à-vis de ce qui est éveillé et émerge de sa conscience. Cette attitude est nécessaire parce que l'anima et les réactions qu'elle induit chez l'homme, bien qu'apparemment humaines, sont souvent trompeuses. C'est pourquoi un homme devrait toujours mettre en question une inspiration venue de son anima et se demander : « Est-ce vraiment là mon propre sentiment ? » Car le sentiment, chez un homme, peut véritablement prendre un tour lyrique et s'élever comme une alouette en plein vol ou au contraire se révéler aussi assoiffé de sang qu'un faucon, et d'une humeur inhumaine. Le bain de lait de la version norvégienne a le même but, celui de purifier l'anima de la malédiction qui pèse sur elle : c'est un acte de discrimination.
Le dernier acte du compagnon spirituel concerne le processus de purification de l'anima. Quand le mariage du héros est consommé, l'Esprit de la montagne devient, lui aussi, entièrement spirituel et s'évanouit. Il est, en réalité, bien plus qu'une figure d'ombre : c'est un esprit créateur et qui envoie l'inspiration, mais il ne peut jouer efficacement ce rôle que lorsque l'anima perd ses qualités démoniaques. Alors seulement il peut redevenir lui-même.
Avec l'accomplissement du mariage du héros et de son anima se termine la tâche de l'ombre, comme nous le voyons dans « Le Prince Ring ». La relation avec l'ombre n'est donc pas ici le but essentiel. Ce but est plutôt de découvrir la finalité intérieure authentique qui fait que l'opposition entre le bien et le mal n'occupe plus le centre de la scène.


CHAPITRE IX LA FEMME, SON OMBRE ET SON ANIMUS


L'OMBRE

Les contes de fées qui mettent en scène une héroïne et son ombre sont peu nombreux ; ils se déroulent généralement suivant le plan banal du conte de la bonne et des méchantes sours, la première étant à la fin comblée de récompenses tandis que les autres sont cruellement punies. Un autre type de contes est celui de la jeune fille bannie ou négligée par sa marâtre et obligée d'accomplir les plus humbles travaux domestiques. Ces personnages de bonne et de mauvaises sours se prêtent également à une interprétation du point de vue masculin et correspondent alors aux aspects positifs et négatifs de l'anima.
L'ombre féminine n'apparaît que rarement dans les contes de fées parce que les femmes ne sont généralement pas très éloignées de leur ombre ; la nature et l'instinct sont chez elles plus proches que chez les hommes. Une faille de cet ordre chez une femme est habituellement le fait de l'animus. La psyché féminine montre une tendance pendulaire à osciller entre le moi et l'ombre, comme la lune évolue de « nouvelle » à « pleine » et redevient croissant. . P.197 . un exemple représentatif du problème de l'ombre féminine. . le problème de l'ombre y est entrelacé avec celui de l'animus.

TÊTE HIRSUTE

De même que dans « Le Prince Ring », il est question ici de l'assimilation du « haut » et du « bas », et dans l'un et l'autre conte, l'ombre est rachetée en étant rendue consciente ; il semble donc possible de conclure que l'ombré présente en réalité un problème semblable pour l'homme et pour la femme.
Le thème du roi et de la reine qui n'ont pas pu avoir d'enfants est en général le signe avant-coureur de la naissance miraculeuse d'un enfant très exceptionnel. En soi-même, la stérilité est preuve que la relation avec la réalité créatrice de la psyché a été rompue et qu'un gouffre s'est creusé entre les valeurs et les idées acceptées par le conscient collectif, et l'humus obscur et fertile de l'inconscient avec ses processus archétypiques de transformation.
On peut mettre en parallèle les deux personnages principaux de ce conte, la jolie princesse et Tête Hirsute, avec Ring et Snati-Snati. Nous avons vu en Ring une impulsion, au sein de l'inconscient collectif, qui tend à élaborer P.199 une nouvelle forme de conscience. Tête Hirsute, cependant, représenterait plutôt une impulsion à réparer la relation de sentiment vis-à-vis de l'inconscient et de la nature, car dans la vie c'est la tâche féminine que de restaurer les valeurs de sentiment.
Avant la naissance de ces deux enfants, la reine fait de son mieux pour remédier à la situation en adoptant une fillette. Cette décision très positive constelle (à la façon de la magie analogique) une réaction fécondante dans la matrice de l'inconscient. Au moyen de sa balle d'or, que l'on peut comprendre comme un symbole du Soi, l'enfant adoptée attire une pauvre fille et sa mère. La fonction du symbole du Soi est d'unir les aspects sombres et lumineux de la psyché. Et dans le cas présent de consteller la Mère-Nature : la mendiante personnifie la connaissance instinctive propre à la nature.
. Garder les eaux sales dans la chambre à coucher signifie probablement que la reine ne doit pas rejeter son aspect obscur, mais l'accepter dans son environnement intime, car dans cette eau souillée -son ombre- réside aussi sa propre fertilité. Il semble qu'en cela consiste le secret maternel aussi vieux que le monde, de la vieille femme.
La fleur éclatante et la sombre sont une anticipation de la nature opposée des deux filles : elles représentent leurs âmes non encore incarnées et symbolisent aussi le sentiment. En mangeant les deux fleurs au lieu d'une seule, la reine manifeste le désir d'intégrer la totalité et non uniquement l'aspect séduisant de l'inconscient. Ce faisant, elle commet aussi le péché de désobéissance, felix culpa - qui, certes, entraîne de nouveaux désagréments, mais pour mener à une réalisation plus haute. C'est un thème similaire à celui de. Ring ouvrant la porte de la cuisine défendue et y découvrant Snati-Snati.
Incarnant l'ombre de la forme de vie en devenir, Tête Hirsute possède à elle seule l'exubérance et l'initiative. Son développement si rapide est révélateur de qualités démoniques et d'une nature proche de celle des esprits, tandis que le bouc qu'elle monte est l'animal de Thor et suggère que l'essence de Tête Hirsute appartient au monde païen chtonien et dionysiaque. La cuillère de bois est aussi caractéristique de son côté sorcière, de quelqu'un qui a toujours quelque chose à cuire, qui tourne un ramassis d'émotions jusqu'à les amener à l'ébullition. Le capuchon de fourrure qu'elle porte renvoie à son aspect animal ; c'est aussi le signe d'une « possession » par l'animus. Dans certains contes, l'héroïne met un bonnet de fourrure quand son père la persécute, ce qui indique une régression au niveau animal, due au problème de l'animus. Il semble donc qu'une inconscience sous-humaine s'attache à l'héroïne, ce qui implique la possession par les pulsions et les émotions instinctives. Cette forme animale n'est cependant, comme pour Snati-Snati, qu'une expérience extérieure modifiable.
Dans les pays nordiques les couches païennes inconscientes sont encore très vivantes, aussi y raconte-t-on que les trolls célèbre une fête à la mi-été et à Noël. Quand, par curiosité, la jolie princesse leur jette un coup d'oil par l'entrebâillement de la porte, les femmes-trolls lui enlèvent la tête et la remplacent par celle d'un veau. Les trolls eux-mêmes .. possèdent souvent des queues de vaches .. On peut déduire de cet échange des têtes que la princesse est assimilée aux trolls : elle perd littéralement la tête et se trouve possédée par des contenus de l'inconscient collectif. L'héroïne apparaît souvent dans les contes tout à fait sotte, gauche et incapable P.201