PREMIÈRE PARTIE : SÉMINAIRE SUR LES RÊVES D'ENFANTS (HIVER 1936-1937)

I.Rêves d'un jeune garçon âgé d'environ neuf ans

1. RÊVE DES TROIS JEUNES FEMMES

« j'ai fait un rêve : de la rue, j'entrais, en descendant, dans un magasin étrange. Nous descendions, Richard et moi. Derrière un comptoir de bar, trois jeunes femmes étaient assises autour d'une petite table. Elles nous ont donné, sans que nous ayons à les payer, des bâtons rouges : comme une cire à cacheter que l'on pouvait fumer. Nous les avons donc mis dans notre bouche, et nous avons commencé à fumer. Ensuite, je suis sorti du magasin en faisant des zigzags « la tête me tournait, j'avais terriblement mal au cour. »

.
Localisation : la rue, c'est le monde de la conscience collective. Ce qui s'y passe est normal et quotidien. Or, de cette rue l'on passe, en descendant, dans un magasin étrange. . n magasin, c'est un lieu d'échange marchand : contre de l'argent, on y obtient des objets quelconques que l'on n'a pas soi-même.
D'ordinaire, ces marchandises ne sont pas fabriquées dans le magasin, mais celui-ci remplit l'office d'intermédiaire entre le producteur et le consommateur. Comme ce magasin est situé en contrebas de la rue, et donc souterrain, on peut avec raison le considérer comme le lieu où sont accessibles des marchandises, c'est-à-dire des contenus de l'inconscient. . e comptoir est décrit comme celui d'un bar, le r il tel comptoir évoque un lieu où l'on peut manger et boire, un restaurant, un café. Là, un adulte absorbe des boissons qui provoquent l'ivresse, avec às mêmes conséquences que dans le cas de notre petit garçon. L'équivalent enfan tin, ce serait la pâtisserie-confiserie, où l'on absorbe des sucreries en quantité excessive.
Es personnes : Richard, le camarade, peut être considé ré comme le double, l'ombre du rêveur. Ce qui me !'ac, compagnant dans son aventure, il dollne lui aussi à celleCI un caractère de normalité collective qui écarte tout ;crupule. Il allège la responsabilité du rêveur, suivant le cipe : «J'ai rien fait de mal, il était là aussi ! »
Mais dans le magasin, il ya trois jeunes fenmes assises. Si l'on établit une analogie en tre elles et les trois Parques :Ies Moires) , elles rappellen t sous une autre forme la ( femne de fer » d'un rêve plus ancien 4. Pour la compréhension de celui-ci, le parallèle avec Hécate no Ils emble particulièrement important : c'est une -lé esse à trois visages, tri Jormis.

PRJUNG : La « femme de fer » du rêve antérieur signifiant le destin, il est permis de supposer que ces trois femmes, précisémen t en tan t que triade, pourraien t avoir un sens analogue. Le Trois est lui aussi « numineux », avec valeur de synon)me. Le motif des ciseaux, dans ce rêve antérieur, joint à celui du destin, renvoie aux trois Parques. Dans ce contexte, la figure de l' Hécate tri/omis paraît également importante.

. La rêveuse a certes repris conscience de sa sphère corporelle, et rétabli par là son identité. Mais cette connaissance d'elle-même lui montre à quel point elle n'est pas d'aplomb. Or tous les autres sont aussi penchés, de travers, ce qui veut dire qu'elle voit tout de travers. La maison est autrement, tout a changé. .le magasin est ouvert, et tout le monde peut y entrer. Cela signifie une submersion venue d'en bas. . En même temps qu'elle se répand ainsi sur le monde, le monde s'introduit en elle. Introjection et projection : je suis tous ceux-là, je les ai tous en moi. Dans la pulsion, on est devenu tout le monde. Quand quelqu'un est aveuglé par la pulsion, il suppose naïvement que tout le monde voit les choses comme il les voit lui-même. Cela joue également un rôle dans la psychologie de l'amour. L'homme suppose que la femme aime elle aussi ce qu'il aime lui-même. Le malheur du monde tout entier, c'est bien que chacun croit que l'autre a la même psychologie que lui. Quand nous sommes sous le coup d'une émotion, dans un état pulsionnel, nous ne pouvons plus nous représenter l'état de l'autre. Nous communiquons à l'autre notre propre état, par irradiation. Cela agit sur les autres. Rien n'est plus contagieux que l'émotion. Toute émotion est un mouvement vers l'extérieur. On sort de sa maison, et l'on est dehors, mélangé aux autres. Ainsi prend naissance une psychologie caractérisée par l'élément pulsionnel, et dont résulte une projection qui fait que le monde entier nous paraît être lui aussi dans ce même état. C'est une situation très désagréable, le noud d'une action qui se forme. Une péripétie va alors nécessairement se produire.
Cette péripétie, elle survient dans la deuxième partie du rêve : dans le magasin, la fillette achète un pain, duquel sortent des vers ; avec le deuxième pain, elle tombe dans l'escalier, et le pain dans le trou ; quant à l'argent, elle le jette. Elle rapporte à sa mère des pierres à la place du pain, et cela lui vaut de recevoir des coups. Ce rêve doit assurément permettre de voir clair dans la situation réelle de l'enfant. Il y a en elle quelque chose de mauvais. Elle trompe sa mère, et reçoit des coups : la solution, c'est cela.
Or, où va-t-elle chercher un pain ? Dans le magasin, en bas ; dans le monde d'en bas, celui des pulsions, où elle ne fait qu'un avec le reste du monde. - Qu'est-ce que ce pain ? Une miche de pain, c'est un corps. C'est la conscience de son corps qu'elle va chercher dans la sphère pulsionnelle. On le comprend : elle va chercher en bas une conscience de son corps. La nature a prévu que aucoup d'animaux se contentent dans un premier temps de manger, et ne se construisent qu'ensuite des organes sexuels, par exemple les papillons : en tant que chenilles, ils ne font d'abord rien d'autre que manger ; en tant que papillons, ils ne sont plus que fonction sexuelle, presque exclusivement. Il s'agit donc là d'un déplacement de l'nstinct vers le stade présexuel, celui de la nutrition. C'est un retour en arrière, phénomène typique lors de la transmutation de l'énergie naturelle des pulsions en ces processus que l'on qualifie de spirituels. La démarche naturelle de l'instinct ne déboucherait que sur la sexualité. Or s'il doit se spiritualiser, il lui faut se retransformer, en quelque sorte par régression, par le retour au stade présexuel initial de l'instinct de nutrition. C'est pourquoi P.65 l'on trouve la symbolique de la nutrition jusque dans les processus de transformation des mystères.
La rêveuse est encore à l'âge de l'enfance. . le stade nutritif a été vécu, lui, au niveau conscient. Si donc la tendance pulsionnelle est déviée vers la nutrition, elle l'est, en fait, vers quelque chose de connu, de conscient. La pulsion sexuelle et sa satisfaction, elle ne les connaît pas encore ; avoir faim, manger, elle connaît. Un être créatif qui doit affronter situations tout à fait nouvelles et donc difficiles fait retour à un temps où il était en état de détresse, à sa mère qui prenait soin de lui. Ou bien il va parler de choses qu'il a déjà vécues. Les souvenirs vont lui revenir . ce qui arrive maintenant est nouveau, mais l'on cherche alors une analogie et, par cette analogie, le salut dans l'état conscient. La chenille qui est devenue larve dans sa chrysalide se trouve dans un état dont elle n'a pas conscience. Elle ne sait pas, en effet, qu'elle va devenir papillon, elle ne peut recourir qu'à ses souvenirs d'état de chenille. Pour accéder à un nouvel état de la conscience, nous sommes toujours obligés de nous raccrocher à quelque chose de connu. Nous avons besoin d'un escalier. Il n'y a pas ici d'accès direct de l'inconscient à la conscience. C'est pourquoi ici, dans le rêve, tout le problème est transféré sur la nutrition. L'état pulsionnel nouveau suggère : souviens-toi de la faim ! Manger, c'est une autre forme, connue, elle, de la satisfaction de l'instinct. La faim et la nourriture possible relèvent elles aussi du centre de l'instinctivité.
Mais il se produit alors quelque chose de désagréable. . le pain tombe, et il n'en reste que des vers. Ce pain qu'elle se procure dans le magasin, il est évidé à l'intérieur et gâté. Il ne fait pas l'affaire, en ce sens qu'il renferme et recèle des contenus déjà vivants et qui relèvent du système nerveux sympathique, (Jung pense ici au système nerveux central primitif, scalaire (en échelle de corde) , des vers et des insectes, qui correspond dans l'histoire de l'évolution à notre système neurovégétatif. .) à savoir des fantasmes. Le stade présexuel est déjà creux, évidé. C'est déjà l'éveil précoce d'un nouveau stade. II faut maintenant qu'elle se procure un autre pain. C'est avec lui qu'elle doit remonter l'escalier, c'est-à-dire avec son ancienne conscience corporelle. Cette fois, elle tombe. Il y a en outre un trou dans l'escalier. Cela signifie tout simplement que, de même que sa montée a été interrompue auparavant à cause des vers contenus dans le pain, de même elle rencontre maintenant à nouveau un obstacle, et elle est entraînée vers le bas, vers l'état pulsionnel inconscient. Elle jette aussi l'argent. L'argent, c'est la libido, la possibilité d'acheter du pain et aussi des friandises : c'est de la libido disponible. A cette possibilité aussi elle renonce. - Le seul résultat de cette tentative pour accéder à l'état conscient, c'est qu'elle jette ce qui lui permettrait d'aller chercher encore un autre pain et qu'elle abandonne même celui qu'elle a déjà ; donc, qu'elle renonce à une partie de la conscience acquise et retourne à la maison dans un nouvel état, qui lui vaut d'être battue.

. pourquoi l'enfant a-t-elle un petit miroir magique ? Par son usage, on est placé dans une situation mythologique. On subit de ce fait une inflation. En inflation, on est comme dans un ballon. Il s'élève, et l'on perd le contact avec le sol. On éprouve alors un sentiment d'irréalité, de vertige, d'être trop léger, comme en verre. On perd le contact avec les réalités, on est dominé par l'inconscient, on n'a plus de pesanteur, on ne s'oriente plus P.67 dans l'espace. Dans notre rêve, cela donne ces gens qui se déplacent obliquement dans l'espace. Toujours, quand l'inconscient atteint un certain degré d'intensité, on voit apparaître des impressions de vertige ou carrément les symptômes du mal de mer, l'impression que le sol fait des vagues ; la surface agitée de l'eau est la figure de l'inconscient. Dans cette situation, les gens ont le sentiment d'être debout sur le pont d'un bateau, sur une mer agitée, ou bien enlevés dans les airs par le vent. Cela peut aller jusqu'au mal des montagnes, au vertige, aux palpitations et au vomissement.
Dans de telles situations, tout se passe comme si l'on avait perdu son corps, sa corporalité. Il faut alors se cramponner à celle-ci et redescendre dans son corps.
. La dimension corporelle se manifeste à travers ce motif de la nutrition. La raison pour laquelle l'enfant doit descendre à ce niveau, c'est l'inflation. Elle descend en quelque sorte dans son propre ventre.
Sur la dame du magasin : celle-ci lui dit qu'elle doit faire attention à bien tenir son pain. Elle est plus âgée, plus expérimentée, c'est la mère ; non pas la mère réelle, toutefois, mais l'archétype de la Mère (le pendant du « Vieux Sage », image du Père). C'est la Sorcière, la « Vieille Femme », la Terre, Erda, la déesse de la Terre; la Vieille qui donne le bon conseil. - Au cours du développement de l'enfant, l'archétype est localisé d'abord dans la mère réelle, ou, selon le cas, dans le père. Or l'inconscient cherche à disjoindre la figure parentale de l'archétype, afin que le sujet comprenne que l'idée l'archétype - n'est pas identique à la mère en chair et en os. Il en résulte la reconstruction d'un univers archétypique où je ne suis pas le fils de ma mère en chair et en os, mais de l'archétype de « la Mère ». Il s'agit alors d'une sorte d'univers magique, monde des dieux ou de l'esprit, et, comme cela existe et qu'il en a toujours été ainsi, les hommes ont toujours parlé de deux réalités différentes : une que nous pouvons voir de nos yeux et toucher de nos mains, et une autre qui n'est pas accessible par les sens. Or ce sont deux principes différents qui se manifestent ainsi. L'aristotélicien dira que les archétypes sont des représentations, nées de l'expérience faite avec des pères et des mères réels. Le platonicien, lui, dira que c'est des archétypes qu'ont procédé les pères et les mères, parce que les archétypes sont les images originelles, préfigurations des phénomènes, conservées en un lieu céleste et dont sont issues toutes les formes. C'est l'origine du mot archetypos. Où est la vérité, nous ne pouvons pas en décider. Nous restons toujours enfermés dans notre expérience psychologique. Nous sommes plongés dans le monde des images. Quoi que nous puissions dire au sujet de l'élément psychique, nous ne parlons jamais qu'à partir d'un archétype. Quand Freud dit que le fondement et l'origine de tout ce que nous faisons, c'est la sexualité, c'est aussi une idée archétypique. C'est l'idée primitive par excellence, de même que l'aspiration à la puissance selon Adler. Ces deux idées se retrouvent chez les philosophes anciens, dans les représentations gnostiques de l'alchimie : la Nature jouit de la Nature, la Nature domine la Nature. Cela s'est exprimé dans le symbole du serpent qui se mord la queue, l'Ouroboros. Si donc on s'imagine avoir proféré une vérité définitive, on se trompe ; on n'a fait encore que formuler un archétype. Ce qui transparaît en fin de compte, c'est que l'archétype est vivant. Il vit en Freud, en Adler, et aussi en moi.
Quand on est saisi par une telle idée archétyique, on pense s'être élevé au-dessus du monde entier ; c'est un cas d'inflation. Quand une idée vous vient et que l'on pense la posséder, c'est l'inverse : on est possédé par elle. On ne peut rien faire de plus que l'exprimer. Ces P.69 idées doivent être dites et mises en forme. C'est par la vie de ces idées que nous vivons. Ce sont les flores cerebrariae, c'est la « pierre cérébrale » des vieux alchimistes ; la plante qui pousse par nous, et sort de nous, et veut se déployer, et c'est très bien ainsi. Seul le diable qui nous pousse à la connaissance trouve que ce n'est pas bien ainsi, lui qui veut avoir la vérité définitive. Mais la vérité absolue, il n'est possible de l'établir nulle part, et surtout pas en psychologie.
Or, dans le rêve, la sage vieille femme dit à la fillette qu'elle doit tenir fermement le pain - [le corps] pour ne pas le laisser tomber. Mais voilà que justement elle le laisse tomber quand même. Et tout ce qui en sort, ce sont des vers. Les vers vivent de choses qu'ils décomposent. Les vers sont une multiplicité indéfinie de petites unités vivantes. Cela veut dire que le corps s'est décomposé en un grand nombre d'unités vivantes. Le corps est composé d'unités héréditaires, d'unités mendéliennes. . Il en va de même du corps tout entier, ainsi que de l'âme. Certaines particularités psychiques viennent de certains ancêtres et, normalement, bien sûr, ces fragments fusionnent chez l'individu, non sans qu'il reste une certaine suture (Au sens anatomique : la « couture » reliant les différentes pièces osseuses, qui s'est formée au cours du développement des os), une trace de l'assemblage . Quand les sutures ne se ferment pas, il en résulte une personnalité schizoïde, une psychologie compartimentée qui, en dernier lieu, .. peut déboucher sur une schizophrénie. La personnalité se décompose alors en une série d'îles qui n'ont plus aucun rapport entre elles. Il se produit une atrophie affective, une incapacité à dominer l'ensemble des jugements affectifs, et l'impression que la personnalité s'est décomposée. Alors les différents blocs sont entièrement disjoints, parce qu'en fait ils n'avaient jamais été réunis par une croissance commune. Les années de Sturm und Drang (cf.adolescence..) sont en quelque sorte ce temps de cuisson où les fragments éclatés devraient fusionner. Lorsqu'un fragment ne prend pas sa place dans l'ensemble, il en résulte une « enclave » qui s'enkyste. Il apparaît alors, d'une façon pénible à l'extrême, que ce fragment n'a pas été intégré.
Notre psychisme a une structure parcellaire, tout comme le corps et ses organes. Sous les effets d'une névrose ou d'une psychose, les instances organiques peuvent se séparer les unes des autres et se mettre en mouvement, chacune pour soi. Cela donne alors ces étranges accès, par exemple, de tachycardie. Le cour se comporte alors comme un fou soustrait à tout contrôle ; de même peuvent survenir des troubles digestifs ou des paralysies partielles. Les différentes fonctions se découplent. Il se passe alors à peu près la même chose que dans la schizophrénie. Les facteurs métaboliques présentent exactement les mêmes phénomènes de dissociation que dans le domaine psychique. Dans le cas de l'enfant dont nous avons traité les rêves .. (et qui est mort peu de temps après), il y avait des rêves de décomposition en un grand nombre de petits insectes, fourmis, moucherons. Ce sont les plus petites unités vivanes, comme les cellules du corps prises isolément. Toute cellule est en effet en soi un système vivant, doté d'une certaine autarcie, et donc, si l'organisme se dissout en tant que totalité, les différents groupes de cellules commencent à fonctionner isolément.
Quand la fillette laisse tomber la miche de pain, cela veut dire qu'elle n'est plus elle-même l'unité vivante de son corps, mais qu'elle en abandonne le système à lui-même P.71 ; alors il se dissocie. Quand le gouvernement fait le mort et quitte le pays, chacun fait ce qu'il veut, comme dans l'Europe d'aujourd'hui, dont la cohésion n'est plus maintenue par aucune idée. C'est pourquoi l'on est instinctivement en quête d'un cerveau de niveau supérieur. La Société des Nations, par exemple, est une tentative de ce genre, et c'est la même chose dans la psychologie de l'individu. Nous cherchons toujours une idée totalisante qui nous permette de vivre dans un ensemble cohérent, de parvenir à un optimum des possibilités d'existence. Mais quand l'inflation disjoint notre Moi-conscience de sa base corporelle, alors la dissociation commence.
. L'escalier signifie le développement graduel de la conscience ; il correspond à la structure segmentée du système nerveux sympathique et spinal, aux segments vertébraux. Les ganglions sont disposés en degrés, c'est-à-dire en échelle. L'escalier, ce sont les degrés, le système en échelle de corde qui devient perceptible. C'est pourquoi l'on retrouve ces degrés, ces marches, dans tous les cultes où il s'agit de produire une conscience à partir d'un état d'inconscience.
En Amérique, il se produit une fusion de la partie inférieure avec la terre virginale - celle où vivaient les primitifs (Par primitif Jung entend toujours « originel, archaïque »). C'est pourquoi la conscience reste en haut, dissociée des fonctions primitives : il y a d'un côté les idéaux, de l'autre la primitivité. . Le sol de la cave s'est enfoncé de plusieurs mètres. Il n'y a plus d'accès ; la porte de la cave est murée, il n'y a plus d'escalier qui y mène, et c'est pourquoi l'Américain vit dans le monce d'un idéalisme où tout n'est que raison. . Quand l'Américain veut descendre dans ses régions inférieures, il est obligé de faire un saut dans l'obscur. .
L'être humain de chair, de sang et de chaleur est en bas, inconscient ; en haut, tout se passe de façon « correcte », respectable. L'homme d'en haut ne voit pas l'homme d'en bas.
.. il y a un trou dans l'escalier. S'il manque une marche, cela signifie un état d'inconscience. Un « trou », c'est quelque chose d'inconscient. On ne le remarque pas. Le scotome (la tâche aveugle) de la rétine, existe aussi en psychologie. Quand des patients tombent dans le « trou » du médecin, ils en sont les victimes. Mais en même temps ils ont un pouvoir sur le médecin. Ils sont toujours là où il n'a pas d'yeux pour voir, et ils peuvent alors l'ensorceler ; non pas, à vrai dire, comme ils le veulent, mais comme ça leur vient. . On produit soi-même des effets que l'on ne veut pas, parce que l'on ne se voit pas soi-même. Un tel trou, c'est un défaut d'état conscient.
L'enfant jette le pain dans le trou. Elle jette ainsi encore une fois son corps, c'est-à-dire qu'elle reste en inflation. L'argent aussi, elle le jette. L'argent, c'est de la libido, il lui donnerait donc la possibilité de rétablir le lien avec son corps. Si elle jette l'argent, cela veut donc dire qu'elle jette aussi, en plus, dans le trou l'attention qu'elle devrait à son corps. Au lieu du pain, elle rapporte à sa mère quelques pierres. . Les pierres, c'est quelque chose de dur, de mort. Pourquoi à sa mère ? Elle n'a plus avec sa mère la relation affective naturelle. La raison la plus évidente en est que la libido pour la mère est prise dans le miroir magique P.73, dans l'inflation. C'est elle qui produit le mouvement vers le haut, elle sert à forcer la conscience à monter. Dans le cas de la femme, la mère signifie aussi la relation à sa propre sphère pulsionnelle (l'utérus) , en d'autres termes la relation à l'inconscient, précisément. Celui-ci, c'est aussi la mère. L'inconscient est la mère de la conscience. Du point de vue de l'expérience, le monde physique et le monde psychique sont deux choses différentes, même si nous voulons toujours les voir comme un ensemble ; c'est-à-dire que la mère, cela signifie la personne de ma mère, mais aussi la mère de ma conscience en tant qu'origine de mon Moi, et donc tout simplement l'inconscient.
Comme, dans la réalité de la situation, la mère est pour cette enfant une personne très importante, il nous faut dire que le rêve évoque la mère réelle. La relation de l'enfant à sa mère est d'une importance vitale. . Quand des personnes d'une importance vitale apparaissent avec précision en rêve, c'est bien d'elles qu'il est question. La rêveuse déçoit sa mère de la façon la plus grave. Elle ne lui donne pas d'amour ; si elle ne donne pas à son propre corps l'attention nécessaire, elle ne donne pas non plus d'amour à sa mère. Appliqué aux adultes, cela veut dire que, si une femme n'accorde pas à son propre corps l'attention nécessaire, elle n'aime pas sa mère. Si elle a des difficultés avec elle, elle en a aussi avec sa propre sphère pulsionnelle ; à cela, il n'y a pas d'exeption. Ce qui ressort clairement de ce rêve, c'est que la relation à la mère est perturbée.
.. viennent les fantasmes et les compléments concernant le miroir magique. Au revers de celui-ci, l'enfant voit des choses effrayantes : un arbre avec une tête de mort. Le corps a pourri, la tête reste encore accrochée à l'arbre. Le visage décrit par l'enfant semble être un masque. Elle dit que les yeux sont comme des trous. Puis il y a des cornes ; elles sont nécessairement en rapport avec tout ce dont l'étrangeté fait peur : des cornes de diable. Que sont ces quatre choses qui ont l'air de cornes ou de jambes ? Ce sont les fémurs croisés qui accompagnent le crâne, ou bien quatre membres, bras et jambes. Le corps manque. La libido est tombée dans le monde d'en bas. Alors, on est mort. L'image dit d'abord : si tu laisses tomber ton corps, tu es morte ; une tête de mort, une tête qui flotte en l'air avec des os croisés.
Cette image fait penser aussi à la roue solaire. Du fait de son inflation, la fillette se métamorphose en cette figure. C'est une solificatio. Le soleil est conçu comme né de l'arbre, dans beaucoup de mythes et de cultes, .. parce qu'il s'élève comme un oiseau. Le gui qui pousse sur l'arbre est pour les druides aussi un symbole solaire. Le crâne, c'est le soleil non né. Quand on est dans l'arbre et que l'on n'est pas né, on est suspendu. Sur la croix, le Christ est en suspens, comme Odin sur son arbre :

«Neuf nuits, j'ai été pendu à l'arbre agité par le vent, Blessé par la lance, voué à Odin, Moi-même, à moi-même. »

. Seule la tête de mort est accrochée en haut. Quand on prend congé de son corps, on est suspendu ; on ne vole pas, comme un oiseau, on est pendu. comme un pendu. Pourtant, il y a quatre extrémités qui sont là. Ensuite, dans le rêve, le miroir magique envoie un reflet sur la fillette, comme un éclair ; il projette de la lumière sur elle, l'illumine, elle peut s'apercevoir elle-même. Alors elle est prise de nausée et ne peut s'empêcher de vomir. En se tournant vers elle, le miroir l'ensorcelle. C'est cela, l'inflation. Elle vous déréalise. De même qu'elle a vu les gens tout penchés, de travers, ensorcelés, P.75 elle est maintenant elle-même de travers dans l'espace. Elle le remarque : c'est vrai, elle est de travers. Alors, elle est prise du mal de mer. Elle grimpe à l'arbre et se cramponne à la tête de mort. Cela signifie une identification à cette tête. C'est elle qui est morte. C'est un sacrifice volontaire qu'elle accomplit là. « Alors, mes jambes et mes bras sont tombés. » Il lui arrive ce qui est arrivé auparavant au mort.

P.261 : Les archétypes sont plus porteurs d'images que le réel.

Oui, et cela nous l'oublions toujours : dans le rêve, les archétypes sont plus puissants que la réalité extérieure. Cela veut dire que, dans ce cas, la fée est plus puissante que la mère. . Jamais encore un seul d'entre eux (des primitifs) n'a vu un être mi-homme, mi-animal, et pourtant ils en sont bien plus possédés que par quelque chose de rationnel.
.. la Mère est un puissant archétype. Pour le petit enfant, tout plongé dans le collectif, il n'y a d'abord aucun autre archétype que celui de la Mère. C'est lui qu'il projette sur sa mère réelle ou sur une autre personne qui en occupe la place. Pour l'inconscient, qui existe d'abord, avant la conscience, il n'y a que P.261 l'archétype de la femme maternelle, et pas du tout encore de mère réelle. . La mère prend alors facilement un caractère surhumain, démonique. (.. qui garde le sens du grec ancien, sans connotation d'ordre moral : de la nature non humaine d'un daimôn, d'un esprit élémentaire ; ici : d'une figure archétypique) Elle peut se changer en sorcière, en serpent, en méchant loup, en chat, en tout ce que les gens à complexe maternel négatif peuvent mettre dans la mère ; elle empoisonne en secret la nourriture, elle est menaçante, ou bien elle exerce quelque autre influence nocive. Dans ces cas de complexe maternel négatif, il s'établit des équivalences qui s'appliquent bien mieux à des êtres mythiques qu'à la mère réelle. - La disposition initiale de l'enfant est mythologique. Quand le rêve dit « fée », et non « mère », c'est précisément ce facteur mythologique qu'il exprime. S'il disait « mère », il renverrait à la réalité concrète, et non pas au facteur archétypique. Dans la perspective de la conscience de l'enfant, nous pourrions tranquillement dire qu'il s'agit de la mère, parce que celle-ci présente encore un caractère mythologique. - Le rêve interprète donc la mère comme une fée. Si nous réduisons cet archétype à la figure de la mère, la projection se fait tout entière sur la mère réelle. Le résultat en serait par exemple que l'enfant, en cas de représentation négative, en rendrait responsable sa mère réelle ; désormais, il inscrirait au compte de celle-ci tous les aspects démoniques de son expérience. L'archétype est le bien de l'enfant, et il ne faut pas le lui enlever. Si par exemple on faisait remarquer trop tôt à l'enfant que la fée, ce n'est pas la mère - je ne le ferais certes pas, moi, mais posons cette hypothèse -, il se pourrait que l'enfant attribue à la fée les qualités de la mère, et développe avec celle-ci une relation réduite au niveau infantile.
Quand l'inconscient dit qu'il s'agit d'une fée, alors restez-en là, s'il vous plaît. Les archétypes sont extrêmement puissants, ils absorbent, assimilent la réalité. Quand les gens ont un présupposé archétypique au sujet de quelqu'un, on ne peut pas le leur ôter, ils en sont possédés. L'archétype vous hypnotise, prend possession de vous, et vous en êtes prisonnier.
Si donc un enfant raconte un tel rêve, le mieux que nous ayons à faire, c'est de lui parler de la bonne fée de telle façon que cet être mythique prenne vie en lui. Mais si la question nous est posée de savoir ce que c'est, une fée, alors il faut que nous en sachions un peu plus sur les fées. Nous ne pouvons pas tout simplement repeupler le monde de fées. . Qu' est-ce donc que la fée dans l'univers des représentations de la féminité ?
- .. elle est puissante, sage, elle a des qualités merveilleuses : tout ce que l'enfant n'a pas.
-C'est une sorte de figure de guide, un guide féminin.
-Oui. Si c'était un homme, ce serait un homme supérieur. .
-La figure du guide correspond à celle d'Hermès, celui qui guide les philosophes dans l'univers de l'esprit.
-Oui, Hermès Trismégiste est l'initiateur, le psychopompe (Le conducteur des âmes); la fée en est le pendant féminin. Elle est cette figure de la féminité adulte que la fillette n'est P.263 pas encore, une figure qui, pour l'enfant, est tout naturellement auréolée de magie, de splendeur et de puissance, une figure supérieure, ce qu'elle porte en elle-même de tel. C'est l'anticipation de ce que l'enfant deviendra peut-être elle-même plus tard. Mais que doit-il arriver d'abord ? Le rêve le dit.
-I1 faut que la fée disparaisse dans les flammes.
-Dans les visions de Zosime apparaît une figure tout à fait analogue, celle d'un prêtre-guide qui se dissipe dans le feu.
-Le rapprochement avec les visions de Zosime est tout à fait éclairant. . L'essentiel en est qu'il voit lui apparaître une figure singulière, celle d'un petit homme, un anthroparion, un homunculus. Ce petit homme est mis à mort par un prêtre sacrificateur, ou bien c'est le prêtre lui-même qui se transfonne dans le feu, se dévore et se recrache, qui subit la cuisson dans un autel en forme de cratère. C'est la figure du guide qui apporte l'illumination, du psychopompe.
L'autodestruction de la fée par le feu, c'est une image sur laquelle il faut longuement réfléchir et qu'il faut considérer sous toutes ses faces pour y voir un peu clair. Il s'agit d'une symbolique tout à fait remarquable. Ce cérémonial est en lui-même plein de sens. Que veut-il donc dire ? Nous devons nous représenter toute la situation du point de vue de l'enfant. Un beau jour, l'enfant est emmenée par sa bonne fée, comme si celle-ci lui avait dit : « Maintenant, viens, ma petite, nous allons dans le grand palais ; je vais te montrer quelque chose. »
. La fée n'est pas définitivement brûlée, car à la fin elle est de nouveau là ; c'est conme un tour de magie destiné à faire peur à l'enfant. . Le résultat en est une pleine et entière restitutio ad integrum : la fée réapparaît comme s'il ne s'était rien passé du tout. C'est là le problème central de ce rêve. Le rêve est une sorte d'esquisse de l'avenir ; la fée en donne la démonstration. Elle montre l'épreuve que l'enfant devra elle-même traverser. Dans les visions de Zosime aussi, le philosophe ne fait jamais qu'accompagner et regarder. Là aussi, la figure du guide se brûle elle-même afin que l'alchimiste apprenne quelle est la voie. Le psychopompe apparaît en rêve et lui montre ce qui devrait arriver pour que s'accomplisse ce qu'il recherche. Ce qu'il cherche, c'est l'hydor theion, l'eau divine, l'arcane, le moyen qui devrait servir à l'achèvement du corps imparfait. Elle est identique à l'eau du baptême chrétien .. L'eau baptismale est faite avec de l'eau exorcisée, du sel exorcisé, de l'huile consacrée, .. cela suivant un rituel compliqué. Ce rituel fait partie du cérémonial de la fête de Pâques .. C'est le soir du samedi saint que l'on procède à cette bénédiction de 1'eau. Ensuite, cette eau, déjà préparée, est fécondée par immersion d'un cierge afin qu'elle puisse redonner naissance aux humains dans l'utérus de l'Église. C'est un rituel extraordinairement chargé de sens, une sorte de mariage divin (hieros gamos). . C'est l'un de ces mystères qui fondent le pouvoir que l'Église catholique exerce sur l'inconscient.
Ici, dans notre rêve, il s'agit de quelque chose d'analogue, exprimé seulement de façon plus simple. À n'en pas douter, la fée est une entité mystérieuse, d'essence supérieure, une sorte d'esprit secourable. Car les fées sont des entités naturelles, comme les elfes ; elles n'ont P.265 pas une âme chrétienne ; issues de la nature, elles vivent dans la nature. Cela veut dire qu'une telle figure existe dans notre propre nature, dans l'inconscient, l'âme naturelle, et elle se manifeste avec netteté dans ce rêve. Mais pourquoi la fée disparaît-elle dans le feu ?
-C'est la fée qui se renouvelle.
-Rien dans le rêve ne dit que la fée ait été remise à neuf. Il y a des cas analogues de passage par le feu qui peuvent nous venir en aide .. :

Isis s'est fait engager comme bonne d'enfants chez le roi de Phénicie. Tandis qu'elle tient au-dessus du feu, jusqu'à l'incandescence, l'enfant qui lui a été confié, elle est surprise par la mère. Celle-ci, la reine, pousse un cri de frayeur ; Isis retire l'enfant du feu et dit : « Maintenant, il n y a plus rien faire. Si tu n'avais pas crié, j'aurais pu donner à cet enfant l'immortalité. »

-Dans cet ordre d'idées, il y a aussi le symbole du phénix.
-Assurément ; c'est en se brûlant lui-même que le phénix accède à une nouvelle vie. Tous les cinq cents ans il se brûle avec de l'encens et divers bois odoriférants. Connaissez-vous d'autres exemples ?
-Héraklès-Hercule se brûle aussi lui-même, et monte ensuite au séjour des dieux.
-Achille est lui aussi tenu dans le feu par Thétis, qui veut ainsi le rendre immortel ; mais le père survient et interrompt l'ouvre inachevée. C'est pouruoi Achille restera vulnérable au talon.
-L'acte de se brûler soi-même a donc le sens d'une accession à l'immortalité. Dans notre rêve, la fée accomplit ce processus de transformation. Elle se change elle-même en feu, et acquiert de ce fait une nature ignée qui possède le caractère de l'éternité, comme l'or, qui ne se modifie plus dans le feu. Telle est aussi la signification des visions de Zosime : le feu confère l'immortalité. Là encore, .. le feu, détruisant le corps, a le sens d'une purification de toutes les substances corruptibles. C'est pourquoi nous devons passer par le feu pour être libérés de cette matière imparfaite et monter au ciel comme esprit, en quelque sorte, comme un spiritus, un être-souffle. Ainsi nous acquérons une nature éternelle, parce qu'alors notre forme pure est à jamais constituée.
Or les fées ne sont absolument pas soumises à la loi de la mortalité ; elles n'ont pas de corps charnel comme nous, ce sont au contraire des entités spirituelles soustraites à la corruptibilité de la matière. Ce que fait la fée ne peut donc pas avoir de sens par rapport à elle-même ; par conséquent, c'est pour l'enfant que cette cérémonie doit en avoir un. La fée, c'est l'instance omnisciente, omnipotente, omnitutélaire qui a pris l'enfant par la main et lui trahit un secret. C'est une claire anticipation, une préparation symbolique à ce qui va advenir. La composante directrice chez l'enfant, l'adulte future, qui lui apparaît comme douée d'une énorme puissance et d'un savoir absolu, lui dit : « Tu vois, c'est ainsi que les choses se passent, c'est ainsi que l'on fait, c'est comme cela que l'on se transforme. » Et quelle leçon l'enfant doit-elle en tirer ?
-Cela pourrait être : « Si tu te trouves placée dans une situation comme celle-ci, dans un cercle formé par des serpents, ne t'en écarte pas. Va te placer au centre, comme la fée, va te brûler dans le feu, et tu échapperas au danger. » P.267
-. pour l'enfant, cette situation, c'est l'effroi absolu. Un endroit où des serpents rampent en rond, c'est un endroit qu'il vaut mieux éviter. Aussi bien l'enfant n'y entre-t-elle pas ; c'est l'esprit-guide qui le fait. Cela veut re : « Ne reste pas à l'extérieur ; si tu viens à cet endroit, pose ton pied dans le cercle, entre dedans, quoi qu'il puisse arriver, tu seras consumée. Tu te changeras en fumée, et puis tu seras de nouveau là. » Qu'est-ce que cela veut dire ? . Vous souvenez-vous de ce que nous avons dit du feu ?
-Qu'il est en rapport avec les affects.
-. Le feu, c'est une éruption émotionnelle, une éruption de la libido. C'est pourquoi la libido est toujours comparée au feu. Le sens est donc le suivant : « La libido va venir à toi, et tu t'y brûleras. » Mais que signifie le cercle magique qui apparaît ici ?
-Ces serpents ne sont-ils pas des figures chtoniennes ? Et ce cercle, n'est-ce pas l'inconscient lui-même, dans lequel l'enfant doit pénétrer ?
-Je ne dirais seulement pas l'« inconscient ». Je ne crois pas que les enfants aient pour tâche de s'approcher de l'inconscient, vu qu'ils n'en sont pas éloignés. Nous devons être ici très attentifs à la forme du rêve, à la figure qui se présente à nous. II est question d'un cercle ; c'est la rotondité, qui évoque la complétude. C'est donc une situation qui renvoie à la complétude. Le rond, c'est une vision tout à fait primaire, le plus ancien symbole de l'humanité . On l'a partout interprété comme la roue solaire ; or c'est l'une des formes primordiales qui apparaissaient déjà en des temps où la roue n'existait même pas encore. II est tout à fait exclu qu'il s'agisse d'une roue ; ce pourrait bien être plutôt une image du soleil, mais le dessin n'est pas assez réaliste pour cela . 'est plutôt une vision qu'une réalité. . La rotondité est une vision première. P.269 . vous la retrouvez partout. Dans les méditations du bouddhisme aussi il est dit : « Sois rond, tout rond. » La rotondité, elle doit être produite ; il s'agit d'un symbole qui n'a cessé de réapparaître depuis des temps immémoriaux et toujours avec le même sens : la complétude, l'achèvement, la perfection qui se suffit à elle-même.
Dans notre rêve,le cercle des serpents signifie donc : « Quand nous nous trouvons placés dans une situation qui requiert que nous soyons là dans notre totalité, notre complétude, si dans cette situation nous sommes défaillants, alors nous avons gâché notre complétude. » Nous devons en effet nous engager intégralement, au risque d'être consumés par le feu. Le déroulement du rêve montre que cette mort par le feu n'a pas causé de dégâts, puisque la fée est de nouveau là comme avant ; la transformation ne lui a fait aucun mal. L'affaire cenrale du rêve, c'est la démonstration qu'il fait de cette métamorphose qui s'opère en l'être humain quand il va se placer au centre du cercle, en dépit du facteur de danger que représentent les serpents. Car le serpent, c'est d'abord et avant tout un symbole de l'angoisse. Les chevaux, les singes ont eux aussi une peur instinctive des serpents. Si vous voyez un cercle formé par trois serpents, vous vous garderez d'y entrer ; vous aurez peur. Si pourtant vous y entrez, la transformation se produira, celle dont le sens est de faire naître votre être immortel. L'accomplissement du sens de l'existence est lié à l'idée de l'immortalité. Cela ne dit rien sur l'immortalité en elle-même. Nous constatons seulement que les humains ont ce sentiment et parlent donc de problèmes de ce genre. C'est une pure et simple donnée de fait psychologique. Toujours, dans les moments où la vie atteint un sommet, où nous faisons tout entiers face à la vie, nous avons le sentiment qu'elle a un sens, et toujours ce sentiment est lié à celui de l'éternité. Dans l'alchimie, .. la rotondité qui est produite, c'est la pierre philosophale, .. c'est le corps incorrupcible, .. le corps de l'achèvement accompli, ou encore le corps de résurrection dont nous serons pour ainsi dire revêtus le jour du jugement dernier. Or dans notre rêve le cercle est formé par trois serpents. Du point de vue psychologique, il nous conviendrait beaucoup mieux qu'il soit fait de quatre serpents ; ne trouvez-vous pas ?
-Non, le Trois est précisément le nombre qu'il faut. Cerbère et Hécate ont aussi trois têtes. Le Trois symbolise la sexualité masculine, démonique.
-Il s'agit ici d'émotionnalité, et surtout pas de sexualité pure et simple. II est question aussi de tous les autres parmi les sept diables : la colère, la concupiscentia (le désir en général), le désir des richesses, l'envie, la haine : bref, de toutes les diableries. Le Trois, c'est cela ! Nous devons nous représenter cela de façon concrète dans le cas de notre enfant ! Il s'agit en effet d'une enfant, d'un être dont le corps est en pleine croissance. Toute la libido et tout l'intérêt vital sont en fait absorbés par cette évolution ; il faut que le corps se construise. I1 joue en conséquence un rôle très important. Les instincts qui ont construit ce corps acquerront à l'avenir une puissance toujours plus grande, pour faire ensuite irruption en surface sous la forme de la sexualité, de l'envie, de la haine, de la colère, de l'ambition, de l'avidité, etc. C'est une sorte de feu infernal.
L'enfant a eu encore un autre rêve : elle ouvre la porte d'une pièce et voit à l'intérieur la lueur d'un feu ; elle sait que « ça, c'est l'enfer », et elle s'en va.
Elle avait cherché le chemin du ciel, et elle a vu l' enfer ! C'est l'enfer qui s'est ouvert devant elle. Cet enfer, c'est celui de l'instinctivité. L'enfant a eu le pressentiment P.271 de cet enfer dans lequel elle sera plongée. Cet état d'instinctivité infernale est représenté en alchimie par un serpent à trois têtes, ce qui s'appelle le serpens Mercurii. Mercure, Hermès, c'est le psychopompe par excellence. Il conduit l'âme dans l'au-delà, et il est identique au noûs (..l'esprit qui donne forme au monde) gnostique, qui est, à l'origine, descendu des hauteurs et s'est associé à la matière. En Jl d'autres termes, cela veut dire qu'en plein dans ce phénomène instinctuel, dans cet enfer, il ya aussi le noûs divin, qui alors, passant par les tourments du feu, se transforme en corpus glorificationzs, en or, en ce qui est éternel et Immuable.

P276 Pour notre raison rationaliste, cela équivaudrait à une autodestruction. La signification irrationnelle, en revanche, c'est la transformation pour accéder à l'immortalité.
-Comment faut-il comprendre la compagne de jeux dans ce processus tellement archétypique ?
-Elle fait partie de la réalité enfantine de la rêveuse.
.. Elle rétablit la relation avec son âge. Quand l'enfant accompagne la fée, elle est comme entraînée dans l'au-delà. C'est le danger caractéristique lorsqu'un archétype est constellé : il entraîne l'être humain, pour un, temps, dans l'irréalité, dans la psychologie prénatale. À ce danger, le rêve oppose le personnage de la compagne de jeu. Son importance réside dans le fait que l'enfant est réamarrée à la réalité de son enfance.

[1. TROISRÊv l'UN ADOLESCENT DE QUINZE ANS : LE TIGRE, LES SERPENTS ET L'HERBE MAGIQUEIOO

Textes :
1. « J'erre sans fin dans le désert et je souffre de la soit : Le soleil brûle, implacable, et je suis au bord de l'épuisement. Au moment même où je vais m'effondrer, je découvre une oasis. Comme je me penche pour étancher enfin ma soià ; je m'aperçois avec éPouvante qu'un énorme tigre s'apprête à


- JUNG : .. il fait très chaud, c'est-à-dire que la situaion est très chaude, et dans ce cas bien sûr on a plutôt soif que faim. Ce garçon est au bord de l'épuisement, saisi d'un désir violent, d'un besoin qui lui est encore P.279 inconnu. C'est précisément à cela qu'il est livré sans défense. Suit alors l'action, la péripétie : au moment où il va s'effondrer, il découvre une oasis. II lui vient donc à cet instant une aide. . L'oasis, c'est donc le lieu du salut où il y a des plantes, des palmiers, et bien sûr aussi de l'eau. A quoi renvoie donc cette oasis, si nous ne voulons pas l'interpréter simplement comme la réalisation rêvée d'un désir ? . L'oasis doit quand même signifier quelque chose, sinon il pourrait aussi bien se faire que quelqu'un arrive avec une cruche d'eau ou de bière.

-Dans 1'oasis il y a de 1'eau des protonleurs, et donc un contact avec l'inconscient.

-JUNG : .. Pychologiquement, cela signifie la montée de quelque chose qui va le sauver, qui pourrait apaiser sa soif, apaiser son désir, transformer d'un seul coup sa situation tellement difficile. Or cela ne peut être qu'une révélation de l'inconscient. Le sens précis en reste d'abord obscur ; .. Alors survient le tigre qui s'apprête à sauter ; .. Que signifie le tigre ?

-L'inconscient s'étant rapproché, c'est son aspect pulsionnel qui se manifeste d'abord.

-JUNG : Oui, le tigre ainsi que le taureau sont toujours des incarnations de l'instinct qui se tourne contre le sujet. Si par exemple vous rêvez d'un animal méchant qui vous court après, un chien féroce ou un taureau déchaîné, vous pouvez toujours être sûrs que vous êtes en présence de l'instinct, et en contradiction avec lui. Vous êtes en désaccord avec le point de vue de la nature en vous, et par conséquent la nature est contre vous ; elle vous aborde alors sous la forme d'un animal. C'est votre animalité que vous rencontrez. Etre poursuivi par un animal n'a pas nécessairement un sens négatif, néfaste ; cela veut seulement dire que vous lui êtes hostile, et que par conséquent il vous aborde avec hostilité. Vous devriez alors faire un geste de politesse, ôter votre chapeau, vous incliner et demander : « Que veux-tu donc de moi ? » Et vous verriez : le tigre a quelque chose à vous dire.
Notre garçon est naturellement contre l'instinct, car l'instinct, pour lui, c'est cette chose étrangère, étrange, inquiétante qui l'a transporté dans un univers tout à fait inconnu. Et voilà que cela s'approche de lui et le met en danger. C'est un motif typique que vous trouvez dans de nombreux mythes : le dragon ou le serpent qui garde la source miraculeuse et très désirée. Parfois aussi c'est un mauvais esprit ou une magicienne qui la garde. Toujours la source est interdite par le mal qui voudrait s'en prendre à nous. Cette entité qui voudrait s'emparer de nous, c'est ce que nous avons délaissé en nous-mêmes et devant quoi nous avons pris la fuite ; c'est pourquoi elle est contre nous. Si nous voulons accéder de nouveau à la source de vie, c'est-à-dire là où nous ne serons plus condamnés à dépérir, il nous faut affronter le danger, rencontrer là-bas cet être mauvais à cause duquel nous sommes allés au désert - et cela pour lui échapper. Nous cherchons à lui échapper, et c'est pourquoi il nous court après.
Ici donc le rêveur doit se placer dans ce danger, car s'il veut trouver en lui-même la source de vie, il faut qu'il se laisse rejoindre par l'instinct. Ce double aspect de la source : l'oasis et le tigre, c'est au fond une seule et même chose. P.281
NNN
Que représente le serpent ?

-Du point de vue psychologique, une forme chtonienne de l'instinctivité ; on est livré à ce qui fait peur. Cela peut arriver dans le désert, justement, où 1'on est exposé à beaucoup de dangers. Là, 1'instinctivité se manifeste sous la forme de ce qui dépasse absolument la personne et lui fait peur.
-JUNG : . Si le rêve dit que le sol, le sable grouille de serpents, cela signifie que le désert est en un sens animé. Dans la solitude, l'état intérieur prend une forme objecive ; ce sont des choses qui arrivent effectivement quand on est seul. . Ce sont des extériorisations (Manifestation projetée à l'extérieur d'un contenu intrapsychique. ..) de processus intérieurs. Quand il y a une discordance quelconque entre la conscience et le système nerveux moteur P.283 et instinctif - le système cérébrospinal à l'exclusion du cortex - on voit apparaître le symbole du serpent. Le serpent a toujours la signification fondamentale du système nerveux centraI. Il s'agit tout simplement des centres inférieurs de l'instinctivité ou des centres fonctionnels, avec lesquels on n'est plus en accord, et plus le contenu inconscient est étranger à la conscience, plus il s'extériorise, provoquant ainsi ces visions et ces auditions. . De telles extériorisations arrivent quand on est en opposition avec soi-même, c'est-à-dire avec son système instinctuel. L'extériorisation survient quand le conflit commence à devenir insupportable ; elle vous tombe dessus pour ainsi dire du dehors. .

-.. ce sont les pensées les plus intimes qui se font entendre, ces pensées dont par exemple on n'a jamais voulu reconnaître l'existence. D'où il résulte que, dans les cas graves, les voix vous racontent à l'avance les choses les plus cruelles, les secrets les plus désagréables, il peut en sortir les pires obscénités . P.285
. l ne faut pas tenir les enfants trop à l'écart de cet aspect-là de la vie humaine. Comment le leur enseigner, i vrai dire, c'est un problème pédagogique difficile. Il vaudrait bien mieux pouvoir dire aux enfants : « Au fond, vous êtes tous des cochons. » Alors il y aurait beaucoup moins de difficultés, mais je ne sais pas comment enseigner ça aux enfants, car nous ne sommes plus des primitifs. Se raconter des histoires au sujet de à'être humain, cela n'a pas de sens. De )e ce fait, je suis en tout cas pour que l'on n'envoie surtout pas les enfants dans les écoles privées sélectives, mais dans les écoles publiques, pour qu'ils y ramassent la saleté dont ils ont besoin. C , ~ n'est pas sain, car nous sommes sur cette terre, et ce il' est pas précisément le ègne de la propreté.
'ous ces serpents, dans notre rêve, sont une extériorisation de ce genre, sous la forme d'une vie inquiétante lUX alentours. En effet, les serpents pourraient s'appro :her de vous, l'inconnu étrange et inquiétant pourrait pénétrer en vous. Cette « ' »

rI ya d'abord un grouillement de serpents, pUIS, à partir de là, quelque chose prend forme. Le chaos se concentre en une créature des origines : le serpent blanc.
: »a multiplicité signifie désintégration. Rout se rassemble dans l'image du serpent géant.
)ui, maintenant c'est le grand danger qui « approche, le monstrueux python blanc qui a sur son los toute une série de signes en forme de croix, à pell pres comme la vipère commune. ( u ' est-ce que ce serpent blanc ?
r1aintenant la source et le tigre, les deux aspects de l'inconscient, sont réunis. Le serpent est blanc et noir : c'est j'eau mercurielle, mais l'aspect en est toujours dangereux.
-JUNG : Oui, cela est très important : en effet, le serpent est en rapport avec l' eau, et, comme il est à la fois noir et blanc, il est de fait une conjonction des opposés. Tout se passe comme si le rêveur pressentait ici que le tigre et l'oasis sont une seule et même chose. Cette conjonction est possible parce que le soleil ne brille plus, parce que le sujet est déjà ébranlé dans son attitude consciente. Cette attitude consciente est quelque peu assombrie par l'immixtion de l'inconscient. . C'est un « abaissement du niveau mental », absolument nécessaire si l'on veut voir conjointement les contraires. Par les moyens de l'intellect clair et conscient il nous est impossible de les unifier, tertium non datur (I1 n'y a pas de troisième terme » .. En logique aristotélicienne, principe du tiers exclu) ; mais dans la réalité il y a toujours un tiers, sinon nous resterions éternellement empêtrés dans la contradiction. Dans la pratique, on peut réunir le oui et le non ; il faut seulement ne pas y regarder de trop près, ne pas être d'une précision implacable, mais admettre que deux et deux fassent cinq. C'est ainsi que la source et l'animal féroce se sont confondus ; il en est sort un serpent géant .
-Le blanc, c'est la couleur des animaux qui ne vivent pas à la lumière du jour, qui restent toujours sous la terre. Cela renvoie clairement à l'inconscient. P.287
.
-Les vers et les larves de hanneton sont blancs aussi.
-JUNG : Oui ; tous les vers intestinaux, ténias et autres, ;ont blancs, et plus généralement beaucoup d'animaux qui rivent dans l'obscurité. Ce sont des animaux qui symboli :ent l'inconscient, c'est-à-dire l'eau vive qui sourd du sein le la terre. C'est l'une des raisons pour lesquelles le serJent géant de notre rêve est blanc. Or il n'est pourtant p2S n tièremen t blanc ; il porte des croix noires. Cela signifie lu' il n'est pas simplement une sorte de ver solitaire des avemes, maIs que sa blancheur a encore un autre sens, ui naît de l'opposition au noir. Quel est donc le sens positif du « serpent blanc » ? Où apparaît-il encore ? ,
-est-il pas en rapport avec la divination, l'intuition ?
>RjUNG : C'est naturellement un serpent magique, qui èle un mystère ; il apparaît d ' ordi~aire p~~~ -~- ;; Outre d'une petite couronne d'or, pour oien montrer qu'il est le Serpent-Roi, c'est-à-dire un Serpent-Docteur. [1 apporte la sagesse, la révélation, il a la connaissance du trésor caché, de la Voie occulte. C'est un animal )ecourable. Le blanc, c'est donc aussi une couleur faste, à l'évidence une couleur de l'illumination.
)ans les vieilles Clés des songes, les aninaux blancs sont également favorables.
PR JUNG : À cela correspond aussi le fait que les animaux : noirs sont néfastes. Or notre serpent porte des croix noires. Qu'est-ce que cela veut donc dire ?
,'unification des contraires, du blanc et du noir.
:e serpen t est donc d'une nature con tradictoire : blanc d'une part, noir d'autre part. Si nous nous rappelons que le serpent représente le système nerveux :érébrospinal, il en résulte qu'en cette image s'exprime lIn symbole de cette autre réalité contradictoire, étrangère et donc inquiétante. C' :est un contenu de 1'ordre de l'esprit qui s'y trouve expnmé. Le serpent n'est pas seulement un arnmal naturel, mais aussi, préClsement, un animal mythologique. Il ne signifie pas seulement l'instinctivité, il a aussi une qualité symbolique. Nous ne devons pas oublier que la sexualité, ce il 'est pas simple- ( ment la sexualité, mais aussi un événement vécu sur le ; plan psychique. Elle a la qualité du psychique, elle est, d'une façon ou d'une autre, symbolique ou magique. P.289 C'est pourquoi elle ne se présente jamais seulement en SOI, comme une pure essence, mais elle est en même temps aussi toujours un état psychique bien particulier. Lus si bien ces croix ne sont-elles pas du tout à leur place dans la simple nature, elles ont l'air artificielles.
Signifient-elles pas précisément un acrifice de la pure et simple nature ?
Lon une représentarion orphique, Hécate porte une croix sur la tête, et elle est accompagnée d'un serpent.

PRJUNC : est d'un syrnbolisme idéel que ce serpent est chargé ; cela signifie que :' est un serpent symbolique. La croix en tant que symbole apparaît très souvent, et cela chez tous les peuples )Ossibles. Dans ce cas, nous devons bien entendu penser à ce qUI nous est le plus proche : la symbolique chrétienne. On peut même pousser la spéculation plus loin, dire que c'est un Serpent-Soter, un serpent sauveur, en relation avec le christianisme, tout comme la source. Car Christ est la Source de cie, l'eau de la cie. Ce serpent st un simple substitut de la source, il symbolise l'eau d la vie. S ilivant une représentation alchimique, les dragons ou les serpent ! ésident à l'intérieur de la terre, du métal imparfait, et sont en quelque sorte l'Anima, l'âme de ce métal. Ils sont attirés vers la surface, ils sortent, puis, sous la forme du dragon DU du serpent, ils s'élèvent jusqu'aux nuages et redescendent sous la forme de la pluie ; ils réintègrent alors la matière et lui apportent la guérison, le salut. Il : s redescendent donc chargés d'un~ foncti~n médicinale, en lue tein ture capable d'opérer la transformation, la transmutation, rédempteurs qui dégagent des liens de l'imperfection non seulement l'essence de la mati(re, mais aussi celle de l'être h tmain.

:e serpent, c'est de façon générale une incarnation de l'instinctivité, de l'être pulsionnel en tant qu'altérité inquiétante qui dépasse la personne. Mais l1ns notre rêve, le serpent géant ne représente pas seulem en t cet élémen t naturel de la pulsion, c'est aussi un animal syrn bolique. Il :ondense la multiplicité des serpents an té rieurs en un seul être gigan tesque, il signifie également une synthèse du Multiple dans l'V n.
-JUNG : Oui, c'est un point essentiel. Un exemple en est le serpent d'airain dans le quatrième livre de Moïse : . Jéhovah dit à Moïse de se façonner un serpent de cuivre et de le fixer sur un pieu dressé. Quiconque le regardera sera protégé contre les serpents. Car si l'on succombe à la multitude, on y est dissous. C'est toujours le même danger : quand on se laisse avoir par un processus pulsionnel, on est dissocié, dissous. On a perdu l'unité de sa personnalité. Si l'on a cette unité, on a l'Autre (le collectif) en face de soi.

C'est pourquoi le Christ, c'est l'Unité.

PR JUNG : Oui ; de même que Moïse a exhaussé son serpent sur le pieu, de même le Christ est exalté sur la croix. C 1 :s Op hi tes ont dit que le Christ était le Serpent Sauveur, le SerpeIàt-S6ter. Cet] ms le Moyen Âge ;v est la croix portant le serpent. P.291
NNN
Un autre alchimiste .. dit que l'ouvre du philophe commence par la melancholia et s'achève dans la joie et la jouissance. Cet état initial - la nigredo et la tenebritas sont appelées aussi melancholia -, c'est un état dépressif qui révèle ensuite sa véritable nature : celle d'un désir. Pendant la dépression, la libido s'est englouie dans l'inconscient, donnant ainsi l'impression d'une sombre apathie. Quand on résout cet état, cette libido remonte à la surface sous la forme d'un désir, ce qui bien sûr ne représente pas encore l'état de guérison, mais seulement un état d'animalité, le stade de la matière brute.
.. Michael Maier, conçoit la terre du chaos ou du paradis comme l'état initial, la substance qui recèle encore la semence divine et dont sont issues toutes les formes. Il écrit : « D'autres ont appelé cette terre le lion vert qui est fort et vaillant dans la guerre, ou bien le dragon qui dévore sa propre queue. » Nous voyons que le lion est un synonyme du dragon qui se dévore lui-même ; il s'agit à 1'évidence d'un état analogue. Or le dragon qui se mord la queue, c'est une forme circulaire de la libido : elle tourne en rond et s'attaque à elle-même. Le dragon est refermé en cercle sur lui-même ; il n'attaque en réalité rien d'autre que lui-même, et de surcroît il s'autoféconde ainsi, et ne peut le faire qu'ainsi. L'expérience nous montre ce qu'il en est : quand la libido sort de l'état dépressif, elle se met à mordre ce qui se présente dans l'instant. Il se produit alors ce que l'on appelle le transfert. Mais cette libido ne se contenterait pas de s'autodévorer ; aussi l'alchimiste dit que le lion ou le dragon doit être maintenu dans un récipient clos, sinon ce qui est emprisonné s'évanouit dans les airs, et c'est alors l'opus tout entier qui s'évanouit ainsi. Il faut que le lion se dévore lui-même ; qu'il cuise à petit feu dans son propre jus. En effet, ce que cherche le plus fort désir, la plus grande passion, ce n'est nullement P.305 l'autre, mais soi-même. Le but ultime, c'est cela ; le lion vert est le moyen, le médiateur de la conjonction des teintures entre le soleil et la lune ». La teinture, c'est tout simplement une essence, un extrait du soleil et de la lune .. L'idée, c'est que la nature propre du lion est de réunir les essences du masculin et du féminin, c'est-à-dire les opposés primordiaux. . Cette union, ce n'est pas celle de l'homme et de la femme, mais celle du masculin et du féminin, sous la forme d'un souffle : sous forme psychique. C'est ainsi que les Anciens faisaient de la psychologie ; ils s'exprimaient en termes de substances. Au lieu de parler de la psyché, ils parlaient de l'humidum radicale, d'une réalité humide de la nature d'une racine. .. le froid et l'humide, un souffle humide. Dans ce souffle, il devient possible de contenir ensemble le masculin et le féminin. En d'autres termes : la conscience et l'inconscient doivent être maintenus enfermés ensemble dans le vase hermétique, afin qu'ils fusionnent. Tel est le but du processus : ils doivent fonctionner tous les deux ensemble, il ne faut pas que l'un fonctionne et que l'autre soit ignoré ou réprimé ; que par exemple la tête soit coupée et plane seule dans les airs, et qu'il ne nous reste alors plus rien du tout de notre corps. Telle est la psychologie aberrante d'aujourd'hui : les gens s'imaginent qu'on pourrait tout faire avec sa tête toute seule.
Cette réunion des principes masculin et féminin se produit donc, nous venons de le voir, dans le lion. Le désir sauvage, la plus grande passion signifient la complétude de l'être humain (exprimée dans le symbole de l' Ouroboros ) . Or le lion est certes un monstre rugissant, un animal sauvage, vorace, mais il aime la lumière, le soleil. .
. Transposé sur le plan de la psychologie, cela signifierait que ce désir dévorant renferme la lumière. Il n'est pas entièrement ténébreux ; une lumière peut en sortir : l'illumination, l'élargissement, l'intensification de la conscience. Il peut en résulter par exemple la connaissance de soi, quand le lion se dévore lui-même. Lorsqu'on tient le désir enfermé dans le vase, qu'il n'est pas dévié vers l'extérieur, vers un objet quelconque, mais reste à l'intérieur de l'être humain, il naît une lumière. La dépression ne peut se métamorphoser que si elle est supportée, acceptée. On ne peut rien transformer que 1'on n'ait pas d'abord accepté. Si l'on se débat, les choses ne font qu'empirer. Si l'on accepte la dépression, on cesse d'en rendre responsable le monde en entier , et c'est alors qu'elle peut se transformer. Mais alors il s'en développe une chaleur : le désir violent. Quand la mélancolie s'inverse, elle se change en concupiscentia sauvage . Or il est dit de la source de chaleur et de lumière qu'elle devient mauvaise de par la chair,  P.307