Eliane Amado Lévy-Valensi
 
INTRODUCTION
 
« Juge ton semblable avec impartialité. Ne va pas colportant le mal. ne sois pas indifférent au danger de ton prochain.,. Ne hais point ton frère en ton cour. éclaire et corrige ton prochain s'il s'égare. aime ton prochain comme toi-même. » Lévitique XIX, 15 à 18.
 
Et je commence par me taire. Autour de moi le silence, un étonnement intérieur concernant le sujet lui-même. Tout travail qui veut être perçu comme impartial doit situer le coefficient personnel. Et celui-ci ne se calcule qu'en s'avouant. .
. responsabilité. Au sens latin, il s'agit de réponse. Au sens hébreu, il s'agit d'autrui, de l'autre par excellence et d'une continuité assumée au niveau du développement du temps. De plus, en hébreu le « prochain » que l'on doit aimer comme soi-même - sens perdu dans 1es traductions - est en fait le lointain. Il est dit ailleurs l'étranger.
. En fait il s'agit de se garder de toute répugnance a priori comme de toute complaisance, de ne pas céder à une mode mais de rester vigilant dans l'attention aux questions que posent une époque ou des hommes. . un assez jeune homme (moins de trente ans) à la fois suicidaire et homosexuel (non « pratiquant » ) que je voyais pour la première fois. Il m'apporta d'un seul coup le matériel suivant :
a)      Il venait me voir après plusieurs tentatives de suicide aux barbituriques. Il avait fini par en prendre l'habitude et avouait « y avoir pris goût ». Il ajoutait « ce n'est qu'en sortant du coma barbiturique que je me sens vivre ».
b)      Il ajoutait - à propos d'une rencontre qu'il qualifiait lui-même d'assez sordide - « ce n'est que lorsqu'un autre homme me regarde de cette façon que je me sens à la fois nié et vivant. »
Le parallélisme de cette double descente aux enfers me permettait de mettre en ordre un matériel assez foisonnant. Je dus marquer d'un simple tressaillement de visage que j'avais noté les deux impacts du mot vivre. Le jeune homme poursuivit alors : « il y a peut-être d'autres chemin pour choisir la vie. » . mot du Deutéronome : « Tu choisiras la Vie afin que tu vives. » .
 
. rapport plus subtil dans l'interaction avec les instincts de mort, meurtre, suicide, désespoir, impossibilité de communication . P.11 . chaque cas particulier a sa dimension propre, humaine et inhumaine, qui résiste à l'analyse exhaustive. Mais ceci n'est pas propre a l'homosexualité. Toute analyse d'une problématique humaine se heurte à cette limite de fait : qu'un exposé se construit à « travers des mots, des outils opérationnels, et que la vie déborde toujours les instrument qui la manipulent. .
. Je pense qu'il s'agit de réhumaniser une discussion et de rendre la signification et la vie à un « état ».
 
. Dans la littérature du F.H.A.R. je trouve en gros deux composantes qui convergent et dont il faut bien .. trouver le sens :
a) la première relève du désir d'anéantissement .. « N'en doutez pas : nous souhaitons l'anéantissement de ce monde, rien de moins. »
b).. « L'homosexualité n'est pas plus un problème qu'une maladie ou une perversion. Elle est un état. ». Soit.
-. Je ne vois simplement pas en quoi le fait d'être un état exclurait tout le reste. C'est aussi un état d'être malade. C'est aussi un état d'être homme et cela implique des problématiques diverses. .
-le mot « état » sous-entend qu'il n'y a rien à y changer. . Mais le mot « état » a son potentiel propre de résignation et de désespoir. .
Bergson de son côté .. disait que notre tendance est « de substituer des états à des mouvements. » Que l'homosexuel le reste ou non, il a ou devrait avoir une histoire, un devenir affectif. Si chacun de ses jours n'est pas la stricte répétition du précédent ( électroencéphalogramme plat, en attendant qu'on débranche la prise), son « état » varie. S'il est un homme, un être humain avec ses forces et ses faiblesses, il ne peut se définir par l'état mais bien par le problème. 
... Elie Wiesel : « L'homme se définit par ce qui l'inquiète non par ce qui le rassure. » Dire c'est « un état » c'est se définir comme immobile, sorti des cycles du changement et de l'histoire. . L'histoire de l'homme est une perpétuelle mise en cause de ses chemins. Seuls les chemins de fuite .. aboutissent à des impasses. P.13
 
I Questions de méthode. Des faits et des mythes.
 
« Les Mythes et la Mythologie ont aussi bien fécondé que ravagé l'histoire. » Arnold Mandel
 
Le mode opératoire de la pensée humaine est de procéder par abstraction pour dominer, expliquer, modifier le réel. L'approche scientifique constitue une algèbre de plus en plus fine pour cerner les structures cachées des choses - de l'invisible simple disent les savants derrière du visible compliqué. . la science exacte ne répond pas dans l'immédiat, aux interrogations fondamentales de l'homme sur son propre destin. . une pensée mythique tend à répondre par les moyens du bord aux interrogations fondamentales de l'homme sur la vie et la mort, sur l'amour et l'engendrement des générations, sur les origines, les fins, ou la fin de l'histoire. La pensée humaine constitue une perpétuelle renaissance du mythe et de la démystification du mythe, celle-ci s'érigeant facilement en mythe à son tour dès qu'elle se veut totalisante et réductive par rapport à cette frange d'inconnu qui déborde l'explication du moment.
J'appellerai mythe .. tout système d'images, de légendes, de récits, toute construction, même d'apparence rationnelle, qui se trouve à un moment donné manipulé par la conscience -individuelle ou collective- sans que celle-ci en perçoive toutes les implications inconscientes. . Le mythe ainsi défini existe à chaque moment de la pensée dès que la pensée se fige sur un système quel qu'il soit, car à ce moment elle cesse de faire le point entre ses possibilités et ses impossibilités de maîtriser son objet. Le mythe pris dans son sens général a toujours deux faces ou disons de façon plus dynamique, deux vecteurs internes, un vecteur positif et vital d'explication ou d'affrontement du réel, un facteur négatif et létal de réduction et d'abandon du réel foisonnant au mythe déjà sclérosé. La « reprise philosophique du mythe » .. constitue une réévaluation des forces positives des mythes, de leurs implications et de leurs significations cachées. Et cette reprise est toujours possible de niveau en niveau sans que l'on puisse assigner d'avance de limite à la transcendance visée et jamais tout à fait atteinte. Inversement la mort du mythe est toujours possible aussi à travers les baudruches aux tensions précaires des grandes explications du monde qui se veulent « définitives ». .. un rapide - trop rapide - exemple de ces reprises et de ces retombées. Le mythe d'Odipe était dans la Grèce antique à la fois mythe de vie et mythe de mort. Mythe de vie dans la mesure où il visait un point sensible de la conscience collective et s'adressait à elle en termes intelligibles pour elle. La théorie freudienne n'est pas encore bâtie et pourtant les termes en sont présents. Dans la République, Platon fait expressément référence au. retour du refoulé odipien dans le Rêve. Dans l'Odipe Roi de Sophocle - joué sur la place publique - il est dit expressément « Quel est l'homme qui n'a rêvé de coucher avec sa Mère ? » Et cela ne choque personne. S'il y a choc émotionnel ce n'est pas dans l'ordre du refus, mais .. de la catharsis. .. Odipe est en outre celui qui devine l'énigme du sphinx et sauve la cité en découvrant l'homme sous les termes masqués de la mortelle devinette. Mais le mythe d'Odipe reste un mythe de mort parce que le clairvoyant ne parvient pas à l'être pour lui-même et finit significativement par se crever les yeux. En outre, et surtout, c'est un mythe de la fatalité. . Le mythe d'Odipe s'inscrit dans la génération même et comme le mythe cosmique grec d'Ouranos et Kronos, comme mythe des générations englouties et des répétitions inéluctables. Freud opère une certaine « reprise philosophique du mythe » .. lorsqu'il fonde sur ce thème, « complexe nucléaire des névroses », le mécanisme de répétition de la névrose elle-même. Mais le mythe psychanalytique comporte à son tour les deux dimensions vitale et létale. Mythe de vie en tant qu'il démystifie un thème enfoui, en tant que « hanté par l'antériorité » .. il ne réduit pas la psyché au niveau qu'il en éclaire ; mythe de mort s'il est pris à la lettre et obture de ses constructions trop claires les voies possibles de son dépassements. . le langage s'aliénant à lui-même et décollant de la problématique toujours renaissante de la réalité.
En fait est « mythe » toute pensée géniale par là même qu'elle dépasse le propos manifeste de son auteur. Et même ce même sens toute pensée délirante. A la limite toute pensée tout court. . P.17
. Le caractère illusoire de la lettre qui porte l'esprit s'affirme dès que l'esprit déserte la lettre. C'est le système alors qui devient mythe, s'immobilise, se ferme sur lui-même, Aux dimensions mythiques négatives du mythe odipien correspondent au niveau philosophique toutes les images de l'éternel retour, des révolutions en cercle. . il n'y a que des cycles et pas d'issue au temps de l'histoire. . Tout mythe comporte ses enseignements, ses rites de passage et son potentiel d'enkystement et de mort. . Levi-Strauss dans son ouvrage « Du Miel aux Cendres » souligne que les mythes primitifs .. n'ont pas permis le passage à la science et à la philosophie qu'ont permis les mythes grecs. .. le mythe grec qui a permis, par la clarté même de ses structures en récit constitué, l'édification concomitante d'une philosophie et d'une science, n'a pas permis une philosophie de l'histoire ou, en un mot, une espérance humaine. .. au niveau de l'analyse du mythe .. potentiel à double courant, courant de vie et courant de mort, possibilité d'émergence et possibilité de retombée. .. théorie des instincts de mort chez Freud. Le vecteur d'émergence dont l'instinct de mort constitue expressément chez Freud la retombée permet d'aborder la réalité comme quelque chose de non tout fait (insaisissable par là même que l'infini de l'actuel nous échappe paradoxalement) mais de à faire, autre infini, certes, mais sur lequel s'accorde l'inachèvement de notre propre connaissance et de notre propre destin, en marche avec lui et de façon étroitement corrélative. . A l'origine des langues est le choc de la réalité.
. « Sous sa forme première . le langage était un signe des choses absolument certain et transparent parce qu'il leur ressemblait. Les noms étaient déposés sur ce qu'ils désignaient comme la force est écrite dans le corps du lion, la royauté dans le regard de l'aigle. Cette transparence fut détruite. l'hébreu porte donc comme des débris les marques de la dénomination première ». (Foucault) .. sens du concret que le jeu des racines, l'apparentement des mots dans les langues sémitiques, dévoilent .. L'arabe comporte ce même jeu de racines. Les significations .. n'impliquent pas toujours à travers une même racine - commune à l'hébreu et à l'arabe Ia même visiondu réel. L'hébreu, .. reste le système verbal le plus étroitement habité par la réalité concrète .. et constitue de facto une extraordinaire école d'intuition concrète du réel. (Chaque langue a son génie propre. On sait que le latin favorise une certaine logique et constitue le fondement de la pensée juridique. .. les ingénieurs qui avaient fait du grec avaient de meilleures relations avec leurs semblables. .. subtilité intuitive exigée par l'étude de l'arabe. L'hébreu constitue une sorte de retour au réel s'il faut en définir en un mot le génie propre.) . le lien primitif de la langue avec les choses P.19 mais ce lien s'est diversifié.. les mot.en s'affinant se sont pris pour la réalité même - souvent en superposant un univers esthétique à un autre - .. cela a été l'avènement d'un monde nouveau, celui de la littérature et de l'art qui justement à travers le génie retrouvent le réel, mais c'est aussi, .. , le prétexte à tous les délires, à toutes les aliénations aux mots qui n'ont plus rien d'esthétique - décollent purement et simplement du réel.
. au niveau du vocabulaire politique où les mots ne signifient plus rien que des stimuli pour une foule conditionnée d'avance. Ou on fourre tout dans le même sac, au mépris de toute rigueur scientifique, ou on accole quelque adjectif qui transmue le terme en son con traire . A l'heure actuelle, quand on parle de socialisme, communisme, impérialisme, sionisme, colonialisme, racisme il y a une telle confusion dans les esprits que le meilleur voisine avec le pire et que chacun réagit sans définir les mots, sans connaître ce dont il parle et se retrouve essoufflé sur quelque contradiction qui était impliquée dès le point de départ. Corrélativement les faits sont le plus souvent vécus et déformés à travers différents systèmes paranoïaques de mots magiquement préposés à l'explication ( préfabriquée) des événements. . troisime point de notre méthodologie : l'usage des faits.
Ces faits nous voudrions les saisir non pas à travers le prisme tout fait des mots et de l'aliénation qui s'y rattache mais en fonction de leur valeur mythique propre au double sens que nous avons donné à ce terme : teneur heuristique pour le destin de l'homme, valeur de survie d'une part ; force d'illusion et valeur létale, pacte avec les instincts de mort et d'autodestruction d'autre part. Il va sans dire que cette dernière composante a partie liée avec l'aliénation aux mots comme on l'a entrevu et qu'il est une façon de « dire les choses » qui consiste purement et simplement à les déformer et à les masquer. .
 
Et tout d'abord, qu'est-ce qu'un fait ? Toute la masse brute du réel pourra déferler sur notre compréhension impuissante sans donner prise à l'analyse si, au départ, nous n'avons une certaine perception du « fait ». La science oppose le « fait brut » au « fait scientifique » déjà poli, sélectionné, abstrait d'un contexte non signifiant. .. danger d'une telle démarche. Abstraire, c'est faire abstraction. Le fait que l'hypothèse dépiste et dégage son gibier fait qu'il laisse en route pas mal de plumes. II faut parfois revenir au concret pour retrouver le plumage . les lettres perdues au cours de l'abstraction mathématique nécessaire à un certain niveau et dangereuse à un autre. ..l'aptitude philosophique consistait à passer sans arrêt de l'abstrait au concret et vice versa. (Russell) On peut se demander s'il ne s'agit pas là de l'aptitude à penser proprement dite .. à quelque niveau que ce soit. Immergé dans le concret l'homme, comme l'animal, perçoit et sent les choses mais, P.21 à la limite, il est incapable de les désigner. Le langage lui-même constitue une sorte de découpage du réel. . les choses se passent fort bien des mots pour exister. .. mais alors elles ne cessent de nous dépasser, elles ne sont en aucun cas désignables et manipulables. Il faut nous y faire penser ; c'est .. peser, et peser le degré d'abstraction légitime. Car si l'homme immergé dans le concret, à la limite, ne penserait pas et ne parlerait pas, l'homme qui « décolle » ..vers pense en l'air. Il relie des concepts - parfois de manière brillante - mais il perd le contact avec le réel qui peut infirmer ou confirmer ses théories. Il ne se soumet plus au permanent contrôle du fait. Ce fait se situe dans une mouvance épistémologique paradoxale. Sans un minimum d'abstraction il ne pourrait être saisi, maîtrisé, analysé, décanté, rangé en attente de plus amples informations dans l'arsenal des hypothèses. Mais avec un excès d'abstraction on lui fait dire n'importe quoi. . Il y a lieu, par conséquent de prêter au réel une attention constante et vigilante mais en même temps souple. Rigueur d'une part et d'autre part cette attitude de réceptivité « flottante » que Freud recommandait à ses élèves. Si le « hasasrd ne favorise, selon Pasteur et Claude Bernard que des esprits préparés, c'est qu'il y a une lente sensibilisation de l'esprit aux choses. Un authentique travail de recherche écarte le préjugé mais implique l'hypothèse qui est tout de même un pré-liminaire. La différence entre le préjugé et le présupposé de l'hypothèse c'est que le premier résiste au fait sur le mode paranoïaque, le second sait s'ajuster au fait, s'élargir  se corriger, et reconnaître le fait dans sa signification, élargir le système des corrélations en l'étendant à des faits de plus en plus divers, assouplir et nuancer sa problématique. Ici pourra se recoder au niveau des faits ce que nous avons dit des mythes.
 
-          . la pensée qui recode les faits s'apparente à la génialité du mythe dans la mesure où elle fait lever des significations assoupies. Elle s'aliénerait à la mythification si elle enkystait ses découvertes dans l'étroitesse d'un cadre tout fait.
-          Au niveau de l'objet étudié le fait humain est déjà mythe car il est vécu et pensé, défendu, renié par un homme ou un groupe d'hommes, dans une problématique foisonnante. Sous l'aspect positif c'est une signification qui se cherche. Sous l'aspect négatif c'est une signification qui se nie.
 
. P.23
. Chaque époque formule ou masque les questions qu'elle se pose. Sa problématique émerge néanmoins du matériel souvent disparate que l'on peut être amené à confronter. Les mythes, .., y prennent force de fait et les faits force de mythe. .. les uns et les autres se construisent sous la poussée d'une question qui en dépasse les formulations ou les formes successives. Une époque se situe comme signifiante dans l'ensemble de ses propos. Son propos véritable n'est jamais défini, il s'inscrira dans l'histoire ou sombrera comme la bouteille à la mer dont personne ne recueille le message. Freud définissait le rêve comme une dépêche tronquée et avant lui le Talmud dit qu'un rêve non interprété est comme une lettre que l'on n'a pas lue. Une époque, à travers ses contradictions, ses appels, ses signes décodés, ses mots aliénés ou non, ses questions droites ou insidieuses, est aussi comme un grand rêve dont il faut recoder les différents points sensibles. Quand on en étudie un sous un éclairage que l'on veut être signifiant, il convient de le situer. C'est à travers tout un système relationnel, quelle que soit sa valeur spécifique, qu'il peut se recoder. La méconnaissance de ses termes corrélatifs ou antécédents le coupe des sources de son interrogation véritable. Les réponses qu'il se donne, à travers un système partiel et isolé sont parfois valables à condition d'être recodées. On les voit alors parfois curieusement se transmuer en leur contraire, parfois faire un bond en avant et dévoiler des perspectives qu'elles contenaient sans les manifester. .
 
Quelques questions.
 
1)On parle beaucoup du « malaise de la jeunesse ». . toute la problématique de notre époque est plus ou moins aliénée à un langage et à des catégories. « Y a-t-il un malaise de la jeunesse ? » La question devrait impliquer que l'on puisse définir de quoi l'on parle. Où et comment situer la jeunesse ? De 0 à 18,25,30 ans ? Seulement autour de la puberté et de l'éveil sexuel si l'on considère qu'« avant » il s'agit de l'enfance ? De toutes façons ce sont des coupes abstraites dans un devenir continu dont les périodes s'interpénètrent du fait que l'homme se souvient de lui-même et remanie sans cesse son passé en fonction de son présent et vice versa, sans compter.. l'impact de l'avenir sur sa façon de vivre ce qu'il a déjà acquis ou perdu.
 
        a)On pourra appeler électivement « jeunesse » une période assez souple de découverte et              de choix qui en gros, et avec bien des correctifs possibles, marque la période d'orientation dans la vie.
 
b)On devra refuser tout l'arrière-fond « raciste » qui, tant du côté des « jeunes » que des « vieux », isole les générations. ..parler des problèmes « des jeunes » comme s'ils étaient nés ex nihilo paraît parfois une façon un peu lâche des soi-disant adultes de s'en laver les mains. Inversement le culte de la jeunesse.. s'est beaucoup pratiqué dans les Etats fascistes .. En fait la jeunesse n'a de sens que dans l'ensemble du processus de maturation de l'homme. Elle n'est ni belle, ni haïssable en soi. Elle est une promesse. P.25 Et la beauté d'une promesse c'est d'être tenue. C'est d'être une prise sur l'avenir. Une sorte de garantie de l'histoire.
 
c) Au niveau clinique parmi tous les jeunes perturbés que nous ne classerons .. ni comme « malades », ni comme désadaptés, mais seulement comme se vivant eux-mêmes en état de malheur nous avons pu détecter un facteur commun. . (par rapport au terme malade)nous avons toujours rendu grâce à Freud d'avoir montré qu'il n'y avait aucun hiatus entre le normal et le pathologique « la psychologie des profondeurs découverte par la psychanalyse étant celle de la vie psychique normale » (par rapport au terme inadapté) la notion d'adaptation étant souvent faussée nous ne saurions nous en servir sans rappeler que l'adaptation ne saurait être un ajustement passif à des normes extérieures considérées d'avance comme justifiées. Est « adapté » celui qui est capable de survivre dans un milieu donné pour ensuite ordonner et changer ce milieu en fonction d'un système de valeurs cohérent et progressif. Les jeunes dont nous parlons ici vivaient en état de malaise. Acceptation passive du milieu ou révolte contre le milieu et, quel que soit par ailleurs le syndrome, obsession, drogue, homo ou hétérosexualité mal vécue, il se résumait en gros à ceci : une impossibilité à dire demain. Je veux dire par là que la jeunesse définie par son lendemain même n'avait plus aucune prise sur lui. Pas d'espérance si ce n'est celle, parfois, de détruire le monde. Si ce n'est celle - corrélative bien souvent - de mourir. Pas de confiance en soi ou en autrui.
 
d)D'où au niveau sexuel une problématique narcissique, jouissance dans l'instant. Phantasme de communication dans la drogue par exemple où deux rêves superposés se substituent à l'échange, dans la sexualité, ersatz et simulacre de l'amour. Or il va sans dire qu'une génération de jeunes qui se définit plus ou moins ainsi n'est pas indépendante de la génération qui l'a engendrée. Sans vouloir réduire sa responsabilité, car c'est le paradoxe de l'être humain que d'être à la fois « entièrement déterminé et entièrement libre » (voir les chakras !), cette responsabilité est partagée et induite par la génération qui précède. Le « malaise de la jeunesse ».. s'articule au problème des adultes. S'inscrit dans.. le problème ou le conflit des générations.
 
2) Il est frappant de voir que ce problème s'exprime toujours dans notre conscience et notre culture d'Occidentaux en termes négatifs. Il s'agit toujours de « conflit » ou de « crise » des générations. . l'espoir de la retrouver (la solidarité des générations) est bien mince tant que l'on cède à la tentation de tout définir par le conflit. On remarquera encore qu'en Israël .. la terminologie est positive. .. entrelacement, imbrication, c'est-à-dire, finalement, continuité des générations. . P.27 .
Or ce problème des générations repose, tout le monde le dit, le sait, l'écrit, sur une certaine mythologie sous-jacente. Complexe d'Odipe noyau des névroses, ou anti-Odipe, révolte contre le père.. ou élision du père. Phantasme d'un univers sans pères, cri d'alarme porté au nom du père, tout repose sur une crise non pas même de la famille mais du couple. . les analystes savent au niveau de la clinique concrète que la problématique de l'enfant est issue de celle du couple qui l'engendre .Le conflit avec le père, tout droit venu de la mythologie grecque, avec Odipe, Ouranos, Cronos et Zeus, constitue le mythe des générations englouties. .. au niveau chrétien on a éludé le problème, Jésus étant sans père charnel et sans épouse. .. phrase sanglante de Matthieu : « Le frère livrera son ère à la mort et le père son enfant. Les enfants se dresseront contre leur père et le feront mourir.» .. semble ignorer le dernier verset des derniers des Prophètes (Malachie) qui dit significativement : « Je vous enverrai Elie le Prophète, lui ramènera le cour des pères à leurs enfants et le cour des enfants à leur père. » Mais cette conciliation des générations, à la verticale de l'histoire, repose sur la restauration, à l'horizontale, du couple qui engendre l'histoire. On ne s'est jamais assez avisé que toute l'affaire d'Odipe qui se poursuit à la génération suivante, s'ouvre à la génération précédente dans le déséquilibre du couple Laïos-Jocaste. La mythologie grecque fourmille de mères complices des fils pour châtrer et tuer le père, de pères - Zeus lui-même - tuant l'épouse porteuse de l'enfant qui déjà menace. Le problème des générations.. se fonde sur un problème de sexualité, non, disons le mot, d'amour, mal résolu. Le couple est promis dès l'origine de l'histoire .. lorsqu'il est dit que Dieu créant l'homme à son image LE crée (et non LES crée, ceci ne vient qu'ensuite) mâle et femelle. Je ne pense pas que la restauration du père soit possible contre l'image de la mauvaise mère investie sur la société de consommation.. Il y a une image de bon père et une image de bonne mère. Elles sont corrélatives, comme sont corrélatives l'image du mauvais père et de la mauvaise mère. Tout chassé-croisé relève d'un naïf androcentrisme ou gynocentrisme comme on en voit naître au niveau de la science lorsque telle école française ou américaine privilégie tantôt le père tantôt la mère, l'autre devenant absent, falot, dangereux ou secondaire. La thématique biblique, elle, nous fournit l'antidote - malgré le virilocentrisme des sociétés archaïques - à ces écueils. L'image du couple y émerge, on la montre, promise dès l'origine du monde, mais encore à faire, en chemin. ..elle n'est, tout simplement, pas encore advenue.. 
 
3)Parmi tous les signes que nous tentons de cerner se trouve en effet le signe d'une sexualité affolée. Nous ne dirons pas débridée ou licencieuse pour nous garder de tout jugement moral prématuré. Nous avons souvent noté au niveau du concret que la soi-disant émancipation sexuelle aboutissait en fait à une désexualisation. . le syndrome homosexuel .. fait partie de ce désarroi, il l'exprime parfois en termes plus crus, plus désespérés et disons le plus nettement déchiffrable. . frappé de lire dans les documents du F.HA.R. qu'il fallait passer par « l'abolition du couple » alors que selon nous celui-ci est encore à construire. Cependant la réaction homosexuelle est ici terriblement signifiante de toutes les caricatures de couples que la société a engendrées. Ces caricatures engendrent à leur tour P.29 l'homosexualité. La peur que l'homme a de la femme et que la femme a de l'homme engendrent .. d'abord l'homosexualité masculine et corrélativement l'homosexualité féminine .         
 
4). Aidée de rencontres de hasards - y en a-t-il ? - de cette orientation de la pensée qui rend significatifs, comme dans la recherche scientifique, la pierre qui tombe ou le corps qui s'immerge dans l'eau, nous avons peu à peu perçu et acquis un certain nombre de points essentiels qui, à travers l'existence et la culture juives, à travers la langue hébraïque, constituent depuis des siècles des instruments de réponse aux questions gauchies, mal posées, harcelantes de l'Occident. . P.31
 
a). « Le tourment de Dieu » Carlo Coccioli .certains liens entre l'amour et la mort m'étaient clairement apparus.
 
b). je fus sollicitée sur le plan clinique par plusieurs homosexuels non juifs et juifs. La plupart du temps .. désiraient être débarrassés de leurs autres symptômes - obsessions, difficultés de communication, etc. - mais être aidés à s'accepter eux-mêmes en tant qu'homosexuels. Avec chacun j'avais toujours précisé que nous ne pouvions savoir d'avance à quoi aboutirait le remaniement d'une structure psychique et, de fait, les « guérisons » obtenues avaient un caractère variable. parmi ces jeunes gens et jeunes filles juifs et non juifs apparaissait toujours l'interpellation envers le judaïsme. Sous une forme ou sous une autre, Chez les non-juifs soit identification au juif minoritaire, soit agressivité envers une morale juive qui « interdit » la « déviation », chez les juifs sentiment net ou confus de transposer sur :ce plan un problème d'identité.
 
c). pourquoi le peuple qui culturellement - existentiellement - .. comporte le moins d'homosexuels se trouvait-il ainsi interpellé ? Le fait d'être « minoritaire » constituait-il une raison suffisante ?
 
d) Et le cinéma .. Dans «Un dimanche comme les autres » le héros est un médecin juif homosexuel. .
 
1)      .. jadis Fanon avait comparé les trois grands brimés de l'histoire : les juifs, les noirs, les femmes. Le modèle juif est existentiellement signifiant de toute angoisse peut-être parce qu'il implique l'angoisse surmontée, la survie, une sorte de chemin vers soi-même impliqué dès l'histoire d'Abraham, « Lech Lecha » signifiant va vers toi-même, jusqu'au Cantique des Cantiques où, comme l'a fait récemment remarquer Chouraqui dans son admirable traduction, « Lechi Lach », toujours mal traduit, est le corrélatif grammatical littéral, au féminin, du Lech Lecha P.33 d'Abraham. Ces deux itinéraires constituent les conditions de la rencontre.
2)      .. le problème de l'homosexualité qui sortait dans actualité à toutes les sauces était toujours effroyablement mal posé. .P.35
 
 
II Essai pour une problématique générale de la « différence »
 
 « Le rapport immédiat, naturel, nécessaire de l'homme à l'homme est le rapport de l'homme à la femme. » Karl Marx
 
L'histoire de l'homme dans son sens le plus général s'inscrit sous le signe du dialogue manqué. .. sous le signe de la guerre manifeste ou latente, violente ou sournoise, sous le signe du refus de l'autre. L'autre semblable et différent, proche ou lointain, nécessaire à « ma » survie et pourtant menaçant. Il semble que rien ne soit plus difficile à l'homme que d'assumer son semblable et de l'assumer dans sa différence. Une subtile dialectique .. que les mythes et la réalité quotidienne ne cessent de cerner. . Un « racisme» en masquant un autre beaucoup plus fondamental, en privilégiant un aspect mineur - même réel - pour escamoter une problématique de base.
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1)La difficulté fondamentale de l'homme reste d'accepter l'autre dans sa différence. La différence est inquiétante, voire menaçante. On ne sait jamais ce qu'elle recouvre et si son mystère ne cache pas quelque pouvoir magique dont nous serions dépourvus. . Il (le Noir/au Blanc) est différent donc inférieur, ce qui évite de se poser l'inquiétante question de sa possible supériorité ou de quelque qualité prééminente qui nous obligerait à nous remettre en cause. .Le prototype de cette dialectique de la peur et du rejet s'est toujours trouvée dans l'antisémitisme. Le juif perçu comme porteur de valeur était rejeté comme tel, la valeur étant transformée en ruse, en rouerie, voire en perversion .. Différent, le minoritaire inquiète. On ne se demande pas ce qu'on a à apprendre de lui et s'il n'est pas nécessaire à notre développement et à notre survie. Car c'est de la différence que naît, justement, la complémentarité. Là où le problème devient aigu .. c'est bien dans le rapport de l'homme à la femme. L'homme et la femme sont différents et complémentaires par leur différence même. Cette différence et cette complémentarité sont inscrites dans le corps même, et, dans la perception de cette différence et de cette complémentarité s'enracine également la peur que chacun a de l'autre. . tant au niveau clinique que culturel tous les phantasmes d'épouvante que suscite chez l'homme le « mystère» de la femme. La femme, .. apparaît à l'homme du fait de sa différence « comme un être éternellement incompréhensible, mystérieux, étrange et par conséquent hostile » (W. Lederer) . la dépendance qui assujettit la femme à l'homme ne fait que renforcer cette crainte ( .. pages édifiantes de Montaigne et d'Aristote sur le désir de la femme si dangereux pour l'homme incapable de l'assouvir.) . devant l'analyste femme que je suis les hommes avaient tendance à inhiber leur peur de la femme derrière des images maternelles, mais il était facile de la dépister. En fait les deux sexes sont .. à égalité devant leur peur. On trouve autant de phantasmes d'éventration, de pollution, d'éclatement, de viol et de mort chez la femme qu'on trouve de phantasmes d'abîme, de vagin denté et d'engloutissement chez l'homme. La différence inquiète mais c'est par cette différence que l'homme et la femme se rencontrent et, toute peur surmontée, sont nécessaires et précieux l'un à l'autre. Pas seulement pour le plaisir .. et, pas seulement pour le procréation non plus : pour l'amour. . cette acceptation de la différence .. exige une ascèse, une lente et progressive découverte de l'autre en tant qu'autre. . «La femme la meilleure est pour nous la pire. P.39 par notre entremise sa force se révèle. Elle ne peut vivre sans nous mais elle nous détruit. », phrase qui .. pourrait être strictement inversée.
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« Nous femmes nous n'avons pas de sexe, seulement un trou », conception en effet bien ancrée dans un certain freudisme simplifié et naïf. .
La perception cosmique de la différence entraîne ipso facto la perception cosmique d'un long itinéraire d'épouvantes et de morts surmontées pour aboutir à l'extase de la résurrection : alors il « ne fut qu'un avec elle.» 
. La dialectique du semblable et du différent émerge dès les premiers matins du monde. Lorsque Eve est créée au Livre II de la-Genèse, après que l'homme ait été créé dans sa double essence, mâle et femelle au Livre 1, elle est créée pour qu'une créature semblable à lui surgissent aux côtés d'Adam. Mais le terme hébreu Ezer Keneguedo est ambigu. Aide, oui, mais « comme contre-lui », comme sa contrepartie ou comme son face à face. Adam, naïf à son réveil, ne perçoit pas les pièges de cette complémentarité de confrontation. Il perçoit Eve comme semblable : « celle-ci est bien chair de ma chair, os de mes os » et il la baptise Ischa, féminin de Iisch. Intraduisible. Hommesse n'est vraiment pas esthétique. Seulement dans l'intervalle le Yod, symbole phallique, a disparu de la racine et s'y substitue le n (noun défectif) de la féminité .. Mais dans la perception première la « différence » est comme escamotée. Ce n'est pas une perception sexuelle mais fraternelle, celle qui reparaîtra dans sa plénitude, « ma sour, ma bien-aimée », à la fois fraternelle et amoureuse dans le Cantique des Cantiques. Mais le chemin est long de l'un à l'autre et, malgré ces références ancrées dans notre patrimoine et notre passé spirituel, nous sommes fort loin d'en avoir franchi les étapes.
 
2) C'est qu'avec le « semblable» les choses ne vont pas de soi non plus. La fraternité dans la Bible s'inaugure dans la rivalité et le fratricide. . Caïn . est prévenu par Dieu que le mal guette à sa porte et qu'il peut le dominer mais il ne le domine pas le moins du monde. La rivalité se retrouve, s'atténue, se rachète, de génération en génération, Ismaël et Isaac, Jacob et Esaü, Joseph et ses frères.
L'humanité semble lancée sur des eaux dangereuses. Avec le « semblable » elle rivalise, avec le « différent » elle s'épouvante. D'un côté rôde le meurtre, de l'autre la sujétion. Toutes les formes de mort données et reçues interfèrent. Et aussi les grandes échappées sur les grands ciels clairs de l'amour et de la salvation.
L'homme et la femme, semblables et différents, vont se trouver au centre de cette terrible et passionnante épopée de la vie et de la mort. . P.41
 
.point commun entre les grands opprimés de l'histoire : les juifs, les noirs, les femmes. .
.. la notion de « majorité » est floue et ambiguë. . Il s'agit beaucoup plus de savoir qui détient le code des valeurs en cours. . Dans la guerre des sexes .. En toute première évidence le besoin que l'homme a de la femme et que la femme a de l'homme. La complémentarité inscrite dans le corps et caricaturée dans les fameux « rôles » féminins ou masculins. En deuxième analyse le mystère - par là même refusé - que chacun est -porteur de signe, nécessaire à l'accomplissement de l'Autre. Le mécanisme est, en gros, le suivant : le besoin, assumé dans l'amour, est au contraire camouflé dans l'asservissement d'un sexe par l'autre - toujours sous-tendu par le mouvement inverse - par le mépris latent, par la négation de la différence-précieuse-pour-moi. Ceci est à notre sens un des fondements de l'homosexualité. .
.. s'il y a un racisme de l'hétérosexuel par rapport à l'homosexuel ce racisme n'est pas spécifique et n'est en tout cas pas constitutif de l'hétérosexualité. Au contraire, le refus de l'autre en tant qu'autre est, par définition, constitutif de l'homosexualité. . L'évidence est dans les termes eux-mêmes. L'homophilie . est par définition quête du semblable, rejet du « différent », elle est quête de soi, en miroir « les rôles sont réversibles » disent certains, ou refus de soi a fortiori lorsqu'ils ne le sont pas. On a souvent insisté sur le narcissisme inhérent à l'homosexualité. . l'hétérosexuel n'échappe pas aux pièges du narcissisme. .. c'est vrai et de mille façons déguisées, mais ce n'est pas constitutif de l'hétérosexualité qui, par définition, devrait être découverte de l'Autre. Epiphanie de l'Autre, pour parler comme Lévinas, qui privilégie le visage. Mais l'Autre est sexué jusque dans son regard et par contre le sexe sans visage n'est, sans jeu de mots, qu'une « partie ».
Là où les masques doivent tomber de part et d'autre c'est là où, dans des syndromes différents, s'affrontent des significations tout à fait semblables. . la composante homosexuelle est parfois latente ou masquée. Le syndrome de l'homme à femmes - qui les méprisent et leur conseille vivement de rester à leur place d'objet, le syndrome de celui qui aime à se retrouver « entre hommes» est à quelque degré un syndrome homosexuel plus ou moins directement issu de la « peur des femmes» . P.43
. Dans le « dialogue» SCUM-Lartéguy « toute conscience désire la mort de l'autre », la « différence» est plus ou moins ouvertement haïe. .On ne cessera de dire des sottises, même spirituelles, tant qu'on continuera à penser en termes de catégories isolées : hommes, femmes, alors que l'être humain .. ne trouve son accomplissement que dans le couple. Tout le reste est prélude à la sujétion d'un sexe à l'autre dans quelque sens que ce soit, à l'homosexualité et, disons-le clairement, à la mort. . l'émancipation de la femme ne devrait pas se faire contre l'homme. Mais le bon sens est moins percutant que l'excès. L'excès pourtant se démasque par là même qu'il est excès et renvoie à la mesure et au bon sens. Il reste que la virilité encensée par l'homme ou par la femme est peut-être le premier  laboratoire de l'homosexualité. .
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ontologiquement racistes dans leur rejet de l'autre. . Le nazisme, l'exaltation de la force brutale, de la (fausse) virilité, était bien un temple de l'homosexualité. .Mais il faut encore distinguer entre l'homosexualité décemment camouflée, attribuée parfois aux plus grands « dignitaires» du nazisme, et l'homosexualité latente dont le nazi type ne veut pas prendre conscience et qui fait qu'il torture celui qu'il catalogue - à tort ou à raison - comme homosexuel et qui lui renvoie une image insoutenable de lui-même. II faut noter encore .. que le mécanisme à l'égard des juifs est le même. Le juif renvoie à l'homme l'image de P.45 sa propre humanité agrémentée de tous les phantasmes possibles. On essaie de détruire l'objet de la projection plutôt que le phantasme. C'est plus facile. On prête à Hitler ce mot adressé à Rauschnig : « Il est plus facile de détruire un ennemi extérieur que ses propres démons intérieurs. » . Le nazisme est bel et bien lié à toutes sortes d'aliénations. Il porte en lui la persécution de l'Autre. Il est éminemment phallocratique et narcissique et ne pouvant se voir comme tel, il est tout à fait vraisemblable qu'il soit pris d'une fureur démentielle devant un jeune homme «efféminé» qui le renvoie à sa problématique propre.
 
Nous sommes ici renvoyés à une sorte de jeu de « furet » de la différence qui nous échappe et se reconstitue en face de ceux qui la nient. Dialectique du Même et de l'Autre que Platon n'avait pas prévue en ces termes. . Les explications de l'homosexualité par fixation à la mère, identification à elle, non émergence hors d'un stade de développement qui doit « normalement » être traversé à bas bruit et sans histoires, ne rendent pas compte de l'impact existentiel tel qu'il a été vécu à travers l'histoire .. tel qu'il pourrait émerger d'une honnête évaluation de l'ensemble de ses potentialités. .
 
. « J'ai peur parce que je suis homosexuel d'accord, mais non, je ne suis pas lâche, et c'est plus fort que ça : je suis homosexuel parce que j'ai peur. Je suis structuré dans l'angoisse . je reste rivé à une problématique « complexe» qui névrose tous mes rapports. » Le jeune homme relie les troubles dont il souffre à la répression sociale, revendique comme ses pareils « la liberté » mais pressent cependant que le problème est plus large. . P.47 . Il est évident que le mot et la chose entretiennent à tous les niveaux un rapport complexe d'interdépendance. .
 
Dès qu'on parle de « nature » au niveau de l'homme et dès qu'on veut se situer ailleurs que dans le « naturel » il faut pousser plus loin l'analyse. Il y a un en-deça et un au-delà de la nature. Infra-naturel, supra-naturel ou para-naturel. Il y a surtout un dépassement de la nature qui se fait du dedans et non en marge. Si le christianisme a situé la naissance de Jésus hors des lois de la nature, il a pris des risques. Pascal, à propos de tout autre chose, dit que « qui veut faire l'ange. » sans aller jusqu'à la bête, il échappe en tout cas à sa condition d'homme. Dans la Bible les naissances « surnaturelles » se font à travers la nature du couple, du dedans. .. Albert Cohen .. écrivait à propos du peuple juif: « nous sommes le monstre d'humanité car nous avons déclaré la guerre à la nature » . « Peuple anti-nature, ai-je dit. Cette horreur des valeurs de nature est le grand principe sous-jacent de notre religion. » . Il s'agit chez Albert Cohen de se battre pour la verticalité de l'homme, de combattre « les activités de nature, je veux dire animales. l'interdiction du meurtre capitale activité de nature est le premier de ces commandements ». L'amour . A.C. en saisit toutes les composantes spirituelles et charnelles. Le « contre-nature » est ici la réalisation de l'amour à travers la Loi. Chez les homosexuels qui luttent contre la « société répressive» l'idée de Loi avec une majuscule est peu concevable. Ils luttent même contre la « loi » naturelle. En bonne étiologie psychanalytique ils seraient fixés à un stade régressif. .. ce n'est pas si simple et .. il se peut à la limite que le refus de la norme, même régressif, puisse avoir P.49 sa significations dans l'accomplissement d'une dialectique qui bouscule la « nature » pour en éveiller dedans les germes du dépassement.
L'humain retrouve à travers mille tâtonnements les projets du cosmos. Des fonctions s'y réassument à un autre niveau. . L'exemple de la Grèce .. sert aux défenseurs de l'homosexualité. . prééminence de « l'amour grec » sur l'amour entre un homme et une femme. . l'amour de Pâris et Hélène est la raison d'être de l'Iliade et de l'Odyssée. .. la civilisation grecque est marquée au niveau des mots eux-mêmes par l'homosexualité - pédérastie, saphisme, lesbianisme, etc. Qu'en résulte-t-il à une plus rigoureuse analyse?
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1). dépasser l'opposition nature-culture .
 
2) .. « normal est souvent confondu avec naturel » mais ne signifie rien de plus que coutume et convention. . Cette argumentation confond le quantitatif et le qualitatif La « norme » hitlérienne signifiait l'anormale sujétion d'une partie de l'humanité à l'autre. A la limite la mort. C'est aussi la limite inconsciente de leur argumentation. Ce qu'ils refusent du nazisme les hante souvent de biais : « N'en doutez pas, nous souhaitons l'anéantissement de ce monde. Rien de moins. » 
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De toutes façons le miracle grec, sous toutes ses formes, gravite autour du mythe de la fatalité et de la mort. Il y a bien peu d'échappées .. au niveau de la conscience du philosophe et de la non-consommation de l'amour homosexuel dans la rencontre Socrate-Alcibiade il est P.51 facile de voir que le sentiment de culpabilité n'est pas absent de la conscience collective. . « si la pratique sexuelle est liée au sentiment de culpabilité, la déculpabilisation des hétérosexuels rendrait l'hétérosexualité alors elle aussi sans grand intérêt » .. je remplacerais le mot sentiment de culpabilité par la sentence de Charles Morgan « Its not a sin it is an act of consequence ». Ce n'est pas un péché c'est un acte de conséquence. Et il ne s'agit pas ici des conséquences biologiques. Il s'agit du poids d'un face à face. Il s'agit du sens d'une rencontre. .. les résultats de l'émancipation sexuelle est une plus ou moins générale désexualisation. J'ai trop vu de jeunes faire l'amour « comme des petits chiens tristes ». Et je ne voudrais pas que l'on confondisse la répression - le refoulement - et l'interdit, prélude .. à l'édification du sujet et de sa puissance de choix. Les forces de vie sont dans l'instauration d'un face à face, dans la qualité et l'intensité de la rencontre. Non dans l'indifférenciation quantitative du rapport. .
5) . le malheur de l'homosexuel tient à 2.000 ans de préjugés. 2000 ans de mépris de la femme. .
 
. il (le mépris de la femme) en constitue au fondement (de l'amour grec)
 
3) . Toute vision de monde « géniale » débouche sur l'éclatement même de son propre système, sur une échappée de lumière que rien ne laissait prévoir. Ainsi le Banquet de Platon, qui traite « de l'amour » et se définit comme « genre moral », qui se termine sur une nouvelle apologie de Socrate, de sa tempérance car il sait résister à l'amour des jeunes gens, etc., est-il tout éclairé .. par le discours d'une femme, Diotime . elle est désignée comme l'Etrangère de Mantinée, ce qui est une autre façon de mettre l'accent sur sa « différence », dans ce dialogue sur l'amour qui désigne .. un amour sublimé mais néanmoins homosexuel. Seulement, ce qui est significatif, bien avant l'apparition de Diotime, bien avant l'éloge de Socrate qui sait ne pas consommer un amour, c'est la façon dont l'amour est présenté dans une sorte de cosmogonie fantastique qui désigne bien le niveau de l'inconscient collectif et d'où ressort, de toute évidence, le phallocratisme homosexuel et le mépris pour ainsi dire naïf de la femme et même de l'amour hétérosexuel. .. la Grèce est loin de l'émancipation sexuelle que d'aucuns lui prêtent et qu'il y a deux Vénus, la céleste et la populaire, l'une visant, en gros, l'amour des âmes et l'autre l'amour des corps. Mais l'essentiel n'est pas là. Platon veut expliquer par un mythe l'attirance des humains les uns pour les autres. A l'origine tout être provient d'un être double dont il a été séparé. . « Pris de pitié, Zeus s'avise d'un nouvel artifice » et transporte sur le devant ces parties sexuelles qui se trouvaient jusque-là « sur la face extérieure ». Le but était que l'accouplement ait pour effet la génération s'il s'agissait d'un homme et d'une femme, et tout au moins la satiété si c'était un mâle avec un mâle, satiété qui « fruit de leur commerce » leur permît tout au moins un temps de relâche pour se tourner vers les autres choses de l'existence. « C'est sûrement depuis ce temps lointain qu'au cour des hommes est implanté l'amour P.53 des uns pour les autres, lui par qui est rassemblé notre nature première, lui dont l'ambition est, avec deux êtres, d'en faire un seul et d'être ainsi le guérisseur de la nature humaine. » .
Chacun est donc partie de lui-même, à la recherche de son complément. Et Platon commente par la voix, .. d'Aristophane .
 
Ceux qui proviennent de la coupure d'un « être mixte » ou androgyne sont tous amoureux des femmes .
On notera qu'il n'est pas question d'amour, de mariage d'amour ou d'une valorisation quelconque d'un amour hétérosexuel.
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On voit ainsi comment est valorisé ce qui est mâle, dévalorisé ce qui est féminin et aussi, dans une civilisation dominée par le mythe odipien, celui d'Ouranos et Kronos, évité le problème de l'affrontement des générations.
Or c'est précisément dans ce climat que naît Lesbos et la protestation que constitue le mythe des amazones. Le mécanisme semble être le suivant : la femme rejetée par l'homme apprend à se passer de lui ou à rivaliser avec lui. D'après cette seule analyse l'homosexualité féminine apparaît comme le sous-produit de l'homosexualité masculine. Elle en dérive directement et se situe à l'intérieur d'une civilisation phallocentrique sans parvenir à la démystifier. Elle constitue bien une protestation contre le mépris de la femme par l'homme mais sans parvenir à reposer le problème en termes différents.
 
.  « Pourquoi faut-il que votre langage évoque à chaque instant la domination et la violence ? » . « Toujours et partout l'homme est le seul système de référence, le seul interlocuteur valable. » . « L'homosexualité c'est la pratique homosexuelle de l'homme - puisque nous femmes nous n'avons pas de sexe, seulement un trou. » . P.55
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. Partout où le phallocratisme et la peur de la femme qui le constitue engendrent une civilisation homosexuelle masculine, l'homosexualité féminine se dessine comme son ombre ténue, parfois secrète et dérisoire parfois violente, toujours corrélative dans cette histoire de l'homme qui a commencé pour des raisons concrètes à être une histoire des mâles, mais qui ne deviendra véritablement une histoire de l'homme que lorsqu'elle sera devenue une histoire de l'être humain dans sa double et unique nature, dans sa différenciation originelle assumée.
 
4) Des preuves de même sens se retrouvent dans toute civilisation où la femme est tenue à l'écart et brimée. . le prisme des civilisations différentes auxquelles l'Islam est confronté modifie la réalité originelle et se modifie à son contact. Il n'est aucune réalité humaine que l'on puisse abstraire du contexte qui ne cesse de la modifier, tantôt lui donnant des chances supplémentaires et tantôt la raidissant dans ses déterminismes propres.
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Au niveau concret l'homosexualité est vécue par les peuples arabes avec une extrême ambivalence, associée comme la sexualité elle-même au mépris et à la violence. . Le rapport homosexuel est vécu dans le concret, en deçà des sublimations coraniques, comme un rapport de puissance et d'humiliation. P.57
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Cela signifie alors que les critères n'ont pas changé. Que le rapport sexuel est un rapport d'oppression. . « c'est parce que nous ne baisons pas ensemble que ce sont des rapports d'amour véritable. » . ce n'est ni en jouant le rôle du « vieux colon pédé » humiliant, ni en leur donnant le rôle de celui qui, dans la même symbolique, humilie, que l'on sortira du cercle. L'immense richesse de la culture et de la psyché arabes mérite mieux que cela. Il s'agit de restaurer dans leur inconscient l'image de la femme, corrélativement, l'image d'eux-mêmes. .. Marx : « Dans le rapport de l'homme à la femme, proie et servante de la volupté collective, s'exprime l'infinie dégradation dans laquelle l'homme existe pour soi-même. »
. « A la porte, ouste, à la porte. la poésie de cendres. si vos vers sont vrais pourquoi diable notre société est-elle malade ? Pourquoi a-t-elle cloîtré les femmes comme des bêtes? » Là est la vraie question. Celle qui habite l'inconscient arabe comme une graine, comme une promesse en sommeil qui finira bien par donner ses premiers bourgeons. . histoire de « Deux graines de grenade ». Le sort de la jeune fille est d'être assoupie dans cette grenade, objet d'un « raced ». Son destin était marçoud ou encore endormi. C'est là le vrai secret de l'âme arabe, la dimension de son aliénation et de son espérance. . P.59 . Lévi-Strauss a parlé des couples qui « s'étreignent comme dans la nostalgie d'une unité perdue. » .
Le ton change lorsqu'il s'agit de l'Islam. Les musulmans seraient l'image même de l'intolérance et des simplifications abusives, s'ils ne cherchent pas toujours à amener autrui à partager leur point de vue ils seraient, et c'est plus grave, incapables de supporter l'existence d'autrui comme autrui. Le sens de ces lignes dont la portée politique ne peut échapper .. la néantisation d'autrui, a ses fondement .. dans le rapport fondamental de l'homme à la femme ou plutôt dans la « néantisation » de ce rapport. .
 
. « .. le seul moyen pour eux de se mettre à l'abri du doute et l'humiliation consiste dans une « néantisation » d'autrui considéré comme témoin d'une autre foi et d'une autre conduite » .
 
. L'Islam se développe selon une orientation masculine. En enfermant les femmes il verrouille l'accès au sein maternel. Du monde des femmes « l'homme a fait un monde clos ». Ce faisant il fonde sa quiétude sur des exclusions tandis que le bouddhisme conçoit cette quiétude comme fusion, avec la femme, avec l'humanité et dans une représentation asexuée de la divinité. .. le christianisme, qui aurait pu opérer la fusion, .. apparu trop tôt, avant la lettre et non comme conciliation des extrêmes. L'Islam reste la forme « la plus inquiétante » .. des trois formes de pensée religieuse . « L'Islam nous é islamisés » quand l'Occident s'est laissé entraîner par les croisades à s'opposer à lui, donc à lui ressembler. S'il avait pu remonter au-delà, jusqu'au bouddhisme, le christianisme aurait été plus chrétien . « C'est alors, conclut Lévi-Strauss, que l'Occident a perdu sa chance de rester femme. »
 
Il y avait bien un au-delà du christianisme. C'était le judaïsme originel. . p.61 . (.. continuer à méconnaître que la civilisation chrétienne et islamique sont habitées de la thématique juive. Hantées plutôt dans la mesure elles ne s'y réfèrent que de façon gauchie (sans jeu de mots). L'Occident surtout qui se réclame expressément d'Athènes, Rome et Jérusalem, oublie Jérusalem sans mesurer ce qu'il lui en coûte.) . Ce monde dont il est issu, Lévi-Strauss l'ignore et il ignore qu'il l'ignore, forme la plus pernicieuse de l'ignorance selon Socrate.
 
Or, ce monde justement était la chance d'un monde bisexué. L'Occident a-t-il beaucoup perdu en manquant sa chance de « rester femme » ? Il a beaucoup perdu sans aucun doute à se phallocratiser. Il n'aurait rien gagné à se gynocratiser. Pas grand chose non plus à se fondre dans la divinité asexuée de l'Inde. La Bible, elle, s'ouvre .. : Dieu crée l'homme à son image et à sa ressemblance et, ce faisant LE crée - et seulement après les crée mâle et femelle. Et les cabbalistes commentent que le principe masculin comme le principe féminin sont en Dieu même et que « le mâle séparé de la femelle ne mérite pas même le nom d'homme. » Ce qui malgré d'inévitables glissements dans le judaïsme lui-même en finit une bonne fois avec la « phallocratie ».
 
On trouve donc dans l'Islam le même schéma qu'en Grèce : l'homosexualité masculine fondée sur le mépris de la femme et engendrant comme son ombre l'homosexualité féminine. Mais n'oublions pas .. : l'Occident s'est islamisé. . on peut retrouver exactement le même schéma dans la conscience et l'inconscient de nos contemporains. . dans le Coran .. : « Peuple du Livre, ne dites pas trois » - c'est-à-dire résistez contre le dogme chrétien de la Trinité, c'est-à-dire soyez vous-mêmes! Le Coran précise . « Interroge les fils d'Israël. une prédication a été par nous fragmentée pour que tu la prêches aux hommes avec lenteur. » Quelle lenteur, oui. D'immenses abîmes, d'immenses hiatus de silence, de méconnaissance, de haine, masquent la source de l'unité perdue, de l'amour premier. .
 
5) . Emile Zola L'Assommoir et Nana. . P.63 . aphorismes .. dans les services psychiatriques .. « Pour l'alcoolique cherchez la femme, pour le schizophrène cherchez la mère. » Signe aussi d'une société virilocentrique. Le coupable n'est jamais l'homme. Si au niveau des mythes constructifs on cherche avec Lacan « le nom du père » ; au niveau des destructions concrètes il s'agit toujours de « chercher la femme ». Il est certes possible que dans nos sociétés occidentales le père et l'époux soient plus souvent pathogènes par leur carence, cela revient à dire que tout « phallocentrisme» s'accompagne d'une forme sournoise et larvée de matriarcat. La sujétion à un niveau engendre la sujétion inverse à un autre. Dans la crise de notre époque l'homme a, à notre sens, beaucoup moins peur de perdre sa supériorité qu'il ne redoute de devoir la mériter devant une compagne qui, désormais, refuse plus ou moins totalement de « faire semblant » et n'est prête à admirer que ce qui est admirable. Ce n'était pas la règle du jeu. Du temps de nos grand-mères, on disait en famille que les hommes étaient de « grands enfants » et qu'il suffisait de les flatter pour mener sa barque à sa guise. Balzac de son côté écrivait que la femme est une esclave qu'il faut savoir mettre sur un trône. Adage perpétuellement réversible. Le jeu semble périmé. A notre époque c'est surtout la femme qui, refusant la vieille règle de la soumission complaisante, accule l'homme à un face à face auquel rien ne l'a préparé puisqu'il croyait sa domination acquise une fois pour toutes. Notons que dans la Bible la domination de l'homme sur la femme est une des malédictions qui accompagnent les suites du péché. Ipso facto, elle doit être levée au fur et à mesure du processus rédempteur. Admettons que nous sommes « en chemin » depuis les origines du monde et que le carrefour où nous nous trouvons est un carrefour décisif. .
 
. Zola met en lumière plus encore qu'il n'en a conscience, et c'est le propre du génie, le processus d'aliénation réciproque qui aboutit toujours à la mort. .. les deux ouvrages finissent sur la vision d'un cadavre de femme. . De nos jours . « Love Story » qui semble une pure et bouleversante histoire d'amour est en réalité une réconciliation du père et du fils sur le cadavre de la jeune femme. Les deux mères, elles, sont absentes, l'une décédée, l'autre falote. On voit autour de quelles images se débat l'inconscient du monde où nous vivons. Zola, .Le vrai problème, s'il est plus ou moins conditionné et infléchi par ces conditions fondamentales du milieu économique, est beaucoup plus fondamental encore. C'est bel et bien le problème de la guerre des sexes dans toutes les horreurs paroxystiques d'avilissement réciproque auxquelles il peut atteindre. Gervaise de L'Assommoir reste une tendre victime. Son cour est généreux et bon. Nana est une sorte de monstre pervers et froid pourtant sortie d'elle .
 
-Gervaise est tour à tour abandonnée, poussée à l'adultère, exploitée, etc. par les deux pères de ses enfants. Le vrai amour - avec Coupeau - reste platonique et désespéré. Sa fille au bord de la débauche lui reproche l'exemple qu'elle a reçu d'elle et pourtant Gervaise est bonne. Mais elle est systématiquement avilie par ses hommes et par la famille même de son mari. Le « quartier » lui-même accuse la femme ; l'homme « mon Dieu, lui, (fait) son métier de coq. elle (elle n'a) pas d'excuse. »
 
-Sur ce fond de complicité sociale s'étale la complicité masculine proprement dite : « les jours où ils rentraient furieux s'étaient sur elle qu'ils tombaient. Allez-y ! Tapez sur la bête. Elle avait bon dos. Ça les rendait meilleurs camarades de gueuler ensemble. » . P.65 . Eux et leur complicité homosexuelle . « Enfin, ils se comprenaient. Ils étaient bâtis l'un pour l'autre. L'amitié avec un homme c'est plus solide que l'amour avec une femme. » . Il n'est pas question ici d'homosexualité masculine effective mais la composante est la même qu'en Grèce où elle se trouve expressément. C'est le mépris de la femme. La peur et la haine sous-jacentes et réversibles qui l'accompagnent. Alors, à coup sûr, l'homosexualité féminine doit être au bout du rouleau. Elle y est. .
 
. Ce n'est pas une démonstration linéaire, une argumentation formelle : c'est le foisonnement de la vie où le symptôme est naturellement relié à ce dont il émane au-delà de la conscience de celui qui décrit. . Si l'histoire a commencé avec Gervaise, victime des hommes, être de pureté et de bonté au fond de son cour mais qui finit dans « l'avachissement » du désespoir, Nana, elle, est à la fois victime et bourreau. Avilie, certes, mais aussi avilissante. . Tout plie devant cette magnifique puissante et pourtant stupide créature qui n'est pratiquement que sexe, avidité où s'abîment le désir des hommes, leur fortune, leur amour-propre et leur honneur. Si le processus a commencé par l'abus de pouvoir masculin, le mépris de la femme, la fameuse complicité masculine, il se continue en s'inversant . P.67 . Devant l'homosexualité féminine l'homme a souvent une attitude voyeuriste .. ou d'une suspecte indulgence, ou même admirative.  . « l'homosexualité masculine c'est dégoûtant » - défense contre une composante personnelle ou culturelle - mais l'homosexualité féminine non. Les raisons ? Elles sont nombreuses : élision du phantasme anal, naïve projection de leur propre désir hétérosexuel sur le corps de la femme, etc., mais l'une surtout nous intéresse ici comme s'inscrivant dans le processus que nous tentons de dégager : c'est que l'homme qui a tenté d'asservir la femme est tout d'un coup pris d'une certaine estime, d'une certaine « crainte sacrée » devant celles qui ont appris à se passer de lui.  . « c'est beau une femme qui n'a jamais accepté un homme ». C'est qu'inconsciemment il (l'homme qui prononce cette phrase) vit le rapport sexuel comme un avilissement de la femme par l'homme - même - ou surtout s'il est lui-même cet homme. C'est le sens du vers de Baudelaire .. « A Sapho qui mourut le jour de son blasphème. » (.. En fait il n'y a pas de femmes chez Baudelaire seulement des monstres, sacrés ou démoniaques créatures du ciel et de l'enfer, jamais dans un face à face humain, terrestre, assumé.)
 
La guerre des sexes est sous-jacente à tout le processus, à toute cette désespérante et réciproque sensation d'avilissement. Freud a très naïvement mis en lumière « l'envie du pénis» chez la femme. Il a fallu des décennies pour que l'on s'aperçoive que « l'envie du vagin » et surtout de l'utérus porteur de l'enfant existait aussi chez l'homme. . C'est toujours le même processus : Ah ! si j'étais l'Autre-que-moi et disposais de « ses » moyens, de « ses » atouts sexuels ! . la majorité sinon toutes les lesbiennes ont une aversion profonde pour le phallus, la pénétration et tout substitut de membre viril (ce qui équivaut à ne vouloir être ni soi ni l'autre.) Quant aux homosexuels hommes ils ne parlent que « d'ouvrir les fesses ». Chacun veut être l'autre ou autre que soi et certains homosexuels hommes prétendent ainsi devenir capables de comprendre les femmes. En fait la vraie communication entre les sexes exige l'approche à travers la différence. En « devenant l'autre » on ne peut que lui faire défaut comme si, dans un dialogue dont la problématique et l'enjeu sont d'une extrême importance, l'un des interlocuteurs abandonnait tout à coup son argumentation au profit de celle de l'autre. Le dialogue se terminerait .. pour définir un point, fût-il à l'infini, il faut au moins deux vecteurs. P.69
 
Dans . l'Assommoir et Nana . préciser le schéma qui est, mutatis mutandis, le même qu'en Grèce :
-Société virilocentrique qui donne d'abord le pas au mépris de l'homme pour la femme.
-Ségrégation, avilissement et mépris de la femme. Et corrélativement homosexualité masculine effective ou ébauchée.
-Revanche de la femme, doublement aliénée dans sa réponse à l'aliénation de l'homme. Mépris de l'homme et, comme conséquence, homosexualité féminine.
Celle-ci serait donc beaucoup moins - quoiqu'elle le soit aussi - une réaction contre le virilocentrisme qu'un de ses produits immédiats.
 
Si c'est vrai, une société qui mettrait l'accent sur le couple et bannirait l'homosexualité masculine devrait, à la mesure de sa réussite, éliminer avec le plus grand naturel l'homosexualité féminine. . Il conviendrait de voir si à travers un mythe qui prônerait la complémentarité de la « différence », et non l'opposition et la sujétion, cela se trouverait encore démontré. Nous venons de poser une problématique générale d'une différence non assumée et vécue en termes de mépris, de haine, de peur ou de domination réciproques. Dans ces perspectives le couple n'est pas construit, il est à construire et ceux qui veulent « le détruire » s'attaquent à une pâle ébauche dont les institutions ont sclérosé les promesses sans vraiment les affermir. Tentons de voir ce qu'il en serait d'une civilisation qui s'inscrirait cette fois comme double valeur. Là peut-être apparaîtrait une nouvelle .. libération sexuelle qui serait non plus fuite en avant, ordre des bien-pensants ou désordre pseudo-révolutionnaire mais impliquerait ce temps de silence qu'il faut pour reconnaître son propre désir et en chercher la réponse au niveau du visage de l'Autre, de sa parole, de son être, qui implique son sexe sans l'aliéner aux rôles multiples d'objet asservi ou d'objet menaçant. Peut-être l'homme a-t-il besoin de mettre de l'ordre dans ses mythes. D'en changer ou peut être de retrouver au fond de sa conscience la source vivifiante et inassumée - mythique - de son être, celle qui coïnciderait avec sa créativité originelle. P.71
 
III Le couple et la créativité humaine
 
« Dieu créa l'homme à son image. Il LE créa mâle et femelle, il les créa... » (GenèseI)
 
. il reste que, entre la promesse originelle et l'homme de nos jours tel qu'il se cherche et tel qu'il s'est cherché à travers tous les mythes de l'histoire .. il y a quelque chose qui s'est posé d'emblée comme une essence, puis s'est brisé ou fêlé, et se cherche à travers le puzzle de relations innombrables qui font les grandes amours de l'histoire et ses jeux minables au coin de la rue. .
.. L'amour se cherche. L'homosexualité n'en constitue pas le seul avatar. Mais à chaque avatar son sens. .. à travers quelle « dialectique de la différence » l'homosexualité s'inscrivait. .. à travers quelle assomption de la différence se constitue le couple et comment sa créativité à la fois s'inscrit dans la procréation et s'en distingue. . les choses puissent prendre d'elles-mêmes leur véritable sens. Sens c'est-à-dire à la fois signification et direction. . On ne hait rien tant que ce qui en soi est le plus précieux à accomplir et qui nous renvoie sans cesse aux lignes furtives de nos échecs et de nos approximations. . Ainsi l'homme et la femme se sont déclarés cette guerre « raciste » .. plutôt que de s'avouer le fondamental désir qu'ils avaient l'un de l'autre et que de l'assumer dans la ferveur commune et le respect réciproque. Ainsi va le monde. Ainsi vont ses plaies. Des « rôles » trop et mal partagés et départagés masquent un face à face sans cesse éludé. ...
L'homme et la femme dans nos civilisations se sont justement partagés les rôles à propos de la créativité et de l'amour qu'ils auraient du assumer ensemble .
Deux choses et deux choses seulement importent dans la vie : l'amour et la créativité auxquels se subordonnent tous les modes de la communication et de l'ouvre. Tout le reste n'est que moyen et caricature. Or il se trouve que la créativité et l'amour ont une source unique. Tous les grands créateurs l'ont senti sans toujours pour autant l'assumer. Et les conditions de l'histoire ont fait que l'homme et la femme au lieu d'accomplir ensemble l'ouvre et l'amour se sont en gros partagé les taches. Il est bien vu dans notre civilisation que la femme consacre toute sa vie à un amour. L'homme se sentirait dévirilisé .. Il paraît tout aussi « normal » dans cette même civilisation que l'homme ait une ouvre et que la femme y sacrifie sa propre créativité . Or tout être humain a sa petite ou grande flamme créatrice et ce partage des rôles a mutilé l'homme et la femme . Il semble entendu une fois pour toutes que l'amour est « plus important » ( ! ) pour la femme et l'ouvre plus importante pour l'homme. On ne voit pas assez les racines de ce fallacieux partage. . Notons toutefois que dans les espèces animales la sexualité est beaucoup plus forte et plus évidente chez le mâle. Les poules se passent très bien du coq. La chatte en chasse a plus de désir que de plaisir et à ce moment-là elle est tendre avec lès humains, ce que son partenaire ne lui permet pas d'être. L'amour physique passe à travers l'échelle animale par une série de brouillons et d'ébauches dont seul le couple humain pourrait permettre de réunifier les signes décodés. A chaque P.75 instant toutefois les facteurs sociologiques interfèrent. La loi juive proclame que le mari doit à sa femme le vêtement, la subsistance et le plaisir. Vêtement et subsistance dans une société archaïque où la femme des temps bibliques n'a pas son autonomie économique. Le plaisir c'est l'émergence d'autre chose : elle n'est pas pour l'homme le simple objet de son « défoulement », elle est .. sa partenaire, et l'acte sexuel est en hébreu connaissance et amour. Or le Coran qui reprend ce texte biblique retient le vêtement et la subsistance et évacue le plaisir. Voici la femme redevenue objet. .. on voit bien pourquoi les femmes en général ont dû réinventer l'amour courtois. Du coup, l'homme dérangé dans ses habitudes - le repos du guerrier - pense que l'amour est une histoire de femmes et part se consacrer à des besognes plus sérieuses comme Platon l'indiquait déjà. Personne n'a peut-être encore mesuré, et pas même moi qui essaie d'en parler aujourd'hui, l'immensité de l'abîme qui s'est creusé du fait de ce partage. Pourtant, dans leur aliénation respective l'homme et la femme demeurent signes l'un pour 1'autre de la valeur perdue que chacun doit récupérer pour être, pour soi et pour l'autre, un répondant à part entière :
-En effet, la femme « gardienne» ou vestale de l'amour en rappelle à l'homme l'importance. Sans la douceur du don réciproque de soi l'acte sexuel n'est pour l'homme qu'une prouesse ridiculement valorisée et tout son comportement s'en ressent. L'homme et sa voiture, l'homme et la politique, l'homme et la guerre, sont le signe d'un amour non accompli. Cette partenaire dont il a sexuellement besoin il ne la refuse pas seulement dans l'homosexualité, il la refuse dans toutes ses fuites de mâle qui se prétend content de lui et qui ne peut se déprendre de sa peur car il ne cesse d'être hanté par le besoin d'amour dans lequel s'inscrit le besoin sexuel et qui constitue la sève de l'ouvre qu'il veut fonder. Mais l'homme a inventé mille ruses pour ne pas assumer le lien profond que Freud a si bien cerné et si insuffisamment analysé à propos de la sublimation. L'ouvre a un rapport avec la femme ? Soit. Il invente une muse. Amour d'enfance inaccessible de Dante. Amour trahi et maîtresse infidèle de Musset : Ce « merveilleux rêveur » qu'est l'homme, d'après certaines femmes, rêve beaucoup trop loin du réel. Il oublie que le rêve ou la rêverie comme la plue des nuits est une rosée fertilisante pour le sol où posent ses pas. . Ailleurs l'homme fonce dans le travail comme une brute, histoire de n'avoir plus une minute de libre pour sa compagne. Il a l'amour furtif ou à la hussarde. Parfois il devient impuissant à la1ongue. Ce ne sont pas là des boutades mais des raccourcis d'observations cliniques. En bref la femme est pour l'homme un perpétuel rappel d'une tendresse oubliée ou mal transposée qu'il n'a jamais su transférer de sa mère à sa femme (D'où le « vieil idéal masculin » d'une « vierge-mère » .. et qui correspond à un refus masqué de la femme en tant que telle.) oublieux qu'il est du verset biblique : l'homme quittera son père et sa mère pour s'unir à la femme.
 
-          Mais, inversement, l'homme « créateur » rappelle à la femme, même lorsqu'il y fait expressément obstacle, sa propre créativité. La seule chose qu'elle n'ait jamais eu le droit de lui donner car - l'Evangile évoquerait la parabole des talents- chacun doit rendre plus qu'il n'a reçu. La femme qui s'efface « devant l'homme », gardienne de sa créativité à lui, est sur la pente d'un « matriarcat déguisé. » L'ouvre de l'homme a été un rappel constant à la femme de son objet perdu à elle : l'ouvre à laquelle l'enfant qui est ou devrait être l'ouvre de l'homme et de la femme ne saurait se substituer même si dans le meilleur des cas il en fait partie. Les femmes ont, comme les hommes, inventé leurs tricheries bien pensantes pour masquer leurs peurs et leurs exigences P.77 propres. Elles ont été adroites, diplomates, tricheuses et castratrices alors que les hommes se montraient brutaux et sanguinaires et non moins tricheurs.
 
Le jeu se termine à zéro entre deux parties perdantes..Et le monde montre bien où cela mène. Hommes paons, hommes baudruches, femmes brimées ou féroces à la fois absentes et présentes dans ces grands abcès de l'humanité que furent fascisme, nazisme et autres univers concentrationnaires ou contestataires. On en a le vertige. L'homme et la femme ont tout fait pour « mourir chacun de son côté » ou pour faire sauter la baraque ensemble. Mais vivre, créer ensemble ! . Ils ne se connaissent pas. Ils ne se rencontrent qu'au lit, et encore. Ils s'y agressent, s'y fuient ou désertent ce lieu de rencontre pour la couche désespérée de l'amour homosexuel. Carlo Coccioli appelle cet amour « exil» et l'associe au « tourment de Dieu » . Et si d'un seul point de vue mythologique c'était le tourment absolu de l'homme et de la femme, n'en pouvant plus de se fuir ? Le Zohar, lui, contient un très beau texte sur la création : « le fleuve jaillit d'une source intarissable et coule au-dehors sans s'arrêter.» Ce n'est pas un symbole phallique : Binah, principe féminin, est évoquée. Et peu après il est dit : « L'équité est parfumée. les rigueurs sont apaisées et descendent dans la paix et dans la miséricorde. C'est l'heure de l'union du mâle et de la femelle et tous les mondes sont dans l' amour et dans la joie. » Mais le texte poursuit : « Quand le mâle s'éloigne de la femelle malheur au monde », car le mâle qui s'éloigne de la femelle c'est la Justice qui s'éloigne du Jugement qui l'adoucit, c'est le déséquilibre cosmique .
. Si la séparation de l'homme et de la femme dans une société virilocentrique a engendré tant de mépris et de haine réciproque, tant d'enfants de la haine voués à la haine, à la guerre, à la mort et pour finir à chaque articulation de l'histoire ce cri dans le désert de l'amour homosexuel, quels fruits d'amour pourraient provoquer leurs retrouvailles. .
. le juif, comme le couple et non comme l'homosexuel, rejeté de l'histoire quoique traversant l'histoire. .
 
. Le texte hébreu comporte une étrange redondance dans le rythme de la phrase ; comme si cette « ressemblance » se cherchait dans un double miroir une unité en reflet qui implique la superposition des deux images. Ce mot à mot donnerait à peu près ceci : « Et créa Dieu l'Homme selon son image, selon l'image de Dieu il le créa mâle et femelle, il les créa. » On voit comment le projet de la ressemblance s'esquisse puis s'incarne dans l'unité complémentaire du mâle et de la femelle, dont la réalité plurielle ne fait que suivre. Ceci, .. précède de tout un chapitre la création concrète d'Adam et Eve. On est ici dans le domaine d'un projet essentiel que n'altère encore aucun passage à l'acte, que n'infléchit encore aucun mouvement historique. .. les cabbalistes insistent sur le fait que cette création de l'homme dans sa double nature, mâle et femelle, implique l'existence de la polarité sexuelle en Dieu même et fait que le P.79 mâle et la femelle « séparés » ne constituent plus une image mutilée de la ressemblance première. . « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. » (Genèse I, 26) . une interprétation plus hardie : ce pluriel associe l'homme non encore créé à la création de l'homme. Cela irait vers . « Dieu en Quête de l'homme » . En ce sens le couple originel constitue une sorte de promesse divine qu'il appartient à l'homme, pris dans sa double nature, de réaliser. Toute séparation, dit le Zohar, se répercute du bas vers le haut, toute séparation au niveau terrestre blesse comme en écho l'essence divine, « éloigne le Saint béni-soit-il de la Schekhina » qui est l'élément féminin en Dieu et comme sa présence sur la terre. Ces textes sont à prendre au minimum comme des intuitions qu'a l'homme de l'unité originelle qu'il peut faire advenir ou trahir. L'histoire, en effet, fourmille de ces avènements et de ces déchéances. .
 
 
Que signifie en effet la naissance d'Eve et comment apparaît-elle ? .. pour comprendre l'essence du rapport originel qui, l'unit à Adam, il faut s'attarder sur quelques préalables :
a)      la première fois qu'il est dit : « croissez et multipliez » .. c'est à propos des animaux et avant que l'homme n'ait été créé. Il y a une bénédiction sur la vie, certes, mais, .. , elle ne constitue pas l'essentiel du rapport de l'homme à la femme dès que ceux-ci apparaissent dans leur essence concrète ;
c)      Livre II de la Genèse, Adam est créé « poussière détachée du sol » animé d'un souffle de vie, à quel moment et en quel sens se situe l'apparition d'Eve ? C'est au moment où Adam nomme les animaux, impose à chaque espèce son nom, dans un rapport, donc, asymétrique, que Dieu s'avise qu'il n'est pas bon que l'homme soit seul et isolé : il y a en effet déjà un décalage entre le projet essentiel et sa réalisation historique. Dieu crée Eve comme semblable à Adam perdu dans la foule des animaux nommés, c'est-à-dire qu'elle est, dans le projet divin, l'interlocutrice, capable de nommer et non pas seulement d'être nommée. Le texte hébreu est très fort. Eve doit être « Ezer Keneguedo » - .. En raccourci : Aide comme sa contre- partie ou comme son face à face. Rachi commente : s'il le mérite une aide, s'il ne le mérite pas une adversaire. Voici fondés l'intersubjectivité, le rapport inévitablement réversible qui dans l'essence humaine précède tout rapport biologique sous-jacent pourtant de « fécondité ».
           Quand, Eve apparaît ce n'est pas sortie de la côte d'Adam .. mais de son côté. Elle est sa moitié complémentaire, impliquée dans son principe . Rachi précise même qu'Adam ne peut voir le morceau de chair d'où Eve a été tirée P.81 afin qu'il ne la méprise pas. Certains anthropologues pensent qu'Eve est tiré du prépuce d'Adam, symbole féminin, ce qui serait une autre raison pour circoncire, le prépuce étant désormais lettre morte d'un signe vivant construit, édifié .. en existence autonome.
. « Cel1e-ci est vraiment os de mes os, chair de ma chair. Elle s'appellera Ischa car elle vient de Iysch. » Ischa signifiant femme et étant le féminin de Iysch. . le yod présent dans Iysch ne figure pas dans Ischa dont la racine comporterait, .., un noun défectif qui reparaîtrait dans les formes plurielles . Le yod est dans toute la tradition cabbalistique un signe phallique, tant par sa forme que par sa position dans l'arbre séphirotique. - Le yesod - fondement .. Le noun est une lettre féminine, initiale de « Nekeva » Femelle. Adam a vu Eve semblable à lui. Il n'a pas vu la « différence » par laquelle il pouvait s'unir à elle. .. elle semble du reste encore diffuse, labile, mal « distribuée ». Pourtant il est dit dès qu'Adam reconnaît la Femme, os de ses os .. :  « C'est pourquoi l'homme quitte son père et sa mère et s'unit à la femme. » .. il n'est plus question de croître et de multiplier et le péché s'interpose sous forme non sexuelle .. avant que l'union charnelle entre Adam et Eve devienne effective.
.
.. c'est une conséquence du péché que l'homme domine sur la femme, .. toute rédemption devra contribuer à lever cette malédiction-là comme les autres. Qu'en est-il maintenant de la fécondité ?
 
. dissocier l'amour de la procréation .
 
a)      La procréation est impliquée dans l'essence animale et dans l'essence biologique de l'homme .. « croissez et multipliez ».
b)      La véritable essence humaine apparaît lorsque le couple se trouve face à face et n'est même pas encore conscient de cette possibilité d'union et de fécondité qu'il porte en lui.
 
Ce serait dire par conséquent que l'amour ne saurait se réduire à une sexualité utilitaire mais que peut-être il devrait pouvoir la retrouver une fois qu'il se serait assumé en tant que choix véritable, face à face, reconstitution de l'unité originelle . P.83
Quand l'homme connaît Eve, sa femme, aux premiers matins de l'histoire -et non du monde- Eve qui enfante Caïn ne l'enfante pas dans un rapport d'amour conjugal. Elle s'écrie .. : « Kaniti Iysch êt Hachem » .. en gros : « J'ai acquis un fils de l'Eternel » et, presque, « J'ai acheté », sorte d'hypothèque .. la particule êt signe du complément d'objet direct à la fois sur l'homme et sur Dieu. Or, cet homme est un meurtrier. Sans autre forme spécifique Eve enfante ensuite Abel, la victime. Les deux rivaux sont, par essence, non viables. Le Zohar commente qu'Eve n'a pas eu un « vrai » rapport avec son mari. Lorsque, après le drame, Adam connut à nouveau Eve, sa femme, Eve le nomme Seth et commente que Dieu lui a accordé une nouvelle postérité au lieu d'Abel que Caïn a tué. Celui-ci ne sera ni bourreau ni victime. Accordé par Dieu et non extorqué à Dieu, il engendre à son tour Enoch autre nom pour désigner l'homme. Et l'histoire recommence ... lorsqu'Adam engendre Seth « il engendre un être son image et à sa ressemblance » ; cette fois la ressemblance première, celle du couple, est perpétuée. La naissance passe donc par les entrailles du couple et par leur phantasme, par la « connaissance » sexuelle et par l'image que s'en font les partenaires. L'humanité véritable se perpétue dans cette vigilante attention de l'un à l'autre et tout enfant qui naît d'un ajustement insuffisant est déjà fragilisé, tout enfant qui naît d'un phantasme gauchi est menaçant ou menacé. En ce sens le judaïsme n'accepterait pas le thème chrétien de la naissance surnaturelle de Jésus. Ou bien il l'interpréterait cet autre « enfant de Dieu » dans la thématique de la mort qui plane sur le bourreau ou sur la victime. . Reste que pour le judaïsme la naissance s'inscrit dans une thématique de la créativité qui implique que la procréation ne se réduise pas à sa plus simple expression ou à certaines mégalomanies. Caïn
« acquis de Dieu» n'est pas tout à fait un homme, Abel, qui semble né par hasard ne l'est pas non plus. Le couple doit naître lui-même avant de procréer un « vrai » enfant. Belle prémonition de toutes les théories freudiennes sur les enfants-compensations, enfants-pénis, etc. sur lesquels planent les désirs aliénés des parents. Il est des mythologies où l'enfant est voué à la mort. Ne serait-ce pas justement parce qu'il n'est pas né d'un couple s'assumant comme tel ? Est-il péché originel plus tangible que celui de notre origine ? L'enfant non désiré, tarte à la crème des psychanalystes, et l'enfant mal désiré, en porte à faux sur le désir de ses parents, n'est-il pas essentiellement hanté par ce secret de son origine qui le planifie de travers, le jette au monde et en même temps le rejette ou le désire autre qu'il n'est ?
Le complexe d'Odipe .. est le résultat « vertical » - en coupe sur les générations d'un trouble horizontal qui affecte le couple originel, en lutte, en guerre, affronté sexuellement et non pacifié dans le face à face qui précède le double don de soi. L'homme et la femme se sont consommés comme des objets - et consumés à ce jeu qui semble facile et qui est souvent mortel. Ils n'ont pu dans cette ligne mythique se constituer comme sujets. Ils se sont pris dans un système. .. Baudrillard .. à propos de la « Consommation ». Celle-ci n'est « ni une pratique matérielle, ni une phénoménologie de l'abondance », elle est « une activité de manipulation systématique de signes. » L'homme et la femme se sont abordés à travers l'histoire sur un registre semblable, celui du réflexe conditionné. Baudrillard transpose aux personnes ce qu'il a décrit à propos des choses : « Cette conversion de l'objet vers un statut systématique de signe implique une modification simultanée de la relation humaine qui se fait relation de consommation, c'est-à-dire qui tend à se consommer dans et à travers les objets qui en deviennent la médiation obligée et très vite le signe substitutif, l'alibi. »
Il fait ces interférences des objets aux personnes sont originelles. La « personne » est d'abord signe du besoin ou de la satisfaction du besoin et en ce sens non présente dans son épaisseur de sujet. Elle est pressentie et détournée, utilisée ou asservie, et la procréation, à ce niveau, est accidentelle ou effrayante, s'inscrit dans le réseau de signes préexistants et s'y aliène à son tour. L'enfant créé devrait pouvoir être assumé comme P.85 fruit d'un double amour, issu d'un couple et non perçu par chacun des partenaires comme arme contre l'autre ou menace pour lui-même. . thèmes de la mythologie grecque - Zeus tuant la femme enceinte de l'enfant qui le menace, les mères complices des fils pour châtrer ou tuer les pères - . dans le christianisme .. élision de l'Odipe et du père dans la naissance parthénogénétique de Jésus. . phrase de Matthieu : « Le frère livrera son frère à la mort et le père son enfant, les fils se dresseront contre les pères et les feront mourir » ... dernier des prophètes, Malachie. « J'enverrai Elie le prophète, lui ramènera le cour des pères aux enfants et le cour des enfants vers leurs pères. » Mais la condition de cela est .. : il n'y a d'enfant qu'il n'y ait de couple. La procréation ne se hausse au rang de la créativité issue de l'amour que si l'amour préexiste à l'acte qui engendre un enfant biologique. Que s'il en est nettement distinct et décanté. C'est justement ce que nous apprend la Bible. Chaque naissance surnaturelle ou, disons, prédestinée, s'inscrit expressément dans l'amour d'un couple. . cette naissance : a) suit une période de stérilité de la mère ; b) se situe alors que, lorsqu'il y a lieu, l'amour de l'époux pour l'épouse stérile est très expressément affirmé et qu'elle est préférée à l'épouse féconde ; c) s'inscrit dans la tension du désir et de la prière, des tâtonnements de l'effort et de la volonté de vivre.
 
. Sarah, stérile depuis toujours, envoie elle-même son époux Abraham vers Agar la servante qui conçoit Ismaël, aussitôt béni de Dieu. Mais cette bénédiction n'est pas celle de l'alliance et du projet de l'histoire. C'est dit expressément : l'alliance promise par Dieu passera par l'enfant du miracle donné à Sarah vieillissante, épouse préférée d'Abraham. L'histoire du sacrifice d'Abraham qui est l'histoire du non-sacrifice d'Isaac, est, dans un sens bien .. un « anti-Odipe ». . Le miracle ce n'est pas qu'Abraham ait obéi à l'ordre monstrueux de Dieu. Le miracle c'est qu'il ait entendu la seconde voix : « tu ne porteras pas la main sur cet enfant. » Le miracle c'est que dans le cycle « naturel » des meurtres odipiens se soit inscrite une force nouvelle capable de sortir l'homme de ses fatalités et de ses cercles. . « Je te recommande, Oh je te recommande l'enfant » Ces mots .. sont l'affirmation du vieil et fidèle amour contre le péril du meurtre et de la mort. .
 
A la génération suivante il n'y a pas d'autre femme dans le couple des patriarches. Cependant Rebecca passe aussi P.87 une période de stérilité. Mais il suffit de la prière d'Isaac pour que l'obstacle soit levé. .
 
. Jacob n'aime que Rachel .. Avec peine elle engendrera enfin Joseph .
 
Le schéma de la femme stérile préférée par son époux à la femme féconde et donnant naissance à l'enfant prédestiné
 
Que signifie tout ceci si ce n'est que l'amour doit précéder la procréation, que l'amour est choix et projet et qu'à travers les brouillons de l'histoire il n'y a de créativité dans la procréation que si elle est issue de l'amour. C'est cette vérité là que les homosexuels .. pressentent et déforment lorsqu'ils disent que l'amour n'a rien à voir avec la procréation. Il a « à voir » mais il doit être constitué avant elle, la sous-tendre, se référer sans cesse à des sources plus hautes. La procréation sans amour n'est qu'un acte biologique, l'amour sans procréation crée toujours à la fin - biologiquement ou non quelque chose.
C'est pourquoi même à travers une société archaïque comme société biblique la femme se dresse dès l'origine comme interlocutrice, compagne de l'homme, co-responsable du projet de Dieu. . P.89 . Et que dire de Tsiporah, épouse de Moïse, .. lorsque, après avoir arraché à Moïse la promesse de conduire le peuple hors d'Egypte, « en chemin dans une auberge. » Dieu décide de la mort de Moïse ? .
a)      Cette terrible affaire s'inscrit dans .. le thème du découragement de Dieu. Le Déluge vient d'un explicite regret de Dieu d'avoir créé le monde. Et si même, ayant sauvé le monde à cause d'un juste, Noé, Dieu promet de ne plus répandre les eaux sur la terre, « plus jamais», Il semble à plusieurs reprises tenté d'anéantir son projet en le subordonnant aux forces d'un homme. Que serait-il advenu du projet divin et de la promesse divine si Abraham avait sacrifié Isaac ? .. si Jacob n'avait eu la force de lutter avec l'ange et d'atteindre à cette nouvelle dimension de son existence qui fait de lui Israël, le « lutteur de Dieu» ? Que serait-il advenu de l'homme de génération en génération si à travers tous les désastres qui déferlent sur lui il ne se trouvait quelques hommes pour garder le « souvenir » dont le Baal Schem Tov fait le secret de la rédemption ? Ici Dieu soudainement fléchit dans son projet ; ayant lutté pied à pied contre Moïse qui reculait devant sa mission, soudain Il veut tout effacer. Qui et comment cette fois relèvera le défi, réintégrera dans l'histoire la germination du verbe et de l'acte ?
b)      C'est Tsiporah, épouse de Moïse. Traversée d'une de ces intuitions fulgurantes qui en raccourci sur tout cheminement rationnel font des femmes de la Bible l'incarnation immédiate du projet divin, Tsiporah saisit un silex et circoncit l'enfant, Gershom, jetant le prépuce « à ses pieds ». . « Nous sommes unis toi et moi par des noces de sang », ou pour rester plus près du texte « époux par le sang, toi. » . A ces mots Moïse est sauvé : Elle croit, peut-être, au niveau conscient parler en effet à Moïse. Mais qu'y peut-il ? . C'est à Dieu qu'elle s'adresse. « Epoux par le sang », c'est-à-dire par la circoncision. En toute simplicité elle rappelle à Dieu le signe de l'alliance. Son geste revient à dire : si nous, ton peuple, te sommes liés par ce signe, toi, Dieu, tu l'es aussi, explicitement et depuis que tu nous as imposé ce signe. Il est garant d'une double fidélité. Sans autre commentaire, en effet, tout rentre dans l'ordre. Moïse ne meurt pas et l'histoire reprend son cours. .
 
. contre-sens d'assimiler la circoncision à la castration même si - ou surtout du fait que - à travers certaines influences culturelles occidentales la circoncision pouvait perdre plus ou moins totalement son sens véritable et être contaminée par le complexe de castration. Dans le thème originel il s'agit d'un dévoilement - le Zohar appelle le gland la « tête du juste » Il s'agirait donc d'une virilisation. Le prépuce, d'autre part, en raison de certaines P.91 hypothèses embryologiques et du fait de sa forme de « fourreau » -il semble être le reste amenuisé du « fourreau » de l'animal- constitue un symbole femelle. La circoncision est donc une émergence de la virilité hors de l'animalité en même temps que sa différenciation plus décisive par rapport à la féminité. En même temps Abraham, à qui l'on ôte le prépuce, reçoit dans son nom la lettre Hei. Celle-ci « Hei Hayediah » est la lettre de la détermination, en même temps que celle qui, isolée, désigne en substitut le nom ineffable de l'Eternel. Voici Abraham à la fois virilisé, déterminé, humanisé, divinisé. Il en est exactement de même de Sarah. . On ne lui ôte que le yod de son nom qui est justement le symbole phallique. La voici féminisée à son tour. Mais à la place de ce qui lui est tranché, le yod phallique, elle reçoit comme Abraham le Hei Hayediah, symbole, aussi, du nom divin. La voici, comme lui était virilisé, déterminé, humanisé, divinisé, à son tour et en face de lui, féminisée, déterminée, humanisée, divinisée. Rachi ajoute que Saraï signifie « ma princesse », Sarah signifie « princesse pour tous ». C'est un couple royal qui va engendrer l'histoire en engendrant Isaac. Il constitue une étape sur l'histoire de l'avènement du couple originel promis dès les premières lignes de la Genèse. Il se fonde dans le face à face et la différenciation. Celle-ci s'avérera importante tout au long de l'histoire, importante au niveau du vêtement : la Bible serait très contre les boutiques unisexe et la tradition commente que la fin des temps s'annoncera lorsqu'on aura peine à reconnaître un homme d'une femme .
 
.. quelque chose est lancé dans l'histoire qui en constitue le fondement. Ce quelque chose est le couple. Un dans la promesse originelle il s'accomplit en se différenciant dans le face à face et en s'acceptant dans la différenciation. Au Lech Lekha d'Abraham, va vers toi-même, au masculin, fait suite le Lechi Lach du Cantique. Va vers toi-même au féminin. Dans le contre-point de ce double avènement s'édifie le couple, s'engendrent les « enfants de l'amour » qui sont à travers cette seule condition les enfants de la promesse. Certes les trahisons, viriles ou féminines, - Amnon, Dalila, etc., fourmillent dans la Bible . Le vrai sens est dans la cohérence de l'histoire pour laquelle le couple préserve un sens. Même, parfois, dans l'éclair d'une rencontre. .. David à Abigaïl « Béni soit l'Eternel Dieu d'Israël de t'avoir envoyée aujourd'hui vers moi, toi qui m'as empêché aujourd'hui de m'engager dans le sang et de demander secours à ma propre main. » C'est .. la reconnaissance du rôle de l'autre. Et cet autre - absolument autre .. ou autre par excellence, est la femme, absolument semblable depuis le cri d'Adam à sa naissance, absolument différente depuis la consécration du premier couple des patriarches qui fait surgir le sens de la différence première, l'articule dans une complémentarité sanctifiée. .
 
Pourquoi alors ce chant de vie qui s'inaugure dès la génération d'Abraham comporte-t-il en arrière-fond un terrible chant de mort, celui de la destruction de Sodome et Gomorrhe ? P.93
. la mer Morte . eau presque toujours tiède n'abrite pourtant aucune vie est un monde minéral, un des points les plus bas du monde . semble avoir gardé, à travers érosions et crevasses, comme la cicatrice encore sensible d'un des grands bouleversements de l'histoire. Les géologues peuvent certainement expliquer le devenir à travers les millénaires de cet étrange paysage et de sa quasi solennelle désolation. Le plus étrange est qu'il coïncide avec le mythe. Quel que soit le mode de l'influence ou du lien, l'association a été faite par l'homme - et demeure - entre ce paysage de sel et de cendres, de roches tronquées et de silence et l'histoire de Sodome et Gomorrhe. . partage entre Abraham et Loth . L'Eternel ne peut cacher à Abraham son projet. Il ne peut détruire par le soufre et par le feu les villes coupables sans en aviser Abraham qui intercède, pied à pied, pour sauver les villes s'il s'y trouve seulement quelques justes . Mais finalement il ne se trouve que Loth qui trouve grâce aux yeux de l'Eternel. . « Et il se souvint d'Abraham et délivra Loth de ces villes où il avait demeuré » . mais si Loth est préservé « ce n'est pas par le mérite de Loth mais par celui d'Abraham. »
a)      Loth se faisant le serviteur d'un juste finit par s'approprier ses mérites .
b)      Loth pratique le devoir d'hospitalité alors que tous les étrangers qui passaient à Sodome et Gomorrhe devaient passer la nuit dans la rue car aucun habitant n'acceptait de les recevoir. .
c)      Ici on touche au syndrome - pas assez connu - de Sodome et Gomorrhe dont l'homosexualité n'est qu'un aspect sur lequel la tradition ne met jamais l'accent. Elle le prend dans un ensemble. Si une pluie de soufre et de feu tombe sur les villes coupables c'est parce qu'à tous les niveaux elles sont caractérisées par le refus de l'autre. Refus de l'étranger, complicité contre le pauvre, tricherie sur l'argent de l'aumône lui-même - le Talmud semble avoir prévu ici le lien freudien entre l'argent et l'analité - les deux villes se meuvent en cercle clos. L'argent de l'aumône marqué d'un signe est retiré le soir à ceux qui l'ont reçu. L'étranger couche dehors, « le mâle s'éloigne de la femelle. » Pour employer l'expression zoharique concernant le moment où le monde est menacé par la justice divine. C'est le signe du danger. Un de ses signes. Le syndrome général est et demeure le refus de l'autre à tous les niveaux, le refus de ses besoins, de sa réalité, de son existence, de son importance « pour moi.» P.95
d)     Ce qui sauve la postérité d'Abraham c'est Abraham dans son lien avec Sarah qui est celle .. dont Dieu s'est souvenu et il se souviendra lorsque sa mémoire devra obtenir le pardon du monde. . « l'union du mâle et de la femelle doit être union parfaite dans le mystère de la Foi » Lorsque les anges demandent à Abraham « où est ta femme ? » c'est sur la Schekhina elle-même qu'ils l'interrogent. Et Abraham est celui qui venant au monde « répare le mal causé par Adam et le répare à l'aide de l'arbre de vie, car il fit connaître la foi à tout le monde ». C'est sur le couple Abraham-Sarah qu'est fondé le secret de la vie et le fondement de l'histoire passant par le miracle de leur foi et l'engendrement d'Isaac issu de leur union absolue.
e)      A l'inverse, le syndrome des villes coupables est un syndrome de refus, de non-communication et de mort,
f)       Etrangement, la ligne de clivage passe par Loth et par la famille de Loth. Loth est sauvé, par les mérites d'Abraham ou par ce qu'il a su recevoir de ces mérites. . l'ange exterminateur agissait dans le dos de Loth, jamais devant lui, et c'est pourquoi il dit à Loth « ne regarde pas derrière-toi de crainte que tu ne périsses avec les autres ». La femme de Loth regarde « derrière lui ». On peut donner de cela bien des interprétations : regret, tentation mortelle du retour en arrière ou du refus de l'histoire, hésitation du face à face et toutes les formes possibles du régressif et de ce qui est « en arrière de soi » ou derrière l'homme, ce qui est sûr c'est qu'il manque à la femme de Loth l'intuition salvatrice des vraies femmes et des vraies épouses de la Bible. C'est de cela qu'elle meurt. Entre l'abîme des villes coupables et le syndrome de mort et l'ascèse du couple vivant Abraham-Sarah, la ligne de partage passe juste en ce point entre un homme et une femme qu'une mort particulièrement énigmatique sépare. D'autant plus énigmatique peut-être que la descendance de Loth passera ensuite par le double inceste comploté par ses filles durant son sommeil.
 
. On peut noter encore, à partir de là que tout interdit biblique comporte une ou plusieurs exceptions. Sauf un. Celui, justement, de l'homosexualité.
 
-    L'adultère est interdit. Interdit majeur au niveau des dix commandements. Et pourtant                     l'histoire passe par David et Bethsabée par leur amour coupable, d'abord puni par la mort du premier enfant - puis pardonné parce que justement c'est un amour. La colère de l'Eternel s'émousse .. car l'amour est plus fort que la Loi elle-même, s'il est un amour. David console Bethsabée . ils enfantent justement Salomon, futur édificateur du Temple . sa naissance (apporte) le pardon et la bénédiction de Dieu : « Et l'Eternel l'aima » Quoi pourtant de plus P.97 réprouvé que l'adultère? La stabilité des couples est conditions de la précaire histoire de ce petit peuple mais parfois l'amour se fraie le chemin de Dieu contre la voie de Dieu même. Il invente son chemin, il vise comme en filigrane l'enfant prédestiné et la sagesse qu'il incarne. Mais il est amour et il implique aussi la conscience de la faute, le repentir de David et tout le chant des Psaumes.
-          Le meurtre est interdit et figure aussi comme tel dans les dix commandements. Cet interdit, pour certains, fonde tous les autres. L'histoire s'est brisée avec le meurtre de Caïn, car si le premier péché avait introduit la menace de la mort, personne ne meurt dans le récit biblique avant le geste de Caïn. La mort est introduite par le péché de l'homme. Le meurtre met fin à tout dialogue, à toute promesse de l'histoire. .. le respect biblique du « tu ne tueras point » .. permet qu'enfin émerge le visage de l'-l'Autre. Et pourtant le meurtre inexcusable d'Urie par David est pardonné et d'autres meurtres apparaissent presque légitimés par l'histoire. -David tue Goliath. .
-          L'inceste est interdit sous toutes ses formes .. pourtant il y a une exception préalable, celle des filles de Loth. Exception unique qui s'inscrit à la lisière de l'histoire entre la lignée de vie d'Abraham et l'engloutissement des villes coupables.
 
Il n'y aucune exception effective à l'interdit de l'homosexualité.
 
Celle-ci est interdite comme abomination .. Elle ne vise d'ailleurs que l'homosexualité masculine. Dans le Deutéronome le prostitué mâle est associé à la prostituée femelle. Chose étrange le mot qui les désigne ( Kadesh, Kadeshah) est ici formé sur la racine du mot Kodesh qui signifie saint. Ils sont ceux en qui se caricaturent et s'aliènent les choses saintes. De même le mot Zonah qui désigne la prostituée sous une autre forme est sur même racine que le mot nourriture : c'est l'aliénation et la corruption d'une nature et d'un besoin premiers et élémentaires. .. l'homosexualité .. est expressément condamnée avec le thème dramatique de Sodome et Gomorrhe qui la relie à tout le syndrome du refus de l'autre. . Et il n'y a aucune exception effective. . Tout se passe comme si le récit biblique tentait de frayer les voies de l'histoire et barrait définitivement celle de ce narcissisme premier - refus de l'autre, quête de soi en miroir - par lequel l'histoire ne semble pas pouvoir passer.
.
.. dans la société biblique d'où l'homosexualité masculine est très expressément, sévèrement et effectivement bannie, il n'y a pas trace d'homosexualité féminine, celle-ci n'est même pas mentionnée. L'émergence au sein d'une société encore virilocentrique de tout ce qui peut engendrer le respect de la femme .. toutes les précautions ont été prises pour qu'Adam ne puisse mépriser Eve, pour que s'édifie le couple, en marche dans l'histoire. . P.99
.
 
Nous nous trouvons donc là devant un « mythe » .. qui tend à fonder et à préserver le couple et la créativité du couple, laquelle ne saurait se confondre avec fécondité biologique. Mieux, la fécondité biologique n'est humanisée, ouverte au sens de l'histoire que lorsqu'est affirmée explicitement la primauté de l'amour. Si donc on veut non pas « détruire le couple », qui n'existe pas encore, mais le fonder, c'est peut-être dans cette direction-là qu'il convient de faire revivre les mythes fondamentaux . il n'y a pas de recette et .. tout reste à faire dans une perspective de vigilance et de tension quotidienne. . les risques croissants et l'insécurité affective du couple contemporain. . contradiction aux aspects peut-être inépuisables. On peut néanmoins en souligner quelques-uns : (Louis Martin Jentel « Vers une civilisation du couple »)
a) Le jeune-homme réclame une évolution « naturelle ». Refusant en bloc certaines catégories, il jette, comme on dit, le bébé avec l'eau du bain car les formes aliénées de la famille ou du couple ne prouvent rien contre l'idéal non encore advenu dont leurs blessures témoignent.
b) Il réclame des « recettes » aussi bien dans son aspiration première au conformisme que dans la révolte « révolutionnaire » issue d'un autre conformisme. Tout cela pour un problème qui ne comporte pas de recette mais le don permanent de soi, la vigilance permanente et la conscience de ce que le retour aux sources fonde en même P.101 temps l'avenir. .
c)Le jeune homme, comme l'auteur du livre .. ne vont pas assez loin vers ces sources du mythe d'où relèvent nos ressources et nos contradictions mêmes. . les thèmes odipiens relèvent en fait d'un déséquilibre mal perçu dans le couple qui les engendre. Inversement, ce qui fonde l'histoire c'est, à partir de ce couple purifié, l'engendrement des générations. Très naïvement et a contrario notre jeune scripteur met le doigt dessus. « . et même l'attachement aux parents ». Certes il ne faudrait pas confondre cet attachement avec les fixations névrotiques. Certes encore on ne respecte que ce qui est respectable. .. j'ai compris tardivement le sens du 5ème commandement : « Honore ton père et ta mère afin que tes jours se prolongent sur la terre que l'Eternel ton Dieu t'accordera. » Lorsque j'étais enfant, cet « afin que » me faisait l'effet d'un marché insipide ou révoltant. J'en ai compris le sens beaucoup plus tard. Il implique le vrai « anti-odipe », celui des fatalités déjouées. Il implique l'histoire, tronquée, évaporée ou engloutie par les thématiques chrétiennes, hindoues ou grecques. Et c'est pourquoi le dernier verset du dernier des prophètes, Malachie, semble impliquer cette promesse avant la grande rupture qui va déchirer l'histoire : « J'enverrai Elie le prophète, lui ramènera le cour des pères à leurs enfants et le cour des enfants à leurs pères.»
 
Mais cela n'est possible que si le couple, qui engendre, engendre dans l'amour. Que s'il reconnaît dans la complémentarité et le face à face la créativité même qui le porte et qui peut pénétrer la procréation sans jamais s'identifier à elle. L'amour du couple .. « est beaucoup plus que le couple » et « la constance des amants est l'espoir du monde. » .. tentative valable pour fonder une civilisation du couple. Mais cette civilisation du couple si elle est inscrite dans toute civilisation, dans toute nature, sauvage ou policée, dans le mythe grec de Philémon et Baucis, dans les mythes du miel décrits par Lévi-Strauss des sociétés dites primitives, ne trouve vraiment rassemblées ses conditions fondamentales et écartés ses antagonismes essentiels que dans la phénoménologie biblique. Là, Abraham peut monter et redescendre le Moriah avec son fils au lieu que Laios exile - et vainement- son fils Odipe, meurtrier malgré lui, selon les fatalités naturelles. Là, Isaac aime Rebecca son épouse et si elle est un instant contre lui ce n'est pas pour le châtrer ou le tuer comme dans la mythologie grecque mais pour redresser et diriger selon le projet de Dieu la bénédiction dont il dispose. Là le mari - Baal, contaminé dans sa racine par le maître ou le faux-dieu - devient « homme mien » - dans la promesse de l'avenir. . C'est sur le fond des contaminations naturelles et des accidents de l'histoire, les séquelles laissées dans la langue sacrée elle-même que tout à coup émerge une essence, celle du couple pacifié, sans rapport de sujétion ou de ségrégation, celui qui est condition et principe d'une pacification cosmique. Dans Osé suit immédiatement o verset : la promesse d'un pacte « avec les animaux, les oiseaux du ciel, de la terre ». Le pacte qui abolit et brise à jamais les instruments de la guerre : « Alors je me fiancerai à toi pour l'Eternité. » . P.103 . Ce qui établit la paix dans le monde est identique au lien mystique qui unit Dieu et l'homme, l'homme et la femme dans un rapport pacifié de fidélité et de vigilance quotidiennes. C'est ce pacte de double alliance qui ponctue le texte biblique et .. chaque prophète - j'ajouterai chaque être humain - vit dans son rapport conjugal, heureux ou déchiré, plénifié ou avili, un des aspects qui existe, à l'échelle symbolique, entre Dieu et sa créature. Dans le texte biblique, dépassant les folies mortelles de la nature, s'inscrit la folle espérance de la vie. Elle se fonde sur la restauration du couple, et l'Occident, à tous les niveaux, cherche et ne trouve pas. Car il a si bien camouflé sa ségrégation de la femme qu'actuellement, au mieux, il cherche à la restaurer dans sa génialité propre : « hors de la femme point de salut » . Mais pas plus qu'on ne peut .. restaurer l'image du « bon père » contre l'image de la mauvaise mère investie sur la société de consommation, on ne peut chercher le salut dans la restauration d'une image féminine sans l'image masculine, car leur unité est dans la rencontre et leur définition reste relationnelle dans son fondement même.
 
On peut alors tenter de situer l'interpellation consciente ou inconsciente des homosexuels - révolutionnaires ou non par rapport à l'image du juif.
.. ils pressentent que dans le mythe juif se trouve la « solution » à la fois désirée et refusée à leur tragédie fondamentale. Ce serait éluder beaucoup d'intermédiaires psychologiques et culturels .
.. il convient de souligner les quelques points contradictoires par lesquels les homosexuels se définissent en identification ou en opposition par apport aux juifs.
.. Coccioli, à travers toute son ouvre, plus spécifiquement dans « le Tourment de Dieu» qui raconte son « Exil » et son itinéraire vers les possibles restaurations des sources juives, qui est le plus près de la vérité. Mais vérité pour être vraiment saisie doit être cernée aussi là où elle se définit en s'éloignant d'elle-même, en se masquant derrière les contradictions.
 
a)L 'homosexuel se définit d'abord par identification au juif, minoritaire et persécuté. . « Au Moyen Age, on nous brûlait sur un bûcher entre un juif et une sorcière au nom de la charité chrétienne. » L'homosexuel croit pouvoir se ranger avec le juif contre la répression chrétienne.
b) On retrouve çà et là la confusion que nous avons signalée plus haut à propos du racisme. . l'homosexualité est raciste, naïvement, dans son principe : refus de l'autre. . P.105 .
 
Il n'y a à cette quête tâtonnante aucune référence cohérente, simplement l'intuition de quelque chose .. et les chocs contre la réalité, contre les murs obscurs de la réalité qui font que les papillons de nuit heurtent de leur corps, affolés, les parois auxquelles ils s'affrontent.
Quand ils s'identifient aux juifs les homosexuels ne tiennent pas compte des différences et d'une éthique qui en effet bannit la pratique homosexuelle. Le mythe juif n'est pas homosexuel . le mythe chrétien est un mythe ségrégatif. La vierge et la mère y sont glorifées, la femme en est absente. Les couvents sous prétexte de vie contemplative ont voué le long des siècles hommes et femmes à ne pas se rencontrer. . « Qu'elle soit enfouie, latente ou avouée, l'homosexualité est présente partout où les hommes se retrouvent entre hommes. » . leur mythe (aux juifs) - et leur projet - reste fondamentalement un mythe vital, un mythe constructif qui fonde sur le couple le salut du monde.
 
d). Il s'agit bien en effet de lutter pour la libération de la femme mais pas encore une fois, contre l'homme. Et que serait cette femme qui se déclarerait naïvement « contre la pénétration », avouant sa méconnaissance de la réalité positive de la sexualité une fois dégagée de ses caricatures ? . P.107 .
e). Isaac, gardien de son frère ? .. tentait de montrer le rôle, à travers la thématique biblique et à travers la réalité concrète de la femme juive restaurant virtuellement et effectivement la femme arabe dans ses droits .. Jean Bourdeillette .. : « dans ce domaine comme en d'autres Israël .. apporterait une révolution au monde arabe si les frontières étaient ouvertes » .
Rebecca, femme d'Isaac, elle dont le nom signifie « attelage », s'inscrivant avec son époux comme pilier de la prière, elle qui fait signe à la génération suivante à Mahalat, fille d'Ismaël et femme d'Esaü, inscrivant pour la première fois dans l'histoire le nom d'une femme de la lignée d'Ismaël. Mais la lignée glorieuse des femmes de la Bible n'a de sens que dans le « couple pur » qui consacre l'union absolue d'Isaac et Rebecca .. Les femmes pourront vivre dans un monde où les hommes cesseront d'avoir peur d'elles. Et eux-mêmes ne cesseront de s'entretuer que lorsqu'ils auront vaincu leur propre peur et celle de leurs compagnes.
 
La civilisation du couple implique celle de la paix cosmique et de la fraternité restaurée. L'énigme homosexuelle s'affronte à cette énigme non déchiffrée, mais elle existe cependant en tant qu'énigme spécifique.
Le non-avènement du couple s'est ébauché dès le premier rapport d'Adam et Eve, celui qui engendre Caïn. Le non-avènement de l'histoire s'inscrit dans le geste de Caïn. La créativité humaine implique que soient restituées au couple, c'est-à-dire à l'homme et à la femme, leur créativité propre et la possibilité du face à face. Mais peut-être cette vérité fondamentale exige-t-elle pour être accomplie que soit dégagé le sens de la réa1ité homosexuel1e qui semble l'accompagner, ombre menaçante et en même temps douloureuse. Le sens n'advient que par dépassement du sens. P.109
 
 
IV Sens de la phénoménologie homosexuelle
 
« Le mal doit, une fois né, rendre service. » Plotin
 
. que peut receler de positif ce « tourment de Dieu » qui semble coextensif du malheur absolu de l'homme : la séparation entre l'homme et la femme. .. nous partons du principe que tout tourment humain doit signifier quelque chose pour l'homme. » . Marcel Proust .. : « une erreur dissipée nous donne un sens de plus. »
. cerner le sens de l'énigme homosexuelle à l'extrême pointe de sa signification. Non pas dans le détail des « complexes » de leur histoire, .., non pas dans ce que .. elle (a) de massivement « contre l'Autre » dans sa recherche du « Même », non pas dans la thématique classique de l'Odipe grec et de ses conséquences ou de ce coup de tonnerre .. qui déchire l'histoire biblique au niveau de Sodome Gomorrhe, mais plus loin, au sommet le plus aigu de ses tentatives de dépassement et de leurs retombées. .. à un certain moment de son histoire l'homosexualité, s'arrime pour un bref instant à une thématique d'espérance, mais elle est, dès l'origine, cernée et attendue par le désespoir. Ce contre quoi elle lutte un instant demeure .. son origine et sa fin. 
 
. l'homosexuel .. est particulièrement visé par là mort. Concerné par elle. .rendre aux homosexuels le goût de vivre .L'homosexuel perd-il le goût de vivre en raison de la répression sociale ou est-il homosexuel parce qu'il a perdu ou n'a pas conquis le goût de vivre ? . En matière clinique, un de mes seuls patients homosexuels qui soit « guéri » à cent pour cent se présentait de telle sorte que le problème homosexuel n'a presque jamais été abordé de front. C'était un suicidaire récidiviste . L'analyse a surtout porté sur son rapport avec la mort et l'homosexualité s'est trouvée un jour dépassée sans qu'il y ait eu à la mettre en question directement. Le schème est, dans d'autres cas, très difficile à mettre en évidence car le ou la malade, avec des phantasmes de paternité ou de maternité violemment désirés dans l'impossible ou non moins violemment refusés, a fait avec l'homosexualité une sorte de compromis face à la mort. Ce n'est que là qu'il se sent vivre et il est parfois terriblement anxiogène pour lui d'envisager que cette « vie» masque le refus de vivre. Ies femmes, avec des exceptions l'admettent plus facilement que les hommes, mais ceci n'est que l'expression d'un facteur plus général qui vient de ce que, dans me civilisation virilocentrique, elles acceptent plus facilement que les hommes de se mettre en cause. . P.113 . Dans un couple, il est fréquent que la femme se fasse soigner alors que c'est l'homme qui est le plus perturbé . Daniel Guérin .. (a) montré chez Fourier et Proudhon une très grande complaisance à l'amour grec
a) Chez Proudhon c'est d'autant plus frappant que cette complaisance est violemment masquée sous la réprobation. .
. dénonce les causalités odipiennes trop ressassées. . Proudhon dit qu'il souhaiterait aimer une femme autant qu'il a aimé sa mère. Souhait qui par définition, court-circuite sa réalisation.
. le mépris de la femme est sous-jacent à toute l'ouvre : glorification de l'amitié masculine « Tout homme a des secrets qu'il confie à un ami et qu'il ne dit pas à sa femme » . l'ami qui se marie est, contrairement à ce qu'il avait cru, perdu pour lui. 
 
En toile de fond toujours, donc, le « virilocentrisme », une approche de la femme hésitante et apeurée avec des idéalisations massives qui ne font que mettre l'objet à distance. Dans la réalité, c'est le simple mépris quotidien . façon dont le terrorisme anti-sexuel (hétérosexuel) est lié chez Proudhon à l'homosexualité. .. la réciproque devrait être vraie : une fois rétabli le lien entre l'homme et la femme, une fois levé l'interdit sur les droits de la femme à exister avec l'homme, l'homosexualité devrait tomber ipso facto. Du moins dans la logique du processus. .
 
 b ) Chez Fourier . est mis en lumière le schéma que nous avons dénoncé à propos du Banquet de Platon : l'amour entre hommes est une « perfection morale » et l'amitié ou « affection unisexuelle » est privilégiée dans la cité d'harmonie. . P.115
 
. par hasard, Fourier et Proudhon dont il vient d'analyser les composantes homosexuelles ont prôné purement et simplement l'extermination du peuple juif. Où est la racine du racisme ? .
 
. l'homosexualité étant le reflet d'une certaine peur de vivre. Un compromis avec une certaine incapacité à vivre ; .
 
. une série d'impasses dont pourtant le fil conducteur se trouve quelque part. .. détecter çà et là les malentendus autour du « semblable » - narcissisme, refus de l'autre, etc. - pour tenter cependant de faire émerger de ces malentendus un sens qui restaure à l'infini le « visage de l'autre », mais après des circuits qui passent par la mort.
 
.. Marie-Aimée et Jean Guilhot « L'Equilibre du couple » . « .. la signification prophétique de l'homosexualité. Elle annonce la fin de la rivalité féroce qui dresse mâles contre mâles dans des combats dont la cruauté apparaît comme une fatalité inexorable » .. le plus souvent le couple homosexuel était placé sous le signe de l'éphémère et de l'instable, leur propos et le terme de « valeur prophétique » P.117 m'amenèrent .. à réfléchir. Cela me paraissait au départ « cher payé ». Mais l'humanité ne surpaie-t-elle pas toujours ce qui advient à travers elle ? . chez les singes, .., attitude de soumission homosexuelle de jeunes singes lorsqu'il s'agit de désarmer les vieux mâles de la tribu. .. souvent lorsqu'il y a, justement, rivalité autour d'une femelle. Cette fraternité recouvrée par ces voies ne me paraissait guère acceptable telle quelle. Trop liée à ce dont elle prétend émerger. . l'agressivité entre femmes qui se « crêpent le chignon » peut avoir exactement les mêmes circuits. Zola, . montre à la première génération dans l'Assommoir, une terrible bagarre de femmes, dans Nana, à la seconde génération, la complicité homosexuelle contre l'homme. Il resterait à trier ici les tentatives de fraternisation des instincts de mort et de meurtre dont elles semblent mal se dégager. . à propos de Fourier, l'amour unisexuel, saphisme ou homosexualité masculine, est présenté comme une « utile transition » entre l'amitié et l'amour. Une combinaison des deux. Encore une fois, les périls du détour nous paraissaient difficiles à assumer, l'économie du processus au niveau clinique s'avérant presque toujours ruineuse. . cette attitude des hommes en « phallocratie », voyeurisme d'une part et respect intimidé pour celles qui ont réussi à échapper à leur loi. Tout cela est loin d'être une voie droite pour une véritable émancipation de la femme et de l'homme.
 
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En fait, il est certain que si la composante fondamentale de l'amour soit(est) d'accepter l'Autre dans sa différence et même dans sa simple altérité, il y a aussi une difficulté à accepter l'Autre comme semblable. La première difficulté engendre la guerre des sexes, la non-acceptation et la non-reconnaissance de l'Autre dans l'acte d'amour lui-même .. P.119 .. -c'est ainsi, dans la non-reconnaissance d'Adam par Eve- que fut engendré Caïn. La seconde difficulté engendre le fratricide lui-même. En ce sens l' « homophilie », pas forcément sexuée, serait en effet le germe d'une fraternité recouvrée, germe enseveli dans 1'homophilie sexualisée sous les sables massifs du refus de l'Autre. En bref, l'acceptation du semblable pourrait être masquée mais vivante sous le refus de l'Autre. Le moyen terme étant le narcissisme qui rend les deux pôles ambigus. . Freud et Jung .. « tendances » homosexuelles existent chez tout le monde. C'est sur ce terme de « tendance homosexuelle » que se greffent tous les malentendus. Tous les degrés existent. Depuis la vraie tendance homosexuelle refoulée .. jusqu'à l'homophilie ou simple homoaffectivité qui existe dans toute amitié entre hommes, entre femmes et même entre hommes et femmes, recherche d'une résonance, d'une similitude, d'un langage commun à partir duquel on puisse progresser. A ne pas distinguer la « tendance homosexuelle refoulée » et la simple aptitude à reconnaître le « semblable », on noie le poisson et on rend inaccessible le vrai problème de la différence. . Le Dr Lacan, sans vraiment recoder les deux langages, soulignait toutefois qu'il s'agissait, comme pour toute tendance, de confronter le sujet à la reconnaissance d'une signification. En ce sens la technique est « toujours contre l'homme » . Deleuze et Guattari .. « tout ensemble molaire unifié et identifié » laisse échapper le sens qui s'inscrit dans des fonctions ou des objets partiels et leur échappe toujours. Peut-être tant qu'homophilie et homosexualité restent contaminées l'une par l'autre dans la charge massive et concrète des faits, demeure masquée la signification qui s'ébauche dans ce qui peut-être, profondément, les opposent dans la dialectique du Même et de l'Autre avec, comme articulation secrète, le narcissisme et la mort. . montrer à travers un thème biblique .. à la fois le sens de « 1'homophilie » - par rapport au semblable - et le risque interne qu'elle court dès que, développant le germe narcissique, elle s'inscrit comme homosexualité, contre l'autre. Dialectique secrète du proche et du lointain qui porte très loin au sein de nitre psyché au niveau même des instincts de vie et des instincts de mort. . P.121 .
 
. texte de Samuel .
 
En contrepoint donc des deux épisodes, celui de l'amour connu comme valeur (Abigaïl), celui de l'amour fondateur de valeur (Bethsabée), dans un corps à corps absolu avec le mal lui-même, David qui réalise, selon la tradition mystique, la « Midah » ou mesure de la royauté, de l'emprise sur le monde, se trouve confronté - et le nom d'Ahinoam semble en témoigner (=les délices de mon frère) - avec le double problème que lui posent Saül, son beau-père et son roi, et Jonathan, fils de Saül lui-même, frère de sa première femme Mikhal.
... Saül, ceci saute aux yeux, est quelque peu affligé de ce qu'on pourrait appeler « complexe de Caïn ». II est obsédé par le désir de tuer David son rival en puissance. . En progrès sur Abel qui P.123 ne prononce pas une parole dans le récit biblique, il tente de fléchir et de convaincre Saül. Il n'éprouve pas de haine envers lui mais ne parvient pas à le désarmer. On se trouve devant une première instance mythique .. celle de la rivalité meurtrière et du fratricide en puissance.
 
Or, quel est le rôle joué par Jonathan ? Il essaie de déjouer les projets meurtriers de son père et de sauver David. .. il joue le rôle que David a défini devant Abigaïl comme étant celui - providentiel - de la femme, mais le texte biblique souligne bien qu'il s'éprend de David. . s'en vient à aimer David .. Kenafcho, c'est-à-dire mot à mot comme sa propre âme.
. remarques.
 
a) Le mot nefesch, âme, ne désigne pas le plus haut niveau de la spiritualité (=Neshamah). Nefesch signifie le siège des affections, de la pensée, parfois le désir, parfois le corps lui-même et même le cadavre. En gros, il signifie surtout le principe vital. Jonathan se met donc à aimer David comme son propre principe vital - ce qui est une définition plus ou moins narcissique et « homophile ».
b) On pourrait objecter que le Lévitique commande : « Aime ton prochain comme toi-même » mais aucun des termes n'a la même valeur . « Veahabeta lereecha kemocha », à part l'amour, se situe de façon toute différente
1) . le prochain est ici en fait le lointain. Aime ton lointain comme toi-même. Celui qui est différent de toi. Il se fonde sur la racine reich, .. qui signifie diviser. Il s'agit de celui qui est séparé de toi. L'ami (mêmes lettres), qui est ainsi impliqué, est à distance. Certains prétendent .. que c'est le mal lui-même (Râ) qui est impliqué dans cette division et dans cette restauration.
2). Mon prochain c'est celui lui m'excepte, celui qui n'est pas moi.
3)Si je dois 1'aimer comme moi-même, c'est dit dans le texte de façon tout à fait globale (Kemocha), non pas comme mon « âme » ou mon principe « vital » mais dans une sorte de reconnaissance absolue de son équivalence comme sujet par rapport à ma propre existence de sujet, c'est, sans aucune complaisance narcissique, une reconnaissance absolue du « lointain », ou d'« Autrui » comme exigence d'amour.
4)Le Midrasch dit .. : qui est-ce prochain, ce lointain, de qui s'agit-i1, outre toutes les relations au frère, à l'étranger, etc. ? « C'est ta femme », cet autre absolument semblable et absolument lointain séparé et uni par toute l'épaisseur du système cosmique.
 
Aussi, lorsqu'il est dit que Jonathan s'éprend de David « Kenafcho », on est bien, par un glissement imperceptible, à côté du principe ouvert du Lévitique et en subtile opposition avec P.125 lui. Le cercle se referme furtivement, l'amour d'autrui étant narcissiquement bien qu'oblativement enfermé dans l'amour de soi. Cet amour de soi était aussi impliqué dans le commandement du Lévitique : Aime ton prochain comme toi-même, mais ce prochain, lointain, différent, implique l'acceptation vitale de soi - on sait que le narcissisme est également et dialectiquement lié aux instincts de vie comme aux instincts de mort. Affaire de qualité et de dosage. Dans le Lévitique est impliqué une dialectique de vie. Le « Kenafcho » de Jonathan l'enferme dans une dialectique de mort. Nous verrons cependant que ce n'est pas si simple et que cette dialectique de mort s'engrène à une autre que, par le sacrifice, elle essaie de compenser.
 
. Saül ne participe à cette thématique homosexuelle que par le lien massif à la guerre, aux guerriers, à la rivalité agressive et nullement par « homophilie ».
 
Tout naît, en effet, de l'invraisemblable impact de haine non surmontée et non assumée qui saisit tout à coup Saül envers David qui sera son gendre et son serviteur. .pris dans un réseau de significations qui l'acculent à sa perte.
a)      Il est en rivalité avec son fils Jonathan, c'est-à-dire .. qu'il sort des grâces du thème abrahmique pour rentrer dans les fatalités odipiennes du mythe grec .
b)      Saül est subtilement pris dans la thématique homosexuelle. Sa femme porte le même nom, Ahinoam ( « délices de mon frère » ), que la femme que David épousera en même temps qu'Abigaïl .
c)      Le prophète Samuel est stupéfait, affligé, dépassé par les événements lorsqu'ayant oint Saül sur l'ordre de Dieu il le voit petit à petit s'aliéner à des conduites diverses . C'est un ensemble de forces maléfiques qui semblent cerner Saül de toutes parts. . P.127
 
L'implacable cours de la justice divine se fait jour peu à peu, sans cesse justifiée par la faiblesse de Saül. .
 
. La triple trame de cette histoire.. : l'aliénation de Saül à la haine fratricide (On pourrait dire que David n'est pas le frère de Saül. II sera son gendre. Cependant on sait depuis le mythe grec que toutes ces affaires de meurtre sont prises dans une même structure : Laïos a tué son beau-père. Il exile son fils Odipe et sera tué par lui. Les fils d'Odipe, Etéocle et Polynice sont affrontés en une haine sans merci. Il s'agit toujours du même syndrome. Celui de la rivalité, facteur commun ou dénominateur commun de tous ces mythes aux fatalités mortelles.), l'aliénation de Jonathan d'une part aussi en rivalité avec son père dans le même registre, d'autre part essayant de trouver un palliatif dans son amour pour David au projet meurtrier de son père. Enfin, troisième facteur l'émergence de David que l'on peut, .. , qualifier de naïve. Il semble porté par quelque chose qui le dépasse et ne s'étonne de rien. . . Jonathan se met à aimer David « comme sa propre âme ». . Suit ce qu'on pourrait considérer comme un acte de soumission homosexuelle ou au moins comme l'acte du féal serviteur envers son suzerain : il est écrit que Jonathan « se dépouilla du manteau qu'il portait et le donna à David ainsi que son costume et jusqu'à son épée, son arc et sa ceinture» . David lui n'a aucune réaction mentionnée .. Tout se passe comme si la haine de Saül et l'amour de Jonathan concouraient à sa propre émergence dans un projet qui le dépasse et qu'il ne s'avisait de rien. ..
. le mauvais esprit s'empare à nouveau de Saül. . Ce mauvais esprit est « envoyé par Dieu.» (Cela rappelle le paragraphe de l'Exode où il est dit que Dieu endurcit le cour de pharaon mais c'est après le passage où il est dit que le Pharaon endurcit son cour. Même schéma : celui qui se dérobe au projet de Dieu et passe un certain point de non-retour se voit implacablement enfoncé plus avant par Dieu même dans la voie de sa perdition. Le repentir est toujours possible ; il est seulement de plus en plus difficile.) . P.131
. Saül lui donne pour épouse sa fille Mikhal mais sa haine s'affermit . donne à Jonathan et à ses serviteurs de faire mourir David. Mais il est ici répété que Jonathan aime beaucoup David (beaucoup : méod), et pour désigner son amitié il est dit, terme peu usité « Hafetz ». Le dictionnaire donne à ce mot pris ici adjectivement le sens de « désireux, désirant, voulant, porté à, enclin à ». Il désigne bien l'inclination. Quant à la racine du verbe, elle est plus imagée encore : « vouloir, désirer, aimer, souhaiter, se plaire à, se raidir, remuer, etc. ». C'est un consentement à l'inclination. On le trouve dans le Cantique dans le célèbre passage « ne réveillez pas l'amour avant qu'il ne le veuille » (ad chetehepatz), Il s'agit bien d'une tension, d'une inclination ou d'un consentement à l'amour. . épisode .. assez bouleversant : Tous les émissaires que Saül envoie vers le lieu où se trouvent David et Samuel sont saisis de l'esprit de prophétie jusqu'au moment où il y va lui-même et à ce moment-là lui aussi est saisi de l'esprit de Dieu et prophétise à son tour. II semble que ceci nous renvoie à la trame archaïque du « complexe de Caïn » à qui Dieu avait dit .. : le mal guette à ta porte mais toi tu peux le dominer. Caïn ne domine pas le mal. Il n'est pas mûr pour cela. Dans la lutte de Saül, on voit les émergences et les retombées d'une âme en train de déchoir, ta tôt soumise par Dieu à des tensions supplémentaires et tantôt habitée par l'esprit de Dieu. Etrange aussi la confiance que Jonathan porte à son père .. Est-il comme protégé par le « transfert » homicide de son père sur David ? .. cette haine que porte Saül à David, David ne peut plus l'ignorer. Il s'en ouvre à Jonathan . « Mon père ne fait rien ni grande ni petite chose sans me l'avoir fait connaître ». Ceci amène David à une demi-prise de conscience du sentiment que Jonathan lui porte : la formule est courante dans l'hébreu . : j'ai trouvé grâce à tes yeux, .. t'ai plu, ou tu as de l'amitié pour moi. . David fait très expressément appel à l'appui de Jonathan : « Par le Dieu vivant et ta propre âme vivante . il n'y a qu'un pas entre moi et la mort » Jonathan se soumet immédiatement : « Que veux-tu donc que je fasse pour toi ? » David lui dicte une certaine stratégie et J'adjure : « Tu agiras amicalement envers ton serviteur » . mais surtout il précise une certaine dimension de hauteur de leur amitié « c'est dans une alliance divine que tu as fait entrer (ton serviteur) avec toi. » Accident de la vocalisation qui n'est pas exceptionnel mais tombe ici à propos, il est dit Ymach, avec toi au féminin et non Ymecha P.133 comme il serait logique. David enchaîne « si je suis en faute fais-moi mourir toi-même, pourquoi m'amènerais-tu à ton père ? » Jonathan proteste de sa loyauté . on sent que la mort plane à la moindre défaillance. Le pacte est tenu mais la mort semble intérieure au pacte lui-même. Si le pacte n'est pas tenu, David sera tué par Saül, mais Jonathan sent qu'il est lui-même menacé à l'intérieur du pacte. Il prie David : « Et puisses-tu tant que je vivrai, puisses-tu m'être bienveillant au nom du Seigneur pour que je ne meure point, ne retire jamais ta bienveillance à ma maison, pas même quand le Seigneur aura fait disparaître de la terre tous les ennemis de David. » .
La stratégie est mise en place et Saül n'est pas dupe. II s'enflamme de colère envers Jonathan . Jonathan se rend à l'évidence, son père a bien résolu la mort de David, ce que jusque là il ne pouvait croire. Il quitte la table de son père et le lendemain rejoint David. Ils s'embrassent et pleurent ensemble. . comme si le rôle salvateur qu'il avait joué le ramenait dans une perspective de vie alors que planait la mort, tandis que David pleure sur une énigme qui ne l'a pas vraiment atteint, dit à David : « Va en paix. Nous avons fait un pacte au nom de l'Eternel en disant : Que Dieu soit entre toi et moi, entre ta postérité et la mienne à tout jamais ». Il semble ici que l'homosexualité ou l'homophilie ait rempli son rôle et soit pour ainsi dire résorbée dans l'histoire : Elle a joué son rôle « fraternel » contre la tendance fratricide de Saül. Tout pourrait s'arrêter là. Mais il n'en est pas ainsi. Une symbolique implacable continue à creuser le roc de l'histoire, à se frayer des chemins douloureux dans des âmes menacées. . P.135 .
Saül est le lieu du conflit entre une force implacable qui ne le laisse plus en paix et la chance toujours ouverte d'un repentir qu'il saisit par instants pour s'y soustraire aussitôt. . David est porté, poussé, assailli par des forces qui le dépassent et affrontent son âme royale pour un destin royal. (La tradition fait de David l'entité même de la royauté.)
. royauté intrinsèque de David. .
 
Etrangement la rivalité ( odipienne ?) que David surmonte à l'égard de Saül, il la transfère insidieusement sur d'autres hommes par l'intermédiaire d'une femne. Ce n'est pas encore le meurtre d'Urie et l'amour pour Bethsabée, si fort qu'il transformera le cours de l'histoire. Mais c'est l'affrontement avec Nabal . P.137 . Abigaïl . apparaît à David dans toute sa stature de femme ( Le nom d'Abigail signifie la joie de mon père ou par un curieux renversement de sens, sa tristesse. Le mot gil (guimel, yod, lamed) a les deux sens opposés. C'est dans la tension des contraires une sorte de révélation. .) . On peut noter l'extrême dignité d'Abigaïl mais aussi l'aspect fatal de toute l'affaire - ou prophétique dans son aspect de schème intermédiaire entre le lien avec Jonathan et le lien avec Bethsabée. Ecoutant les paroles de sa femme « Nabal sentit son cour défaillir et devint comme une pierre. Environ dix jours après, Nabal frappé d'un coup du ciel expirait ». David ne l'a pas tué. Abigaïl ne l'a pas tué, mais il ne peut « tenir » devant une rencontre qui le dépasse. . David .. envoie ses serviteurs demander à Abigail d'être sa femme. Elle consent. Prête à « laver comme une esclave les pieds des serviteurs » de son naître. C'est trop peut-être pour la stature d'une épouse biblique. C'est pourquoi sans doute suit le verset où il est dit que David l'épouse, mais avait épousé également Ahinoam ( les délices de mon frère) tandis que Saül avait donné Mikhal sa fille, à Palti . P.139 .
 
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l'emergence de son entité véritable, de sa royauté fondamentale. Mais tout s'ouvre sur la nouvelle que reçoit David de la mort de Saül et de son fils Jonathan .
L'élégie que compose David, le psalmiste, sur la mort de Saül et Jonathan constitue un point extrêmement important . :
a) Cette élégie est expressément composée sur Saül et Jonathan. Celui qui a sans cesse voulu faire mourir David et celui qui s'est acharné à le sauver ont connu P.141 une même mort et sont unis dans la même oraison funèbre qui ne laisse voir aucune différence ou tout au moins aucune opposition dans ce que fut leur vie . « Saül et Jonathan chéris et aimables durant leur vie n'ont pas été séparés par la mort, plus prompts que les aigles, plus courageux que les lions. »
b)En contrepoint, comme le martèlement sourd d'une référence oubliée, plusieurs allusions aux femmes. .
c)Et puis ce cri, l'instant aigu et déchirant, où seulement après la mort de Jonathan, David peut prendre quelque conscience de la signification ambiguë du lien qui les liait : « Jonathan mon frère, ta perte m'accable, tu m'étais si cher. Ton amour m'était plus précieux que l'amour des femmes. » (La traduction du rabbinat traduit pudiquement par affection. L'hébreu dit bien ahavah, amour.) C'est tout. La vague « homophile » a englouti Jonathan et a porté David jusqu'à ce cri. .
 
. cohérence organique du thème ; comme dans un organisme vivant rien ne vient au hasard, tout thème est fonctionnel et trouve à s'engrener dans une signification d'ensemble. Même lorsque le niveau de l'interprétation diffère, si l'interprétation est juste, elle s'engrène à une autre. André Neher par exemple interprète l'amour de Jonathan pour David comme suivant le silence respectueux de David lorsque Saül feint de ne pas le reconnaître ou est aveuglé par sa folie. C'est exact. Et il est très profondément vrai que Jonathan est reconnaissant à David de ne pas entrer dans le jeu du parricide - infanticide-fratricide, de quelque nom qu'on l'appelle, lui qui a déjà été menacé par Saül et s'est abstenu de toute vengeance. II n'en est pas moins vrai que son rôle de barrage contre le fratricide l'amène à un amour « fraternel » qui dépasse son but dans la mesure où il s'avère « homophile » et l'engage d'emblée sur le chemin de la mort. L'histoire de Jonathan double celle de Saül, en vérifie l'échec et, en même temps, le compense et l'aggrave. Jonathan s'est opposé valablement au projet de Saül qui contrait le projet divin, mais il y a donné toutes ses forces dans un amour ruineux parce que mal défini au niveau de son principe. . Le feu qui couve en Saül est un « feu divin » sans aucune possibilité de le relier à Dieu. « Il meurt à la limite de la personne de Saül et il s'éteint dans les espaces et les temps qu'il n'arrive pas à franchir. » A. N. pense cependant que Jonathan ignore le mal et incarne la pureté absolue », qu' « il aime d'un « amour naturel » son père dont il est le compagnon d'armes, le conseiller, le fils préféré. » Que « d'un amour entier il aime P.143 David et qu'« il sait concilier ces deux amours. » .. deux remarques :
a) ce « fils préféré» a été en fait menacé de mort par Saül. Le contrepoint du parricide-fratricide est dans la trame la plus intime du récit ;
b)innocent, Jonathan l'est sans doute. Victime d'un amour qui trouve en même temps sa fonction mais qui, passant la subtile frontière de l'instinct de mort, le voue ipso facto à la même mort que Saül. Lui, ses frères, son père meurent sur le même champ de bataille. Ils incarnent les deux faces d'un même affrontement.
 
. toute la descendance de Saül est perdue . présence de Méphiboshet, fils de Jonathan, « bancal, paralytique et pareil à un bien mort.» .
 
1)Saül apparaît un peu comme un instrument brisé par la force qui l'habite. Dieu semble n'avoir pas mesuré les capacités réelles de celui qu'il a élu. En termes bergsoniens, on pourrait dire que l'élan vital brise parfois l'instrument qu'il soulève et court le risque d'être obscurci et freiné par ses retombées. Il semble que tout être qui s'est trouvé confronté à quelque exigence vécue comme transcendante .. soit mystique ou poète, prophète ou artiste, ait connu de l'intérieur cette tragédie de Saül qui est celle de sa propre précarité face à l'exigence absolue qui le traverse.
 
2)La descendance de Saül a en effet un étrange destin. A. N. signale la mort de ses sept fils . une pitoyable figure, un dernier fils de Saül .. apparaît près sa mort et sera le rival vaincu de David : Ischboshet, c'est-à-dire « l'homme de la honte » (Le mot Boshet, bousha, remplace souvent le mot baa1 dans de telles expressions .. : on passe de Isch Baal, l'idolâtre, à Isch Boshet, l'homme qui s'est couvert de honte.)
 
3)Mais il y a pire . A. N. souligne combien est totale la perte, la rupture qui s'attache au nom de Saül : « Aucun prophète ne le mentionne plus tard si ce n'est Osée . » Pourtant .. il rappelle que le Midrasch sauve Saül au niveau de la légende, le réincarnant dans le personnage de Mardochée, du Livre d'Esther. Pour Jonathan, aucune récupération possible. Il s'agit d'une perte absolue.
4)Pourtant Jonathan a un fils, ce fils boiteux dont il a déjà été fait mention. Ce fils constitue dans sa misère intrinsèque tout un programme. David, fidèle à la promesse qu'il a faite devant Dieu à Jonathan d'épargner sa descendance, l'invite à la table royale dès qu'il a connaissance de son existence et épargne sa vie lors de la liquidation de la descendance de Saül (Alors que .. dans une première perspective David devait préserver la descendance de Saül.)
Mais .. étrange .. personnage que ce boiteux et .. les significations dont il est porteur
 
a)      Le nom de Méphibosbet signifie « venu de la bouche de la honte » ou de l'orifice de la honte. Pi ou phi signifiant la bouche ou l'orifice. Boshet ou bouchah, comme nous l'avons vu, la honte ( A noter que l'anus est désigné comme Pi hatabat ou orifice de la bague, de l'anneau. La racine Tet, Beith. Ayin désignant du reste aussi la nature, l'immersion, etc.) .. Saül avait expressément parlé de honte en désignant le lien qui unissait Jonathan à David. Le malheureux Méphiboshet est un être brisé dans son principe. II aura un fils cependant, Mikba, qui signifie justement rompu. 
b)      Méphiboshet est devenu boiteux parce que sa nourrice, en fuyant lorsque fut annoncée la mort de Jonathan et que l'enfant avait cinq ans, l'avait laissé tomber. Il n'est jamais fait mention du nom de sa P.145 mère ni du nom de sa femme. ..
 
Il se fait une émergence de David dans son face à face avec les femmes qui doit le mener à l'amour entier, décisif, pour Bethsabée par où passera l'enfant de la promesse, tandis que la semence de Jonathan est ensevelie dans des êtres brisés.
. la forteresse de Sion, cité de David. Il est dit que : « Ni aveugles ni boiteux ne doivent y entrer. » . vie de la descendance de David, émergence de son essence royale et de son rapport à la femme, élimination de la descendance de Jonathan dans son rapport aveugle à la femme. . En fait l'aveugle ne désigne pas Jonathan mais bien Saül . Saül est l'homme qui n'a pas vu ni reconnu David, frappé dans sa fureur, de cécité psychique comme il s'est dès le début aveuglé sur le projet le Dieu. Ni l'aveugle ni le boiteux n'entreront dans la cité de David, ni la descendance de Saül, anéantie, ni celle de Jonathan, brisée, mutilée, perdue .. Dans le tumulte, l'aveuglement, le faux pas qui sont les scories, les sacrifices, le prix payé à l'histoire, émerge, lentement mais sûrement, l'entité historique et transhistorique de David.
 
. si l'on réfère ce passage à celui du Livre de la Genèse où les habitants de Sodome qui veulent faire violence aux hôtes de Loth, puis à Loth lui-même .. « Et les nommes qui assiégeaient l'entrée de la maison (furent frappés) de cécité, petits et grands, et se fatiguèrent de chercher l'entrée. » C'est sur ce passage que se fondent les accusations contre les habitants de Sodome et que s'inscrit la ligne de clivage. . même schéma : n'entrent pas dans la maison ceux qui ont aveuglés. L'émergence d'Abraham et Loth se fait sur le contrepoint d'une terrible destruction. Il en sera de même de l'émergence de David. . P.147 .
« . Je n'ai accordé qu'à toi la sécurité à l'égard de tous tes ennemis. L'Eternel ( c'est le prophète Nathan qui parle.) t'a annoncé ..quand tes jours seront accomplis .. j'établirai à ta place ta progéniture. Celui qui doit naître de toi. Et j'affermirai son empire. C'est lui qui édifiera un temple en mon honneur et j'assurerai à jamais le trône de sa royauté. Je lui serai un père et lui me sera un fils, à tel point que s'il vient à forfaire je ne le châtierai qu'à la façon des hommes et par des plaies tout humaines. . »
Il faut ici noter quelques points essentiels :
a)      Le Seigneur reconnaît que l'épreuve de Saül était une épreuve plus qu'humaine. Dépossédé par Dieu dont il ne pouvait soutenir l'exigence, Saül est un de ces types humain aux limites de l'échec absolu.
b)      Pourtant, il engendre Jonathan qui par sa perte même doit servir David et le projet de Dieu.
c)       « Je lui serai un père et lui me sera un fils. » Etrange affirmation du lien essentiel entre le père et le fils dans tout un texte où ce lien est justement aliéné et où le meurtre plane. Du moins de Saül envers Jonathan et David. .
d)     L'enfant en projet est évidemment Salomon. II est assez bouleversant de penser que ce ne sont pas ici les voies du Seigneur qui sont impénétrables mais bien celles de sa créature. David va émerger dans son essence virile et humaine jusqu'à son amour pour Bethsabée. Amour qui va passer par le meurtre et l'adultère, par la colère de Dieu, par la mort du premier-né pour aboutir enfin, à travers les larmes, le jeûne, la pénitence, les Psaumes, la naissance de Salomon dont il est dit .. « Et l'Eternel l'aima.» Mais quelle tempête .. jusqu'à ce qu'à travers les chemins tortueux de l'homme, le crime, la transgression, l'amour redresse la voie et qu'émerge un projet que Dieu puisse reconnaître comme conforme à son propre projet !
 
Et quel itinéraire que celui du fils de Jessé, jeune pasteur menant ses troupeaux, choisi à l'exclusion de tous ses frères, confronté à tant de femme ; jusqu'à ce que l'une d'elles prenne le visage de l'amour et engendre le projet de Dieu contre l'ordre de Dieu lui-même. Quel itinéraire que celui de l'homme qui a été protégé du fratricide non seulement par sa femme Mikhal - qu'il n'a jamais oubliée - mais par cette fraternité homophile de Jonathan qui tout en remplissant son rôle jusqu'au bout s'est, dès son principe, réengloutie dans les abîmes d'une paradoxale oblativité narcissique, du sacrifice absolu et de la mort !
 
. le paradoxe .. et le sens qui se cherche à travers les impasses de l'histoire. Après la malédiction sur Sodome et Gomorrhe, leurs violences, la blessure de sel et de soufre qui demeure comme un signe sur le sol lui-même .. après les interdits sans appel du Pentateuque concernant l'homosexualité masculine, après une histoire .. où l'homosexualité apparaît comme le seul interdit qui ne souffre aucune exception sauf celle, inactualisée, déchirante et mortelle, de l'amour de Jonathan pour David, comment peut-on chercher une justification sens, à ce qui P.149 apparaît comme l'impasse de l'histoire .
 
a).. le véritable péché originel commence non pas à Adam et Eve mais au meurtre d'Abel par Caïn. Si, dès le premier récit biblique, l'homme est promis à la mort, personne ne meurt avant le geste de Caïn et la mort est introduite de main d'homme. .. le détail du texte, la jalousie de Caïn, l'avertissement de Dieu, l'écrasement d'Abel dont on perçoit la nature à travers l'offrande faite avec amour mais qui ne prononce pas un seul mot à travers le récit biblique. Le mal originel, le mal absolu, c'est la rivalité et le fratricide. Disons la rivalité comme facteur commun de l'Odipe, sur lequel l'accent sera mis dans d'autres thématiques, et du fratricide qui du reste, dans ces mêmes thématiques lui est étroitement lié. Il s'agit donc du refus de l'autre vécu comme atteinte narcissique à « ma » propre existence et comme rival en puissance. Ce refus pourtant est inscrit, d'après la tradition, dans le non-avènement du couple primitif au moment où Caïn est conçu. C'est toujours du non accomplissement de l'amour entre l'homme et la femme que naissent les rivalités quels que soient les mythes où elles s'inscrivent, du thème grec au thème biblique.
 
b).. la civilisation de Sodome est présentée comme un syndrome du refus de l'autre (manque d'hospitalité, de générosité, etc.), l'homosexualité ne constituant qu'un symptôme du syndrome général. C'est me civilisation de sujétion, chacun n'étant pour l'autre qu'occasion de s'affirmer en soumettant et en exploitant. L'homosexualité y apparaît, .. comme refus de l' autre dans sa différence- élimination de la femme dans sa vraie dimension - et aussi comme un aspect de ce refus de fraternité .
 
c).. homosexualité mise à part, la tentation du fratricide jalonne le récit biblique. Isaac et Ismaël, Jacob et Esaü, Joseph et ses frères. A chaque niveau semble apparaître une émergence nouvelle : Ismaël est renvoyé au désert parcqu'il a ricané le jour de la circoncision d'Isaac. Pas de meurtre ébauché ; les deux frères se retrouvent .. le jour de l'enterrement de leur père Abraham. Esaü a projeté la mort de Jacob .. Jacob connaissant ses projets meurtriers va au-devant de lui pour une réconciliation. Joseph plus tard vendu par ses frères qui ont failli le tuer, jaloux de ses dons et de la préférence paternelle, prépare depuis l'Egypte une réconciliation solennelle.
C'est dire que, tout le long de l'histoire, fraternité et fratricide jouent dans l'âme de l'homme un jeu terrible dont la femme est absente. Ce n'est jamais en effet, dans ces épisodes archaïques, pour une femme que les frères s'entre-tuent ou risquent de le faire. Il est assez étonnant de voir que le meurtre pour une femme -celui d'Urie par David - si grave qu'il ait été : l'histoire a failli s'y engloutir , semble pouvoir être pardonné, non seulement en raison du repentir de David mais parce qu'un sens s'y cherche, qu'un visage enfin y apparaît, celui de la femme.
 
d)Mais ceci ne survient qu'après le terrible épisode de Jonathan. Là, au sein même de la rivalité fratricide qui oppose Saül à David .. son rival d'avance victorieux, au sein même de cette dialectique du refus de l'autre dans le semblable lui-même - on remarquera que les amours de Saül font très peu de bruit - Jonathan semble dans son homophilie une sorte de remède homéopathique. Il soigne le mal par le mal. Aimant David comme son propre principe vital, il s'exclut des voies de l'histoire, mais son oblativité poussée à l'extrême annule le projet meurtrier de son père. Il semble .. que tout se passe comme si les choses étant ce qu'elles sont depuis l'origine du monde, le mal « une fois né rendre service ». Dans l'âme pure de Jonathan, la souffrance homosexuelle, P.151 l'impossible amour, le sacrifice absolu, entrent en balance avec le meurtre absolu, tout aussi homosexuel .. de Saül poursuivant le jeune guerrier victorieux. Ce n'est pas une exception à la règle de mort, c'est une mobilisation de toutes les forces de vie prêtes à se servir implacablement de la règle de mort sans la dévier de son inévitable résultat. ..on comprend mieux à travers cette thématique 1'espoir de fraternité de certains jeunes homosexuels, et aussi la vanité, .. de cet espoir, pourtant porteur de sens. Il ne suffira pas de dire qu'ils souffrent du complexe de Jonathan. Non. Ils ont perçu que devait se dépasser et devenir, à partir du refus de l'autre qui engendre le meurtre, acceptation du semblable comme tel. Mais cette acceptation ne devrait pas aller jusqu'à la frontière mortelle de l'homosexualité. . Il y a trois niveaux : l'homosexualité effective et systématique de Sodome et Gomorrhe qui est refus de l'autre et non recherche du semblable. Ou que le refus de l'autre est si grand qu'il s'inscrit même dans la quête du semblable. En second lieu .. il y a ce que Freud appellerait homosexualité latente. C'est celle de Jonathan. Nous ne sommes pas dans le registre des actes mais il y a bien amour homosexuel. Dans ce registre, encore, la mort menace. Pourtant il y a amour « fraternel », amour du « semblable » et dans cette mesure passe une tentative désespérée pour s'opposer au meurtre de l'autre - semblable ou différent. Cet élément peut et doit être dégagé de l'homosexualité et je l'aurais bien appelé homophilie si l'usage n'en était déjà consacré et orienté. J'appellerais alors, faute d'homophilie, homo-affectivité cette empathie avec le semblable qui me fait énoncer la fraternité et la défendre sans qu'apparaisse aucun élément homosexuel.
 
L'exemple avait été donné dans l'histoire biblique. . dans un schéma très comparable à celui qui engendra le meurtre d'Abel par Caïn. Abraham s'y affronte à Loth. Lui qui sera .. l'homme de dix épreuves surmontées en affronte selon nous une onzième dont une fois de plus il sort vainqueur . Il y a entre Abram - qui n'est pas encore Abraham - et Loth une assez sérieuse affaire de coexistence et des différends entre leurs bergers. . « De grâce, qu'il n'y ait point de querelles entre moi et toi, entre mes pasteurs et les tiens car nous sommes frères. » . Le sens est évidemment : nous devons rester ce que nous sommes, frères, et préserver cette fraternité.
Suit le partage de la terre. . Etrange chose : la fraternité antidote immédiat au fratricide est énoncée par Abraham à l'instant même où d'autres pièges du refus de l'autre vont être dénoncés. Le dialogue a lieu entre Abraham dont on sait que le Zohar et toute la tradition soulignent le lien exemplaire à Sarai . et Loth qui a séjourné dans les villes coupables et dont l'épouse, limite subtile par laquelle passe la frontière entre la vie et la mort, sauvée à grand-peine de l'incendie des villes coupables, se retourne sur leur désastre et se fige dans le sel et la pierre pour un sommeil sans visage et une éternité sans regard. La descendance de Loth passera par l'inceste. Abraham, lui, a trouvé la formule, fraternelle et non homosexuelle qui fait échec au fratricide. Loth, est sauvé, .. , grâce aux mérites d'Abraham. David, lui, est sauvé par le sacrifice de Jonathan aux instincts de mort et sa propre vitalité qui lui font surmonter tous les obstacles P.153 . Il n'en est pas moins vrai que le terrible destin de Jonathan, son annulation dans l'histoire, ont eu une fonction. L'énigme homosexuelle telle qu'on se la pose, telle qu'elle se pose à la conscience homosexuelle est en quête de cette fonction de fraternité. Mais que cette quête quitte la voie .. et voici l'autre visage de la mort qui apparaît. L'homosexuel est déchiré entre le drame de Saül et celui de Jonathan. Ce pendant quoi se fait l'émergence de David .
 
 
V Conclusions : Vers une fraternité sans fratricide et un amour sans sujétion
 
« Plût à Dieu que tu me fusses comme un frère. Ma sour, ma fiancée. » Cantique des Cantiques.
 
Un article .. à propos de Lacan et sous le titre « Les psychanalystes et leur complexe » fait ressortir l'extrême confusion entre l'idée de guérison, les comportements qui autour de l'intention de guérir peuvent contrecarrer la guérison et les attitudes qui se veulent politiques .. de !'antipsychiatre qui se méfie de la façon dont on prétend « récupérer » le malade. A travers l'ensemble se fait jour le même malentendu .. le même conformisme, les mêmes idées reçues de l'anticonformisme qui, autour d'une douleur authentique, dresse le barrage d'un refus en partie motivé. La société répressive .. se défend par la ségrégation du « malade » contre son mal intérieur. La peur du fou, la peur du juif, la peur de la femme ne sont que les masques divers d'une même peur de soi qui habite l'homme. Mais quand les « malades » à leur tour deviennent agressifs, menaçant explicitement tous ceux qui prétendent les « guérir », ils souffrent du même mal que le psychiatre « conformiste » tel qu'ils le voient, ils redoutent ce qui en eux-mêmes et hors d'eux-mêmes pourrait les convier à une révision de leur vécu, à un recodage des normes ou des « antinormes », à une véritable sortie de soi qui serait le premier pas vers la découverte de l'autre et vers l'accomplissement de soi ou tout au moins le cheminement vers soi. Tant le triste théoricien de la « conscience morbide » qui enferme le malade dans les termes de la nosographie, que le triste malade qui veut rester tel qu'il est, craignant qu'on ne le passe dans quelque moule préfabriqué ou au laminoir des critères sociaux, tant l'un que l'autre expriment ce même mal d'une conscience narcissique, rivée à soi-même et par là même en danger de ne découvrir la fraternité et l'existence même d'autrui que dans le fratricide. Une certaine « psychiatrie » de l'électrochoc et de la lobotomie . relèvent bien de l'objectivation de l'autre, sa conscience, son vécu étant traités comme non existants. Une certaine politisation de la maladie et le langage de certains malades qui veulent le rester agressant l'agresseur phantasmatiqtle ou réel relèvent la même problématique. Des deux côtés on s'aveugle sur le sens qui essaie de se faire jour. Le malade n'a pas plus raison d'être malade que la société n'a raison de le nier dans ses dimensions les plus sensibles, et le terme de malade lui-même est bien mauvais car la société est malade aussi qui n'intègre pas ses malades et le malade ne l'est pas dans les dimensions de sa psyché qui constituent une interpellation pour l'autre. C'est pourquoi les homosexuels .. ont à la fois tort et raison de refuser l'étiquette de malade. Ils veulent que l'on considère que leur cas constitue un « état ». Mais c'est à notre sens bien pire si l'on va jusqu'au bout des mots. Il n'est d'état que la mort. Toute problématique vitale est mouvement et quête d'un sens. Il ne s'agit pas de s'aligner sur les normes sociales de. l'Etat - les mots sont sages qui nous montrent par où passe la sclérose - mais de parvenir à saisir le sens qui se fait jour dans des problématiques affrontées qui se veulent incompatibles . Ce que nous avons essayé de montrer .. c'est que la problématique de l'homosexualité renvoyait à la problématique non assumée de l'hétérosexualité et que, dans une société à dominance masculine dont le mythe initial est fratricide ou parricide, elle renvoyait à tâtons à des essais aveugles pour corriger la thématique originelle dont elle est issue. . « Le signifiant c'est seulement le signe déterritorialisé lui-même. Le signe devenu lettre » (Deleuze et Guattari « Anti-Odipe ») Ainsi peut-être le signifiant de l 'homosexuel méconnaît-il son territoire originel. . de cette société virilocentrique et phallocentrique, ils sont directement issus, ils en sont l'expression affolée, décodée, en dérive, mais néanmoins l'expression. . S'émanciper c'est, pour beaucoup de femmes, échapper à l'homme, le nier, se nier, éluder l'affrontement de la différence. Et c'est pourquoi .. beaucoup d'hommes ont, devant l'homosexualité féminine, une sorte de respect ambigu et de trouble intérêt : la femme qui leur échappe en tant qu'objet esquisse à la limite, pour eux et à l'intérieur de leur propre refus, sa dimension de sujet. Dans ce jeu de projections réciproques rien ne peut surgir que l'ombre des personnages réellement en cause, sur une scène en marge des accomplissements de l'histoire, sorte de rêve latéral où se projette le refoulé d'une civilisation.
.. notre civilisation .. P.157 .. reste encore une civilisation d'hommes .. ce qui en découle ipso facto, une civilisation homosexuelle masculine. Tandis qu'elle chante sur un air d'opérette « pas de femmes, pas de femmes », elle inscrit une fausse sagesse, philosophie du bouc émissaire, dans le « cherchez la femme » si quelque chose ne va pas, comme Hitler cherchait le juif. En fait s'il faut « chercher la femme » effectivement ce n'est pas pour la charger de tous les péchés ( d'Israël, comme on dit), mais pour la restaurer dans sa dignité d'être humain et du même coup libérer l'homme de ses faux héroïsmes de mâle et de ses lâchetés concomitantes. A-t-on jamais assez souligné à quel point la guerre constituait un passage à la limite du phénomène homosexuel sous ses deux faces : le meurtre de l'autre d'une part, le fratricide pour l'appeler par son nom, et la fraternité avec le compagnon d'armes ? . Il reste vrai que la guerre est souvent pire que le mal qu'elle prétend combattre. Pas dans le cas extrême où, préventive, elle attaque le mal à sa racine. . Les lâchetés de l'histoire font autant de morts que les trompettes de la (fausse) gloire, parce que les unes comme les autres s'inscrivent dans la même problématique de cette superbe et généreuse mais voyons - histoire des hommes « entre eux ». Si les femmes se sont « crêpé le chignon » c'est à cause de la compétition engendrée par le mépris des hommes. Si elles ont fait les révolutionnaires enragées c'est à la fois pour faire comme les homme et, obscurément, pour changer un monde qui les niait. Abigaïl est la vraie image de la femme qui, venant au devant de David, lui évite de tremper « ses mains dans le sang ». Elle perd sa chance d'être à ses côtés dans l'avènement de l'histoire lorsque l'acceptant pour époux elle se montre trop servile . Ni le ricanement de Mikhal, ni la soumission d'Abigaïl mais l'affrontement commun de l'amour, de la peine, des engendrements de l'histoire qui s'inscrit dans le personnage de Bethsabée. Sans la femme qui fonde l'homme en se fondant elle-même, l'histoire reste fragmentaire, sanglante, et ne cesse de friser le grotesque ou le cauchemar. Nous ne sommes pas encore sortis de l'auberge . L'histoire ne se fera que lorsqu'elle aura cessé d'être une affaire d'hommes. . Il faut souligner et souligner encore que cette société de mâles est une société homosexuelle qui réprime son homosexualité parce qu'elle y reconnaît en clair ses pulsions inavouées ou déplacées - déplacées sur la femme - à la sujétion et au fratricide. Partout règne une sorte d'inaptitude à la coexistence dont un humoriste du Maariv soulignait les lignes de clivage et le point d'éclatement .. : l'Irlande démontre qu'une différence de religion au sein du même peuple rend la coexistence précaire. La Belgique rend visible le fait qu'une différence de langue au sein d'un même peuple rend la coexistence précaire. Précaire encore la coexistence en raison d'une différence de couleur de peau aux Etats-Unis et précaire au Vietnam pour une divergence politique. Maintenant, conclut l'humoriste, le mouvement d'émancipation de la femme semble démontrer que la coexistence est précaire entre personnes de sexes différents. Ce qui risque, dit-il, de mettre un point final à toutes les précarités et à l'histoire en général. . P.159
 
. la coexistence est difficile, .. elle se cherche tous les prétextes pour sombrer dans la guerre et .. le point d'émergence en est la ségrégation de la femme dont le mouvement d'émancipation n'est que la manifestation, caricaturale, soit, manquant souvent son but, soit encore, mais s'inscrivant comme symptôme déterminant de tout l'ensemble des observations.
 
. La femme est en chemin, toujours présente dans son essence première, presque toujours méconnue, retranchée, déformée, à travers des prismes virils (Et on est franchement découragé lorsqu'on lit dans une certaine presse du cour .. que la « camaraderie entre deux hommes est beaucoup plus franche, plus solide, que l'amitié entre deux femmes. » Asséner comme vérité reçue, ce poncif éculé que dément toute l'expérience des femmes de notre génération, c'est bien accepter la loi.pourtant éculée elle aussi de cet univers de mâmes où .. l'homme comme la femme courent à leur perte.) . l'impureté est jusque dans le petit doigt de la femme et quand je lui (à Emmanuel Lévinas ) posais la question : « Est-elle dans le doigt ou dans l'oi1 qui le regarde ? », il fit appel aux archétypes de l'éternel féminin. Je crois pour ma part aux archétypes. Mais ils comportent toujours une essence et un accident essentiel pour parler comme Aristote. Il y a un « bon archétype» viril de fermeté, de loyauté, de générosité, et un « mauvais archétype » de brutalité et de conquête. De même il y a un « bon » archétype de la femme de prudence, de sensibilité, de générosité aussi, et un « mauvais » archétype de séduction et de ruse. On peut comparer à niveau égal, le haut et le haut, le bas et le bas, mais non s'inscrire dans le chassé croisé inconscient qui sous-tend toute notre culture. . La société virilocentrique se fonde non pas sur la certitude du mâle d'être « supérieur » mais sur l'affirmation de sa supériorité comme parade à sa peur de la femme. .. au départ .. les deux sexes sont à égalité dans cette peur. Si le phallocratisme a, en gros, fait l'histoire, malgré bien des lames de fond qui sont celles du matriarcat déguisé, c'est que les conditions biologiques et matérielles de l'histoire de l'homme passaient nécessairement par une étape de domination masculine, la femme étant au départ plus assujettie aux cycles biologiques et à leurs nécessités. . P.161 . Ainsi l'histoire a, chronologiquement, fait prévaloir une société phallocratique - dont souvent les femmes ont été plus ou moins complices, s'installant dans toutes sortes de bénéfices secondaires. Il reste que l'homme crie sa fragilité : le mâle humain est très fragile. . il existe .. des clubs .. strictement inaccessibles aux femmes .
Symptômes. Quelque chose crie la non-fraternité originelle dans cette société d'hommes qui, oui, se protègent des femmes pour mieux s'entre-tuer à l'occasion. L'homosexualité, latente ou manifeste, constitue l'arrière-fond de ces mondes en perdition. Le Mont Athos est peut-être en ce sens et malgré son souci de « pureté » monastique, le fossile de la Grèce antique. Aucune société religieuse et même ou surtout le scoutisme laïc ou religieux ne peut cultiver la pureté unisexe sans tomber dans l'homosexualité manifeste ou sans manifester plus ou moins qu'elle est latente, car l'homosexualité est issue du monde qu'elle récuse, comme Jonathan est issu de Saül. Elle ne fait que constituer une autre forme de la ségrégation et de l'instinct de mort. Touchante souvent dans les formes qu'elle revêt, elle ne parvient pas à s'assumer clairement comme l'holocauste effectif d'un mal latent. . L'homosexuel sent et dénonce le mal de la société dont il est issu, il ne parvient pas à se reconnaître comme expression de ce mal. Pour le dominer il faut remonter aux sources. La mixité, comme le notait jadis André Berge, ne suffit pas. Il faut la coéducation, apprentissage à une véritable découverte de l'autre. En attendant le monde patauge dans les écueils coextensifs de l'exclusion .
 
. L'affaire ne peut se régler qu'ensemble et se fonde sur une nécessaire et courageuse prise de conscience.
. parole à l'Islam. .. un des points extrêmes de la ségrégation et de ses conséquences Peut-être de ce fait même faut-il voir dans ses prises de conscience spécifiques une ligne de chance maximale. . P.163 .
 
Non, sans doute les femmes ne pouvaient pas « commencer ». Assujetties aux menstrues, aux grossesses, à la mortalité souvent grande lors de l'accouchement .. elles laissaient le plus souvent la place à l'expansion masculine qui, la nature humaine étant ce qu'elle est, s'est souvent faite contre elles plutôt qu'avec elles. D'où, en toile de fond la trame de leurs propres vengeances spécifiques. Il n'en est pas moins vrai que de cette guerre des sexes .. existe dès l'origine .. et doit s'inscrire dans les faits si l'homme veut assumer le sens de sa propre histoire. .
 
. Acceptons l'analyse négative de l'Islam seulement comme focalisation d'un mal qui se trouve ailleurs. L'Islam .. s'est développé selon une orientation masculine. Il a enfermé les femmes et ne gagne sa quiétude qu'au prix d'une exclusion. Cette exclusion à la fois fait obstacle P.165 aux intrigues amoureuses et les favorise. « Promiscuité masculine dans la vie spirituelle comme dans l'accomplissement des fonctions organiques ; et pas de femmes.» C'est .. une sorte « d'imposition homosexuelle de la communauté par la promiscuité qui ressort des rituels de propreté après les repas quand tout monde se lave les mains, se gargarise, éructe et crache dans la même cuvette, mettant en commun dans une indifférence terriblement autiste la même peur de l'impureté associée au même exhibitionnisme. » 
Ce texte sévère pourrait .. s'appliquer mutatis mutandis, à bien des sociétés occidentales. Il témoigne d'un même mal. .. c'est de l'Islam aussi, s'ils en ont le plus souffert, que peut venir le remède à ce mal. . Toute prise de conscience venant de l'Islam sera d'autant plus éclatante sur le chemin de la restauration de l'homme.
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. « La Civilisation, Ma Mère. » (Driss Chraïbi) Il s'agit .. de l'éclosion d'une femme, la mère du narrateur, de sa prise de conscience qu'il n'est pas de civilisation vraie tant que la « civilisation » aura besoin de cloîtrer et de rendre muettes les femmes. . Un « vrai » souffle d'amour parcourt le livre et c'est finalement au père que le héros-narrateur donne le droit de conclure. Le père, dérouté d'abord par cette femme qu'il a épousée enfant, dit qu'il n'a pas eu à se consoler de quelque perte imaginaire. Non. Il s'est rendu compte de quelque chose d' essentiel. .. : « Non, mon fils, je n'ai pas eu à me consoler, comme tu dis. Mes yeux étaient ouverts, je m'étais brusquement rendu compte que ta mère était à elle seule, la conscience d'un monde inconscient.»
. « Oui, à la voir ainsi de plus en plus vivante, je me suis mis à espérer puis à croire. Sais-tu pourquoi notre société islamique, après des temps de gloire, est devenue à la traîne du monde entier ? », ce n'est pas selon une vue économique des choses que le père s'explique, c'est en fonction de la séquestration de la femme qui entraîne la fermeture de la société, sa non-viabilité en fin de compte. . P.167
Car cette société où la femme est plus ou moins, avec plus ou moins de formes, séquestrée ou discriminée est bien cette société homosexuelle masculine, et fratricide à plus ou moins long terme. Et le mal est partout. Il n'est peut-être pas une communauté qui y échappe . Oui l'Inde apparaissait prédisposée à laisser émerger une image de la femme. Oui, la société israélienne, .. est .. privilégiée . ne légions encore et encore au niveau de notre que te, nous ne pport homme-femme, le rapport homme-bomme, ici COJI1me illeurs. S'il Y a moins qu'ailleurs à en croire les observations y a chez C~UX qui se veulent les plus purs, parfois, une homosexualité lante. . il y a une différence dans la dynamique de la conscience et c'est sur cette différence que se fonde l'espoir. Le mythe juif n'est pas un mythe unisexe, ni un mythe de fusion ; il est un mythe de bipolarité créatrice, un mythe où le couple fonde les engendrement de l'histoire. Un mythe qui tout en bannissant sans appel l'homosexualité contient dans le chuchotement de la vie sacrifiée de Jonathan le secret de son énigme. . poussée à entreprendre cette étude c'est l'interpellation intempestive du juif à travers articles, interviews, analyses .. Lui qui, a priori, semblait avoir moins à dire que tout autre sur ce thème, en quoi pouvait-il être interpellé ? Seulement pour un renforcement et une justification de l'interdit ? Il semble que non, même si cet interdit, inscrit sur le paysage désolé de Sodome .. continue à dire ses fondements .. Cet interdit porte comme son ombre, avec l'impossibilité de l'exception, le sens pourtant qui s'inscrit dans le désespoir de l'amour homosexuel.
 
. Au commencement fut une relation aliénée entre Adam et Eve qui engendrèrent Caïn.
Au commencement fut la rivalité fratricide de Cain et Abel nés d'un amour encore inaccompli. Au commencement naît donc l'univers de la guerre, fraternité dégénérée en fratricide, risque d'assujettissement et de mort.
Dès le commencement, l'histoire rouIe sur ces pentes aux avalanches mortelles, .. où se cherchent sans se trouver l'amour et la vie dans l'obscurité et la menace de mort. .
Dvid reste sans cesse au-dessus de la mêlée. Loyal et droit, en quête de lui-même et du projet de Dieu. Saül, hanté par son « mauvais esprit », tantôt est charmé par la harpe du jeune homme et tantôt veut le mettre à mort. Alors naît de lui, comme son ombre portée, le personnage de Jonathan, le frère sacrifié. Celui dont l'amour homophile pour David a neutralisé le « complexe de Caïn » de Saül, mais s'il préserve ainsi David toujours en quête de lui-même, de la femme et de Dieu - c'est pour finir avec Saül son père sur le même champ de bataille, dans une même défaite et au même instant. L'amour homophile n'est pas « sauvé » mais il est comme réintégré dans l'histoire comme ligne imperceptible d'une quête : celle du non-meurtre, celle du non-fratricide. . l'espace d'un instant, ils (les homosexuels) incarnent bien une opposition à une autre forme de désespoir et de fin du monde : celle de la rivalité. Que leur attitude s'appuie une seconde de trop sur elle-même et la mort est là. Le contrepoison à forte dose est aussi mortel que le poison. Il reste qu'une tentative désespérée de fraternité - fût-elle sans issue - s'est jetée à corps perdu, Jonathan, à descendance perdue, Méphiboshet et Micca, sans un nom, sans un seul visage de femme pour contrecarrer le projet de Saül et pour que vive David . P.169