Tout se passe comme si la dualité voulait être à tout prix vue, perçue pour laisser sa place à une autre perception. 
Comme si l'intense souffrance d'écartèlement, de déchirement qu'engendre la proximité des principes opposés, leur intimité totale visait à nous faire pénétrer le paradoxe du réel- à faire vaciller l'ordre appris, aliénant. 

Le Baal Chem Tov a dit quelque chose d'abyssal: la lutte contre le mal prend un tour décisif lorsqu'on prend conscience que même le mal contient quelque chose de divin. 
(...) 
On n'échappe à l'écartèlement moral fidélité/infidélité que par un salto mortale. 
Non qu'il faille vraiment transgresser. 
Il suffit de passer d'un champ de conscience écartelée par la dichotomie fidélité/infidélité à un champ de conscience plus subtil où la fidélité révèle ses deux visages. 
Quant à l'harassante transgression, on finit par lui échapper aussi, tôt ou tard, grâce à la tendresse que nous inspire l'ordre intérieur pressenti et retrouvé. 
Car, dès que la part divine recelée dans 'l'infidélité' a été entrevue, la fidélité peut quitter la pause, et redevenir vivante, effrontée, désarmante-régner simplement sur les coeurs. 

Il n'est plus nécessaire de léguer son corps vivant à la morale ni d'ailleurs son corps trépassé à la science. 
Les macabres expérimentations visant le général s'étiolent sous l'impertinente et radieuse poussée du Vivant. 

En fidélité, comme en amour, tout a lieu pour la première fois et une seule fois. 
(...) 
La première de toutes les fidélités, nous la devons à la Vie qui est en nous. 
Consciemment ou inconsciemment, n'avons-nous pas fait serment de ne jamais laisser s'embourber dans l'insignifiance cette vie qui nous a été transmise par le sacre de la naissance? 

Tu m'as aimé pour cette vie qui m'habitait. Elle menace de tarir. 
Pour la refaire jaillir, je dois faire ce pas qui peut-être t'effraie: mais je dois le faire par respect pour moi et pour toi. 
(....) 
Je ne peux pas abolir ton destin, ni t'éviter épreuves et difficultés, ni enrayer tes échecs, ni provoquer ta réussite, ni entraver tes rencontres. Impossible de prendre les commandes de ta vie, de m'immiscer entre toi et ta peau, de glisser mon doigt entre ton écorce et ton aubier. 
Je ne peux que t'assurer de ma loyauté- ne jamais laisser tarir le dialogue entre nous,le raviver de neuf chaque jour. 
Mieux encore: je ne peux que respecter l'espace dont tu as besoin pour grandir. 
Te mettre à l'abri de ma trop grande sollicitude, de tout envahissement de ces rhizomes souterrains que sont les discrètes et indiscrètes manipulations de l'amour. 
(....) 
Ainsi, nous protégerons
Ainsi, nous protégerons l'un et l'autre le secret lent et silencieux de nos gestations. 
Garde tes distances sans faiblir. 
Il n'est que l'Eros qui puisse les abolir-pour les faire renaître tout aussitôt. 

Garde tes distances. 
Non par froideur. 
Garde-les par ferveur. 

Et cela en sachant que l'aimé(e) n'est qu'une autre part de toi-même. 
La part qui ne se laisse ni dominer ni annexer, qui jusqu'au bout te tiendra tête. 
L'énigme qui est l'Autre recule comme l'horizon à chaque pas que tu fais vers lui. 

L'Autre est la frontière que la Vie a dressée devant toi afin que tu ne sois pas perverti par ta toute-puissance. 

Ce que Dieu dit à l'Océan dans le livre de Job en lui montrant les plages et les falaises: Jusqu'ici iront les flots, pas plus loin! 

Il le dit à l'Epoux en lui montrant l'Epouse, à l'Epouse en lui montrant l'Epoux. 
En plaçant la femme devant l'homme et l'homme devant la femme, il leur assigne à tous deux leurs limites. 
Ici commence le royaume de l'altérité dans lequel on ne pénètre pas. 

Mais ne rêve pas de révoquer la dualité. 
La fusion du Deux en Un est oeuvre divine. 
Il n'est que l'Eros qui nous y fasse furtivement goûter. 
Et la mort.