ARCHETYPE DU DIEU OU DE LA DEESSE OUBLIEE:
.. le thème du dieu, ou, plus fréquemment, de la déesse oubliée, est également archétypique.
Lorsqu'Agamemnon voulut partir pour Troie, le vent manqua pour lui permettre de faire la traversée. On découvrit qu'Artémis, furieuse de ce que son culte était délaissé, exigeait que le chef des Grecs sacrifiât sa propre fille, Iphigénie, pour que les vents favorables lui permettent de prendre la mer.
Le thème de la déesse offensée est fréquent car c'est souvent la femme que l'on ignore et qui ne le supporte pas. Il arrive cependant que ce soit un dieu mâle qui se venge de ce que l'on a omis de lui P.61offrir des sacrifices comme aux autres dieux.
Qu'est-ce que cela signifie sur le plan psychologique ?
Il est évident que les dieux représentent des contenus archétypiques de l'inconscient, c'est-à-dire des complexes que chacun possède en soi et qui ne sont en aucune façon pathologiques. . Il y a dans la psyché différents centres dynamiques qui font partie des structures normales. Ces archétypes, de par leur puissance et leur vie partiellement autonome, apparaissent comme des figures numineuses et ont généralement été personnifiés par des dieux. Cela apparaît très clairement, par exemple, dans le cas des dieux astrologiques : parmi les planètes, Mars représente tout ce qui concerne l'agressivité et l'autodéfense, Vénus le sexe et ainsi de suite. Chaque dieu correspond, au niveau de l'image et du mythe, à un type de comportement instinctif spécifique.
Dire qu'un dieu ou une déesse se trouve oublié signifie qu'un comportement psychologique naturel est négligé ou refoulé. On a, soit par artifice, soit par stupidité, omis de le prendre en considération.
On observe, en particulier chez les jeunes enfants, qu'une nouvelle tendance se manifeste tout d'abord de façon exagérée avant de trouver progressivement sa place dans l'ensemble de la personnalité. C'est ainsi que des enfants peuvent, pendant une certaine période, passer tout leur temps avec le chien, leur train électrique ou des jeux de construction, se battre, grimper aux arbres ou jouer à la poupée. Ils traversent des phases où ils sont complètement absorbés par une activité ou un objet particulier, qu'ils abandonnent tout à coup pour quelque chose d'autre ; l'enfant découvre toujours quelque passion nouvelle.
Ce comportement, qui semble relever de la manie, correspond à l'apparition en lui d'un nouvel élément, ce qui déséquilibre quelque peu l'ensemble du comportement jusqu'à ce que l'élément nouveau soit « appris » et intégré.
L'éveil de la sexualité est, parmi les phases de ce genre, l'une des plus violentes. Habituellement son irruption submerge et dissocie la personnalité jusqu'à ce qu'un équilibre nouveau soit atteint.
Les complexes, même normaux, ne sont donc pas des phénomènes toujours harmonieux chez les humains. Ils peuvent se combattre l'un l'autre et même écarter d'autres pulsions instinctives.
Qu'un dieu soit oublié signifie que certains aspects du conscient collectif se trouvent placés au premier plan de telle sorte que d'autres sont, dans une large mesure, rejetés dans l'oubli.
C'est bien le sort qu'a subi l'archétype de la déesse-mère dans notre civilisation.
C'était peut-être nécessaire pour notre développement culturel que l'esprit occidental fût amené à éloigner la déesse-mère pendant un certain temps, plaçant l'accent sur le développement du pôle masculin de la psyché.
Mais dans l'esprit, les organes délaissés se comportent de la même façon que dans le corps. Nos organes physiques réclament une certaine dose d'attention, et nous ne pouvons nous permettre d'ignorer avec partialité leurs besoins. Si nous délaissons certains centres vitaux, ils provoquent l'apparition d'une maladie du système tout entier. Comme la maladie d'un organe peut aboutir à une détérioration complète de la santé, ainsi un complexe qui ne fonctionne pas de façon juste désorganise l'ensemble de la psyché. On voit alors apparaître une névrose, ou pire, et il faut découvrir ce qui, ayant été négligé, détruit la personnalité tout entière. Une telle vision peut paraître très optimiste et semble impliquer que si l'on a toujours l'attitude juste, si l'on offre des sacrifices et de l'attention à chacun des « dieux » rien ne peut arriver et l'on pourra être en parfaite santé. P.63
Les différentes variantes des contes de fées ne confirment cependant pas tout à fait une semblable conclusion : dans certains d'entre eux, la marraine fait son entrée tout simplement parce qu'il lui plaît de créer des ennuis. Il arrive que l'apparition d'une névrose soit tout simplement l'apparition d'une névrose. Il serait erroné de dire qu'elle ait eu pour origine une attitude fausse - point de vue trop fréquent, du moins à l'arrière-plan du conscient, dans le monde des thérapeutes.
L'apparition d'une névrose est parfois due à une attitude unilatérale, mais nous devons tenir compte du fait que la nature peut aussi, spontanément, provoquer des déficiences. Il arrive que « les dieux » créent des difficultés sans que celles-ci soient le fait de l'homme. Au sein de la nature elle-même, il y à des insuffisances, des imperfections, des dissonances et des monstruosités.
. Misère et maladie ou autre calamité s'abattent sur les gens sans que l'on puisse accuser personne de carence morale.
Notre culture s'est édifiée sur l'idée d'un Dieu bon et juste ; si le mal fait son entrée, c'est donc, pensons-nous, de notre faute, de celle du vieil Adam, de nos parents ou encore du refoulement : un être humain quelconque est coupable.
Mais on peut tout aussi bien dire, dans nombre de cas, que le coupable est Dieu - idée qui ne nous est pas habituelle, bien qu'elle le soit pour certaines autres civilisations. Même dans notre tradition, Dieu peut se mettre dans une humeur terrible dont les effets retombent sur l'humanité, ou laisser agir le diable, comme cela arrivait au Dieu de l'Ancien Testament. Il est important de garder ce trait présent à l'esprit pour que la vision chrétienne trouve son contrepoids dans celle de l'immoralité de la nature,
... réelle incertitude quant au problème du mal. P.64
quel aspect de la déesse-mère, c'est-à-dire de la nature féminine, s'est trouvé artificiellement écarté par le christianisme et par notre société?
Ce qui apparaît d'abord et qui est devenu un problème à l'époque moderne, est son aspect sexuel.
L'ordre social considère la sexualité comme dangereuse et comme la cause de beaucoup de désordres : elle peut, par exemple, briser des ménages.
Dans cette perspective, elle devait être réglementée par la loi et n'être autorisée que dans le mariage. .. l'Eglise catholique romaine .. suggère même qu'une totale abstinence serait préférable ou que la relation sexuelle ne devrait être permise que dans le but de procréer, tout autre usage de la sexualité étant coupable.
Mais il est impossible de décider arbitrairement comment il convient de maîtriser un dieu.
C'est l'énorme erreur commise dans le système chrétien qui a eu pour conséquence que le dieu s'est mis à se comporter de façon autonome. Cette légalisation de la morale sexuelle n'a jamais été bien observée : ou bien les gens s'y sont tenus et sont devenus névrosés, ou bien ils ont vécu une double vie, ou bien sont « tombés dans le péché » pour le regretter ensuite.
Ex de la monogamie chez les babouins tant qu'il y a équilibre entre le nombre de males et de femelles. P.67
Dans notre civilisation, où règne la monogamie, certaines femmes n'ont aucune vie sexuelle...
On prétend ignorer un besoin archétypique vital, organique, pourtant évident et qui demande à être vécu. Au lieu de cela des lois sont promulguées et appliquées avec des résultats désastreux : la déesse est ignorée.
C'est ainsi que non seulement Vénus, la déesse de la sexualité, a été méprisée, mais, avec elle, certains des besoins vitaux de la femme. .
Il semble.. qu'il soit plus facile aux hommes de faire violence à leur nature et qu'ils en sont moins blessés que les femmes. Un homme se laisse plus aisément porter par l'élan qui le poussent vers les activités intelectuelles. ... les femmes semblent moins bien accepter les règlements imposés, leur nature se révolte davantage.
Leur personnalité a besoin d'évoluer de façon plus naturelle et moins unilatérale. Il y a là un besoin concret et réel dont on doit tenir compte. P.68