LA FUITE MAGIQUE
Exorcismes de diables ou intégration de complexes ?
Quant au cours d'un traitement psychologique le bon moment du retrait d'une projection semble approprié, on s'aperçoit qu'il y a souvent blocage contre l'entreprise d'un tel examen. C'est parfois le patient qui en prend conscience avec un « ah » de réaction, se trouvant momentanément libéré de sa position erronée. Cependant, le plus souvent on observe une très forte résistance contre toute compréhension salutaire, une obstination aveugle à rester dans la mauvaise attitude. Le traitement extrêmement difficile, de la paranoïa et de la schizophrénie le montre très amplement. Une profonde tendance au mensonge, rend souvent aussi la thérapeutique totalement inaccessible. Dans de tels cas, existe une autonomie particulièrement forte de certains complexes, qui pour ainsi dire, « possèdent » le Moi comme s'ils étaient des entités tout à fait indépendantes - c'est là un fait psychologique qui a trouvé son expression de tous temps et chez tous les peuples dans la croyance aux démons. Au niveau primitif, il est évident, pour cette raison, qu'il faut chasser les démons, ( dans notre langage les « complexes » ), et les éloigner de la sphère du sujet. Une intégration, c'est-à-dire une acceptation responsable P.141 dans l'ensemble de la personnalité, n'est tentée qu'exceptionnellement et notamment par des chamans ou guérisseurs qui maintiennent près d'eux certains démons vaincus. En tant qu'esprits « assistants » . dans les traditions mythologiques qui tournent autour de ce thème, nous constatons qu'on a représenté la délivrance de tels complexes par ce que l'on a appelé « la fuite magique » : un héros ou une héroïne échappe à un démon qui le poursuit, en jetant certains objets derrière lui qui deviennent en grossissant de grands obstacles pour le démon et ainsi rendent la fuite possible. Cf. conte du petit cheval magique, originaire du Turkestan
Au début de l'histoire, le vieux roi, de toute évidence veut garder sa fille, il ne la laisse pas partir. Il symbolise ainsi, en tant que roi, une attitude consciente collective masculine qui domine le féminin, le principe de l'éros, et lui retire sa liberté. C'est ce qui fait venir le démon. Dans un cas individuel, la fille développe un complexe père et une propension à être dominée par des impulsions masculines destructrices ( ce que Jung a appelé l'animus négatif). Mais le cheval magique, ( l'aspiration saine et instinctive à la réalisation de la totalité) empêche la fille du roi de se laisser complètement posséder par le démon. Tout d'abord, ceci ne peut pas se faire dans un combat direct, mais bien par la « fuite magique ». Les objets jetés en arrière symbolisent des sacrifices faits à l'inconscient, un renoncement à la parure du monde (l'oillet), à la vanité (le miroir et le peigne), et à l'esprit (le sel). Tout ceci doit être abandonné pour fuir la possession par le div. Plus tard seulement, peut avoir lieu le combat ouvert avec le démon et la transformation du cheval en un centre psychique durable une demeure de paix intérieure.
Ce qui nous importe ici en premier lieu, c'est seulement le motif de la fuite qui exprime un état psychologique, souvent P.143 décelable. Ex. traitement d'un complexe père négatif chez une femme dans un état de possession « diabolique » ; le Moi de l'analysante était resté pendant longtemps insuffisamment fort pour se confronter directement avec un tel diable intérieur( Ceci est aussi valable pour le complexe négatif de la mère chez l'homme ou chez la femme.) ; tout d'abord, seules sont possibles des méthodes de refoulement, littéralement de « fuite », par des mesures de diversion. Le principe destructeur doit rester « à l'extérieur », hors du cercle de la vie, et ne peut être ni maîtrisé ni intégré. On ne peut alors que conseiller au patient de se tenir aussi éloigné que possible des domaines et des situations qui pourraient concerner le complexe. Mener un combat défensif en cas d'une possession déjà effective et esquiver le complexe avec prudence ainsi que toute situation le constellant, sont donc indiqués. À ce stade, on peut concevoir le complexe comme étant un « démon » menaçant. On ne doit en aucune façon considérer le patient responsable de ce qui arrive, mais seulement l'aider à suivre son instinct salutaire (le cheval enchanté ) et à éviter tout ce qui pourrait ouvrir la voie à ce qui vient de la zone destructrice C'est en ce sens que je considère l'exorcisme comme tout à fait efficace pour les gens qui sont encore profondément ancrés dans la foi catholique. Devant certaines forces obscures de son propre monde intérieur, il n'y a rien d'autre à faire que de les fuir ou par tous les moyens, les tenir à distance.
Dans le conte sibérien suivant, la fuite magique se déroule de façon très différente .. c'est là une exception rare :
Une jeune fille solitaire, sans parents ni époux, s'occupe de la maison et abreuve les rennes en chantant des chansons magiques. Un jour, la moitié du ciel s'assombrit : « c'est le mauvais génie. » Une de ses lèvres touche le ciel tandis que l'autre s'étire jusqu'à terre - un gosier ouvert qui menace de tout engloutir. La jeune fille s'échappe dans une « fuite magique » ; elle jette d'abord un peigne derrière elle, qui se transforme une forêt, puis son mouchoir rouge qui devient un feu gigantesque ; ensuite elle-même se métamorphose successivement en renard des glaces, en glouton, en loup et en ours, et elle s'enfuit ainsi métamorphosée. Elle arrive alors aux abords d'une tente et s'écroule sur le sol, épuisée, sans connaissance. Lorsqu'elle revient à elle, le mauvais génie se trouve devant elle sous l'aspect d'un beau jeune homme « plus beau que le soleil ». À ses côtés sont ses deux frères. La jeune fille choisit le beau jeune homme pour époux et tous vivent ensemble dans la paix.
Dans cette version de la fuite magique, l'héroïne n'arrive pas seule à s'en sortir car son poursuivant se métamorphose lui-même au bout de quelques temps en un futur partenaire avec lequel elle va pouvoir construire sa vie. Rien que l'effort qu'elle fait pour ne pas se laisser posséder par le complexe négatif suffit à faire apparaître la partie positive cachée de celui-ci. Dans cette version la fuite magique succède à une fuite « dans la métamorphose » qui constitue un mythologème tout aussi répandu (ô=. La jeune fille se transforme successivement en quatre animaux. C'est donc elle-même qui est identifiée à l'instinct salutaire qu'incarne dans le conte turquestan le coursier magique. La volonté de vivre et de réaliser sa totalité gagne sur la tentation de se laisser tomber dans un moment de faiblesse dans le gosier du mal, c'est-à-dire d'être « possédée ». Que le poursuivant finalement soit bon ou mauvais ne semble pas du tout être la chose importante ; c'est la possession en soi qui est destructrice.
Dans la croyance yakoute aux esprits, il y a certes des esprits inférieurs et mauvais et des esprits supérieurs de lumière ; mais la possession par les esprits supérieurs de lumière conduit tout autant à l'égarement que la possession par les esprits maléfiques et ne peut être guérie que par un chaman. Lui a la capacité de faire cela car lors de son initiation il a surmonté son propre état de possédé. . peut devenir lui-même maître des esprits qui le tourmentent, c'est-à-dire maître de ses luttes dans le psychisme, et aider ceux qui sont affligés P.145