L'INCESTE
... le sens secret de l'inceste, de l'union du frère et de la sour ou de la mère et du fils, symbole choquant pour exprimer une union mystique. L'inceste, en tant qu'union des êtres les plus proches par le sang, est certes universellement tabou, et pourtant il constitue une prérogative royale. ( cf. Les mariages incestueux chez les pharaons, etc.) L'inceste symbolise l'union de l'être avec lui-même, l'individuation ou la réalisation du Soi, et exerce, à cause de la haute signification vitale de celle-ci, une fascination parfois presque inquiétante, sinon dans la réalité brutale, du moins dans le déroulement psychique contrôlé par l'inconscient.
C'est pour cette raison, et non à cause de possibles cas occasionnels d'inceste, que les dieux originels engendrent presque toujours par l'inceste. L'inceste est en effet le degré d'union des semblables qui suit immédiatement l'idée originelle de l'autofécondation. (L'union des « semblables » sous forme de relations homosexuelles se trouve dans la Vision d'Aristée comme degré préliminaire de l'inceste frère-sour.) P.77
Finna, jeune fille douée de facultés mystérieuses, exigea de son père se rendant à l'assemblée qu'il écarte tout homme qui l'y demanderait en mariage. Les prétendants furent nombreux ; tous furent éconduits par le père. Mais, sur le chemin du retour, le père rencontra un homme inquiétant du nom de Geir, qui, sous la menace des armes, l'obligea à lui promettre sa fille. Le mariage eut lieu, et Finna emmena avec elle son frère Sigurd chez son mari. A l'approche de Noël, Finna prépara le festin, mais Geir avait disparu. Finna le chercha, aidée de son frère, et le trouva sur une île en compagnie d'une belle femme. Après Noël, Geir réapparut soudain dans la chambre de Finna. Dans le lit se trouvait un enfant. Geir lui demanda à qui appartenait l'enfant ; elle répondit qu'il était à elle. La même chose se reproduisit trois Noëls de suite. A la troisième fois, l'ensorcellement de Geir prit fin. La belle femme était Ingibjörd, sa sour. La marâtre de Geir, qui était sorcière, l'avait condamné, pour désobéissance, à engendrer trois enfants avec sa sour. S'il ne trouvait pas une épouse qui, sachant tout, gardât le silence, il serait transformé en serpent, et sa sour en poulain. Le comportement de son épouse l'avait sauvé et il donna à Sigurd sa sour Ingibjörg en mariage.
Le fils d'un prince reçoit d'une sorcière un petit anneau porte-bonheur dont la puissance magique est liée à une condition : qu'il n'épouse aucune autre jeune fille que celle au doigt de laquelle l'anneau s'adapterait. Une fois adulte, il se met en quête d'une épouse. Mais en vain, car aucune ne parvient à passer l'anneau. Il confie son chagrin à sa sour qui veut essayer l'anneau. Celui-ci semble fait pour son doigt. Son frère veut alors l'épouser ; mais elle considère cela comme un péché et va pleurer, assise devant la maison. De vieux mendiants, qui passent par là, la consolent et lui donnent le conseil suivant : « Confectionne quatre poupées et place-les aux quatre coins de la chambre à coucher. Quand ton frère t'appellera pour le mariage, va ; quand il t'appellera dans la chambre à coucher, prends ton temps ! Espère en Dieu et suis notre conseil ! »
Après la cérémonie, son frère l'appelle au lit. Alors les quatre poupées se mettent à chanter :
« Le prince Daniel l'a ordonné,
Il veut prendre sa sour pour femme,
Terre, ouvre-toi,
Accueille-la. »
La terre se fend et engloutit la sour. Le frère l'appelle trois fois. A la troisième fois, elle a complètement disparu dans la terre. Elle continue à marcher sous la terre et parvient à la cabane de Baba- Yaga dont la fille lui donne aimablement asile et réussit dans les premiers temps à cacher sa présence à la sorcière. Cependant celle-ci découvre bientôt la visiteuse et fait chauffer le four. Mais les deux jeunes filles jettent la vieille dans le four et échappent aux poursuites de la sorcière. Elles parviennent dans la principauté du frère, où la sour est reconnue par le serviteur de celui-ci. Mais le frère ne réussit pas à différencier les deux jeunes filles, tant elles se ressemblent. Le serviteur suggère alors une épreuve au prince : qu'il dissimule sous son bras une outre remplie de sang ; le serviteur lui enfoncera un couteau dans le flanc et le prince tombera comme mort ; alors la sour se trahira. Tout se passe effectivement ainsi : la sour se jette sur lui en pleurant. Il se relève aussitôt et la prend dans ses bras. L'anneau magique va également au doigt de la fille de la sorcière, ce qui fait que le prince l'épouse et qu'il donne sa sour pour femme à un honnête homme.
Dans ce conte, l'inceste est presque consommé et il n'est prévenu que par le rite étrange des quatre poupées. Les quatre poupées aux P.83 quatre coins de la pièce représentent le quaternio nuptial, car il s'agit ici d'empêcher l'inceste et donc précisément de substituer le quatre au deux. Les quatre poupées constituent un simulacre dont l'action magique permet d'éviter l'inceste grâce à la disparition de la sour dans le monde souterrain, où elle découvre son alter ego. ...
Dans les deux contes, l'inceste apparaît comme un destin funeste qu'il n'est pas aisé d'éviter. L'inceste, en tant que relation endogame, correspond à une libido qui tend finalement à maintenir la cohésion de la plus étroite famille. On pourrait donc la désigner du nom de libido de parenté, en y voyant quelque chose comme un instinct qui, tel un chien de berger, maintiendrait l'unité du groupe familial. Cette forme de libido est diamétralement opposée à la libido exogame. Les deux formes se tiennent réciproquement en échec : la tendance endogame recommande la sour, la tendance exogame, quelque étrangère. Le meilleur compromis est par suite la cousine germaine ou le cousin germain.