BÂ ET KA
Osiris représente, dans la manière de voir de l'époque, la personnalité intérieure immortelle en laquelle l'individu se transforme après la mort. Dans la tradition alchimique, Osiris fut par conséquent considéré, ainsi que l'était la « pierre », comme le corps de résurrection. En même temps, en Égypte, le noyau immortel de l'âme était aussi appelé âme-Bâ. Dans son essai « Entretien avec son Bâ d'un homme fatigué de la vie », Jacobsohn a montré qu'en Egypte le Bâ désignait, d'une part, quelque chose comme la personnalité inconsciente de l'homme et, d'autre part, ce que Jung a décrit comme le « Soi » ; tandis que le Ka incarnait davantage la vitalité de l'individu et son hérédité. Le Bâ était symbolisé par une étoile ou un oiseaux à tête humaine. (D'après l'opinion de beaucoup de peuples, l'homme a plusieurs âmes ; les anciens Grecs croyaient aussi que l'homme avait plusieurs âmes-psychai). P.199
Si nous cherchons parmi les « daimons » antiques des personnifications du Soi, nous nous apercevons que certains « daimons » se manifestent plutôt comme un mélange de l' ombre et du Soi, ou d'animus-anima et du Soi, et ils sont cela aussi. En d'autres termes, ils représentent simplement « l'autre ».
C'est le cas non seulement en Égypte avec le Bâ d'Osiris, mais aussi avec l'idée que se faisaient les anciens latins du « genius ». Les « genii » des anciens romains étaient à l'origine des sortes de dieux domestiques. Leur nom est apparenté étymologiquement avec « gignere » procréer, et c'est pourquoi le « génie » représentait avant tout la force de procréation du père de famille et celle de l'héritier mâle, d'une manière analogue à l'âme Ka du pharaon égyptien. Le lit conjugal était appelé « genialis lectus », ce qui ne voulait pas seulement faire allusion à la puissance sexuelle mais aussi à ce que nous appellerions aujourd'hui une saine vitalité psychique, du tempérament et des richesses d'inspiration. Par le bien manger et 1e bien boire et par une bonne vie sexuelle, on pouvait réjouir le génie (indulgere genio). Par contre l'homosexualité et les perversions sexuelles le contrariaient. Les gens avares et « secs » laissaient leur génie dépérir. La sexualité, mais aussi, selon le sentiment des romains, des lieux à la campagne ou dans les champs, les bois, pouvaient avoir un génie, le « genius loci », garantissant la continuité de leur existence. Dans ce sens, le mot « genius » évoquait plutôt une atmosphère ou un état d'âme émanant de ces lieux. Nous nous trouvons là à nouveau dans cette situation originelle où la psyché objective semble vivre complètement à l'extérieur dans les choses qui ne seront perçues par l'homme qu'à travers des projections. P.201
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On pensait qu'en naissant chacun avait son génie qui déterminait son destin, comme Horace le décrivait : « Compagnon qui gouverne l'astre de la naissance, dieu de la nature humaine, mortel en chaque homme, transformant son visage, blanc et noir ». Plus tard, le génie fut considéré comme immortel. En même temps que cette individualisation du génie, son image prit de l'extension .. au contact de l'esprit grec.
Le génie de Jupiter, symbolisé par un phallus, protégeait les réserves de provisions. Un tel génie d'un dieu, personnifiait en quelque sorte son essence morale et psychique.
Par son contact avec l'esprit grec, la représentation italique du génie se modifia encore sur d'autres plants. Elle fut étroitement amalgamée aux concepts philosophiques des penseurs grecs, centrés sur l'idée d'un noyau psychique et spirituel immortel. Dans le « Timée » (906-900), Platon démontre que chaque individu a un « daimon » divin qui constitue la partie la plus noble de son âme. Qui cherche à faire l'apprentissage de la sagesse et se préoccupe des choses divines et éternelles, nourrit son « daimon » tandis que les « trivialités » du monde le rabaissent. L'école platonicienne s'intéressa intensément à cette voix mystérieuse que Socrate avait notoirement coutume d'exhorter dans certaines circonstances. On vit dans ce « daimonion » socratique un exemple de ce « daimon » divin dont avait parlé Platon. Jusqu'à quel point ce daimon ou ce daimonion pouvait être considéré comme endopsychique est d'appréciation variable.
Les stoïciens enseignèrent l'existence d'un daimon double : une des parties est celle de la psyché diurne dans l'être humain (Nous) et l'autre, une étincelle immigrée du feu de l'Ame du monde ; ce dernier daimon guide l'homme de l'extérieur tout au long de sa vie. D'après Plutarque (mort en 126 ap. J.C.), seul un être pur pourrait percevoir la voix de ce daimon totalement incorporel qui procure à son protégé un savoir surnaturel et « para psychologique » Selon les conceptions des néo-platoniciens, ce génie-daimon est immortel et devient après la mort une véritable divinité. Alors qu'à l'origine, le génie italique mourait avec son porteur, il poursuit sa voie après la mort, en tant que dieu lare ( esprit bienveillant) dans cette nouvelle conception.
En raison de l'orientation spirituelle ascétique que prirent la Stoa et le néoplatonisme de l'antiquité tardive, le génie italique perdit son ancienne composante de vitalité physique, le principe du plaisir qui lui était particulier à l'origine. Dans « De genio Socratis », une ouvre d'Apulée, il est fait mention de deux génies habitant l'être humain : l'un est le gardien éthique immortel et l'ami intime de la personne, et l'autre présent dans les « genua » = les genoux incarne le désir charnel et la concupiscence et reçoit de ce fait une estimation négative.
Très tôt, l'idée de génie fusionna aussi avec la représentation astrologique d'un destin personnel contenu dans la constellation P.203 de la naissance ...
Dans ses Saturnales, Macrobe en donne une description détaillée. Chaque être humain, à ses yeux, est une réunion de quatre daimons : Èros, celui que nous connaissons, le « fatum », un destin décrété par Dieu, un daimon dont la nature est signifiée par la position du soleil dans l'horoscope, et enfin « tyche », la chance qui dépend de la position de la lune. Le daimon connaîtrait l'avenir et se trouve en permanence en liaison avec l'esprit universel, le Logos ou pneuma spermatique du Tout. En lui se confondent le masculin et le féminin et il est ainsi un symbole androgyne de la totalité -non plus seulement génie ou Junon - mais une image archétypique qui, comme le « lapis » de l'alchimie, réunit les opposés, le masculin et le féminin, en une seule figure.