Déesse Mère et humanisation :
Certains aspects de Ia Déesse-Mère manquent à la figure chrétienne de Marie: Lucina (la lumineuse) était une des appellations de Junon et aussi de Diane; Thémis était la déesse de la justice et de la vengeance et Vénus, celle de la beauté et de l'amour, mère d'Eros. P.34
Déméter est une figure double: déesse de la fécondité, elle assiste les femmes en couches et préside à la croissance du grain de blé ; lorsqu'elle a perdu sa fille, elle devient une divinité de la vengeance et du malheur. Elle passe d'un aspect à l'autre, selon la qualité de sa relation à sa fille.
Dans le conte d'Amour et Psyché la fille divine est durement persécutée par sa future belle-mère, Vénus, qui, comme par exemple Ishtar et Atargatis, est une figure de la Grande Mère. Ce conte présente une intéressante variante du thème, puisque c'est par jalousie que Vénus persécute Psyché qui, dit-on, la surpasse en beauté.
Ainsi les dieux ont une action ambivalente dans l'inconscient collectif vis-à-vis de leur humanisation.
Vénus, la déesse-mère, agit sous la poussée de ses affects et de ses émotions sans beaucoup de réflexion ; de ce fait, elle suscite un beau désordre, avant de reconnaître que la seule issue serait de s'humaniser.
Cette tendance à s'incarner, qui s'est fait jour dans les systèmes religieux de la fin de l'Empire romain, se révèle surtout dans le christianisme.
Elle s'exprime dans la tradition judéo-chrétienne sous la forme d'une figure divine paternelle ambivalente, de qui procède un fils qui est non pas un fils mythologique divin, mais un être humain ayant une réalité historique. L'incarnation de Dieu dans le Christ a été vécue comme une expérience religieuse collective de portée immense. .
Mais, dans le cas de la déesse-mère antique, la tendance vers l'incarnation en une fille humaine n'a pas abouti. Ce qui signifie, au plan pratique que, l'image de la femme n'étant pas reconnue, la femme ne l'est pas non plus. Nulle part ce désir d'humanisation n'a été mené à son terme et ne s'est traduit sous forme d'événement religieux et culturel.
Le culte même de la déesse-mère a tourné court et a été réprimé. S'il a réapparu plus tard dans la dévotion à la Vierge Marie, c'est accompagné d'importantes restrictions mentales et de précautions visant à purifier la déesse de son ombre.
On accueillait à nouveau la déesse-mère, mais dans la mesure seulement où elle se soumettait à l'approbation de l'homme et se comportait « convenablement ».
L'aspect d'ombre de la déesse-mère antique n'a pas encore fait sa réapparition dans notre civilisation, ce qui nous laisse sur une interrogation, car il est évident qu'avec elle un élément important est absent.
Si l'on considère le cas de ces antiques déesses-mères qui haïssaient leurs propres incarnations humaines, on voit que le conflit peut se caractériser de la façon suivante : les déesses sont l'image d'une féminité absolument irréfléchie ; elles ne font que suivre leurs réactions émotives élémentaires.
Si Zeus avait une relation amoureuse avec une autre femme, Héra faisait une scène terrible et se vengeait sur sa rivale et éventuellement sur l'enfant innocent de celle-ci. Les femmes que nous sommes doivent admettre que sans le frein imposé par la conscience nous ferions de même, car c'est la réaction instinctive.
En même temps la déesse-mère pouvait se montrer compatissante : elle prenait dans son giron tout ce qui était pauvre, estropié et malheureux, l'aimait et le soignait.
Une charité élémentaire et incontrôlée est un de ses traits typiques, de même qu'un comportement sexuel débridé.
La Déesse-Mère était la grande prostituée qui se donnait à tout homme inconnu qu'elle rencontrait.
II y avait en elle une fécondité et une générosité infinies, une charité sans restrictions, une jalousie et une vanité sans bornes.
La réaction totaIe et tout d'une pièce qui caractérise ces déesses est celle de chaque femme, car eIle correspond à sa structure émotive et instinctive naturelle. P.57
Les déesses-fillessont identiques à leurs mères (tout comme le Fils est identique au Père). Néanmoins, elles sont habituellement un peu plus humaines ; elles sont capables, comme Psyché, de se sacrifier au lieu de suivre aveuglément leurs pulsions instinctives, de remplir leur mission et de se retenir de la vengeance, de la violence ou de la pitié irréfléchie. Elles sont moins primitives, moins chaotiques, plus réservées et plus stables, donc plus différenciées dans leurs réactions.
Cette tendance progressive inhérente r la structure féminine apparaît dans l'inconscient collectif comme un effort pour susciter une nouvelle forme de féminité chez la femme, de meme qu'un nouvel aspect de l'éros et de l'anima chez l'homme - ce qui correspond chez lui r un sentiment plus stable et plus nuancé. En Occident, l'homme a devancé la femme dans le processus de civilisation. En Inde du Sud, l'humanisation de la femme et de l'éros masculin semble plus avancée que chez nous ; lr-bas, les femmes sont ficres de leur féminité et l'attitude générale envers l'éros est plus évoluée. En Occident se rencontrent souvent la brutalité, la vulgarité et une absence de nuances sur le plan des sentiments ; par contre, on y trouve généralement une différenciation bien plus grande sur le plan de l'intellect et du logos qu'en Orient. En Inde, par exemple, le principe du logos est relativement peu développé et demeure encore teinté de préjugés médiévaux. P.58
Dans ce conte, la jeune fille est bénie par un certain nombre de figures maternelles, et maudite par l'un d'entre elles.