ESPRIT-TETE ET ANIMUS:
Les « esprits-têtes » sont, pour les tribus circumpolaires, des personnages qui vivent dans les profondeurs de la mer. Les Arabes et certaines tribus africaines croient aussi en l'existence de ces esprits que l'on rencontre dans le désert où ils se déplacent en roulant. On les considère comme des êtres plutôt dangereux, des magiciens. Ils constituent une race puissante qui vit sous la terre ou dans la mer et sont parfois supposés incarner les esprits des morts, la pure essence des morts étant contenue dans la tête. Ils sont appelés tantôt « crânes », tantôt « têtes ».
Une jeune fille s'attache donc à un tel esprit au lieu de s'attacher à un être humain, et se trouve très heureuse avec lui. C'est là une illustration merveilleuse de ce que nous appelons si sèchement et si techniquement « la possession par l'animus », formule abstraite qui signifie que la femme qui a épousé une « tête » est inaccessible, inapprochable sur le plan humain, car elle poursuit un dialogue incessant avec cet élément spirituel autonome.
Ce dialogue peut, à certains moments, être tout à fait positif et constituer un véritable et irremplaçable enseignement intérieur. Il n'est négatif que s'il « tourne en rond » et ne débouche pas sur la vie. Si l'on pouvait s'observer dans cet état de possession par l'animus, on constaterait, comme on le ferait pour quelqu'un d'autre, que l'on poursuit inlassablement une conversation intérieure, une réflexion, débattant de choses qu'on est dans l'impossibilité de confier à d'autres. On ne peut reprocher à une femme d'être dans cet état, car il est totalement involontaire et il n'existe pour elle aucun « point d'Archimède » d'où elle pourrait observer le P.181 phénomène. Seul un témoin extérieur remarque qu'elle a l'esprit absent. Elle-même est tellement absorbée qu'elle ne peut s'en apercevoir. L'animus et le courant incessant d'opinions et de raisonnements qu'il entraîne son merveilleusement bien représentés par cette image de la tête autonome.
Notre héroïne veut entrer dans la mer ; elle veut pénétrer dans les eaux de l'inconscient collectif, mais elle en est rejetée. Ceci est une conséquence de sa propre blessure, car, .. « cela » en elle refuse d'en connaître davantage. L'animus créateur est si sensible à ce stade naissant qu'il n'est plus possible par la suite de retrouver l'enthousiasme de l'adolescence. La jeune fille doit choisir entre deux voies ; elle renonce à celle qui la ramènerait vers la terre et monte, par dépit, vers le ciel, malgré l'avertissement donné par l'esprit. Sachant le danger, elle est vraiment responsable de son choix. « Peu m'importe où je vais, puisque tu ne veux plus vivre avec moi ! »
D'autres contes, ainsi que divers matériaux archétypiques, montrent que la tendance, chez une fille, à épouser une tête est généralement due à son complexe paterne. Ici l'histoire ne le précise pas, mais la réaction brutale du père vis-à-vis de l'esprit-tête aimé de sa fille confirme cette hypothèse. L'animus de la mère peut aussi P.183 être responsable, mais cela prend alors une forme légèrement différente, comme dans Blanche-Neige, où c'est la marâtre (la mère négative et son animus) qui oblige la fille à partir vivre dans la forêt, qui devient pour elle un lieu d'incubation. Comme La Belle au Bois dormant, elle y est endormie, et enfermée dans un cercueil de verre.