SOMMEIL ET MORT:
la mauvaise marraine-fée maudit la petite fille, annonçant qu'elle mourra . Mais la dernière marraine atténue la malédiction : au lieu de mourir, elle dormira pendant cent ans.
Sommeil et mort étaient dans l'antiquité des frères divins : Hypnos et Thanatos.
On pense au sommeil comme à une sorte de mort, c'est pourquoi dans cette histoire l'un et l'autre doivent être compris de façon relative.
Psychologiquement, un contenu est « mort » lorsqu'il est complètement endormi.
Si je rêve que telle ou telle personne est morte, cela signifie que le complexe représenté par cette personne est totalement refoulé, si bien que je n'en perçois même plus l'existence ; il est mort, il a cessé de participer à ma vie psychique.
C'est pourquoi, dans une psychose, il y a tant de symboles de revenants, de cimetières et de cadavres sortant de tombaux ; en ce cas, cela révèle l'existence de toute une vie psychotique dissociée et autonome qui demanderait à être réintégrée.
On pourrait dire que le côté sombre de la nature menace, à l'age de la puberté, de séparer cette jeune fille de toute la vie qui l'entoure. C'est en effet une période où les attitudes névrotiques se révèlent souvent.
Sur un plan collectif, cela signifie qu'un certain stade de la féminité est admis à se développer tant qu'il reste au niveau infantile de soumission, mais non au-delà.
Les éléments féminins qui ne cadrent pas tout à fait avec notre civilisation sont autorisés durant l'enfance, mais sont bannis dès que la fillette arrive à un âge où cela doit être pris au sérieux dans le monde adulte.
Ainsi, au carnaval de Bâle .. il y a un dieu de la liberté sexuelle, dieu que la civilisation chrétienne ne sait pas comment aborder . Pendant cette fête, les règles morales se relâchent, mais il est entendu que ceci ne doit pas être pris au sérieux et que ce sont seulement des amusements enfantins. Nous laissons donc ces choses vivre au niveau du jeu, mais comme adultes nous leur refusons une place dans notre P.81 vie. Nous disons : ceci est bon pour l'enfant, ou pour le Carnaval, ce n'était qu'un délassement. Nous ne le permettons que sous le déguisement innocent de la plaisanterie, mais dès que cela devient sérieux, nous le réprimons.
La dernière marraine-fée transforme la mort en un sommeil de cent ans, ce qui représente une bien longue période de répression. Il peut arriver en effet, dans la pratique, que les problèmes individuels s'aplanissent, tout en laissant le sentiment gênant qu'ils sont plutôt somnolents que résolus. En général, l'attitude consciente est alors telle que les problèmes ne peuvent émerger, ce qui fait qu'ils s'endorment, mais on sent qu'ils reviendront.
On peut penser que la vieille femme (dans la tour) n'est autre que la marraine évincée qui vient consommer la malédiction. .. dans certaines versions, .. elle vivait depuis plus de cinquante ans dans une tour. A présent elle a pris l'apparence d'une vieille femme ordinaire, qui est si vieille et qui vit d'une P.83 façon si retirée qu'elle a (encore) été oubliée. Elle est le côté sombre du principe féminin, l'ombre, le côté imparfait de la mère nature négligé dans notre civilisation et qui, bien entendu, se reflète aussi dans les mères personnelles.
Il y a dans l'esprit naturel féminin bien des aspects positifs. L'esprit de la femme a l'avantage d'être capable de voir les choses avec réalisme. ex; face au romantisme des ados: "les enfants aller faire vos lit" ; les ramenant ainsi à la réalité.
Mais l'esprit de nature, dans sa lucidité, peut P.89 aussi toucher les complexes de façon destructrice. Ce mauvais usage est très courant chez les femmes et c'est ce qui arrive ici - l'aspect négatif de la mère nature atteint la fillette et l'endort, tandis que ses parents, eux, sont « absents ».
Si la mère elle-même ne se reconnaît pas de valeur en tant que femme, elle transmettra involontairement cette conviction intime à sa petite fille. Au fur et à mesure que celle-ci grandira, elle se rendra compte de ces inhibitions qu'elle prendra pour des lacunes personnelles et, les échecs et les jugements d'autrui venant renforcer la mauvaise opinion qu'elle a d'elle-même, elle perdra le peu qu'elle pouvait avoir de confiance en soi. A partir de là, tout développement intérieur, avec ce qu'il comporte de possibilités créatrices et d'autoréalisation s'éteint, comme s'endort la princesse après s'être piquée.
Tout ce que l'on peut discerner chez de telles personnes parvenues à l'âge adulte, c'est que quelque chose est arrêté en elles.
Elles semblent vivre en léthargie et se traîner sous un astre maléfique, sans que l'on sache pourquoi ...
Ce genre de femmes se retrouve un beau jour dans une impasse pareille à celle qui surgit dans le conte. D'après celui-ci l'impasse est due à un complexe-mère, plus exactement à l'animus négatif maternel, car la vieille fileuse est une sorte de mère ou de grand-mère, et le fuseau représente l'animus (le phallus) de la mère.
un cas particulièrement critique d'anorexie. . La mère de cette femme avait été infirmière et avait fait sienne une attitude « chrétienne » de renoncement et de sacrifice qui l'amenait à considérer que sa propre vie n'avait aucune valeur et qu'elle ne devait rien en attendre - attitude qu'ont beaucoup de mères de famille, d'infirmières, etc. - ce qui ne l'avait pas empêché d'accaparer le médecin-chef de l'hôpital. Après son mariage, cet animus négatif se manifesta à nouveau ; elle ne cessait de se plaindre à son mari et à ses enfants, déclarant à qui voulait l'entendre qu'elle n'aurait jamais dû fonder de foyer pour pouvoir continuer à exercer son métier.
Les enfants grandirent donc dans cette atmosphère, où l'animus de leur mère leur fit savoir du matin au soir que leur existence même était une erreur et qu'ils avaient tort de vivre. La jeune fille en question cédait à tout ce qu'on lui demandait sans aucun discernement personnel, avec le souci constant d'apaiser tout un chacun. Elle craignait tout le monde, sa conviction profonde étant qu'elle n'avait pas le droit d'exister et devait P.91 essayer de se le faire pardonner. Toute son attitude signifiait : « Je vous en prie, ne me tuez pas, je serai bien sage, et je ferai tout ce que vous voudrez. » On peut dire qu'elle avait été piquée par l'opinion de l'animus maternel qui était devenue sienne. Elle aussi était une « Belle au Bois dormant ».
Lorsqu'elle vint me consulter pour la première fois, j'eus le sentiment curieux qu'on m'avait placé un éteignoir sur la tête et que j'allais m'endormir. Je suis accoutumée à me laisser aller à de tels phantasmes lorsque je reçois d'un patient des impressions de ce genre. Dans le cas présent, j'avais envie de me lever pour aller me mettre la tête sous le robinet d'eau froide. L'atmosphère était (trop) paisible, car elle était entre mes mains comme un jeune caneton : elle ne me contredisait jamais et ne me résistait en aucune façon. Elle m'était par ailleurs sympathique et m'intéressait, et cependant je ressentais en sa présence cette somnolence qui exprimait en fait sa propre situation ; elle ne s'était pas encore éveillée au fait qu'elle avait le droit d'exister. Pendant plusieurs années, le travail consista principalement à lui montrer dans chaque événement de sa vie comment elle s'était constamment laissé faire et avait toujours cédé aux autres passivement ; nous en revenions toujours à cela. Elle était tombée dans un tel abîme de misère qu'elle se trouvait complètement incapable de s'alimenter, car manger et digérer signifie prendre pour soi, réagir, et présuppose un minimum d'agressivité, or elle n'avait aucune réaction vis-à-vis de ce qui l'entourait.
Si nous l'envisageons à présent sur le plan collectif qui est celui du conte, ce thème du sommeil de la princesse nous ramène au fait que certains facteurs de la vie psychique féminine ont été refoulés par une censure consciente. Dans notre civilisation, un des présupposés le plus largement répandus - plutôt relégué à l'arrière-plan de l'esprit que véritablement inconscient est le rapport traditionnellement établi entre le bien, l'activité, l'esprit et l'homme d'une part, et le mal, la passivité, la matière et la femme d'autre part. P.93
. Du point de vue individuel, l'histoire de la Belle au Bois dormant est donc celle d'une femme qui a un complexe mère négatif ou d'un homme chez qui l'anima s'est endormie sous l'influence de ce même complexe. P.98