Complexe du Moi:
Que la princesse ne représente pas une femme en particulier .. est évident. Pourquoi, dans ce cas, est-elle présentée comme une personne et se comporte-t-elle comme un moi ? Et pourquoi le moi serait-il entièrement personnel ?
. « Qu'êtes-vous, en tant qu'individu ? » la plupart des gens montrent leur corps. Mais .. « Qu'est-ce qui est particulier à ma personne ? » Le fait d'avoir un moi n'est pas une exception, c'est le complexe le plus normal et le plus nécessaire aux êtres humains. II n'y a rien de particulier non plus à ce que le moi joue un rôle dans l'adaptation à la vie : « Je fais », « Je décide », « je vois » ou « je pense » sont des opérations communes à tous. L'un fait une chose mieux, un autre moins bien, mais les fonctions d'adaptation au réel appartiennent normalement à chacun. Le moi possède une telle proportion de traits généraux qu'il est bien difficile de démêler ceux qui forment l'essence particulière d'un individu. On ne peut atteindre cette essence et la connaître qu'à travers une analyse approfondie, voie par laquelle passent peu d'individus. Mais il existe un « moi » archétypique ou plutôt une disposition archétypique commune et semblable chez tous, qui se manifeste d'une façon ou d'une autre en chaque être humain.
Quel rapport a cet aspect archétypique du moi avec ce que Jung nomme le Soi ? . beaucoup de névroses de la jeunesse sont le fait d'un retard ou d'une malformation de l'évolution de la conscience du moi. Lorsque l'on observe les processus inconscients chez l'enfant, on voit qu'il existe dans leurs jeux, rêves et phantasmes des dynamismes qui tendent vers la formation du moi et sa maturation. On peut donc dire que le moi naît de l'inconscient et que c'est l'inconscient qui veut l'amélioration du moi ; ce n'est pas le moi de l'enfant qui le veut. L'élan de l'inconscient est à l'origine même du trouble névrotique, en ce qu'il tente de pousser l'enfant vers un niveau de conscience supérieur et à construire un complexe du moi plus solide. L'éducation et les techniques scolaires qui enseignent à l'enfant à se concentrer ou à dominer la fatigue seraient insuffisantes sans cet instinct de l'inconscient et sa poussée évolutive vers la construction du moi. Cet élan est donc un trait humain général, un archétype, qui émane du Soi. Fordham montre que les symboles qui apparaissent dans la première enfance tendent à fortifier la conscience, tandis que, dans la seconde partie de la vie, les choses s'inversent, l'accent étant mis alors sur l'écoute de l'inconscient.
Pendant la période bissexuelle et indifférenciée de la puberté, les jeunes tombent souvent amoureux d'une personne plus âgée qu'eux et de même sexe. Vues superficiellement, on pourrait interpréter ces figures dans les P.49 rêves et les phantasmes comme traduisant des tendances homosexuelles : or si l'on observe leurs rêves, on constate généralement que l'inconscient paraît soutenir cette admiration et cet attachement. Le personnage du frère aîné, du professeur ou de l'oncle y est paré de vertus magiques et présenté comme porteur de salut ou maître de sagesse. Il est, en effet, par certains aspects, une projection du Soi : la réaction naturelle du jeune admirateur est de désirer ressembler à l'objet de son admiration. Le personnage fonctionne donc comme le modèle d'un comportement meilleur et plus adulte, ce qui est exactement le rôle des « héros » des contes. Tant que le complexe du moi est encore faible, cette projection aide à la construction d'un moi mieux adapté. Tenant compte de ces faits d'expérience, nous résumerons donc en disant que le moi a un aspect archétypique et qu'il est édifié par le Soi, et que c'est cet aspect archétypique du moi que représentent le héros ou l'héroïne des contes de fées.
Illustrarion du mode de formation du moi et le processus de développement de l'encéphale chez la grenouille.
Le moi peut être considéré comme le centre du champ de la conscience ; enfanté par ce dernier, il doit son existence à une réaction globale du système psychique tout entier, qui est un système autorégulateur. On peut dire que l'impulsion latente à produire le moi est un des aspects du héros mythologique. Celui-ci a des qualités qui ne coïncident pas avec celles du moi réalisé, mais qui relèvent davantage de la totalité archétypique de la psyché.
La plupart des difficultés humaines, y compris les dissociations névrotiques ou psychotiques, sont dues à un moi qui ne fonctionne pas en harmonie avec la totalité psychique. Il y a une discordance de quelque nature entre le moi et la structure d'ensemble de la psyché. Ainsi l'on observe dans un certain type de schizophrénie une énorme production imaginaire issue de l'inconscient, en même temps qu'un appauvrissement du conscient en ce qui concerne la pensée, et aussi .. l'émotion et l'affectivité ; la personnalité consciente est en disharmonie avec la vitalité débordante de l'inconscient, car la surabondance de ce dernier se déverse dans un vase trop étroit. C'est pourquoi l'un des rôles principaux du traitement analytique est de travailler à élargir le champ des réactions émotionnelles de sorte que la capacité et la solidité du conscient augmentent et soit en mesure d'accueillir les pulsions venues de l'inconscient. Bien qu'il existe diverses sortes de disharmonies et que toutes les dissociations névrotiques n'aient pas cette origine, celle-ci se rencontre fréquemment.
Le complexe du moi tend tout particulièrement à se dissocier du reste de la psyché et à se comporter de façon autonome, jusqu'à se trouver en opposition avec elle. C'est pourquoi l'une des tâches essentielles de l'espèce humaine est de réussir à ce que s'élabore un moi qui fonctionne de façon saine, c'est-à-dire en accord avec la structure instinctive d'ensemble de l'anthropos. D'une part, nous nous distinguons des autres animaux en ce que nous avons un complexe du moi fort, mais d'autre part, notre conscient plus développé nous fait continuellement courir un danger de dissociation.
Les récits mythologiques où le héros ou l'héroïne se conduit de façon spécifique sont une tentative de P.51 l'inconscient pour créer un modèle de complexe du moi qui fonctionne de façon adéquate. Le héros représente le complexe du moi idéal, demeurant en harmonie avec les exigences de la psyché. Il est celui qui met fin à la stérilité d'un pays et y rétablit une santé florissante en faisant couler la vie sous des formes bénéfiques. Chaque conte a un sens particulier, mais le héros-modèle s'y comporte toujours selon ses instincts. De même, lorsque l'héroïne vit en accord avec les exigences instinctives complètes de sa psyché, elle représente un modèle de comportement de la personnalité féminine consciente. Le héros et l'héroïne nous proposent une sorte d'esquisse de correspondance archétypique entre le moi et le Soi, qui demande à s'accomplir et à se réaliser de façon concrète dans la vie de chaque personne. On pourrait dire que la totalité psychique, ou ce que nous appelons le Soi, est une possibilité virtuelle et latente. Tel un ouf, c'est une masse de possibles qui a besoin de la vie consciente concrète, avec ses tragédies, ses conflits et ses solutions pour prendre vie : comme la Belle au Bois, elle attend d'être éveillée. Le moi est donc l'instrument grâce auquel les potentialités psychiques innées peuvent devenir réalité : si, par exemple, j'ai des dons artistiques sans que jamais j'en prenne conscience ni fasse quoi que ce soit pour essayer de les utiliser, ces dons pourraient tout aussi bien ne pas exister. En termes mythologiques, le moi est le héros, l'instrument de l'incarnation du Soi. Le héros et l'héroïne des contes de fées illustrent la façon dont de tels instruments d'incarnation devraient fonctionner. Le moi a un nombre infini de fonctions différentes à remplir, et chaque conte souligne un de ses aspects, généralement celui qui, à ce moment donné, fait défaut dans la situation collective ou est réclamé par elle. Le Fils de Dieu en est un exemple frappant : la figure divine centrale de notre civilisation est un homme réduit à l'impuissance, abandonné de tous et pendu sur la croix. Il est condamné à la souffrance et une passivité totale ; or c'est lui que l'homme occidental actif et volontariste est invité à adorer et à prier, c'est sur lui qu'il lui faut méditer.