VENGEANCE AU FEMININ OU LA REVANCHE DE LA DEESSE :
Quant à Thémis, la Justice et la Vengeance, c'est elle qui joue le rôle de la mauvaise marraine fée. Elle incarne un aspect de la déesse-mère qui a été largement oublié dans notre civilisation . Elle représente un principe féminin de sévérité et de vengeance qui ne coïncide pas avec l'attitude parallèle masculine. Quand nous évoquons vengeance ou punition - la vengeance étant la forme primitive du châtiment - nous pensons aux lois établies, à leur violation et aux peines appliquées conformément à elles. Car c'est là notre coutume.
Faire des lois et décider des peines encourues par ceux qui ne les observent pas est la façon masculine de traiter le problème de la justice. Nos lois sont basées sur le Code romain et la mentalité patriarcale, de telle sorte que nous envisageons généralement la punition comme ayant à faire avec le monde masculin tandis que la charité et l'exception seraient reliées au principe féminin. . P.75 . Le fait que les hommes édictent des lois et traitent des problèmes mondiaux et que les femmes aient le rôle de plaider la clémence suit le vieux modèle familial patriarcal où le père châtie et exige le travail et l'effort et la mère sollicite l'indulgence ; même lorsque ce principe n'est plus appliqué, il demeure malgré tout le modèle. La justice et la punition dans le monde masculin sont rattachées à la notion de lois statistiques, et l'on entend par justice que chacun subisse la même peine pour le même délit ; il n'y a aucune exception, à moins qu'il n'y ait une réglementation pour les couvrir.
C'est là une défense contre le mal, mais c'est une façon unilatérale de considérer le problème. Si l'on en croit les données mythologiques, il existe aussi une justice et un principe de punition et de vengeance féminins. On pourrait dire que la loi, telle que nous la concevons d'un point de vue masculin, est liée au principe du logos ; elle correspond à l'idée fondamentale qu'il faut qu'un certain ordre règne dans la famille et dans la société. Pour cela, des règles sont établies et ceux qui ne s'y tiennent pas sont punis. C'est une protestation contre le chaos, typique d'une certaine attitude face à la vie. Mais, si l'on en croit les données mythologiques, il existe cet autre principe féminin de justice, de vengeance et de châtiment. Je comparerai ce processus au caractère vindicatif de la nature : si, pendant des années, une personne mange à la hâte et sans même prendre le temps de s'asseoir, elle sera punie par des désordres d'estomac. Cela n'a rien à faire avec une législation quelconque, c'est une conséquence naturelle : un comportement incorrect entraîne le malheur et la maladie.
La vengeance et la punition ne dépendent donc pas seulement des décisions humaines, mais aussi des conséquences naturelles. Cela est également vrai sur le plan psychologique. Une attitude fausse (pas nécessairement immorale, mais en désaccord avec la nature) est punie par la malchance ou la névrose, bien qu'aucune loi éthique n'ait été enfreinte. Dans la plupart des mythologies primitives, il existe une figure féminine divine de la nature analogue aux déesses grecques Némésis, la Vengeance ou Thémis, la Justice. Dans la Kabbale juive, la Justice est placée à la gauche de l'arbre des Séphiroth, c'est-à-dire du côté féminin, ce qui montre bien que, selon le symbolisme hébraïque, la justice est une qualité féminine, ce qui peut nous sembler très étrange.
La nature est dure, sévère et cruellement vengeresse. Il n'y a ni jugement ni règle, mais simplement, traduit en termes mythologiques, la revanche de l'aspect sombre de la déesse. . le nom de Thémis fait allusion à la façon dont la nature rectifie la loi masculine dans un sens total et naturel. Les femmes ont tendance à ne pas attacher beaucoup d'importance aux principes de la justice et de la loi, mais à réagir instinctivement contre ce qui leur déplaît par de la méchanceté, réaction qui ressemble à celle de la nature (ce qui ne signifie pas qu'on doive justifier toute réaction de l'animus en se référant à ce que je viens de dire !). L'anima chez l'homme comporte aussi une forme de méchanceté, car elle est comme une femme primitive ; elle a également une façon de réagir aux situations déplaisantes en se rendant carrément insupportable. Laisser monter une humeur au lieu d'appliquer une peine réfléchie et raisonnable n'est pas toujours injustifié : dans certaines situations, se montrer simplement désagréable est la bonne réponse. La renarde qui mord le renardeau parvenu à un certain âge se conduit comme elle le doit ; en agissant ainsi, elle le renvoie à lui-même et l'oblige à prendre sa liberté. Certaines mères font de même et repoussent leurs enfants qui se cramponnent trop à elles ; comme la mère animale, elles les envoient promener. Ceci correspond à l'esprit de revanche de la nature dans son aspect positif, même si, vu de l'extérieur, cela paraît choquant. Si la femme est psychiquement en ordre et fonctionne en accord avec les lois internes de son être, elle peut se P.77 permettre cette sorte de méchanceté instinctive et féminine sans que ce soit de l'animus négatif. L'animal qui veut être nourri trop longtemps par sa mère obtient en contrepartie la méchante mère. Mais ce fonctionnement de la loi féminine n'est pas reconnu par notre civilisation patriarcale, c'est pourquoi elle est considérée comme immorale. Je connais la mère d'une fillette de huit ans qui est très capricieuse et veut sans cesse que sa mère joue avec elle. Pour son après-midi de congé, la mère expédie l'enfant dehors. A la dernière minute, pourtant, l'enfant demande systématiquement quelque chose. Par exemple, elle est suffisamment maligne pour dire qu'elle a fait ses exercices d'arithmétique - ce qu'elle déteste et demander à sa mère de les vérifier. D'un point de rue conventionnel, la mère devrait aider sa fille dans le travail scolaire, mais dans le cas présent et d'un point le vue féminin, la mère fait bien, car c'est une ruse de la fillette pour garder sa mère avec elle. En apparence, l'enfant semble logique et honnête, aussi faut-il une certaine subtilité pour décider qui a raison. Ici se pose la question de savoir si la mère doit suivre la motivation intérieure et se montrer désagréable ou la motivation « supérieure » qui se révèle, à la longue, mauvaise pour les deux. Les femmes qui ont un sens du devoir trop rigide ont des difficultés dans un cas semblable ; elles sont portées à dévier de la réaction instinctive et à penser qu'une bonne mère doit aider l'enfant dans son travail scolaire. C'est un « doit » et par conséquent, du point de vue féminin, une réaction de l'animus et, bien qu'en ce cas il ait une intention bienveillante, c'est tout de même de l'animus. La réaction saine serait de suivre l'instinct et de dire « non » à l'enfant.
Le problème est très subtil, car l'on peut retourner tout ce que je viens de dire pour justifier la paresse, l'égoïsme, ou les idées de l'animus contre l'instinct réel. On est obligé d'être franc et honnête avec soi-même pour comprendre ce que l'inconscient exprime.
La vengeance de la nature est reliée de près à la situation .. de notre temps . Les progrès techniques, l'hygiène et la lutte contre les maladies sont évidemment un bien, mais se leurrer au sujet de l'ombre terrible de cette attitude unilatéralement bonne provoque des situations redoutables. Pour faire face à un problème avec efficacité, il faut l'envisager dans sa totalité, c'est-à-dire savoir évaluer les conséquences néfastes d'une attitude positive, sinon l'on aboutit avec le temps à une situation pire qu'avant. .
Toutes les entreprises charitables bien intentionnées sont fondées sur une Weltanschauung et basées sur des idées d'inspiration chrétienne et humanitaire qui ne prennent pas en considération le côté sombre de la mère nature, Si l'on ignore un dieu ou une déesse, il se manifeste d'autant plus dangereusement. Il fut un temps où, dans l'idée que l'on se faisait de la nature, le bon, le généreux et le mal, l'obscur s'équilibraient dans une certaine mesure, mais depuis le XII et XIII siècles environ, .. les processus ne sont plus censés devoir s'aligner que sur une attitude unilatéralement lumineuse et bonne. Depuis lors, on persista à tort dans une direction qui n'était plus valable sans comprendre qu'une évolution nouvelle était P.79 nécessaire : une transformation était exigée en même temps qu'une conscience de l'existence de « l'autre côté ». Au lieu de cela un raidissement général se produisit à travers toute l'Europe ; ce qui avait été juste se transforma en une attitude névrotique et des mécanismes de défense s'élevèrent contre la situation de masse.