CREATIVITE INTERIEURE ET PSYCHAGOGIE
"La psychanalyse a raison de répudier le rôle d'un maître qui répondrait aux doutes du sujet, qui lui dicterait ses propres convictions, sa propre "sagesse", alors que toute sagesse authentique doit sourdre du cour de l'être... Le refus de répondre, le refus socratique de permettre au sujet cette solution facile qu'est l'adoption d'une sagesse toute faite, force dans ses derniers retranchements la résistance du sujet à trouver sa propre loi. Et c'est dans ce sens paradoxal que la psychanalyse devient pour ainsi dire malgré elle, mais d'autant plus nécessairement psychagogie. Nous voici - parce que nous sommes au centre de l'être - au point brûlant et inéluctable où la science est mise en demeure, si elle va jusqu'au bout d'elle-même, de se convertir en sagesse. » C.B
Maintenant, soyons suffisamment curieux pour nous interroger sur ce que précise Baudouin, écoutons-le:
« Dans la suggestion, il s'agit de la réalisation inconsciente d'une idée préalablement consciente.
Dans le cas de la subaction, nous avons affaire à la réalisation inconsciente d'une idée préalablement inconsciente. »
Faut-il entendre par là qu'il nous est permis de remettre en mouvement notre créativité intérieure? Cet "élan vital" dont nous parle Bergson lorsqu'il écrit:
" Mais avec la vie apparaît le mouvement imprévisible et libre. Dans un monde où tout est déterminé, une zone d'indétermination l'environne... C'est que la vie est précisément la liberté s'insérant dans la nécessité et la tournant à son profit."
C'est bien le but de la psychagogie : faire retrouver au patient sa créativité intérieure, créativité qui est la vie, car, poursuit Bergson:
" les choses se passent comme si un immense courant de conscience avait traversé la matière, mais la conscience a failli être prise au piège. La matière s'enroule autour d'elle, la plie à son propre automatisme, l'endort dans sa propre inconscience."
Baudouin doit faire alors le rapprochement avec ce qu'il vient de lire chez Freud:
« A un moment donné, une force dont nous ne pouvons avoir aucune représentation a réveillé dans la matière inanimée les propriétés de la vie. Il s'agissait peut-être d'un processus ayant servi de modèle et analogue qui, plus tard, a fait naître, dans une certaine couche de la matière vivante, la conscience. »
La conclusion, s'imposant alors, sera que la psychagogie devra tenter de remettre en mouvement cette énergie créatrice de vie chez le patient, processus que Cyrulnik a nommé "résilience".
" La résilience, c'est plus que résister, c'est aussi apprendre à vivre. Malheureusement, cela coûte cher : "on ne devient pas normal impunément", disait Cioran. »
"...L'homme ne peut pas éternellement demeurer un enfant, il lui faut s'aventurer dans l'univers hostile. On peut appeler cela: l'éducation en vue de la réalité." Freud
... Eliane Amado Levy-Valensi écrira:
« Le processus thérapeutique devra trouver dans quelle dimension replacer l'espérance, le projet, la créativité du malade. Là où toute pédagogie de la créativité a échoué, là où pour mieux dire rien n'a été tenté, la psychanalyse devra être cette psychagogie restituant au sujet son sens d'autrui et sa génialité concomitante. »
Pour Baudouin, cette créativité intérieure est le fruit d'une aptitude à la perte et au deuil. Christophe le passeur découvrira dans sa "nuit obscure", par la perte de toutes ses attentes narcissiques,qu'il y a en lui une source de créativité, affirmation reprise par
Cyrulnik :
" La créativité est facilement considérée comme un don du ciel, un acte divin... Les hommes créateurs seraient proches des surhommes. C'est au contraire la perte, l'absence, le deuil qui contraignent le blessé à remplir ce vide."
Là où la psychanalyse du début de siècle voyait dans la fin de l'analyse l'aptitude au bonheur, la psychagogie voit ce que le sujet a à promouvoir, en dépassant les deux avatars de "l'aptitude au bonheur" comme celui de ''l'insatisfaction''.
Ne pouvant pas changer les évènements de notre histoire, nous avons à modifier le rapport à nous-même et aux autres, grâce à une relation thérapeutique réorganisatrice de notre subjectivité. Il s'agit, écrit Winnicott, de faire accéder le patient; « à un mode créatif de perception donnant à l'individu le sentiment que la vie vaut la peine d'être vécue."
Pour cela la prise de conscience ne suffit pas, car elle se situe à un niveau secondaire. Ce qu'il faut tenter de changer c'est une forme primaire de perception de l'événement. La psychagogie tente, par une actualisation transférentielle, une réinscription dans une nouvelle présence à l'événement et à soi-même.
Balint dans son ouvrage "Techniques psychothérapeutiques " écrira fort justement:
« Nous enseignons effectivement quelque chose de très important à nos patients: au cours de cet enseignement, certains peuvent même se trouver guéris, mais il n'est pas rare que le patient soit obligé d'apprendre comment vivre avec sa maladie."
Grâce à Coué, un changement dans le processus thérapeutique a été apporté:
- celui-ci ne peut plus seulement être pensé en terme de "prise de conscience",
- mais doit l'être aussi et surtout en terme de transformation intra-psychique; transformation, fruit d'un climat relationnel "d'être à être", car le traumatisme se situe souvent dans la période pré-verbale.
L'histoire personnelle ne peut changer, mais le rapport subjectif à soi-même peut évoluer. Or pour évoluer, nous l'avons dit, il ne suffit pas de comprendre, car la compréhension est de l'ordre du processus secondaire. Mais bien souvent le traumatisme se situe dans la zone des perceptions pré-verbales, au niveau primaire. Le retour sur ce passé est P.115 moins sur le modèle d'une régression, que sur celui d'une déconstruction des superstructures défensives masquant le rapport à soi-rnême.
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Il faut bien reconnaître que la position du psychagogue est difficile à tenir, car il doit créer un climat de confiance, sans toutefois oublier la rigueur "paternelle" indispensable au projet douloureux de déconstruction - reconstruction du passé.
.. lapsychagogie tente de redonner au sujet le contact avec le souffle créateur qui l'habite, mais qui s'est figé dans la corporéité.
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"Ce à quoi Christophe accédait maintenant, par les récits pleins d'abandon et de confiance de ses passagers... c'était la connaissance de l'envers de la tapisserie...
Il arrivait que l'oil en s'accoutumant à cette pérombre, y distinguât, à travers le désordre apparent du premier regard, des formes, des trames, des nuances des rosaces de plus en plus composées et harmonieuses, et il advenait que ces figures finissent par être plus attachantes."
Mais Christophe sait aussi " que des tares, on peut faire autant de vertus, de chaque tare une vertu particulière. Et c'est peut-être là tour le secret de la vocation."
Cyrulnik illustre cela par une image:
« Ni acier, ni surhomme, le résilient ne peut pas échapper à l'oximoron dont la perle de l'huître pourrait être l'emblème: quand un grain de sable pénètre dans l'huître et l'agresse au point que, pour s'en défendre, elle doit secréter la nacre arrondie, cette réaction de défense donne un bijou dur, brillant et précieux. »
L'homme ne se définit que dans l'inachèvement qui porte l'histoire.
La réalité c'est ce qui reste à accomplir; le but poursuivi est de donner à celui que nous accompagnons, la liberté de choisir sa vie dans le plus grand respect du prochain.
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L'influence caractérisant la subaction n'est pas du même ordre que la suggestion; la suggestion ordonne un comportement, la subaction crée un climat favorable à un choix personnel. Freud confirme:
'La tâche de la psychanalyse n'est pas de rendre impossible les réactions morbides, mais d'offrir au Moi du malade la liberté de se décider pour ceci ou pour cela." .P.117