Eros:
1-L'enfance psychique et le mythe d'Eros et Psyché ,amants-enfants :
Nous retournons à l'enfantin moins pour accomplir ou transformer des satisfactions orales et une perversité polymorphe que dans le but de nous enrichir de sa nature.
Nous considérons les blessures de l'enfance moins comme le résultat de traumatismes nutritifs et sexuels que comme des blessures d'amour.
Nous les ressentons comme un abandon : ce qui nous est le plus intime (l''âme) est privé d'amour; nous-mêmes sommes livrés à l'emprise du désir, et notre être s'est gonflé d'amour dont personne ne veut, privé de réceptacles adéquats ou autorisés.
Les blessures d'amour entravent la croissance de la psycbé, transformant la faiblesse et la simplicité naturelles de ce stade juvénile en un besoin de protection infantile.
Elles peuvent être guéries par ce que l'amour a d'enfantin.
Les figures qui représentent les premières phases de la psychisation de l'instinct créateur sont des images de l'enfant, dont la signification essentielle est la métamorphose de soi-même à l'aide de sa propre vis naturalis.
La simplicité de l'enfant présente deux aspects : celui du plaisir et de Ia joie, et celui des blessures inconscientes de leur propre souffrance.
L'approche par l'éros nous permet de retourner, à cette innocence qui guérit en éveillant l'enfant à lui-même.
Le mythe d'Eros et Psyché peut nous faire comprendre comment soigner la puérilité de la psyché (cette résistance naturelle à la réflexion sur soi) et comment aller au-devant des influences de l'éros enfantin (les seuls désirs naturels encore dominés par le complexe maternel )
Toutefois, les blessures de l'enfant, son état d'imperfection, ne se guérissent pas en « l'élevant » selon des attitudes parentales.
Disons plutôt que cette guérison, équivalente au fait de grandir, se produit grâce aux effets de l'éros sur la psyché et de la psyché sur l'éros.
Ils se stimulent l'un l'autre.
Et la guérison des blessures, psychiques et érotiques, se refléte dans le motif onirique des enfants, les vôtres et les miens, qui se rencontrent et grandissent ensemble.
2-La sexualité et le mythe d'Eros et Psyché:
Trouver dans I'éros de l'enfance et dans la psyché enfantine une prédominance sexuelle (Freud) revient à déchiffrer les faits à l'envers : c'est voir l'adulte dans l'enfant.
On transplante ou transfère les désirs adultes de liberté polymorphe dans l'enfance imaginale de l'Eden.
La relation éros-psyché, caractérisée comme union entre deux enfants, indique un hermaphrodisme polymorphe originel qui est prégénitaI et antérieur aux oppositions entre âme privée de corps et corps sans âme, aux expériences dans lesquelles les opposés sont déchirés pour être réunis à nouveau par le désir sexuel, et où jeu, fantaisie mais aussi sexualité sont des formes de l'éros et de la psyché.
S'ils sont dépeints comme des enfants, c'est que l'éros et la psyché se rejoignent dans ce que nous avons d'enfantin et dans le type de conscience imaginale propre à l'enfant.
Les figures d 'Eros ithyphallique et priapique affirment que l'amour est un dérivé de l'instinct sexuel..
L 'énigme phallus-pénis a longtemps préoccupé la psychologie, parce qu'elle est un mystère essentiel de la psycbé...
La révélation de cette énigme est au coeur de l'initiation et des mystères réservés aux hommes et aux femmes -
L 'initiation, comme transformation de la conscience de la vie, entraine nécessairement une transformation de Ia conscience de la sexualité.
La nature variée de la sexualité, la plasticité souvent notée de l'instinct, ainsi que sa contamination facile par l'oralité, l'agressivité et la créativité signifient que la sexualité n'est jamais un « toujours » ou un « seulement », jamais une et identique.
Non seulement celle-ci se modifie selon les stades de développement mis en lumière par Freud mais, en tant qu'instinct, elle peut étre psychisée à travers l'ombre, la mère, l'enfant, l'anima,l'animus, etc., , offrant une multiplicité de perceptions de sa propre nature.
La sexualité change, au même titre que les dieux qui en portent le signe, le phallus-pénis - et passe par différentes phases. Pan, Priape, Hermés, Dionysos, Zeus, ApoIlon, Eros, Ies kouroi, Kabeiroi, Silènes, Satyres et Centaures - chacun représente une voie d'initiation à la vie sexuelle, un type de fantaisie grace auquel on peut faire l'expérience de l'instinct.
Dans notre culture, l'individu ne reçoit aucune image de Dieu comme exemple d'initiation à l'existence sexuelle.
L'initiation nous fournirait des modèles mythiques de psychisation de cet instinct; en l'absence de ce rite, nous comprenons mal et rationalisons nos fantaisies sexuelles, et devenons victimes de nos complexes.
3-L'amour , Eros et le principe masculin :
La pratique nous enseigne qu'amour et sexualité ne sont pas identiques.
Il y a un éros, improprement appelé platonique, qui omet le sexuel, tout comme il existe une sexualité sans éros.
Ils peuvent suivre des voies séparées, mais le plus souvent à leur détriment.
L'aspect phallique de l'éros en souligne l'essence masculine.
Il est satyre, jeune garçon, flèche ou flambeau...ou encore incarne l'amour illuminé dans les figures de Krishna, Bouddha, Jésus ; dans tous les cas, il est le principe actif de l'amour, la fonction de relation, d'union sexuelle, de métaxie (< le lieu entre »).
Que ce soit comme descente de la grâce spirituelle, comme aspiration platonique vers le haut ou comme principe aristotélicien du mouvement universel, l'amour requiert, éveille, anime, crée la vie.
Eros a des liens mythiques particuliers avec Phanès, le porteur de lumière ; avec Hermès, le messager mâle ; avec Priape, l'incarnation phallique ; avec Pan, la force masculine de la nature; avec Dionysos, énergie vivante indestructible.
Les ailes, que porte encore Eros dans l'imagerie des chérubins representent le concept de « mouvement autonome », qui est la caractéristique fondamentale du principe masculin.
Nous ne saurions placer l'amour tout entier sur l'autel d'Aphrodite.
Bien que l'amour puisse apparaître d'abord sous une forme féminine et l'éros masculin se développer à partir d'elle comme à partir d'un oeuf, il nous faut distinguer entre l'Eros masculin du principe créateur et l'amour représenté par la Grande Déesse sous toutes ses formes.
Aphrodite est née des eaux, alors que l'imagerie d'Eros l'associe au feu et à l'air.
Eros en tant que « fils » concrétise et met en action le caractère réceptif féminin, son aspect aimant, et la beauté de la mère, dont il est, en un sens, à jamais I'enfant.
Mais la déesse fait montre d'une autre qualité, qu'elle soit Aphrodite, Cybèle, Ishtar, Freya, Kuan-Yin ou Marie : son essence se manifeste avec plus de passivité, plus d'acceptation, moins de différenciation.
Exprimée négativement, cette essence se traduit par son émotivité exigeante et sa promiscuité notoire ; exprimée positivement, c'est son inépuisable fécondité, sa pitié et sa compassion universelles.
Nous pouvons attribuer la perte de notre identité érotique à celle de la distinction entre les dieux, et entre masculin et féminin.
La masculinité a fini par signifier le rejet de l'érotique comme efféminé, conduisant à une vulgarisation compensatoire de l'éros ou à sa substitution par la sexualité.
Les femmes doivent supporter tout ce qui a été rejeté : sensibilité, fantaisie, amour, don des relations, inspiration et initiative.
La faculté d'établir des liens affectifs a été émasculée, et il en résulte un mélange de passivité et de promiscuité.
Il y manque la netteté personnelle de la flèche d'Eros, la lumiére de son flambeau, et le courage pour les hommes de faire confiance à l'amour et de le suivre comme une réalité virile...
Eros en tant que fils - autre type d'amour - demande à naître.
Le développement de la psyché chez l'homme comme chez la femme commence quand on cesse de servir le seul principe de l'amour féminin pour y joindre l'éros masculin.
Dans cette perspective, la « castration » signifie pour la femme l'identification à Aphrodite et à cette seule forme d'amour féminin ; aussi féconde et indifférenciée soit-elle, elle demeure « castrée » - c'est-à-dire non créatrice - sans les attributs masculins d'Eros.
Nous pouvons comprendre l'envie du pénis comme une envie d'éros.
Le rôle spécifique que Vénus-Aphrodite joue dans le mythe d'Eros et Psyché sera toujours crucial pour toute comparaison entre l'amour masculin et l'amour féminin et ses effets sur la psyché.
Dans cette relation, Aphrodite est manifestemenl contre l'union éros-psyché. L'opposition d' Aphrodite n'est pas seulement comparable à celle des contes populaires où une mauvaise mère fait obstacle à l'amour.
Aphrodite exprime la composante antipsychique fondamentale d'un certain type d'amour.
Le conte souligne la différence entre amour aphrodisiaque et amour psychique.
Aphrodite représente non seulement l'archétype antipsychique de l'amour, mais elle voudrait encore empêcher l'évolution de l'éros, en faisant obstacle à sa relation avec l'âme.
La tâche de la psyché en chaque individu, l'amour d'Eros visant Psyché, est de distinguer, lorsqu'elle se trouve sous le feu des pulsions et selon ses possibilités, entre les mouvements d'éros formateurs d'âme et un autre type d'amour féminin où tous les événements psychiques ne font que servir les exigences d' Aphrodite.
Psycbé soutient en effet que l'amour est premier ; elle tient sa vie prête pour l'amour - mais cet amour est Eros, non Aphrodite.
L'amour « n'est pas seulement une passion qui naît de l'âme » , les affects et les enthousiasmes d'une fonction psychique.
Eros n'est pas fonction de Psyché, pas plus que l'éros que nous pouvons connaître n'est une composante de notre individualité humaine, située « à l'intérieur » de notre « inconscient », et sujet à un développement, à une analyse et à une adaptation.
Eros n'est jamais nôtre ; c'est lui qui nous posséde.
« L'amour est-il un dieu, un démon, ou une passion de l'âme ? » demande Plotin.
4-La métaxie et Eros:
Selon Kerényi, Eros « englobe dans son essence le phallique, le psychique et le spirituel, et se porte même au-delà de la vie de l'être individuel. »
Plus qu'enfant, plus que phallus-pénis, plus que masculinité mouvante de l'amour, Eros, dans le contexte de la conscience grecque semble être une figure de la métaxie; région intermédiaire qui n'est ni divine ni humaine, mais qui correspond au principe d' interactions.
Eros chez Platon agit comme élément de synthèse et comme intermédiaire. Ses rapports avec Hermès accentue son aspect de messager psychopompe.
Eros n'apparait pas comme un dieu parmi les autres ; il n'est pas non plus un amant, comme Zeus.
Il est moins une « Gestalt » qu'une fonction divine, moins un modèle spécifique qu'un moyen de pénétrer tout modèle et de le colorer d'éros.
On peut l'imaginer comme une fonction opérant entre et parmi les dieux, et la conceptualiser en tant que consubstantiation, unité des dieux entre eux et participation à l'humain.
Eros relie l'individuel à ce qui le dépasse, et ramène cet au-delà dans l'expérience personnel!e.
Il conduit (comme psychopompe) l'âme vers les dieux et lui apporte un peu de lueur et de sublime horreur - car nous aimons pour le meilleur et pour le pire.
Cette métaxie, cette région intermédiaire, se définirait aujourd'hui comme le domaine de la réalité psychique (non pas personnel au sens habituel de l'amour), qui s'étend d'un côté jusqu'à l'éros spirituel cosmogonique, et de l'autre, jusqu'au physique et au phallique .
5-Le daimon et Eros:
Eros, en tant qu'intermédiaire, crée son propre espace psychique, son propre monde " entre-deux ", grâce à une forme particulière d'interférences ou d'interventions psychiques - « l'inexplicable » - qui interrompt, réoriente et symbolise le comportement, quelquefois en pleine action, ou même avant que le modèle ne passe dans la vie.
Entre l'impulsion et l'action intervient le temps.
L'action directe est entravee, et devient indirecte et imaginative.
Par ce développement de l'espace intérieur, du temps et de l'imagination, l'univers psychique devient réel.
La venue au monde du domaine psychique ou d'un de ses aspects nouveaux apparait fréquemment dans les rêves avec le thème des jumeaux, le dédoublement de l'imagerie, le nombre deux dans toutes ses possibilités ambivalentes (au lieu de l'unicité de la pulsion), l'ambiguité diabolique de la conscience.
C'est ce qu'on appela, à une certaine époque, un daimon.
L'« intervention psychique » dans l'épopée homérique était attribuée à une âme occulte, un daimon.
Le daimon provoque un changement abrupt du modéle de comportement et se situait dans ou se manifestait par le thymos (ressenti dans la poitrine ou le diaphragme), siège de la conscience émotionnelle.
Le double aspect du démon/daimon -qui peut provoquer un modèle de comportement et l'inhiber - immortel protecteur de la destinée individuelle -esprit tutélaire - semble être inextricablement lié à l'âme animale ...
Impulsion démonique et daimon, la bande rouge et la bleue font partie du même spectre, comme les pôles construction/destruction de créativité, et on ne peut jamais savoir avec certitude quelle bande ou quel aspect est le démonique et lequel est le constructif; on sait seulement que les deux sont liés, que la présence d'un seul signifie que l'autre manque, et qu'inhibition et désorientation font autant partie de l'éros que la destruction fait partie de la créativité.
La conscience ne peut échapper à l'ambivalence de ses origines.