Masochisme:
Une zone immense de la psyché fut connue sous le nom de " masochisme ", car Freud et les psychanalystes élargirent sa zone de départ aux émotions, imaginations et attitudes caractérielles, bien au-delà du comportement " masochiste " propre à Krafft-Ebing.
En fin de compte, le terme - tiré du nom de famille d'un romancier autrichien du siècle passé (1836- l 895) - Sacher-Masoch était d'abord utilisé par les psychanalystes, l'est maintenant par tout le monde, pour décrire le caractère fondamental de la psychologie féminine.
..L'arrière-plan archétypique propre à notre tradition .. n'a cessé d'identifier l'essence de la prétendue féminité au soi-disant masochisme.
L'union entre éros et souffrance est un phénomène religieux largement connu, spécialement chez les chrétiens, dont les martyrs employaient un langage mystique tiré du Cantique des Cantiques et de la Passion pour décrire l'horreur de leurs joies.
Le mot "souffrance" est sacré à l'origine et dérive de cette source même. « Suffering » désignait en anglais la passion du Christ sur la Croix...
Ces expériences cruciales de la vie psychique, éros et souffrance, et leur union, devinrent en raison du matérialisme simpliste du dix-neuvième "uniquement" plaisir et douleur...
Et l'infime dimension à laquelle ces thèmes avaient été réduits fut encore plus diminuée : le plaisir était plaisir sexuel, la douleur était douleur physique.
Le nouveau terme désignant leur conjonction était « algolagnia » - une « anormalité », évidemment, puisque plaisir et douleur, suivant la définition de la raison, s'excluent mutuellement.
Et les martyrs qui peut-être auraient été considérés comme des saints en un autre âge pouvaient à présent être qualifiés scientifiquement de « masochistes ».
L'invention du mot " masochiste ", comme du terme " hallucination " , a relégué dans l'ombre, du côté de la psychopathologie, une certaine façon dont l'âme est victime du numineux et accepte le pouvoir écrasant du « Tout Autre ».
Cette soumission, dans la torture et la mortification, est paradoxale : elle fait connaître à la fois plaisir et douleur, mais on ne peut la réduire à cela.
Les explications psychologiques, formulées en grande partie au moyen de la fonction sensorielle, sombrent bientôt dans le matérialisme, l'hédonisme et particuliérement le réductionnisme.
Les éléments sensoriels élémentaires ne peuvent pas rendre compte des expédences supérieures, ni le plus simpIe du complexe. Le masochisme montre que l'inverse est vrai : le complexe moule le simple en un nouveau signifiant.
Le masochisme révèle que plaisir et douleur ne sont pas les opposés ultimes d'une polarité métapsychologique, tels que les a conçus la psychologie des sensations : des bases irréductibles de la vie psychique.
Dans l' expérience masochiste, douleur et plaisir s'unissent. Le masochisme est ainsi un paradigme, qui révèle le pouvoir qu'a la psyché de transcender ses prétendues données fondamentales, le plaisir et la douleur.
Les caractères psychiques, éros et souffrance, sont à même de transformer leurs composantes, plaisir et douleur, et de les unir.
On peut envisager les phénomènes masochistes par rapport à cet arrière-plan : la conjonction des opposés qui, en tant qu'opus contra naturam, apparaît d'un certain point de vue comme une perversion de la nature.
En un sens, certains freudiens voyaient juste quand ils faisaient du masochisme une condition générale de la psyché dans son ensemble.
Si c'est là une attitude propre à l'individu, ce n'est donc pas simplement un caprice ou une lubie à traiter comme quelque chose de défectueux et qu'il faut pallier.
Tant que le masochisme est considéré comme une anomalie sexuelle et que la sexualité n'est tenue que pour une « fonction » concrète, sa portée psychologique est réduite à des localisations fragmentaires faisant partie de la fonction sexuelle ou de l'histoire personnelle de l'individu.
Il devient alors, au lieu d'une expression archétypique, quelque chose tenant du doigt blessé ou du genou foulé qui réclame des soins.
Le modèle proposé est le fonctionnement parfait : la sexualité envisagée comme une machine marchant en souplesse et sans conflits. Pas de douleur - et surtout pas de jouissance de la douleur.
On en cherche les sources dans les corrections infligées dans l'enfance...
Mais supposons au lieu de cela, que cette source soit générale et non particulière.. Supposons que cette source ne se situe pas même uniquement dans le passé mais, comme tous les phénomènes psychiques, qu'elle renvoie également à notre mort. (Les phénomènes naturels renvoient par leur processus de croissance à leurs origines, alors que les phénomènes psychiques renvoient en plus à leur signification pour l'âme en fonction de la mort.)
Supposons que le masochisme soit relié à la mort imaginée comme une libération extatique, comme quelque chose que l'âme désire et souhaite, et à quoi elle accède par la découverte d'une valeur intense et irrésistible de la chair et de son exquise jouissance, qui est aussi notre pire douleur.
Supposons que le masochisme soit une expérience de mort, tout à fait importune à Ia vie.
Supposons en même temps que le masochisme permette une union de l'âme et de la chair, d'une intensité impossible à atteindre autrement.
L'inhabituel devient anormal seulement du point de vue du " normal " qui juge unilatéralement en termes de " vie ". Mais toute expérience doit également être interrogée en rapport avec la mort, car, en ce cas, elle assume l'âme et devient réellement psychologique.
Le terme de « masochisme », ne révéle rien de la fantaisie qui lui est sous.jacente. Sacrifice, torture, passivité, la valeur qu'il y a à être victime - tout cela ne nous dit rien de ce que ces phénomènes de mortificatio signifient pour l'âme.
Nous trouvons la torture dans les rites primitifs; la flagellation dans les rites de guérison et de fertilité, ainsi que dans l'ascèse ; l'écorchement en alchimie.
...pourquoi le « masochisme » est tout bonnement apparu? Qu'exprimait la psycbé collective d'une époque à travers cette nouvelle désignation psycbopatbologique ? Cela ne contenait-il pas une signification pour l'âme de l'époque, une affirmation de ses niveaux collectifs ?
Il est possible que le masochisme soit une expression victorienne et germanique tardive de passion érotique religieuse, allant de pair avec le " suppllice romantique " le débordement de flagellation pornographique, l'art fin de siècle, le mouvement féministe...
La psyché avait perdu le contact avec l'éros, tout comme l'éros, exclu de la psychologie, simplifié et avili, tombait dans la pornographie et la sentimentalité.
C'est ainsi que la psychologie - ayant découvert le "masochisme ", le trouva dans la psyché et y vit la caractéristique de son aspect féminin.
La " découverte " du masochisme nous révèle qu'à cette époque, la psyché avait un besoin vital de se soumettre à une forme d' éros, quelle qu'elle soit - l'éros à tout pris - afin de se détacher de la toute-puissante inflation matérialiste du dix-neuvième qui voulait absolument qu'elle n'appartienne qu'à l'intellect.