TAO
... l'auteur chinois part toujours du point central, c'est-à-dire de ce que nous qualifierions de sommet, de but, d'idée ultime ou la plus profonde. ...
Notre texte commence par ces mots : « Ce qui est par soi-même se nomme Tao. » Et le Houei Ming King débute ainsi : « Le mystère le plus subtil du Tao, c'est la nature humaine et la vie. »
C'est un trait caractéristique de l'esprit occidental qu'il soit absolument démuni de concept correspondant à Tao. Le caractère chinois du Tao réunit celui de « tête » et celui d'« aller ». Wilhelm traduit Tao par « Sens » (Sinn), d'autres, par « Voie », « Providence », et même, comme les jésuites, par « Dieu ». Cela donne une idée de l'embarras des traducteurs. « Tête » doit être entendu comme « conscience », et « aller » comme « cheminer », Ce serait donc : « aller d'une façon consciente» ou bien « chemin conscient ». Le fait que la « lumière du ciel qui réside entre les deux yeux » est employée comme synonyme de Tao concorde avec cette interprétation. P.37 La nature (humaine) et la vie sont contenues dans la lumière du ciel et constituent chez Liou Houa Yang les plus grands mystères du Tao. La « lumière » est un équivalent symbolique de la conscience et la nature de la conscience est exprimée à l'aide d'analogies tirées de la lumière. Le Houei Ming King s'ouvre par les vers suivants :
« Si tu veux parfaire le corps de diamant sans fuite,
Réchauffe avec soin la racine de la conscience (La tête est aussi le « siège de la lumière céleste ».) et de la vie.
Illumine le pays bienheureux qui est toujours proche
Et fais-y habiter toujours, caché, ton véritable moi. » (« Nature » (sing) et « conscience » (houei) sont employés concurremment dans le Houei Ming King. Tous deux sont opposés à « Vie », ming, mais ils ne sont pas identiques.)
Ces vers contiennent une sorte de prescription alchimique, une méthode ou une voie en vue de la procréation du « corps de diamant » qui est également mentionné dans le texte. II faut pour cela un « réchauffement », c'est-à-dire une élévation de la conscience, afin que le séjour de la nature spirituelle soit « illuminé ». Toutefois, ce n'est pas seulement la conscience, mais aussi la vie qui a besoin d'être élevée. La réunion des deux produit la « vie consciente ». D'après le Houei Ming King, les anciens sages connaissaient la manière d'abolir la séparation entre la conscience et la vie en cultivant l'une et l'autre. Ainsi « le chêli (le corps immortel) est fondu » et, par là, « le grand Tao est accompli ».
Si nous comprenons le Tao comme une méthode ou une voie consciente qui doit réunir ce qui était séparé, nous arrivons sans doute à serrer de plus près le contenu psychologique de ce concept. En tout cas, la séparation de la conscience et de la vie ne doit vraisemblablement pas signifier autre chose que ce que j'ai décrit plus haut comme divergence, déviation ou déracinement de la conscience. De plus, l'opération consistant à rendre les opposés conscients, comprend sans doute aussi une réunification avec les lois inconscientes de la vie, et le but de cette unification est l'obtention de la vie consciente, en termes chinois : la production du Tao.