Psychologiquement, l'attachement est une fascination inconsciente qui nous fait perdre notre liberté de choix, car, dans certaines circonstances, nous pouvons nous attacher aux choses les plus folles, ce qui nous fait voir le sens profond de ce dont l'anima est capable. L'anima est la déesse Maya, l'illusion, qui, à présent, a capturé le héros par une fascination inconsciente. Il ne peut s'en aller, son pied n'est pas libre. Bien qu'ayant trouvé quelque chose qu'il ne désirait pas, il ne parvient pas à s'en libérer. Il se trouve donc dans la situation représentée par la carte du tarot : « Le Fou, le Pendu. » . « Ayant les pieds sur terre, je veux tout de suite ce morceau de viande, car j'ai faim. » Mais ce sont des pierres précieuses et il se trouve soudain confronté à une chose qu'il n'a pas désirée mais dont il est cependant captif.
. « .. je vais entrer là et me reposer, car je suis trempé par la pluie. » C'est alors que commencent toutes ces tortures initiatiques qui le rapprochent de la Dame Chatte.
. un pareil textile (lin) est en rapport avec le fantasme inconscient, ce fantasme créateur qui est le tissu de la destinée, celle-ci étant en réalité fantasmée par notre propre vie intérieure. Or, ce vieil empereur buveur entretient un fantasme très élevé ; du lin capable de passer par le chas d'une aiguille serait une imagination sublime, très subtile. Le lin est un symbole féminin, donc ce tissu d'associations, d'imagination créatrice, est aussi un symbole féminin, telle la toile de Maya dans la philosophie hindoue P.129 . le vieil empereur n'a pas lui-même ce fantasme, il souhaite seulement le posséder - il désire avoir le fantasme juste. Cependant, comme nous l'apprenons à la fin de l'histoire, il se conduit très mal et doit être vaincu ; s'il n'est pas tué, il se trouve du moins réduit à l'impuissance. Entretenir un fantasme positif n'est donc pas suffisant. Cependant, cela a incité les trois fils à entreprendre leur quête.
Comment interpréterons-nous le fait que le principe vieilli - le roi représentant le principe ancien de la conscience -, bien qu'entretenant un fantasme de désir positif, en soit réduit à ne pas pouvoir l'atteindre ni à pouvoir accomplir sa tâche ? Le sens est clair, mais qu'en serait-il si, dans la vie réelle, le principe gouvernant, tout en entretenant un désir juste, quand viendrait le moment de le réaliser, se conduisait mal d'une manière ou d'une autre ? .
Je crois que toutes les puissances dirigeantes du monde s'accorderaient à penser qu'il est nécessaire de protéger davantage la nature et d'avoir une meilleure relation avec elle, de manière à cesser d'exploiter notre planète, qu'il faudrait plus d'amour entre les êtres, et qu'elles caresseraient des idéaux de cet ordre. Notre technologie est trop inhumaine. . Nous devrions redonner de la valeur aux relations humaines, à la fantaisie créatrice individuelle, et avoir davantage de liberté personnelle. L'Etat ne devrait pas être aussi puissant. Or il est absolument stérile d'entretenir de pareils fantasmes de désir. Tout le monde en a ; les anciens systèmes en avaient aussi. . Les personnes âgées sont généralement remplies d'imaginations raisonnables de désir, mais elles ne savent qu'en faire. La maladie du vieil empereur est due à ce que, - lorsqu'il en vient aux faits, il ne sait pas comment s'y prendre à cause de la mort de sa femme.
Que signifie le fait que la femme de l'empereur soit morte ? Qu'est-ce que ce féminin qui a disparu ? Si nous prenons cela comme la mort de l'anima, il s'agirait d'une société masculine dans laquelle celle-ci est déficiente. Avant tout, je dirais que l'anima chez l'homme et le féminin chez la femme sont ce qui amène les choses dans la réalité. Si un homme n'a pas de femme, cela signifie que, même s'il entretient les plus merveilleux fantasmes, il se sent perdu lorsqu'il s'agit de les réaliser concrètement. Le féminin est ce qui lui permet de les extérioriser. Il en va exactement comme de l'homme qui engendre l'enfant, alors que c'est la femme qui l'amène à la naissance et dans la vie. Si donc l'anima d'un homme est morte, s'il n'a pas de relation avec sa féminité intérieure, serait-il le plus grand idéaliste existant et aurait-il les projets les plus merveilleux en vue de réformer la situation mondiale, quand viendrait le moment de les concrétiser, il en serait incapable.
Il est significatif que ce vieil empereur, désespéré d'avoir perdu sa femme, se soit mis à boire et à agir, en quelque sorte, à la manière d'un idéaliste déçu. Quand un homme a développé son anima, il remarque les occasions de mettre ses idéaux en pratique parce qu'il P.131 est personnellement relié à la réalité. Il ne voit pas que les groupes, il voit aussi les personnes. On ne peut réaliser des choses qu'à travers les individus, et non au moyen de comités et d'articles de journaux. C'est là développer le principe féminin et un homme qui le fait aura le fantasme juste. Il remarquera dans la réalité les occasions capables d'évoluer vers des relations personnelles.
Vous aurez beau concevoir le meilleur système du monde, si les personnes qui en font partie ne sont pas en bonne relation les unes avec les autres, si, par exemple, tous les membres d'une excellente équipe de scientifiques se détestent, ils ne produiront jamais rien. Une anima déficiente entraîne toujours la stérilité. . Les Trois Plumes . dans ce conte, le vieux roi amène le fantasme dans la réalité. C'est comme s'il disait : « Nous devons d'abord filer une imagination, une fantaisie créatrice, mais ensuite nous devons aussi la faire passer dans le concret. » Cette histoire se termine harmonieusement, contrairement à la nôtre, parce que, dans celle-ci, dès que l'empereur voit la jolie femme, il la désire pour lui-même, détruisant ainsi la situation tout entière. Mais nous reviendrons plus tard sur ce sujet.
Si nous considérons le tissu que désire le vieil empereur comme un fantasme d'idéal qui suit des voies justes mais qu'il n'a pas la possibilité de réaliser parce qu'il a perdu sa femme, nous comprenons ce qui arrive au fils aîné qui ne trouve qu'un chien et au cadet qui ramène un tissu grossier. Ces deux frères ne jouent pas un grand rôle par la suite. Pourquoi l'un d'eux trouve-t-il quelque chose qui ressemble à ce que désire le père, mais en moins bien, et pourquoi l'autre trouve-t-il un chien ?
Rappelez-vous la direction que suit l'histoire : son but est la rédemption du féminin. Je dirais que ce morceau de tissu grossier, comparé au lin idéal que l'empereur a dans l'esprit, se réfère seulement aux aspects grossiers de la vie. Prenons l'exemple d'un homme politique qui aurait une vision imaginaire merveilleusement belle de ce que les choses devraient être et qui se dirait : « En politique, il faut être réaliste ; contentons-nous de faire ce que nous pouvons. » Ses idées se trouveront alors appliquées, en quelque sorte, de manière grossière et perdront leur vraie valeur parce qu'il n'y aura plus d'âme en elles. C'est un morceau de lin ordinaire. C'est seulement trivial et cela se termine dans la banalité. On peut dire, par exemple, qu'il a trouvé quelque chose qui n'est qu'approximativement ce qu'il espérait, mais qu'il s'en arrange et se dit : « C'est probablement ainsi qu'est la réalité. On ne peut exiger mieux. »
Le compagnonnage représenté par un chien serait une sorte de fidélité aveugle et dénuée de sens critique. Jung disait toujours que ce sont les hommes qui croient à l'institution du mariage, pas les femmes. Les femmes doutent sans cesse du mariage qu'en réalité elles sont uniquement passionnées par la relation, c'est ce qu'elles veulent. Mais un homme en a souvent une idée très sentimentale ; il ne s'entend vraiment pas bien du tout avec sa femme, mais c'est sa femme. J'ai pu observer P.133 cela dans ces cas tragiques dans lesquels un homme a épousé une femme qui ne lui convient vraiment pas et tombe amoureux d'une autre qui lui correspond mieux. Mais il éprouve alors une réaction sentimentale du genre de celle-ci : « Ma femme est ma femme, je ne peux pas divorcer », et ceci même s'il n'y a pas d'enfants. Il a une sorte de loyauté de chien, par habitude. . C'est simplement une forme d'attachement canin et de la sentimentalité. « Le divorce est socialement honteux, ça ne se fait pas. » C'est, là encore, un attachement aux principes anciens. Les femmes sont plus aventureuses dans ce domaine. Elles peuvent aimer l'institution du mariage, mais seulement si elles y sont heureuses avec l'homme qui la partage avec elle. Si elles ne sont pas heureuses avec cet homme, elles commencent rapidement à avoir des fantasmes non conventionnels. Les femmes rejettent plus facilement que les hommes les considérations liées à la persona.
On peut donc dire que, des deux côtés, que ce soit à droite ou à gauche, il y a de la trivialité, de la résignation, de la loyauté par habitude et le remplacement d'une relation véritable par cette sorte de réflexion : « Nous faisons aller. .. » Le lin grossier serait de se dire : ? « Oh, ça va à peu près bien. Ce n'est pas le véritable amour dont j'ai rêvé dans ma jeunesse, mais nous continuons. » Un homme qui réagit ainsi enterre, en quelque sorte, son idéal d'anima ou ce que son anima cherche réellement à accomplir en lui. Il y renonce. Alors vient le chien. P.135

CHAPITRE VI LE PALAIS DE LA CHATTE

Avant de se faire piéger par la viande-bijou, le plus jeune des trois princes s'est trouvé pris dans un orage ; .. un choc entre les opposés qui conduit à une solution, l'éclair étant la rencontre entre les opposés et la pluie l'élément dissolvant. Nous pouvons maintenant être plus précis et définir ces opposés. Le fantasme du lin qu'entretient le benjamin et qui l'a incité à se mettre en route se heurte en lui à la réalité qui ne ressemble pas du tout à ce fantasme. Alors, il comprend qu'en poursuivant le fantasme d'idéal de son père il n'est parvenu nulle part et s'est perdu. Errant dans la zone végétative de la psyché, il y fait l'expérience du choc entre les opposés et parvient à ce problème de la chair. Mais, au moment même où il se fait prendre, une cloche sonne, ce qui le fait retomber à terre, comme s'il s'éveillait ou était libéré du piège et il pénètre à l'intérieur du palais.
Les cloches sont utilisées dans beaucoup de cérémonies religieuses. . P.137 . Dans chaque religion, elles ont des connotations particulières, mais l'idée générale qui se retrouve partout est qu'elles éloignent les démons. Le diable hait le son des cloches, il ne le supporte pas. Un autre effet de la sonnerie des cloches est de concentrer l'attention sur un événement important. Au cours de la messe, le tintement de la clochette marque le moment de la transition, l'instant où la transsubstantiation est imminente. Elle joue, en quelque sorte, le rôle d'une alarme qui dirait : « Soyez attentifs, l'événement transcendant est sur le point de se produire. » Le tintement de la cloche sert donc à concentrer ou à éveiller l'attention.
Les cloches suspendues aux clochers de nos églises, en sonnant toutes les heures, marquent les divisions du temps, ce qui est en rapport avec la sacralisation de celui-ci. Au XV, XVI et XVIIe siècles, .. l'horloge était alors considérée comme une image du cosmos et même de Dieu, parce que c'est un mandala, un mandala du temps. L'idée était qu'elle marquait les temps sacrés. C'est ainsi qu'il y avait dans la journée des heures et des événements sacrés, tels que les dimanches, les fêtes, les offices, les baptêmes, les mariages, les enterrements, etc.
Puis, progressivement, mais seulement après Descartes, l'image de l'horloge univers en vint à n'être plus que celle d'une machine qui se contente de suivre mécaniquement son cours. . La liberté divine n'a aucune place dans un univers d'horloge ou tout est prédéterminé. . Il se produisit donc une longue évolution vers le temps d'horloge moderne, évolution qui fut un processus de désacralisation. Dans sa signification d'origine, la cloche, en sonnant dans les villages à l'occasion de toutes ces situations archétypiques que sont la naissance, le mariage, la mort, etc., indiquait que quelque chose venant de l'éternité était en train de se produire. L'idée était que chacun, à ce moment là, devait arrêter de travailler et faire une courte prière à j'intention du mort ou de la femme devenue mère ; cela attirait leur attention sur l'événement.
Il est difficile de traduire ces choses en langage psychologique. On pourrait dire que c'est l'extériorisation P.139
d'une voix ou d'un signal intérieurs. Il nous arrive parfois, à certains moments de la vie, d'avoir l'impression que tous les événements quotidiens sont banals ; .. soudain quelque chose nous dit : « Attention un événement va se produire ! » Si nous ne répondons pas, nous manquons quelque chose de vraiment important. Nous avons, en quelque sorte, une cloche qui tinte en nous et nous prévient : « Une chose importante est sur le point d'arriver. » Nous appellerions cela la voix du Soi, un signal qui nous dit : « Ne manque pas de remarquer que ceci est un événement archétypique. » Nous pouvons facilement laisser passer les événements archétypiques : En particulier si nous avons eu une journée agitée et beaucoup à faire .
. La pendule possède cet aspect magique. Beaucoup de gens ont ce rapport avec leur montre. .. quand quelque chose d'archétypique ou de très important m'était arrivé et que je constatais quelques heures plus tard, que ma montre s'était arrêtée exactement au moment où cela s'était produit. C'est ce que Jung décrivait comme étant, en quelque sorte, une pénétration de l'infini ou de l'éternité dans le temps d'horloge. L'éternité interrompt celui-ci. Tout se passe comme s'il y avait un plan où existait un temps d'horloge et que l'éternité y mettait un instant la main. Quand cela se produit, vous faites une expérience archétypique. Vous éprouvez le sentiment de ce que Jung nommait « l'infini ». .
. La cloche unit les opposés. C'est un symbole de totalité parce qu'elle réunit le battant masculin et la cloche féminine. Elle est comparable à la yoni et au lingam en Inde. ... On peut ajouter que c'est un moment d'éternité où quelque chose d'important se produit. Il est intéressant de noter qu'ici cela libère le héros de la fascination. Il tombe du paquet de joyaux, de viande-joyaux, P.141 . Dès qu'il est au sol, il pénètre à l'intérieur du palais. Si nous interprétons la cloche comme étant un objet capable de chasser le démon, cela signifie que, lorsqu'il est suspendu là par un pied, il est fasciné de manière quelque peu démoniaque. Il est prisonnier de cette fascination, ce qui est un état négatif et la cloche libère comme en disant : « Cela n'est qu'un prélude, une chose importante va se produire. » Alors il s'éveille, en quelque sorte, et devient plus conscient.
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Le plus proche parallèle que j'ai pu trouver à ce thème se trouve dans la légende du Graal.